Cass. com., 2 novembre 2016, n° 15-13.324
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 28 mars 2005, la société DBS1 a donné en location à la société Signature Car Rental (la société SCR) dix véhicules pour une durée de 48 mois, la société SCR détenant également douze autres véhicules acquis par la société DBS1 en juillet 2006 sans qu'un contrat de location ait été établi ; que la société SCR a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 21 décembre 2006, qui a ouvert une période d'observation de deux mois et a désigné Mme Z..., mandataire judiciaire, et M. Y..., administrateur judiciaire ; que le 26 décembre 2006, l'administrateur judiciaire a écrit à la société DBS1 qu'il entendait poursuivre le contrat de location du 28 mars 2005 concernant dix véhicules ainsi que celui relatif aux douze autres véhicules « ayant donné lieu à des factures du 11 août 2006 » ; que par un jugement du 15 février 2007, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société SCR, mis fin à la mission de l'administrateur et désigné Mme Z..., liquidateur ; que la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 15 avril 2010 ; que le 23 août 2012, M. X..., venant aux droits de la société DBS1, a assigné M. Y... et Mme Z... ainsi que la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, en paiement de dommages-intérêts en raison du défaut de paiement des loyers et de restitution des véhicules ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° T15-13.324 , pris en ses trois premières branches :
Attendu que M. Y..., la société Michel Miroite Gorins Deshayes Bidan et la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires font grief à l'arrêt de condamner M. Y... et la société d'administrateurs judiciaires à payer à M. X... la somme de 9 560 euros de dommages-intérêts et de dire la Caisse de garantie tenue de garantir cette condamnation alors, selon le moyen :
1°/ que la responsabilité de l'administrateur judiciaire qui opte pour la continuation d'un contrat en cours durant la période d'observation qui suit l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ne peut être retenue que lorsqu'il est établi que la société débitrice ne disposait pas, à la date à laquelle il a opté pour la continuation, d'une trésorerie suffisante pour honorer les échéances contractuelles ; qu'en se bornant à retenir que « l'administrateur judiciaire ne pouvait pas ne pas savoir que l'activité était structurellement déficitaire et que la poursuite de l'activité ne pouvait que générer un nouveau passif auquel la société ne pourrait pas faire face », sans rechercher si, à la date à laquelle il avait opté pour la poursuite du contrat de location litigieux, la société SCR disposait ou non d'une trésorerie suffisante pour régler les loyers à échoir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2°/ que ne commet aucune faute l'administrateur judiciaire qui opte pour la continuation, pendant une durée raisonnable, d'un contrat indispensable à la poursuite de l'activité de la société en redressement judiciaire ; qu'en l'espèce, l'administrateur judiciaire soutenait expressément que la continuation du contrat de location conclu avec la société DBS1 était indispensable à la poursuite de l'activité de la société débitrice et par conséquent au bon déroulement de la période d'observation et qu'elle n'avait duré que deux mois ; qu'en se bornant à retenir que « l'administrateur judiciaire ne pouvait pas ne pas savoir que l'activité était structurellement déficitaire et que la poursuite de l'activité ne pouvait que générer un nouveau passif auquel la société ne pourrait pas faire face », sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée si la continuation du contrat de location, limitée à une durée de deux mois, n'était pas indispensable à la poursuite de l'activité et n'avait pas présenté une durée raisonnable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°/ qu'un créancier de la procédure collective ne peut demander à un mandataire judiciaire de l'indemniser d'un dommage qui est la conséquence de sa propre faute ou décision ; qu'en l'espèce, l'administrateur judiciaire faisait valoir que la société DBS1 ne l'avait pas averti, en dépit de ses recommandations expresses, du fait que la première échéance ayant suivi l'option pour la continuation ne lui avait pas été réglée ; qu'en se bornant à retenir que « que le lien de connexité de la faute commise par l'administrateur judiciaire et le préjudice invoqué de 9 560 euros (loyers impayés échus durant la période d'observation soit du 21 décembre 2006 au 14 février 2007) existe », sans répondre aux conclusions de l'administrateur sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'administrateur judiciaire, au moment où il décide de la poursuite d'un contrat de location en cours , fût-il nécessaire à la continuation de l'activité pendant la période d'observation, doit s'assurer, au vu des documents prévisionnels disponibles, qu'il disposera des fonds nécessaires au paiement des loyers à échoir ; qu'après avoir relevé que la société SCR, en difficulté depuis 2003, était dépourvue de fonds propres et souffrait en permanence d'une trésorerie tendue, l'arrêt retient que l'évolution de son chiffre d'affaires et de son résultat d'exploitation démontrait une activité structurellement déficitaire et qu'il appartenait à l'administrateur de constater la situation réelle de l'entreprise, décrite par le bilan économique et social qu'il avait rédigé et qui montrait que les recettes enregistrées pendant la période d'observation n'avaient pas permis de payer les loyers des véhicules dont les locations avaient été poursuivies ; que l'arrêt en déduit que l'administrateur judiciaire ne pouvait ignorer le caractère structurellement déficitaire de l'activité et que la poursuite de cette dernière ne pouvait que générer un nouveau passif ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir qu'à la date de la décision de poursuite de la location, la société SCR ne disposait pas d'une trésorerie suffisante pour faire face aux loyers à échoir, la cour d'appel, qui n'avait dès lors pas à s'interroger sur le caractère indispensable des contrats poursuivis avancé par M. Y..., ni à répondre aux conclusions inopérantes de l'administrateur faisant valoir que la société DBS1 ne l'avait pas averti après le défaut de paiement de la première échéance en dépit de sa demande en ce sens, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi n° T 15-16.291, ni sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi n° T 15-13.324, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen du pourvoi n° T 15-13.324 :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt dit que la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires devra garantir M. X... de la condamnation prononcée contre M. Y... et la Selarl Michel Miroite Gorins Deshayes Bidan ;
Qu'en statuant ainsi, sans préciser, par un quelconque motif, alors que la Caisse n'est pas l'assureur de la responsabilité civile professionnelle des administrateurs judiciaires, à quel titre elle pouvait être tenue à une telle garantie, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi n° T 15-16.291 ;
Et sur le pourvoi n° T 15-13.324 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires devra garantir M. X... de la condamnation prononcée contre M. Y... et la Selarl Michel Miroite Gorins Deshayes Bidan, l'arrêt rendu le 20 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.