CA Paris, 4e ch., 25 juin 1997, n° D19970111
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M. Philippe
Défendeur :
Sté Mauboussin
FAITS ET PROCEDURE
La SA MAUBOUSSIN qui exerce une activité de joaillerie depuis 1827, es titulaire des droits de propriété conféré par les dispositions des Livres I et III du Code de la Propriété Intellectuelle sur un modèle de bague dénommé NADIA créé en 1982 et commercialisé en 1987, caractérisé par un anneau en or dans lequel est sertie clos une pierre précieuse ornée de part et d'autre d'insertions de nacre de couleur variable, godronnée ou côtelée.
La société MAUBOUSSIN est également titulaire de la marque dénominative NADIA, déposée le 19 avril 1983 sous le n 661.848 et enregistrée sous le n 1.233.585 dans la classe de produits ou services 14 pour désigner des "métaux précieux et leurs alliages et objets en ces matières ou en plaqué, bijouterie, joaillerie, pierres précieuses". Le dépôt susvisé a été renouvelé le 6 avril 1993.
Alléguant que Philippe M qui exploite une bijouterie [...] exposait et offrait à la vente des bagues susceptibles de constituer la contrefaçon du modèle susvisé et autorisée par ordonnance sur requête du Président du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 8 avril 1993, la société MAUBOUSSIN a fait procéder à une saisie contrefaçon le 11 mai suivant puis a assigné, le 25 mai 1993, Philippe M à l'effet de le voir condamner pour contrefaçon de modèle et de marque, outre aux habituelles mesures d'interdiction et de publication à lui verser une indemnité provisionnelle de 300.000 frs à valoir sur les dommages et intérêts à fixer après expertise ainsi qu'une somme de 30.000 frs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Philippe M a soulevé l'incompétence du tribunal de grande instance au profit du tribunal de commerce.
Il a invoqué subsidiairement la nullité de la signification de l'ordonnance du 8 avril 1993 et du procès-verbal du 11 mai 1993, conclu au rejet de la demande et sollicité reconventionnellement l'attribution des sommes de 50.000 frs en réparation d'une procédure qualifiée d'abusive et de vexatoire et de 10.000 frs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Très subsidiairement, il a soutenu que le préjudice de la société MAUBOUSSIN devait être évalué à la somme de 1219, 10 frs.
Par jugement du 5 avril 1995, le tribunal a :
- rejeté l'exception d'incompétence et de nullité,
- dit la demande en contrefaçon de modèle bien fondée,
- fait interdiction à Philippe M d'offrir à la vente ou de vendre des bagues reproduisant les caractéristiques du modèle NADIA sous astreinte de 100.000 frs par infraction constatée à compter de la signification de sa décision et ce, avec le bénéfice de l'exécution provisoire,
- condamné Philippe M à payer à la société MAUBOUSSIN les sommes de 100.000 frs à titre de dommages et intérêts et de 10.000 frs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
- autorisé la société MAUBOUSSIN à publier le jugement dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais du défendeur dans la limite d'un coût global de 45.000 frs,
- rejeté toutes autres demandes.
Philippe M a interjeté appel de cette décision le 6 juin 1995.
Il poursuit l'infirmation du jugement au motif que la saisie-contrefaçon serait nulle ou, subsidiairement, que la contrefaçon de modèle ne serait pas établie.
Plus subsidiairement, il soutient que le préjudice de l'intimée peut être évalué à 1.219, 10 frs.
Il sollicite en tout état de cause l'allocation d'une somme de 10.000 frs pour ses frais hors dépens.
La société MAUBOUSSIN conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a validé la saisie-contrefaçon et dit sa demande en contrefaçon de modèle bien fondée.
Elle demande en revanche à la Cour de fixer la réparation de son préjudice par expertise, de condamner l'appelant à lui verser les sommes de 300.000 frs à titre de provision et de 30.000 frs conformément aux dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et d'ordonner la publication du présent arrêt dans dix journaux de son choix, aux frais de Philippe M, sans que le coût de chaque insertion soit inférieur à 30.000 frs.
DECISION
SUR LA SAISIE CONTREFACON
Considérant que si, dans le dispositif de se premières conclusions du 6 octobre 1995, Philippe M sollicite l'annulation de la saisie-contrefaçon, il n'en précise par les motifs.
Qu'il en est de même de ses écritures des 13 mars et 7 mai 1997.
Qu'il convient au surplus de noter que, dans ses dernières conclusions, il se réfère au procès-verbal "pour constater qu'à aucun moment et ce, malgré les tentatives insidieuses de l'huissier (il) n'a déclaré qu'il s'agissait d'un modèle MAUBOUSSIN ou de la très fameuse bague NADIA" (p. 2 paragraphe 6).
Qu'en tout état de cause, il y a lieu d'observer qu'à l'argument invoqué en première instance selon lequel la signification de l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon et le procès-verbal de celle-ci seraient nuls en l'absence de mention du nom de l'huissier instrumentaire et des nom et coordonnées du commissaire de police, le tribunal a exactement répondu que :
- les deux actes portaient la mention : "la SCP Michel CABOUR et Joëlle GIROD CHATAIGNIER, huissiers de justice associés près le TGI de [...], agissant par l'un d'eux soussigné" et le cachet desdits huissiers apposé en dernière page et revêtu d'une signature,
- si, en vertu de l'article 648.3 du nouveau Code de Procédure Civile, tout acte d'huissier de justice doit comporter les nom, prénom, demeure et signature de l'huissier de justice, la mention du nom de la personne physique qui a instrumenté dans le cas d'une société civile professionnelle n'est pas exigée,
- aucun texte n'impose que le nom du commissaire de police dont l'assistance est facultative soit indiqué,
- en toute hypothèse, Philippe M ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un grief consécutif aux irrégularités alléguées.
SUR LA CONTREFACON DE MODELE
Considérant que Philippe M soutient qu'eu égard aux différences opposant le modèle NADIA à la bague saisie à son magasin et tenant au sertissage, au moulage, à la taille et à la qualité de la pierre ainsi qu'au prix de vente on peut trouver entre ces bijoux "tout au plus, un air de famille...mais en aucun cas une contrefaçon".
Mais considérant, outre le fait que celle-ci s'apprécie en tenant compte non des différences mais des ressemblances, que le tribunal a exactement retenu que la création originale de la société MAUBOUSSIN caractérisée par la combinaison de l'or, d'un brillant et de la nacre était reproduite par la bague offerte à la vente par Philippe M.
Que le procès-verbal de saisie-contrefaçon décrit en effet ce bijou ainsi qu'il suit :
"Le modèle ainsi saisi est en or jaune avec diamant serti clos de 0, 58 carat (ainsi déclaré par M. Philippe M). Ce diamant est entouré d'un double godron or - la nacre se trouvant fixée sur les deux côtés de ce diamant est plate et de couleur blanche. Cette nacre est bordée sur les flancs par un bourrelet d'or".
Considérant que les premiers juges en ont pertinemment déduit que cette bague présentait un aspect général identique au modèle NADIA dont elle reprenait les caractéristiques essentielles que ne faisaient pas disparaître les différences invoquées par Philippe M, tenant à la taille de la pierre et du double sertissage.
Que la contrefaçon est donc établie.
SUR LA REPARATION DU PREJUDICE
Considérant que si Philippe M allègue "qu'il tombe sous le sens que la bague prétendument contrefaite et celle du grand joaillier se destinent à deux clientèles particulières différentes" et en déduit que "la vente de la bague litigieuse n'a manifestement pas diminué d'un seul centime le chiffre d'affaires de la société MAUBOUSSIN", il convient de lui objecter d'une part que le modèle NADIA est le fruit d'un important, long et coûteux travail de création et que sa commercialisation a nécessité un investissement publicitaire considérable, d'autre part, que l'offre à la vente et la vente de bagues contrefaisantes d'une qualité inférieure banalise et déprécie le modèle original et porte atteinte à la renommée de la société concernée.
Que, ne contestant pas que les faits de contrefaçon ne portent que sur un objet, les premiers juges ont à juste titre limité le montant de la réparation à la somme de 100.000 frs.
Qu'il sera fait droit aux demandes en interdiction et publication ainsi que précisé au dispositif.
SUR LES FRAIS HORS DEPENS
Considérant que Philippe M qui succombe, sera débouté de la demande par lui fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Qu'il est, en revanche, équitable d'allouer à la société MAUBOUSSIN de ce chef une somme de 20.000 frs.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité et, faisant droit à la demande en contrefaçon de modèle, condamné Philippe M à payer à la société MAUBOUSSIN la somme de 100.000 frs à titre de dommages et intérêts et mis les dépens à sa charge,
Le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau,
Fait interdiction à Philippe M d'offrir à la vente ou de vendre des bagues reproduisant les caractéristiques du modèle NADIA sous astreinte de 100.000 frs par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt,
Autorise la société MARINECHE à publier celui-ci dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de Philippe M dans la limite d'un coût de 25.000 frs HT par insertion,
Condamne Philippe M à payer à la société MAUBOUSSIN une somme de VINGT MILLE FRANCS (20.000 frs) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
Condamne Philippe M aux dépens d'appel,
Admet la SCP TEYTAUD, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.