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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 4 mars 2005, n° 03/03989

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Aglo (SA)

Défendeur :

Padige (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pézard

Conseillers :

Mme Régniez, M. Marcus

Avocats :

Me Teytaud, SCP Taze - Bernard - Broquet

T. com. Paris, du 24 janv. 2003

24 janvier 2003

- réputé contradictoire.

- prononcé en audience publique par Madame PEZARD, président

- signé par Madame PEZARD, président et par L. MALTERRE-PAYARD, greffier présent lors du prononcé.

La cour est saisie de l'appel formé par la société anonyme AGLO à l'encontre du jugement réputé contradictoire rendu par le tribunal de commerce de Pans le 24 janvier 2003 qui a :

- joint les causes ;

- dit que la société Nationale des [...] dite "SNCF", de fait co-auteur et propriétaire de l'outillage servant à la fabrication du modèle de boîtier de piles 18 V pour téléphone de voie, est en droit de produire ou de faire reproduire ledit boîtier ;

- prononcé la nullité du dépôt effectué à l'INPI par la société AGLO le 16 janvier 1997, sous le n°97 0209 ;

- ordonné la remise par la société AGLO à la SNCF de l'outillage conformément aux dispositions contractuelles ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société AGLO à verser à la SNCF d'une part, et à la société anonyme ETUDES ET REALISATION DE SECURITE ET D'ELECTRONIQUE (ci-après la société ERSE), d'autre part 6 000 euros chacune au titre de l'article 700 du NCPC et aux dépens.

Il convient de rappeler qu'aux termes du marché public suite à un appel d'offres n°8623 5 6 7161 du 18 décembre 1995, la société AGLO s'est engagée à fournir à la SNCF des piles de 3 et 18 volts pour téléphones de voies, ainsi que la fourniture de boîtiers dans lesquels sont intégrées les piles , l'ensemble venant ensuite s'insérer dans les téléphones de voie de la SNCF.

Le marché prévoyait également, selon la SNCF, l'acquisition de l'outillage de moulage nécessaire à la fabrication des boîtiers et à cette fin le prix des 40 000 premières piles à commander était majoré.

Ce contrat était soumis au cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de fourniture de la SNCF, édition de février 1983.

Initialement conclu jusqu'au 30 novembre 1996, le marché a été ensuite renouvelé dans les mêmes termes, à deux reprises les 3 février 1997 et 13 janvier 1998 et la SNCF s'est acquittée de tout ce qu'elle devait au titre de ces différentes commandes. La société AGLO n'a en revanche pas procédé à la remise des moules.

Fin 1998, la SNCF a lancé un nouvel appel d'offres qui a été remporté cette fois par la société ERSE. Ce marché n° 8623 8 6 7113 du 28 décembre 1998 avait initialement pour objet la fourniture des piles livrées dans les boîtiers fabriqués par le même fournisseur, à partir des moules dont la SNCF estimait disposer du fait de leur cession par la société AGLO conformément aux dispositions contractuelles.

La société AGLO ayant refusé de remettre cet outillage, la SNCF s'est dit contrainte de demander à la société ERSE, faute de pouvoir disposer dudit matériel, de faire fabriquer un nouvel outillage. La société ERSE a sous-traité la fabrication des moules à la société PADIJE.

La société AGLO a alors indiqué à la SNCF et à la société ERSE que le modèle de boîtier qu'elle avait fourni à la SNCF avait fait l'objet, le 16 janvier 1997, d'un dépôt à l'INPI au titre des dessins et modèles, et elle a mis la société ERSE en demeure de cesser la fabrication des boîtiers litigieux, lui indiquant qu'à défaut elle se rendrait coupable de contrefaçon.

La SNCF a contesté la validité et la pertinence des droits invoqués par la société AGLO sur le modèle et a donné à la société ERSE instruction de poursuivre. Puis, par exploit du 17 mai 2000, elle a engagé la première instance afin d'obtenir la réparation de la non restitution de l'outillage de moulage.

La société AGLO pour faire valoir qu'elle était titulaire des droits d'auteur sur le modèle de boîtier, a d'abord fait procéder à une saisie-contrefaçon chez la société ERSE les 26 et 30 mai 2000, avant d'ouvrir une nouvelle procédure le 9 juin 2000, à l'encontre de la SNCF, la société ERSE et la société à responsabilité limitée PADIJE estimant que les agissements des trois sociétés constituent la contrefaçon des plans dont elle est titulaire.

La société PADIJE n'a pas constitué avoué.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 juin 2004, la société AGLO, appelante, demande à la cour de :

- dire que la SNCF et les sociétés ERSE et PADIJE se sont rendues coupables de contrefaçon des plans élaborés par la société AGLO et propriété de celle-ci et du modèle de boîtier pile créé par la société AGLO et déposé le 16 janvier 1997 sous le n°97 0209 ;

- condamner conjointement et solidairement la SNCF et les sociétés ERSE et PADIJE à verser de ce chef à la société AGLO la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- enjoindre à la SNCF et aux sociétés ERSE et PADIJE, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée, de cesser de fabriquer, faire fabriquer, offrir à la vente, vendre, acheter et faire usage des boîtiers piles contrefaisants, l'infraction s'entendant de chaque boîtier pile commandé, fabriqué, offert à la vente, vendu, livré ou utilisé à compter de l'expiration d'un délai de quinzaine qui commencera à courir au jour de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- ordonner la remise aux fins de destruction sous contrôle d'huissier, aux frais de la SNCF et des sociétés ERSE et PADIJE, de tous boîtiers piles 18 volts contrefaisants, et ce sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- ordonner la remise par la société PADIJE et/ou par la société ERSE, à leurs frais, sous la même astreinte et dans le même délai, des outillages ayant servi à la fabrication des produits contrefaisants ;

- condamner conjointement et solidairement la SNCF et les sociétés ERSE et PADIJE, au titre des agissements contraires aux règles de concurrence et d'attribution des marchés et des agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire perpétrés à l'encontre de la société AGLO, à verser à celle-ci la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner in solidum la SNCF et les sociétés ERSE et PADIJE à verser à la société AGLO la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens qui incluront les frais de saisie-contrefaçon.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 6 mai 2004, la société ERSE, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris ;

Subsidiairement,

- dire et juger que la société ERSE n'a pas commis de faute, débouter la société AGLO de toutes ses demandes dirigées contre elle ;

- condamner la SNCF à garantir la société ERSE de toutes les conséquences financières des condamnations qui pourraient, le cas échéant, être prononcées à son encontre ;

Reconventionnellement,

- condamner la société AGLO à payer à la société ERSE la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamner la société AGLO à payer à la société ERSE au titre des frais irrepetibles exposés en appel la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC et en tous les dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 décembre 2004, la SNCF, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

- réformer partiellement le jugement en ce qu'il a ordonné la remise par la société AGLO à la SNCF de l'outillage litigieux ;

- condamner la société AGLO à lui rembourser la somme de 24 391,84 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation introductive d'instance ;

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

- condamner la société AGLO à payer à la SNCF une somme complémentaire de 3 000 euros en application de l'article 700 du NCPC et aux dépens d'appel.

Ceci étant exposé

Sur la validité du modèle

Considérant que la société AGLO verse aux débats des plans référencés KL 115 144 qu'elle a réalisés pour proposer à la SNCF, en septembre 1995, un modèle de boîtier pile présentant une configuration nouvelle par rapport au boîtier pile 18 volts précédemment utilisé par la SNCF, qui était une simple forme parallélépipédique en carton ;

Que le boîtier conçu et dessiné par la société AGLO, qui a déposé son modèle à l'INPI le 16 janvier 1997 sous le n° 97 0209, consiste en :

- un boîtier en matière plastique rigide dépourvu dans son ensemble d'arrêtés vives,

- présentant une base parallélépipédique étroite sur laquelle prend appui le corps plus large du boîtier,

- les faces avant et arrière de ce corps sont, à la base, de forme rectangulaire et présentent ensuite un décrochement légèrement arrondi à l'extérieur duquel il résulte l'élargissement de ses faces,

- la face avant présente, dans sa partie supérieure, une forme triangulaire aux angles arrondis surmontée de deux demi-cercles, chacun de ces demi-cercles, situés en retrait par rapport à la face avant, reliant l'un des côtés verticaux du boîtier au sommet de la forme triangulaire,

- la face arrière présente, dans la partie supérieure, deux formes quasi circulaires qui font saillie par rapport à la face carrée et, en son centre, une excroissance rectangulaire surmontée de deux nervures,

- les côtés presque "plans" s'inclinent légèrement vers la face avant du boîtier, laissant apparaître la base rectangulaire et le décrochement vers l'extérieur précédemment décrit ; ils présentent à leur sommet une forme cylindrique en retrait par rapport à la face avant et faisant saillie par rapport à la face arrière, rejoignant à l'avant la forme triangulaire précédemment décrite,

- le côté gauche du boîtier comporte un léger décrochement de section trapézoïdale, coupé en son milieu par une nervure horizontale, les pôles de la pile sortant de part et d'autre de cette nervure ;

Sur la titularité des droits sur le modèle de boîtier

Considérant que la SNCF soutient que la société AGLO n'est pas le créateur du modèle déposé au motif que ladite création émanerait de ses services, la feuille n°11 de la norme NF F 48 517-2 imposant les formes retenues ;

Considérant toutefois qu'il est avéré que la société AGLO a finalisé les plans du boîtier-pile en cause au mois de septembre 1995, ce qui n'est pas contesté par les intimées ;

Que la norme NF F 48-517-1 est datée du mois de décembre 1995 et la feuille particulière n°11 de la norme NF F 48-517-2 du mois de novembre 1996 ;

Qu'en outre, la norme NF F 48-517-1 ne fixe que les caractéristiques générales des piles électriques sèches utilisées dans les installations fixes ferroviaires ;

Que, dans ces conditions, la feuille n° 11 était postérieure à la création des plans de la société AGLO et ne préjugeait pas des formes du modèle de boîtier, seules les cotes impératives étant indiquées ; que par ailleurs la SNCF ne produit aucun élément de preuve de nature à renverser la présomption résultant du dépôt du modèle AGLO ;

Sur le défaut de caractère apparent

Considérant que la SNCF et la société ERSE prétendent que le boîtier-pile créé par la société AGLO ne peut bénéficier de la protection du livre V du Code de la propriété intellectuelle au motif qu'il ne serait pas apparent ;

Mais considérant que la validité d'un modèle doit s'apprécier non à l'occasion de son utilisation mais lors de son offre à la vente, pour les acquéreurs de ce modèle et non pour les acquéreurs d'un objet dans lequel ce modèle peut être placé ; que les téléphones à voie à bras mobile ne peuvent être acquis équipés, le coffret du téléphone et les piles s'y insérant étant acquis séparément par la SNCF avant d'être montés et installés par ses agents ; que le public au regard duquel la validité du modèle en cause doit être apprécié est celui constitué par les services techniques et commerciaux de la SNCF ;

Que le modèle de boîtier-pile présente dès lors un caractère apparent ;

Sur le caractère fonctionnel

Considérant que les intimées soutiennent que compte-tenu d'une part de la forme des piles devant s'insérer dans le boîtier et d'autre part, de la configuration du téléphone de voie et de la place appelée à recevoir le boîtier, la forme de ce dernier est fonctionnelle ;

Mais considérant que s'il n'est pas contesté que le boîtier est un objet utilitaire, il présente toutefois des caractéristiques propres, separables de sa fonction et de ses caractéristiques techniques ; qu'en effet, la forme adoptée, asymétrique, n'était nullement imposée par des considérations techniques, d'autres formes pouvant être adoptées ;

Que la forme arrondie et dépourvue d'arrêtés vives n'est pas, contrairement à ce que soutiennent la SNCF et la société ERSE, imposée par des exigences de résistance aux chocs, de calage des piles ou de protection des câbles électriques ;

Qu'en effet, l'autre boîtier réalisé par la société AGLO, le boîtier-pile 3V, destiné à être inséré dans le même coffret, ne présente que des arrêtes vives et n'a aucun caractère de fragilité ; qu'en outre, les boîtiers piles ne sont soumis à aucun choc mais simplement placés dans les coffrets SNCF de téléphone de voie ; que le calage des piles ne nécessite pas une forme arrondie, une pile ronde pouvant être calée dans une forme polygonale adjacente ; qu'enfin, l'excroissance rectangulaire surmontée de deux nervures et le décrochement de section trapézoïdale ne répondent à aucune exigence fonctionnelle et sont purement arbitraires ;

Que dans ces conditions, ces caractéristiques et leur réunion en une forme originale et nouvelle rendent la création protégeable en elle-même, indépendamment de la fonction du boîtier-pile protégé ;

Sur la nouveauté et l'originalité du modèle de boîtier-pile

Considérant que la SNCF conteste encore la nouveauté et l'originalité du boîtier litigieux ;

Que cette société et la société ERSE prétendent que le modèle déposé par la société AGLO ne serait pas valable aux motifs que les formes du boîtier pile seraient imposées par la norme NF F 48-517-1 et la feuille particulière n°11 de la norme NF F 48-517 2 ainsi que par les dimensions du boîtier du téléphone de voie à bras mobile utilisé par la SNCF et dans lequel le boîtier-pile doit être inséré ;

Que s'il est exact, comme l'indique la SNCF, que la date de novembre 1996 est celle à laquelle la norme NF F 48-517-2 a été homologuée et qu'elle était à l'étude sous forme de projet depuis de nombreux mois, il n'est pas démontré que les caractéristiques de forme du boîtier pile en cause auraient été arrêtées avant le mois de septembre 1995, date de finalisation de ses plans par la société AGLO ;

Que le projet de la norme NF F 48-517-2 produit par la SNCF, qui avait été établi en 1994, ne contenait aucune représentation du boîtier pile tel que conçu ultérieurement par la société AGLO, étant notamment précisé qu'il concernait un conditionnement en carton ;

Que la feuille particulière n° 11 n'impose que les cotes du boîtier-pile mais pas ses caractéristiques de forme ; qu'elle mentionne en effet : "Le dessin ne préjuge pas de la forme des pièces. Seules les cotes impératives sont indiquées." ;

Que la feuille particulière n° 11 de la norme NF F 48-517-2 ne constitue dès lors pas plus que la norme NF F 48-517-1 datée du mois de décembre 1995 une antériorité opposable à la création de la société AGLO ;

Qu'en outre, M. B, ancien salarié de la SNCF a attesté le 3 juin 2002 avoir été chargé, au cours du deuxième trimestre 1995, d'établir une norme regroupant les caractéristiques géométriques et pondérales des piles 18 volts en cause et avoir établi cette norme à partir du boîtier 18 volts qui lui avait été remis au mois de septembre 1995 ;

Que quand bien même les plans E10164etE10179 représentant des boîtiers piles et le plan du boîtier symétrique réalisé par la société AGLO lequel a été communiqué à la SNCF le 22 mars 1994, versés aux débats par la société AGLO afin de démontrer que d'autres formes pouvaient être retenues que celle que cette société a conçue, ne pouvaient en pratique être utilisés en raison d'une largeur supérieure à celle autorisée par la feuille particulière n° 11 et ne pouvaient rentrer dans le coffret utilisé par la SNCF, le boîtier-pile de forme parallélépipédique précédemment utilisé par la SNCF possède une forme différente de celle du boîtier asymétrique conçu par la société AGLO, ce qui prouve que la forme retenue par la société AGLO ne lui a pas été imposée par les contraintes résultant de la forme des téléphones, de l'espace disponible pour l'insertion du boîtier ou de la nécessité d'y intégrer 12 piles ;

Que la société AGLO a effectué quant à la forme du boîtier pile, de véritables choix lui conférant la physionomie propre et nouvelle requise pour bénéficier de la protection de l'article L. 511-1 du Code de la propriété intellectuelle dans son application antérieure à l'ordonnance 2001-670 ;

Qu'enfin, les caractéristiques du boîtier décrites ci-dessus donnent à ce produit une impression d'ensemble de nature à justifier la protection de la société AGLO au titre des articles L.111-1 et suivants du même Code ;

Sur la renonciation de la société AGLO à ses droits sur sa création

Considérant que la SNCF soutient que la société AGLO a participé à l'élaboration de la norme et dès lors mis sa création à la disposition de tous les fabricants et qu'elle a cédé les moules et en conséquence ses droits de propriété intellectuelle ;

Considérant toutefois que la norme est postérieure à la création des plans de la société AGLO ; que ni la norme ni la feuille particulière n'imposent les formes issues de la création de la société AGLO;

Que les marchés ne prévoyaient que le transfert de propriété de l'outillage et non du modèle de boîtier pile ; que le fait que la propriété des boîtiers piles ait été transférée à la SNCF par application des marchés conclus est sans incidence sur la titularité des droits de propriété intellectuelle sur le modèle de boîtier, les marchés conclus entre la SNCF et la société AGLO ne contenant aucune clause relative aux droits de propriété intellectuelle ou au transfert de ces droits à la SNCF ; qu'en effet, l'article 6 du Cahier des Clauses et Conditions Générales applicables aux Marchés de Fourniture (CCCGMF) de la SNCF, édition de février 1983, applicable en l'espèce, ne prévoit aucune cession à la SNCF des droits de propriété intellectuelle de ses fournisseurs ;

Que dans ces conditions, le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du dépôt effectué à l'INPI par la société AGLO le 16 janvier 1997 sous le n°97 0209 ;

Sur la contrefaçon des plans et du modèle

Considérant que la saisie-contrefaçon effectuée les 26 et 30 mai 2000 au siège de la société ERSE a révélé que la société ERSE était en possession des plans de la société AGLO et avait réalisé ses propres plans à partir de ceux de cette société ; que la société ERSE reconnaît que les plans de la société AGLO lui avaient été communiqués par la SNCF mais qu'elle soutient, ainsi que la SNCF, que les plans de la société appelante lui avaient été remis après la création de ses propres plans, dans le but de lui permettre de les valider ; que toutefois, les intimées ne rapportent pas la preuve de ce qu'elles invoquent ;

Qu'en outre, il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon que la société ERSE fait fabriquer par la société PADIJE et vend à la SNCF des boîtiers piles reproduisant les caractéristiques de forme du boîtier pile déposé à titre de modèle par la société AGLO ;

Considérant que la SNCF et la société ERSE soutiennent que la SNCF aurait acquis contractuellement le droit de fabriquer ou faire fabriquer les boîtiers-piles fournis par la société AGLO et qu'elles étaient en droit de fabriquer ou faire fabriquer des boîtiers-piles conformes aux nonnes NF F 48-517-1 et NF F 48-517-2 ;

Mais considérant qu'aucune cession des droits de propriété intellectuelle ci-dessus reconnus n'est intervenue entre la société AGLO et la SNCF ;

Que l'article 6-3 du CCCGMF dont se prévaut la SNCF concerne le droit de réparer ou faire réparer les dispositifs utilisés ou incorporés dans les fournitures ainsi que celui de fabriquer ou de se procurer toutes pièces dont le remplacement s'avérerait nécessaire ; que ces dispositions autorisent exclusivement la réparation et le remplacement de pièces détachées intégrées dans les fournitures et non la fabrication des fournitures elles-mêmes ;

Que le fait que la création de la société AGLO ait été utilisée pour élaborer la feuille particulière n°11 de la norme NF F 48-517-2 ne saurait entraîner la déchéance des droits de la société AGLO sur sa création, ladite feuille précisant que le dessin ne préjuge pas de la forme des pièces, seules les cotes impératives étant indiquées ; que la feuille impérative couvre différentes formes possibles dont celle créée par la société AGLO ; que la société ERSE aurait par conséquent pu, dans le respect de cette norme, aboutir à une forme différente de celle créée et déposée à titre de modèle par la société AGLO ;

Que les différences invoquées par la société ERSE entre les deux boîtiers piles portant sur "un système de colonnettes internes, destinées au calage et à l'isolation des piles" concernent la structure interne des boîtiers piles et non leurs caractéristiques de forme ;

Que dans ces conditions, la SNCF en faisant fabriquer les boîtiers litigieux, la société ERSE en les fabriquant et la société PADIJE en fabriquant les moules destinés à fabriquer lesdits boîtiers, se sont rendues coupables de contrefaçon du modèle et des plans de la société AGLO;

Sur le préjudice et les mesures réparatrices

Considérant que la société AGLO demande la somme de 300 000 euros pour réparer le préjudice qu'elle a subi en raison de la contrefaçon mais ne fournit aucun élément de nature à justifier ce montant ;

Considérant qu'il est avéré que la société AGLO a engagé des frais de recherche et de conception afin de réaliser son modèle ; que dans le cadre des trois marchés successifs passés avec la SNCF 42 000 pièces ont été vendues au total à un prix de 79,50 francs pour 23 500 pièces et de 70 francs pour 18 500 pièces ;

Que la contrefaçon commise par les intimées a causé un préjudice commercial à la société AGLO qui a été évincée des marchés suivants au profit de la société ERSE, laquelle a profité des investissements réalisés par l'appelante ; que ce préjudice sera évalué à la somme de 50 000 euros ;

Que la société AGLO, compte tenu de sa renommée, a également subi un préjudice moral du fait de la contrefaçon pouvant être évalué à la somme de 10 000 euros ;

Que les sociétés intimées seront condamnées in solidum à réparer ces deux préjudices ;

Considérant qu'il convient d'enjoindre à la SNCF et aux sociétés ERSE et PADIJE, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée, de cesser de fabriquer, faire fabriquer, offrir à la vente, vendre, acheter et faire usage des boîtiers-piles contrefaisants à l'expiration d'un délai de quinzaine à compter de la signification du présent arrêt ;

Qu'en revanche, la remise aux fins de destruction de tous boîtiers-piles 18 volts contrefaisants et la remise des outillages ayant servi à la fabrication des produits contrefaisants n'apparaissent pas nécessaires ;

Sur la propriété de l'outillage

Considérant que la société AGLO affirme qu'elle ne s'est jamais engagée à céder à la SNCF la propriété de l'outillage de moulage nécessaire à la fabrication des boîtiers contenant les piles de 18 volts ; qu'elle conteste que le transfert de propriété ait pu devenir effectif, en indiquant que les 40 000 boîtiers à commander ne pouvaient l'être au gré de marchés successifs, chacun d'entre eux constituant un engagement contractuel autonome ;

Mais considérant qu'aux termes du marché n° 8623 5 6 7161 du 18 décembre 1995, la société AGLO a été retenue par la SNCF suite à ses offres pour fournir des piles de 3 et 18 volts, ainsi que les boîtiers plastiques destinés à les contenir et devant s'insérer dans les téléphones de voie;

Que ce type de contrat est soumis aux dispositions du Cahier des Clauses et Conditions Générales applicables aux Marchés de Fourniture (CCCGMF) de la SNCF, édition de février 1983 qui stipule notamment en son article 14.2 : "Lorsque, pour son exécution, le marché stipule la création d'un outillage particulier, financé en totalité par la SNCF, celle-ci devient, dès paiement des sommes convenues, totalement ou partiellement propriétaire dudit outillage" ;

Que la demande de prix PPB 066 fait en outre référence à la notice 1375 B de la Délégation aux Achats, qui stipule en son article 1.3 : "Par dérogation à l'article 14.2 du Cahier des Clauses et Conditions Générales applicables aux Marchés de Fourniture (édition de février 1983), le transfert de propriété de la part des outillages que la SNCF acquiert est réalisé à son bénéfice dès que le marquage prévue au 1.1 et la réception visée au 1.2 ci-dessus sont réalisés" ;

Que la société AGLO ne conteste pas que le marché du 18 décembre 1995 contenait une clause prévoyant le transfert de propriété de l'outillage à la SNCF mais qu'elle soutient que cette clause y aurait été rajoutée de manière unilatérale par la SNCF, alors qu'elle ne figurait dans aucun des documents précédemment échangés et n'a pas été approuvée par la société AGLO ;

Que toutefois, en exécutant le marché, la société AGLO en a accepté les termes ;

Que la société AGLO a été retenue sur les mêmes bases une deuxième fois le 3 février 1997 et une troisième fois le 13 janvier 1998 ; que si la société AGLO a réduit le prix unitaire de vente des boîtiers- piles lors du troisième marché, il n'en demeure pas moins que la majoration, seul élément à prendre en compte pour apprécier l'acquisition effective de l'outillage, est restée constante et a continué à être appliquée entre les parties ; Que les deuxième et troisième marchés stipulent que les prix indiqués incluent une majoration de 4 francs pour l'acquisition de l'outillage ;

Que la société AGLO est un professionnel ; qu' elle a soumissionné à plusieurs reprises aux marchés proposés par la SNCF et qu'elle a, sur les mêmes fondements contractuels, cédé l'outillage pour les boîtiers des piles 3V ;

Qu'elle était dès lors informée sur ses obligations envers la SNCF ;

Que la SNCF a, dans le cadre des marchés attribués à la société AGLO, acquis 5 000 pièces et deux fois 18 500 pièces, soit 42 000 au total ; qu'elle s'est par conséquent acquittée de la somme prévue pour l'achat de l'outillage nécessaire à la fabrication de boîtiers ; qu'elle en est devenue propriétaire et que la société AGLO a manqué à ses obligations en ne le lui remettant pas ;

Considérant que la SNCF ayant fait fabriquer l'outillage qui ne lui a pas été remis par la société ERSE, demande que le prix lui en soit remboursé par la société AGLO ;

Considérant toutefois que tout usage des moules, non assorti d'une cession des droits de propriété intellectuelle, serait constitutif de contrefaçon ; que la SNCF n'a de ce fait subi aucun préjudice en raison de la non restitution des moules dont elle n'aurait pu faire usage ; Que si ces moules sont la propriété de la SNCF, celle-ci n'en réclame pas la remise ;

Que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société AGLO à remettre à la SNCF l'outillage et la SNCF sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Sur les pratiques anticoncurrentielles et la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que la société AGLO soutient qu'elle était dans une situation de dépendance économique vis- à-vis de la SNCF qui lui a imposé une réduction du prix lors du troisième marché et a remis les plans du boîtier litigieux à la société ERSE en vue d'obtenir un prix inférieur ; que la société ERSE, de concert avec la SNCF et avec la complicité de la société PADIJE, précédent fabricant des moules de la société AGLO, se sont rendues coupables d'agissements contraires aux usages loyaux du commerce ;

Considérant toutefois que la société AGLO a accepté les termes des différents marchés ; qu'elle ne rapporte pas la preuve d'avoir été placée dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de la SNCF qui était en droit de faire un nouvel appel d'offres à l'issue du troisième marché conclu avec la société AGLO ; que la remise des plans à la société ERSE ne constitue pas un fait distinct de concurrence déloyale ou parasitaire ; que les demandes de la société AGLO formées à ce titre seront rejetées ;

Considérant que la SNCF et la société ERSE soutiennent que la société AGLO s'est rendue coupable de concurrence déloyale, son dépôt de modèle visant à éliminer toute possibilité de concurrence sur le marché et à faire de la SNCF un client captif auquel pourraient être imposés des prix exorbitants ;

Mais considérant que le monopole légal attribué à la société AGLO ne portant que sur le modèle déposé, le dépôt effectué n'empêchait nullement d'éventuels concurrents de proposer à la SNCF des boîtiers-piles différents ; que la SNCF attribuant ses marchés pour une durée d'un an à l'issue de procédures d'appel d'offres, elle restait parfaitement libre d'attribuer ses marchés à des entreprises plus disantes, sous réserve que les boîtiers piles retenus ne constituent pas la contrefaçon de la création de la société AGLO ; que la demande des intimées sur ce fondement sera rejetée ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes des parties au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

Sur la procédure abusive

Considérant que la société ERSE soutient que la procédure engagée par la société AGLO est abusive ;

Mais considérant que l'action en contrefaçon de la société AGLO ayant été accueillie, la demande pour procédure abusive de la société ERSE sera rejetée ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur la demande en garantie de la société ERSE

Considérant que la société ERSE demande la garantie de la SNCF dans l'hypothèse d'une éventuelle condamnation ;

Mais considérant qu'en fabriquant les boîtiers piles litigieux, la société ERSE s'est rendue coupable de contrefaçon, qu'elle ne fournit aucun élément de nature à prouver que la SNCF devait la garantir en cas de condamnation ;

Que dans ces conditions, sa demande en garantie sera rejetée ;

Sur l'article 700 du NCPC et les dépens

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société AGLO la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société AGLO à verser à la SNCF d'une part, et à la société ERSE, d'autre part 6 000 euros chacune au titre de l'article 700 du NCPC ;

Considérant que la SNCF, la société ERSE et la société PADIJE seront condamnées aux entiers dépens de première instance et d'appel in solidum ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt réputé contradictoire :

Infirme le jugement déféré ;

Statuant de nouveau,

Dit que la SNCF et les sociétés ERSE et PADIJE se sont rendues coupables de contrefaçon des plans élaborés par la société AGLO et du modèle de boîtier pile créé par la société AGLO et déposé le 16 janvier 1997 sous le n° 97 0209 ;

Condamne in solidum la SNCF et les sociétés ERSE et PADIJE à verser de ce chef à la société AGLO la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Ordonne à la SNCF et aux sociétés ERSE et PADIJE, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée, de cesser de fabriquer, faire fabriquer, offrir à la vente, vendre, acheter et faire usage des boîtiers piles contrefaisants à l'expiration d'un délai de quinzaine à compter du jour de la signification du présent arrêt ;

Condamne in solidum la SNCF et les sociétés ERSE et P ADIJE à verser à la société AGLO la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du NCPC

Rejette toute autre demande ;

Condamne in solidum la SNCF et les sociétés ERSE et PADIJE aux entiers dépens qui incluront les frais de saisie-contrefaçon qui seront recouvrés par Maître TEYTAUD, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.