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Décisions

CA Pau, 2e ch., 12 novembre 1998, n° D19980180

PAU

Arrêt

CA Pau n° D19980180

12 novembre 1998

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur Renzo J a créé un modèle de statuette de la Vierge de LOURDES et a procédé au dépôt en FRANCE de ce modèle à la date du 5 septembre 1987, dépôt n 39 auprès du Greffe du Tribunal de Commerce de TARBES, enregistré à l'I.N.P.I. sous le n 87/5289 (publication le 13 juillet 1988 sous le n 249732).

La Société R. JACOMINI qui a pour objet la vente en gros d'articles religieux et d'articles souvenirs fantaisie, a acquis ce dépôt de modèle de Monsieur Renzo J, suite à un apport en propriété (selon acte authentique du 19 juillet 1994 inscrit au registre national des dessins et modèles le 17 octobre 1994 sous le n 735).

Soutenant avoir constaté la mise sur le marché de LOURDES d'articles contrefaisant la statuette de la Vierge déposée, Monsieur J a le 4 février 1994 porté à la connaissance de Monsieur Gérard D l'existence de son dépôt de modèle.

Malgré cette mise en garde, Monsieur D a continué à commercialiser des statuettes.

Ayant appris que Monsieur Gérard D avait cédé son fonds de commerce à la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT - SAD, la SOCIETE R. JACOMINI a mis en demeure le 9 février 1995 cette Société de cesser la commercialisation des statuettes acquises de contrefaçon.

N'ayant reçu aucune réponse de cette Société constatant que la contrefaçon dont elle se plaignait se poursuivait, la SOCIETE R. JACOMINI a fait procéder le 16 mai 1995 au siège de la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT - SAD à une saisie contrefaçon autorisée par ordonnance judiciaire.

Par acte du 31 mai 1995, la Société JACOMINI a fait assigner la Société SAD et Monsieur Gérard D à comparaître devant le Tribunal de commerce de TARBES, aux fins de :

- voir interdire la vente des articles contrefaisants en leur possession sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée ;

- ordonner la destruction du stock de ces statuettes, à leurs frais,

- voir condamner la Société SAD au paiement de la somme de 150 000 F pour préjudice subi du fait de contrefaçon et concurrence déloyale ;

- voir condamner Gérard D au paiement de la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels en réparation de la contrefaçon et de concurrence déloyale à parfaire après expertise ;

- voir désigner un expert pour rechercher et apprécier le montant définitif des dommages et intérêts dus par Gérard D ;

- voir publier la décision à intervenir dans cinq journaux ;

- voir condamner chaque défendeur à payer 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

- voir condamner chaque défendeur à payer 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par actes des 22 et 29 septembre 1995, la Société SAD a appelé en garantie Gérard D et la Société BEGUELIN IMPORT es-qualités de fabricant.

Les instances ont été jointes par jugement du 27 novembre 1995.

Par jugement du 8 juillet 1996, le Tribunal de Commerce de TARBES ;

- a mis hors de cause la Société BEGUELIN BELGIQUE ;

- a reçu la constitution volontaire de la Société BEGUELIN FRANCE ;

- a débouté la Société JACOMINI de toutes les demandes ;

- a annulé les saisies pratiquées par le procès-verbal du 16 mai 1995 ;

- a déclaré les appels en garantie faits par la SARL "SAD" réguliers en la forme mais infondés ;

- a débouté la Société BEGUELIN FRANCE de sa demande reconventionnelle ;

- a condamné la Société JACOMINI à payer à Gérard D, à la Société SAD et à la Société BEGUELIN FRANCE, chacun la somme de 4 000 F au titre de l'article 700 et aux dépens.

Suivant déclaration au greffe de la Cour en date du 9 août 1996, la SARL JACOMINI a régulièrement relevé appel de cette décision.

La SARL JACOMINI demande :

- de réformer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de TARBES le 8 juillet 1996, et statuant à nouveau ;

- de dire et juger qu'en fabriquant ou faisant fabriquer, en détenant et en offrant à la vente et / ou en vendant les modèles de statuettes portant pour la Société ARTISANALE DUFFORT les références HL 200, HL 201, HL 203 et pour Monsieur Gérard D, les références EA 200, EA 201, EA 202, la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT - SAD et Monsieur Gérard D ont commis des actes de contrefaçon de modèle déposé et de droits d'auteur ;

- de dire et juger qu'en fabriquant et / ou en faisant fabriquer, en détenant en offrant en vente et / ou en vendant les statuettes contrefaisantes :

* dans une gamme de quatre tailles différentes, tout comme le fait la SOCIETE R. JACOMINI depuis de longues années pour ses propres statuettes, et à des pris inférieurs à ceux de la SOCIETE R. JACOMINI ;

* la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT - SAD et Monsieur Gérard D ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SOCIETE R. JACOMINI, au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil ;

- de faire interdiction à la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT - SAD et à Monsieur Gérard D de fabriquer et / ou de faire fabriquer, de détenir, d'offrir en vente et / ou de vendre les modèles de statuettes contrefaisantes dans quelque taille que ce soit et ce, sous une astreinte définitive de 100 000 F par infraction constatée, dès le jour de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- d'ordonner la destruction du stock de statuettes contrefaisantes détenu par la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT - SAD et Monsieur Gérard D, à payer à la SOCIETE R. JACOMINI, la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels en réparation de actes de contrefaçon qu'ils ont commis à son encontre ;

- de condamner in solidum la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT -SAD et Monsieur Gérard D, à payer la SOCIETE R. JACOMINI, la somme de 300 000 F en réparation des actes de concurrence déloyale qu'ils ont commis à son encontre ;

- si la Cour l'estime nécessaire, de nommer tel expert qu'il plaira à la Cour de désigner, avec mission de rechercher et de lui fournir tous les éléments d'appréciation permettant de déterminer le montant définitif des dommages et intérêts du à la SOCIETE R. JACOMINI en réparation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale dont elle a été victime ;

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou périodiques au choix de la SOCIETE R. JACOMINI, aux frais avancés conjoints et solidaires de la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT - SAD et de Monsieur D ;

- de dire que les condamnations porteront sur tous les faits de contrefaçon et de concurrence déloyale commis jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir ;

- de condamner in solidum la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT -SAD et Monsieur D à payer à la SOCIETE R. JACOMINI la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- de condamner in solidum la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT -SAD et Monsieur D, à supporter les entiers dépens de l'instance, lesquels comprendront notamment les frais de la saisie-contrefaçon.

L'appelante soutient :

- qu'elle revendique la protection assurée par les articles L511-1 et L 111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

- que son action est fondée sur son modèle déposé ; qu'aucune antériorité de toute pièce n'a été révélée par la partie adverse, que la statuette se distingue de toutes les statuettes de Vierge qui ont pu exister antérieurement au dépôt de modèle effectué en date du 5 septembre 1987 ;

- que la combinaison de différents éléments contribue à la création d'une oeuvre originale ; que ce caractère d'originalité justifie la protection de la Vierge au titre du livre 1er du Code de la Propriété Intellectuelle ;

- que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non par les différences ;

- qu'en introduisant en FRANCE, en détenant et en vendant les articles contrefaisants, Monsieur D a commis des actes de contrefaçon ;

- que Monsieur D a également commis des actes de concurrence déloyale au sens de l'article 1382 du Code Civil en vendant les modèles litigieux dans une gamme semblable à la sienne, comme il ressort de l'état de son stock du 20 septembre 1994.

La SARL SOCIETE ARTISANALE DUFFORT (SAD) demande :

- de confirmer le jugement du Tribunal de Commerce du 8 juillet 1996 ;

- si par impossible la Cour réformait le jugement, dire qu'elle sera relevée et garantie de la moindre somme qui pourrait être mise à sa charge par son auteur D et dire également que la Société BEGUELIN qui fabrique la Vierge en concurrence sera tenue en sa qualité de fabricant à relever et garantir la concluante de toutes sommes qui seraient mise à sa charge ;

- de statuer ce que de droit quant aux dépens ;

L'intimée fait valoir :

- que la Société JACOMINI n'est qu'un grossiste revendeur de produits importés et non pas créateur, ni fabricant d'articles religieux :

- que le modèle de statue déposé par Monsieur J ne fait que reprendre les éléments généraux de la description de la Vierge par Sainte Bernadette et ne se distingue donc pas de toutes les statues qui ont pu exister antérieurement au 5 septembre 1987 ; qu'il n'existe aucune originalité, aucune rechercher personnelle, aucun effort de l'auteur, aucune création marquée de la personnalité de l'auteur démontrant le goût, le savoir-faire, la créativité de celui-ci ;

- que la comparaison des statues sur une vue de face fait apparaître une vingtaine de différences visibles à l'oeil nu ; qu'en outre les tailles des statues sont différentes, leur matière est également différente ;

- que suivant les pays et les devises, le fabricant d'un même produit peut engendrer une différence énorme de prix d'achat ; qu'il ne peut avoir de concurrence déloyale par le fait qu'elle distribue des statues en porcelaine céramique ou en biscuit et que les prix de ces articles sont toujours inférieurs au prix pratiqué pour statues en résine.

Gérard D demande :

- de dire la SARL SOCIETE JACOMINI irrecevable sinon mal fondée en son appel principal du jugement attaqué, l'en débouter et confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise ;

- de dire et juger que la statuette coréenne de la Vierge de LOURDES ne constitue pas une contrefaçon de la statuette dite du "modèle JACOMINI" ;

- de dire et juger qu'il n'a commis aucun acte de contrefaçon, ni de concurrence déloyale à l'égard de la SARL SOCIETE JACOMINI ;

- la condamner à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

- de condamner la SOCIETE JACOMINI aux dépens de première instance et d'appel ;

- très subsidiairement, au cas ou par impossible il serait fait droit même partiellement aux demandes de la SARL SOCIETE JACOMINI, de dire et juger que la Société BEGUELIN IMPORT CORPORATION FRANCE sera tenue de le relever et le garantir indemne de toutes condamnations en principal, intérêts, dommages et intérêts, frais et accessoires qui pourraient être prononcés contre lui au profit de la SARL SOCIETE JACOMINI.

L'intimée fait valoir :

- qu'il a vendu le 23 décembre 1994 son fonds de commerce de souvenirs en gré à la SARL SAD ;

- qu'aucune contrefaçon ne peut exister relativement à des emprunts au domaine public ;

- qu'aucune protection n'est attachée à un modèle dépourvu de création originale ;

- que les ressemblances portent sur le commun emprunt au Domaine Public tandis que les dissemblances portent sur les éléments particuliers du visage et du corps ;

- qu'il n'est pas l'auteur de la prétendue contrefaçon puisque la statuette est fabriquée en Corée et importée par la Société BEGUELIN.

La SA BEGUELIN conclut au débouté des prétentions adverses dirigées à son encontre et demande de les condamner au paiement de 25 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société BEGUELIN fait valoir :

- qu'elle est étrangère au présent litige, qu'en effet les articles concernés ont été fournis par BEGUELIN FRANCE ;

- que la Société BEGUELIN FRANCE, dès qu'elle a été informée de problèmes par la Société DUFFORT en février 1995, a cessé la commercialisation des statuettes et a annulé la commande passée en Corée ;

- que le seul examen des modèles consentis montre qu'il ne peut y avoir de contrefaçon et que la "vierge coréenne" n'a rien de commun avec la "Vierge J".

La SARL JACOMINI répond par conclusions déposées le 3 septembre 1997 ;

- que toutes les Vierges de LOURDES reprennent les caractéristiques issues de la description de Bernadette mais toutes se distinguent par des éléments particuliers interprétés de façon personnelle par leurs auteurs ;

- que ce sont ces éléments particuliers qui ont été illicitement reproduits par les intimés ; que ces ressemblances sont dominantes ;

- que la Société SAD et Monsieur D ne sauraient exciper d'une quelconque bonne foi ;

- que le fait que les intimés aient choisi de commercialiser les produits contrefaisants dans exactement la même gamme, composée de quatre statuettes de taille différente, exploitée intensivement par la SARL JACOMINI depuis 10 ans, n'est pas fortuit, mais démontre la volonté des intimés de rechercher la confusion avec les produits de la SARL JACOMINI et de détourner la clientèle à leur profit ;

- que les prix bas pratiqués par les intimés ne trouvent leur origine que dans les économies de création et de mise au point réalisée par l'adoption de copie grossières et dans la volonté de détourner la clientèle de la Société JACOMINI à leur profit.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 avril 1998.

 

DECISION

Attendu que la SARL JACOMINI fonde son action sur la protection dûe au modèle déposé et à son droit d'auteur ; qu'elle soutient que la Société SAD et Monsieur D ont commis des actes de contrefaçon de modèle déposé et des droits d'auteur ; que la Société SAD et Monsieur D ont en outre commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice.

 

I - SUR LA PROTECTION REVENDIQUÉE PAR LA SARL JACOMINI

Attendu que Monsieur Renzo J a déposé le 5 septembre 1987 un modèle de statuette "Vierge sur pied" auprès du Tribunal de Commerce de TARBES ; que ce dépôt a été enregistré à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n 87/5289 et publié le 13 juillet 1998 ;

Qu'il est produit aux débats un certificat d'identité certifié conforme de la déclaration de dépôt de modèle ;

Que la Société R. JACOMINI a acquis le dépôt de modèle de Monsieur Renzo J suite à un apport en propriété constaté par acte authentique du 15 juillet 1994 inscrit au Registre National des Dessins et Modèles le 17 octobre 1994 sous le n 735 ; que la Société R. JACOMINI a par le même acte acquis tous les droits d'auteur afférents au modèle déposé.

Attendu que l'article L 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que bénéficient de la protection instituée par le livre V dudit Code "tout dessin nouveau, toute forme plastique nouvelle, tout objet industriel qui se différencie de ses similaires par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle.".

Que l'article L 511-2 énonce que "la propriété d'un dessin ou modèle appartient à celui qui l'a créé ou à ses ayants droit ; mais le premier déposant dudit dessin ou modèle est présumé jusqu'à preuve contraire, en être le créateur."

Attendu que, quant au caractère nouveau de la statuette, aucune antériorité n'est alléguée ou revendiquée par les intimés ;

Qu'en effet, Monsieur D ou la SARL SAD ne rapportent pas la preuve de ce que la statuette déposée ne se distingue pas de toutes les statuettes de Vierge qui ont pu exister antérieurement au dépôt du modèle le 5 septembre 1987 ;

Qu'il suffit de se reporter à la photographie annexe au certificat d'identité et d'examiner l'exemplaire saisi pour constater qu'il s'agit bien d'une création originale présentant un apport personnel certain, la statuette constituant une interprétation nouvelle et individualisée du personnage de la Vierge apparue à LOURDES à Bernadette ; qu'en effet la forme générale du personnage, sa position, l'expression du visage, l'ordonnancement particulier des vêtements, la composition du socle conférent au modèle une physionomie propre et nouvelle.

Attendu que la Vierge de la Société JACOMINI se caractérise par rapport aux nombreuses autres représentations du personnage de la Vierge apparue à LOURDES à Bernadette par la combinaison des éléments suivants :

- présentation de la Vierge en pied, de forme élancée,

- les proportions particulières entre le haut et le bas de son corps,

- la position de la vierge et son attitude : de face, la tête légèrement penchée,

- les détails de son visage : cheveux marron en bandeaux séparés sur le front, sourcils marron, yeux bleux, pommettes colorées,

- le voile de la Vierge, lequel comporte un petit pincement sur la tête de la Vierge et lequel forme un repli particulier sur l'avant-bras droit,

- la façon dont le voile est retenu par les avant-bras,

- la forme et le nombre des plis des bords du voile au-dessous des bras,

- la forme du voile dans le dos de la Vierge avec ses plis particuliers,

- la forme de la traîne du voile sur le socle où repose la Vierge,

- la forme de la robe de la Vierge avec son encolure et ses poignets d'une largeur particulière, encolure et poignets soulignés en doré,

- les plis de la robe,

- la façon dont la ceinture est placée sur le corps de la Vierge,

- les pans de la ceinture, leur mouvement, leurs revers, leurs plis,

- la façon dont la ceinture vient se casser sur les pieds de la Vierge,

- la position des pieds sur le socle (ou support) où repose la Vierge,

- le socle avec sa représentation particulière de rochers, sa couleur, sa forme ;

Qu'en l'espèce, si comme le retient le Tribunal, dans le modèle existent les données traditionnelles de la description de la Vierge par Bernadette, ces éléments connus sont présentés ou agencés d'une manière personnelle et originale par l'auteur ; qu'en effet, si la couleur des vêtements, la présence de roses sur les pieds sont des éléments généraux décrits par Bernadette, cette dernière n'a fourni aucune précision sur la forme des vêtements, leurs plis, les traits du visage de la Vierge, sa stature ; que ce sont précisément ces éléments qui sont susceptibles d'interprétation, de déclinaison subjective au gré de la sensibilité, de la personnalité, de l'inspiration d'un artiste.

Attendu que les conditions prévues par l'article L 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle étant réunies, il y a lieu de juger que l'originalité de la Vierge de la Société R. JACOMINI justifie sa protection au titre du livre 1er du Code de la Propriété Intellectuelle.

Que la présomption de qualité de créateur qui bénéficie la SARL R. JACOMINI n'est combattue par aucune preuve contraire apportée par les intimés.

 

II - SUR LA CONTREFAÇON

Attendu que la contrefaçon est une atteinte à un droit de propriété littéraire, artistique ou industrielle, qu'elle consiste dans le fait de copier une oeuvre littéraire, un titre, un dessin ou un modèle, de reproduire une marque de fabrique ou de fabriquer un objet breveté sans l'autorisation du titulaire du droit de propriété intellectuelle.

Attendu qu'il ressort des énonciations du procès-verbal de saisie contrefaçon dressé le 16 mai 1995 par la SCP LALANNE - COADEBEZ-DHUGUES, huissiers associés à LOURDES que la Société SAD et Monsieur D ont mis en vente des statuettes qui reproduisent la combinaison des éléments de modèle déposé de la Société R. JACOMINI décrits ci-dessus.

Attendu que contrairement à ce qu'a apprécié le Tribunal de Commerce de TARBES, la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non par les différences,

Que si le modèle commercialisé par Monsieur D et la Société SAD n'est pas une copie servile du modèle JACOMINI, des ressemblances flagrantes s'appliquent à des éléments clairement déterminés constituant l'originalité et la nouveauté du modèle déposé ; que la statuette arguée de contrefaçons reprend :

- la même forme élancée, haute, du personnage de la Vierge présenté en pied, les mêmes proportions entre le haut du corps et le bas du corps,

- la même attitude de la Vierge : de face, la tête légèrement penchée,

- les mêmes détails peints du visage : cheveux marron en bandeaux séparés sur le front, sourcils marron, yeux bleu, pommettes légèrement colorées,

- le voile qui recouvre la Vierge est identique à celui du modèle déposé, et ce, jusque dans le moindre détail : petit pincement situé sur la tête de la Vierge, repli formé sur l'avant-bras droit de la Vierge, façon dont le voile est retenu par les avant-bras, forme et nombre des plis des bords du voile en dessous des bras ; de dos, le voile de la Vierge est également identique à celui du modèle déposé ; le moindre pli de vêtement est reproduit, y compris la traîne que le voile forme sur le socle,

- la robe de la Vierge est également reproduite dans tous ses détails : encolures et poignets de même largeur, de même couleur dorée ; même mouvement particulier donné à la robe dans sa partie basse ; les plis du vêtement sont identiques : la robe se casse de la même manière sur les pieds, lesquels sont positionnés de la même façon, la ceinture est aussi reproduite : elle est placée sur le corps de la Vierge de la même manière ; les pans sont identiques : le pan droit, également plus long comprend le même mouvement tournant vers la droite et le même revers ; le pan gauche accuse les mêmes plis que ceux du modèle protégé,

- le support sur lequel repose la Vierge est également semblable : on retrouve la même représentation de rochers gris présentant les mêmes formes et relief, le même positionnement de l'élément bleu, la même forme générale du socle carré, blanc, à angles biseautés.

Attendu que les ressemblances ne portent pas sur le commun emprunt au Domaine Public mais sur la combinaison des points interprétés librement et de manière personnelle par le créateur ; que les différences de détail (nombre de roses, bordure dorée du voile)... ne sont pas de nature à différencier, au premier coup d'oeil du pèlerin de LOURDES, l'aspect général de la Vierge de la Société JACOMINI de celle commercialisée par la Société SAD et Monsieur D ; que ce n'est en effet qu'en juxtaposant les deux modèles sous le même regard que les dissemblances sont perceptibles tant les ressemblances sont dominantes ;

Que la différence de matière et de taille sont sans incidence sur la contrefaçon, tant leur aspect visuel est semblable.

Attendu qu'il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 16 mai 1995 que la Société SAD a offert à la vente et vendu malgré la mise en demeure qui lui a été adressée le 9 février 1995 des statuettes contrefaisantes ; que Monsieur D détenait dans son stock cédé par la suite à la Société SAD des produits contrefaisants ;

Que tant la Société SAD que Monsieur D ont commis des actes de contrefaçon de modèle déposé et des droits d'auteur au sens des articles L 112-4, L 355-2, L 355-3 et L 521-4 du Code de la Propriété Industrielle.

Qu'en effet tant le fait de commander que de mettre en vente des objets contrefaisants sont des actes constitutifs de contrefaçon.

Attendu qu'il convient enfin de relever :

- qu'en se livrant à des contrefaçons grossières du modèle déposé, les intimés ont contribué à déprécier le modèle original ;

- que tant Monsieur D que la Société SAD ont poursuivi leurs agissements au mépris de la mise en demeure qui leur avait été respectivement adressé, le 4 février 1994 à Monsieur D et le 9 février 1995 à la Société SAD ; que leur bonne foi ne saurait donc être admise ;

Qu'il y a lieu de condamner in solidum Monsieur D et la Société SAD à payer à la SARL R. JACOMINI la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon commis ;

Qu'il sera en outre fait interdiction à la Société SAD et à Monsieur D de fabriquer, de faire fabriquer, de détenir d'office à la vente ou de vendre les modèles de statuettes contrefaisantes de quelque taille que ce soit, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt ;

Qu'il y a lieu d'ordonner la destruction des stocks de statuettes contrefaisantes détenus par la Société SAD au frais de celle-ci, en présence d'un huissier qui la constatera.

 

III - SUR LA CONCURRENCE DÉLOYALE

Attendu que les éléments constitutifs de l'action en concurrence déloyale sont un fait générateur de responsabilité, un préjudice et un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice.

Attendu qu'il est certain que s'agissant de produits identiques les statuettes, celle de la SARL JACOMINI et celle commercialisée par la Société SAD et Monsieur D sont en situation de concurrence étant offertes à la même clientèle des pèlerins de LOURDES ;

Attendu que la Société SAD et Monsieur D, grossistes, professionnels du marché de LOURDES ne pouvaient ignorer l'existence du modèle protégé depuis 1987 et les différentes tailles dans lesquelles les statuettes de la SARL R. JACOMINI étaient proposées ;

Qu'ils ont été officiellement avertis de l'existence des droits de la SARL R. JACOMINI par les mises en demeures qui leur ont été respectivement adressées ; qu'ils ont cependant poursuivi la mise en vente des produits contrefaisants ;

Que la Société SAD et Monsieur D ont commercialisé les statuettes importées de Corée en quatre modèles de taille différente, reprenant en cela la même gamme proposée à la vente par la SARL R. JACOMINI ;

Que les fautes commises tant par la SOCIETE SAD que par Monsieur D sont constituées.

Attendu que si la SARL R. JACOMINI ne fournit aucun élément comptable permettant de chiffrer son préjudice constitué par une perte de clientèle, ou un gain manqué, celui-ci présente un degré élevé de certitude en raison de l'existence d'un réel risque de confusion entre le modèle déposé et les produits contrefaisants ;

Qu'en l'absence d'élément d'appréciation du préjudice allégué par la SARL R. JACOMINI qui sollicite l'allocation d'une somme forfaitaire de 300 000 F sans aucune justification, il convient d'allouer à cette dernière 1 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral en relation avec le comportement déloyal des intimés.

 

IV - SUR LA DEMANDE DE GARANTIE FORMULÉE PAR LA SOCIÉTÉ SAD À L'ÉGARD DE MONSIEUR D

Attendu que la Société SAD fait valoir que Monsieur D lui a vendu un stock de statuettes contrefaisantes, sans l'avertir du courrier qu'il avait reçu le 4 février 1994 ; que ce n'est que le 9 février 1995, que les conseils en propriété industrielle de la SARL JACOMINI lui ont adressé une mise en demeure de cesser la commercialisation des articles argués de contrefaçon ;

Que la Société SAD a aussitôt informé l'importateur BEGUELIN de ce problème et a annulé toutes ses commandes de statues litigieuses ;

Attendu que selon ses propres écritures, Monsieur D a vendu normalement aux détaillants de LOURDES au cours de toute la saison de pèlerinage de 1994, les statuettes acquises au début de l'année de la Société BEGUELIN ;

Attendu qu'il ressort des énonciations du Procès-Verbal de saisie-contrefaçon, que si la Société SAD n'a plus passé de commande, elle a néanmoins écoulé le stock que lui avait cédé Monsieur D en décembre 1994.

Attendu qu'il convient, dans ces conditions de dire que Monsieur D sera tenu de garantir et de relever indemne la Société SAD des condamnations prononcées à son encontre à concurrence de -60%.

 

V - SUR LA DEMANDE DE GARANTIE FORMULÉE PAR LA SARL SAD ET MONSIEUR D À L'ÉGARD DE LA SOCIÉTÉ BEGUELIN

Attendu qu'il résulte de la lettre adressée le 15 février 1995 à la Société SAD que la société BEGUELIN IMPORT SA ayant son siège social [...], dès qu'elle a été avertie par sa cliente des revendications de la SARL R. JACOMINI, a fait arrêter la production chez son fournisseur des statuettes arguées de contrefaçon et a annulé la commande qui lui était déjà parvenue.

Attendu que néanmoins, ayant importé de Corée des statuettes contrefaisantes, la Société BEGUELIN FRANCE voit sa responsabilité engagée ;

Qu'elle sera tenue de garantir et de relever Monsieur D et la Société SAD des condamnations mises à leur charge dans la proportion de 20%.

 

VI - SUR LES AUTRES DEMANDES

Attendu que la demande de publication du présent arrêt dans 5 journaux ou périodiques présentés par la SARL R. JACOMINI n'apparait pas opportune et ne constitue pas une mesure appropriée de réparation du préjudice subi par celle-ci ;

Qu'il convient de débouter la SARL JACOMINI de ce chef de demande.

Attendu que la Société SAD et Monsieur D seront condamnés in solidum à payer à la Société JACOMINI la somme de 20 000 F à titre d'indemnité destinée à compenser les frais non compris dans les dépens que l'appelante a du exposer pour faire valoir ses droits et obtenir une juste réparation de son préjudice.

Attendu que Monsieur D et la Société BEGUELIN seront déboutés de leurs demandes.

Attendu que les dépens de la procédure, en ce compris les frais de saisie-contrefaçon seront supportés par Monsieur D et la Société SAD.

 

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,

Déclare l'appel régulier et recevable en la forme ;

Au fond ;

Infirmant le jugement du Tribunal de Commerce de TARBES en date du 8 juillet 1996, et statuant à nouveau :

Dit qu'en détenant, en offrant à la vente et en vendant les modèles de statuettes portant pour la Société ARTISANALE DUFFORT, les références HL 200, HL 201, HL 202, HL 203 et pour Monsieur Gérard D, les références EA 200, EA 201, EA 202, la Société ARTISANALE DUFFORT (SAD) et Monsieur Gérard D ont commis des actes de contrefaçon de modèle déposé et de droits d'auteur ;

Dit qu'en détenant, en offrant et en vendant les statuettes contrefaisantes, la Société ARTISANALE DUFFORT et Monsieur Gérard D ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la Société R. JACOMINI, au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil ;

Fait interdiction à la Société SAD et à Monsieur Gérard D de détenir, d'offrir en vente et de vendre les modèles de statuettes contrefaisantes dans quelque taille que ce soit, et ce, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, dès le jour de la signification du présent arrêt ;

Ordonne la destruction du stock de statuettes contrefaisants détenu par la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT et le cas échéant par Monsieur D à leurs frais, en présence d'un huissier ;

Condamne in solidum, la SOCIETE ARTISANALE DUFFORT et Monsieur Gérard D, à payer à la Société R. JACOMINI, la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels en réparation des actes de contrefaçon qu'ils ont commis à son encontre ;

Condamne in solidum la Société SAD et Monsieur Gérard D à payer à la Société R. JACOMINI la somme de 1 F en réparation des actes de concurrences déloyale qu'ils ont commis à son encontre ;

Dit n'y avoir lieu à publication du présent arrêt ;

Condamne Monsieur Gérard D à garantir et à relever la Société SAD des condamnations mises à sa charge dans la proportion de 60% ;

Condamne la Société BEGUELIN IMPORT SA à garantir et à relever la Société SAD et Monsieur Gérard D des condamnations mises à leur charge dans la proportion de 20% ;

Déboute la Société SAD, Monsieur D et la Société BEGUELIN de leurs demandes ;

Condamne la Société SAD et Monsieur D in solidum à payer à la SARL R. JACOMINI la somme de 20 000 F, à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.

Condamne la Société SAD et Monsieur D aux entiers dépens de la procédure, y compris les frais de saisie-contrefaçon.

Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile, Maître V, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.