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Décisions

CAA Paris, 3e ch., 7 juillet 2020, n° 18PA03828

PARIS

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Climespace (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier conseiller :

Mme Mornet

Rapporteur public :

Mme Pena

TA Paris, du 9 oct. 2018

9 octobre 2018

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par trois demandes, la société Climespace a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler trois décisions du 13 décembre 2016 par lesquelles le directeur des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 125 000 euros pour manquement au 9ème alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, ensemble trois décisions par lesquelles le ministre de l'économie et des finances a rejeté ses recours hiérarchiques ou n'y a que partiellement fait droit.

Par un jugement n° 1709708-1712637-1713282 du 9 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris, après les avoir jointes, a rejeté ces trois demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 décembre 2018 et 10 mars 2020, la société Climespace, représentée par Me A F et Me E D, demande à la Cour d'infirmer le jugement et :

1°) d'annuler les décisions du 13 décembre 2016 du directeur des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, ensemble les rejets de ses recours hiérarchiques ;

2°) d'ordonner la restitution des sommes versées en exécution de ces décisions ;

3°) d'ordonner la publication sur le site internet de la DGCCRF d'un communiqué informant les tiers de l'annulation par la Cour des décisions contestées ;

4°) à titre subsidiaire de ramener l'amende administrative à de plus justes proportions et d'ordonner la restitution du surplus des sommes versées ;

5°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure suivie devant l'administration où sont confondus les pouvoirs d'instruction, d'accusation et de sanction méconnait le principe d'impartialité et porte atteinte au caractère équitable du procès ;

- le choix de lui infliger une amende et le quantum retenu ne sont ni justifiés ni motivés ; la DIRRECTE s'est au demeurant abstenue de répondre à ce moyen devant les premiers juges ;

- le retard de paiement peut souvent s'expliquer par le caractère incomplet des factures ;

- les dispositions du code de commerce qui font courir le délai de paiement à compter de la date d'émission des factures et non de la date de réception effective sont source d'insécurité juridique ;

- la date d'émission d'une facture est celle de sa délivrance et non la date qui y figure ;

- aucune obligation de diligence ne pèse sur elle en cas d'émission d'une facture défectueuse, et les sanctions prévues à l'article L. 441-6-VI ne pouvaient s 'appliquer à des manquements à l'article L. 441-3, seules les sanctions prévues à l'article L. 441-4 étant dans ce cas applicables ;

- les décisions de la DIRRECTE méconnaissent la directive 2011/UE du 16 février 2011 qui ne parle que de " réception de la facture " ;

- elles méconnaissent également le principe de sécurité juridique et l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- la DIRRECTE a écourté les délais de paiement sans base légale, les délais en cause étant des délais francs ;

- 90 % des factures ont été payés dans les délais, les manquements sont dépourvus de gravité et les sanctions sont hors de proportion avec l'avantage de trésorerie allégué ; le jugement attaqué est à cet égard entaché de contradictions et d'erreurs.

Par un mémoire enregistré le 26 février 2020, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Le ministre, qui s'en rapporte à l'argumentation développée en première instance soutient que :

- le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat ont jugé que les procédures de sanction administrative ne contrevenaient pas au principe d'impartialité ;

- le quantum de la sanction ne doit pas faire l'objet d'une motivation spécifique et le mode de calcul avait été discuté dans la phase contradictoire de la procédure ;

- la date d'émission de la facture est celle figurant sur la facture qui doit être établie aussitôt la prestation réalisée ;

- la société n'a pas été sanctionnée pour non-respect des règles de facturation mais pour non-respect des délais de paiement ;

- la directive 2011/7 UE a été transposée au droit interne et la France pouvait édicter des mesures plus favorables aux créanciers ;

- le respect de la sécurité juridique est assuré ;

- les manquements étaient d'une gravité significative et la sanction pouvait être appréciée au regard du chiffre d'affaires et de la situation financière de l'entreprise.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- le code de commerce,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique,

- le code général des impôts,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- les observations de Me F pour la société Climespace.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 13 décembre 2016, le directeur des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a infligé à la société Climespace, concessionnaire du réseau de froid urbain de la ville de Paris, une amende administrative de 125 000 euros sur le fondement du 9ème alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce qui sanctionne les manquements aux délais de règlement de factures entre entreprises, et a prescrit la publication de cette mesure. Le recours hiérarchique formé par la société Climespace le 13 février 2017 a été rejeté par le ministre de l'économie et des finances par une décision implicite à laquelle s'est substitué une décision expresse du 16 juillet 2017. La société Climespace relève appel du jugement du 9 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe d'impartialité :

2. Aux termes des stipulations de de l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)".

3. Si les poursuites engagées par le directeur des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France en vue d'infliger des sanctions financières sur le fondement de l'article L. 441-6 du code de commerce sont des accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'en résulte pas que la procédure de sanction doive respecter les stipulations de cet article, dès lors, d'une part, que le directeur, compétent pour prendre les mesures de sanction, ne peut être regardé comme un tribunal au sens des stipulations de cet article, et, d'autre part, que la décision de sanction peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, devant laquelle la procédure est en tous points conforme aux exigences de l'article 6.

4. Par ailleurs, le principe d'impartialité, qui est un principe général du droit s'imposant à tous les organismes administratifs, n'impose pas qu'il soit procédé au sein de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, qui n'est pas une autorité administrative ou publique indépendante mais un service déconcentré de l'Etat, et qui ne rend pas de décision suivant une procédure de type juridictionnel, à une séparation des fonctions de poursuite et de sanction.

5. Le moyen tiré de l'incompatibilité de la procédure de sanction administrative avec l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe d'impartialité et de l'atteinte portée au principe d'impartialité doit dès lors être écarté.

Sur le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision :

6. D'une part, en vertu du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce, le fait pour une personne morale de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés au neuvième du I de cet article est passible d'une amende administrative qui ne peut excéder deux millions d'euros. D'autre part, il résulte de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration que la motivation des décisions qui infligent une sanction doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

7. La décision du 13 décembre 2016 se réfère au procès-verbal du 1er juillet 2016 qui détaillait les manquements reprochés à la requérante, à la lettre du 11 août 2016 par laquelle l'administration informait la société de son intention de lui infliger une amende de 150 000 euros, et aux nombreux échanges auxquels a donné lieu notamment le calcul de l'amende. Elle rappelle que 651 factures sur un total de 2 614 (soit 24,9 0%) ont été payées avec retard en 2015, que les sommes payées avec retard représentent 25, 11% du montant facturé, que le retard moyen était de 9,77 jours, qu'il en avait résulté un avantage de trésorerie de 146 584 euros, et qu'au 31 décembre 2015 le ratio moyen de paiement des créances clients était de 92 jours et le ratio moyen de paiement des dépenses fournisseurs était de 178 jours, soit un différentiel de 86 jours en faveur de la société Climespace. Ce faisant l'administration, qui n'était pas tenue d'expliquer pourquoi elle infligeait une amende plutôt qu'un avertissement ou une autre sanction, ni de justifier spécifiquement le quantum de l'amende, a fourni des éléments suffisants quant à la nature, la répétition et la gravité des faits qu'elle avait retenus pour que puisse être utilement appréciée la proportionnalité de la sanction. La décision est dès lors suffisamment motivée. Le point de savoir si l'administration s'est méprise sur le montant de l'avantage de trésorerie dont elle fait état dans sa décision ne relève pas de la légalité externe de la décision. La circonstance que l'administration n'aurait pas répondu au moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision contestée dans ses écritures de première instance est sans incidence sur la légalité de la décision et sur la régularité du jugement.

Sur le bien-fondé de la sanction et le moyen tiré de l'erreur de droit :

8. Aux termes de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa version issue de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation : " I. - (...) Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, ce délai ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. (...) / VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés au neuvième alinéa du I du présent article. (...) ". Enfin, le V de l'article L. 465-2 du code de commerce prévoit que : " La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée aux frais de la personne sanctionnée. La décision est toujours publiée lorsqu'elle est prononcée en application du VI de l'article L. 441-6 ou du dernier alinéa de l'article L. 443-1. Toutefois, l'administration doit préalablement avoir informé la personne sanctionnée, lors de la procédure contradictoire fixée au IV, de la nature et des modalités de la publicité envisagée. ".

9. Il résulte des termes mêmes du 9ème alinéa du I de l'article L. 441-6 précité que le délai court " à compter de la date d'émission de la facture ". Celle-ci correspond à la date apposée sur la facture en application du 6° du I de l'article 242 nonies A du code des impôts, et non à compter de la date de réception de la facture par le débiteur qui en est destinataire. L'administration a donc fait une exacte application des textes en appréciant les retards de paiement à partir de la date d'émission des factures.

10. Si la société requérante fait valoir que la date d'émission des factures ne correspond pas nécessairement à celle de sa réception, que les factures peuvent être antidatées ou qu'au contraire le fournisseur peut tarder à adresser au débiteur la facture qu'il a émise, ces circonstances ont été prises en compte par les textes. Ainsi l'article 289-I-3 du code général des impôts prévoit que la facture est, en principe, émise dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services et l'article L. 441-3 du code de commerce dispose que le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service et que l'acheteur doit la réclamer.

11. Il en résulte que la " date d'émission de la facture " renvoie à une notion bien établie, claire, juridiquement définie et intelligible pour les professionnels auxquels elle s'adresse et ne saurait être confondue avec la date de réception. La société Climespace n'est pas fondée à soutenir que l'administration a institué des délais de paiement occultes. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir que les dispositions qui fondent la sanction qu'elle critique portent atteinte au principe de sécurité juridique, ni que l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme aurait été méconnu.

12. Si la société Climespace soutient que la prise en compte de la date d'émission de la facture comme point de départ du délai de paiement est contraire aux objectifs de la directive 2011/7/UE du 16 février 2011, cette dernière, transposée en droit interne par l'article 121 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, se borne à fixer des objectifs aux Etats membres de l'Union européenne en matière de lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales tout en précisant que les Etats membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions plus favorables aux créanciers. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de cette directive ne peut qu'être écarté.

13. Enfin, la société Climespace n'a pas été sanctionnée pour avoir omis de réclamer des factures à ses fournisseurs sur le fondement de l'article L. 441-3 du code de commerce, mais pour avoir tardé à les payer sur le fondement sur le fondement du L. 441-6 I, alinéa 9 du même code. Elle ne peut utilement invoquer la violation du champ d'application de l'article L. 441-3 du code de commerce et la méconnaissance de l'objet de l'enquête.

14. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

Sur la proportionnalité de la sanction :

15. Ainsi qu'il a été dit au point 7 du présent arrêt, le directeur des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a relevé que 651 factures sur un total de 2 614 (soit 24,90%) avaient été payées avec retard en 2015, et que les sommes correspondantes d'un montant de 5,4 millions d'euros représentaient 25, 11% du montant facturé. La société Climespace ne fournit pas d'éléments probants dont il ressortirait que ces retards seraient dans une proportion significative imputables à ses fournisseurs. Les retards de paiement de la société Climespace, par leur importance et leur caractère continu, portent atteinte à la situation financière de ses créanciers et à l'ordre public économique. La société ne fournit par ailleurs aucun élément dont il ressortirait qu'en raison d'une situation financière fragile, l'amende, d'un montant excessif, serait de nature à compromettre la pérennité de son activité. Dès lors, en fixant l'amende à la somme de 125 000 euros, trois fois inférieure au montant maximal de l'amende susceptible de lui être infligée, l'autorité administrative n'a pas prononcé une sanction disproportionnée aux manquements constatés et à la situation financière de la société. Il n'y a pas lieu, par suite, d'en modérer le montant.

16. Eu égard aux faits en cause, à l'intérêt des tiers à en être informés des pratiques de la société et à la valeur pédagogique d'une telle mesure, la publication sur le site internet de la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la sanction dont la société Climespace a fait l'objet, dont il résulte de l'instruction que la durée a été limitée à six mois par décision du ministre de l'économie et des finances en date du 16 juin 2017, ne saurait être considérée comme disproportionnée.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Climespace n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais de justice :

18. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par la société Climespace sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Climespace est rejetée.

Article 2 : le présent arrêt sera notifié à société Climespace et au ministre de l'Economie et des Finances.