Livv
Décisions

Cass. com., 3 octobre 1989, n° 87-15.725

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Baudoin

Rapporteur :

M. Nicot

Avocat général :

M. Jéol

Avocats :

Me Bouthors, SCP Delaporte et Briard, SCP de Chaisemartin, SCP Célice et Blancpain

Paris, du 18 févr. 1987

18 février 1987

Statuant tant sur les pourvois incidents formés par la société Sedif et la société Esso que sur le pourvoi principal formé par la société Marquet ;

Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 18 février 1987), la société Sedip, a chargé la société Transports Rochais-Bonnet (TRB) d'assurer le transport, la manutention et le stockage de produits pétroliers que la société Sedip achetait pour les revendre et qui étaient entreposés dans un local pris en location par la société Sedip, mais dont la société TRB détenait les clés ; que le contrat ayant été résilié, mais son exécution s'étant poursuivie encore à la date où la société Sedip a été mise en liquidation des biens, la société TRB a fait connaître à celle-ci qu'elle entendait exercer son droit de rétention sur l'ensemble des marchandises entreposées dans le local dont elle disposait librement en sa qualité de commissionnaire de transport ; qu'elle a ensuite produit à la procédure collective ; que les syndics de la liquidation des biens de la société Sedip, et les sociétés ayant vendu des produits pétroliers en stipulant une réserve de propriété, dont la société Marquet, ont assigné la société TRB aux fins qu'il fût notamment jugé que le droit de rétention n'était pas opposable à la masse des créanciers et qu'il était exercé abusivement ; que la société Esso est intervenue en cours de procédure pour formuler la même demande ; que cette demande a été rejetée ;

Sur la recevabilité des pourvois incidents contestée par la société TRB : (sans intérêt) ;

Sur le pourvoi principal :

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir reconnu à la société TRB un droit de rétention sur l'ensemble des marchandises litigieuses alors, selon le pourvoi, que, conformément à l'article 94 du Code de commerce, le contrat de commission de transport doit permettre au transporteur d'organiser librement, en son nom et sous son entière responsabilité, le transport litigieux ; que tel n'est pas le cas d'un intermédiaire dont la mission consiste essentiellement à gérer un stock de marchandises déposées pour le compte de son donneur d'ordre dans un entrepôt dont celui-ci est locataire, et à ne procéder accessoirement au transport de ces produits que suivant les ordres reçus et sans pouvoir encaisser lui-même le prix des livraisons ; qu'en décidant le contraire en se fondant sur les initiatives du transporteur dans l'exécution d'un contrat qui lui interdisait cependant d'agir en son nom propre auprès de la clientèle de la société Sedip, la cour d'appel a faussement qualifié le contrat litigieux, en violation de l'article 94 du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt a constaté que deux sur trois des éléments du prix facturé mensuellement par la société TRB à la société Sedip s'appliquaient aux opérations de transport des carburants, que ces opérations étaient fréquemment accomplies par d'autres transporteurs librement choisis par la société TRB agissant en son nom et payés par elle et qu'enfin elle avait été choisie par la société Sedip en considération de sa qualité de commissionnaire de transport ; que la cour d'appel a pu déduire de ces constatations que la convention litigieuse constituait une commission de transport pour l'exécution de laquelle la société TRB se chargeait accessoirement d'assurer la garde des marchandises entre les opérations d'approvisionnement et de livraison ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches :

Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, que d'une part, le privilège prévu par l'article 95 du Code de commerce ne subsiste en faveur du commissionnaire qu'autant que le gage est resté en sa possession effective, c'est-à-dire suivant l'article 92 du même Code, quand les marchandises sont à " sa disposition dans ses magasins "; qu'en l'espèce, les marchandises étant entreposées dans le local loué par Garonor à la société Sedip, et la société TRB ne pouvant en aucun cas en disposer sans les ordres de la société Sedip, il ne pouvait être retenu que lesdites marchandises étaient en la possession de la société TRB dans ses magasins ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 92 et 95 du Code de commerce ; alors que, d'autre part, seules les créances liquides et exigibles permettent au commissionnaire d'exercer son droit de rétention prévu par l'article 95 du Code de commerce ; qu'en s'abstenant de rechercher si tel était le cas en l'espèce, en l'état des constatations portant sur les créances invoquées par la société TRB, ainsi qu'il résultait d'une ordonnance de référé du 29 avril 1985 régulièrement produite aux débats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

Mais attendu, en premier lieu, que n'étant pas saisie d'une demande en paiement d'une créance, la cour d'appel n'avait pas à effectuer la recherche invoquée par la seconde branche ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant retenu que, pour les besoins de son mandat de commissionnaire de transport, la société TRB détenait, seule et sous sa responsabilité exclusive, les marchandises litigieuses dans un local mis à son entière disposition, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que cette société pouvait exercer un droit de rétention sur ces marchandises ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Marquet fait enfin à l'arrêt le reproche ci-dessus spécifié, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, le rétenteur ne peut, suivant les articles 92 et 95 du Code de commerce, opposer son droit au propriétaire de la marchandise que s'il est en possession matérielle de ladite marchandise dans ses propres magasins ; que les marchandises entreposées dans le local d'un tiers suivant convention passée entre Garonor et la société Sedip ne pouvaient faire l'objet d'une rétention opposable au vendeur bénéficiaire d'une clause de réserve de propriété de la part de la société TRB, intermédiaire qui n'avait pas la possession matérielle desdites marchandises dans ses magasins ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; alors que, d'autre part, la clause de réserve de propriété prévue par l'article 1er de la loi du 12 mai 1980 est opposable à la faillite de l'acheteur dès lors qu'elle a été convenue entre les parties par un écrit établi au plus tard au moment de la livraison ; qu'après avoir constaté l'existence d'une telle clause dans les documents acceptés par la société Sedip, la cour d'appel ne pouvait déclarer cette clause inopposable à la société TRB, autre créancier de la faillite, sans violer le texte susvisé ; et alors qu'enfin, la clause de réserve de propriété instituée par l'article 1er de la loi du 12 mai 1980 prime le droit de rétention du créancier gagiste prévu par l'article 92 du Code de commerce ; qu'en préférant le rétenteur au bénéficiaire d'une clause de réserve de propriété, la cour a violé les textes susvisés ;

Mais attendu qu'ayant retenu qu'il n'était pas établi que la société TRB ait eu connaissance de la clause de réserve de propriété grevant une partie des marchandises, la cour d'appel a décidé, à juste titre, que cette société était fondée à invoquer un droit de rétention de créancier gagiste à l'égard du vendeur de ces marchandises ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE IRRECEVABLES les pourvois formés par la société Sedif et la société Esso ;

REJETTE le pourvoi formé par la société Marquet.