CA Pau, 2e ch. sect. 1, 6 juillet 2016, n° 14/04026
PAU
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Pipolaki (SARL), Blancq Olibet (sté)
Défendeur :
Communauté des communes du pays de Nay
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defix
Conseillers :
Mme Morillon, Mme Janson
EXPOSE DU LITIGE
Faits et procédure
Par acte authentique du 14 août 2006, la Communauté de communes de la Vath-Viella, établissement public de coopération intercommunale, actuellement dénommée Communauté de communes du pays de Nay, a consenti un bail commercial à la SA BLANCQ OLIBET, portant sur un bâtiment à usage exclusif de fabrication et de vente de bérets, bonnets et d'articles textiles, situé [...], pour une durée de neuf années entières et constitutives à compter du 14 août 2007, moyennant un loyer évoluant progressivement par palier d'année en année.
Par acte du 25 janvier 2013, la SA BLANCQ OLIBET devenue la SARL BLANCQ OLIBET a fait délivrer à la bailleresse un congé pour le 13 août 2013, expiration de la deuxième période triennale fixée au bail.
La trésorerie de Nay ayant fait délivrer au preneur pour le compte du bailleur des titres exécutoires pour obtenir le paiement des loyers des mois d'août à décembre 2013, la SARL BLANCQ OLIBET a assigné la Communauté des communes du pays de Nay devant le tribunal de grande instance de Pau par acte du 23 janvier 2014 aux fins de voir annuler ces titres exécutoires, au motif qu'elle n'était tenue au paiement d'aucun loyer après le 13 août 2013, date de résiliation du bail.
Le 4 mars 2014, la SARL BLANCQ OLIBET a changé de dénomination sociale, devenant la SARL PIPOLAKI.
Par jugement du 29 octobre 2014, le tribunal a :
- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la SARL PIPOLAKI,
- débouté la SARL PIPOLAKI de sa demande visant à voir prononcer la nullité du bail,
- condamné la SARL PIPOLAKI à régler à la communauté des communes du pays de Nay la somme de 56'609,13 € TTC au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 13 août 2013, outre une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 6 925 € HT à compter du 14 août 2013, jusqu'à parfaite et complète libération des lieux,
- condamné la SARL PIPOLAKI à payer à la communauté des communes du pays de Nay la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté le surplus des demandes tant principales que reconventionnelles,
- condamné la SARL PIPOLAKI aux dépens, et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 10 novembre 2014, la SARL PIPOLAKI a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du magistrat de la mise en état du 24 février 2016, la clôture de l'instruction de l'affaire a été déclarée.
Prétentions et moyens des parties
Selon dernières conclusions du 16 juillet 2015, la SARL PIPOLAKI demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré,
- constater la nullité du bail commercial,
- en conséquence dire que la Communauté des communes ne pouvait émettre des titres exécutoires aux fins de recouvrement d'un loyer commercial,
- annuler les titres exécutoires,
- constater que les titres exécutoires portent sur des indemnités d'occupation,
- les annuler en conséquence,
- se déclarer incompétent au profit du tribunal administratif pour connaître des indemnités d'occupation réclamées par la Communauté de communes,
- très subsidiairement réduire le montant de ces indemnités,
- dire que s'agissant d'une indemnité, aucune taxe sur la valeur ajoutée ne vient en complément de cette condamnation,
- condamner la communauté des communes du pays de Nay aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon l'appelante, le bail commercial est nul dès lors qu'il a été consenti sur un bien relevant de la domanialité publique. Les titres exécutoires délivrés au titre des loyers demeurés impayés du 1er janvier 2012 au 13 août 2013 doivent par conséquent être annulés.
La SARL PIPOLAKI demande également l'annulation des titres exécutoires délivrés au titre des indemnités d'occupation, au motif qu'une collectivité publique ne peut pas délivrer un titre exécutoire pour une créance à caractère indemnitaire.
Elle soulève l'incompétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur la demande reconventionnelle de la Communauté de communes du pays de Nay relative aux indemnités d'occupation.
A titre infiniment subsidiaire, elle demande que le montant des indemnités d'occupation soit fortement réduit.
* * *
Selon dernières conclusions du 27 juillet 2015, la Communauté des communes du pays de Nay demande à la cour de :
Vu l'article L. 145-4 du code de commerce,
Vu les articles 1134, 1147 et 1382 du code civil,
- confirmer le jugement entrepris et :
- déclarer irrecevable l'exception d'incompétence soulevée,
- constater la compétence de l'ordre judiciaire pour connaître de l'ensemble du litige et notamment des demandes reconventionnelles,
- débouter la SARL PIPOLAKI de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la SARL PIPOLAKI à lui régler, sur une base contractuelle, la somme de 56 609,13 € TTC au titre des loyers et charges impayés,
- la condamner à lui régler, sur une base quasi-délictuelle, une indemnité d'occupation égale au montant du loyer,
- la condamner à lui régler une indemnité d'occupation d'un montant de 6 925 € HT par mois d'occupation à compter du 1er avril 2014,
- ajoutant au jugement entrepris :
- fixer à la somme de 79 488,20 € TTC le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 14 août 2013,
- condamner la SARL PIPOLAKI à lui régler une indemnité d'un montant de 52 200 € au titre de la clause pénale,
- à titre subsidiaire,
- si la cour estimait ne pas être en mesure de fixer le montant de l'indemnité d'occupation parce qu'il existerait des éléments justifiant la minoration du loyer, il y aurait lieu de désigner tel expert qu'il plaira à la juridiction de céans afin de voir fixer le montant de l'indemnité d'occupation et la valeur locative du bien donné à bail,
- dans tous les cas,
- condamner la SARL PIPOLAKI aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La Communauté de communes du pays de Nay fait valoir que le bail commercial conclu entre les parties présente le caractère d'un contrat de droit privé et n'encourt aucune nullité.
Elle considère que l'ordre judiciaire est compétent, tant pour statuer sur les loyers que sur les indemnités d'occupation.
Elle soutient qu'en tout état de cause l'exception d'incompétence est irrecevable car elle aurait dû être soulevée devant le conseiller de la mise en état.
Elle rappelle que les parties n'ont jamais régularisé d'avenant destiné à diminuer l'emprise du bail et le montant du loyer dû.
Outre le paiement des loyers impayés et des indemnités d'occupation, elle sollicite la somme de 52 000 € au titre de l'indemnité contractuelle prévue au contrat.
MOTIVATION
Sur la nullité du bail
L'appelante soutient que le statut des baux commerciaux est inapplicable aux biens relevant du domaine public des collectivités territoriales, et que le contrat de bail doit par conséquent être annulé.
Il est cependant constant que si la construction d'ateliers-relais par une commune relève d'une mission de service public, cette circonstance ne suffit pas à les incorporer de ce seul fait dans le domaine public de la commune. Ainsi, le bail que la commune consent à une entreprise en vue de l'occupation d'un atelier-relais revêt, en l'absence de clause exorbitante du droit commun, le caractère d'un contrat de droit privé.
Le bail commercial conclu le 14 août 2006 entre la SA BLANCQ OLIBET et la Communauté de communes du pays de Nay ne comporte aucune clause exorbitante du droit commun.
Il a donc été conclu en référence aux articles L. 145- 1 et suivants du code de commerce, conformément aux règles ci-dessus rappelées, et n'encourt à ce titre aucune nullité.
Sur la demande en paiement des loyers
Dès lors que le bail commercial a été reconnu valable, la société locataire est tenue au paiement des loyers jusqu'au 13 août 2013, date de résiliation du bail.
Il convient par conséquent de débouter la SARL PIPOLAKI sa demande tendant à voir annuler les titres exécutoires émis par la trésorerie de Nay au titre des loyers demeurés impayés du 1er janvier 2012 au 13 août 2013.
Au vu des justificatifs produits par l'intimée, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la SARL PIPOLAKI à régler à la bailleresse la somme de 56'609,13 € TTC au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 13 août 2013.
Sur la demande en paiement des indemnités d'occupation
Sur la validité des titres exécutoires délivrés à ce titre
Conformément à ce que soutient l'appelante, il est exact qu'une collectivité publique n'est pas autorisée à délivrer des titres exécutoires pour le recouvrement d'indemnités d'occupation, compte tenu de leur caractère indemnitaire.
Les titres exécutoires émis à ce titre seront par conséquent annulés.
Sur la demande reconventionnelle en paiement des indemnités d'occupations
A titre liminaire, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la SARL PIPOLAKI, dès lors qu'en application de l'article 771 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure.
La compétence des juridictions administratives étant d'ordre public, la cour pourrait le cas échéant relever d'office son incompétence. Cependant, ainsi qu'il a été exposé précédemment, le bail commercial conclu entre les parties est un contrat de droit privé, de sorte que la juridiction judiciaire est compétente, aussi bien pour statuer sur les loyers que sur les indemnités d'occupation.
La bailleresse demande que le montant de l'indemnité d'occupation soit fixé au montant du loyer, soit à la somme de 6 925 € HT. Elle sollicite par conséquent la somme totale de 79 488, 20 € TTC au titre des indemnités d'occupation ayant couru du 13 août 2013 au 31 mai 2014, date de libération des lieux.
La SARL PIPOLAKI soutient d'une part qu'il ne peut pas être réclamé de TVA au titre des indemnités d'occupation, et d'autre part que le montant des indemnités doit être fortement réduit, l'immeuble ayant fait l'objet d'une sous-location à compter du 17 juin 2009.
Si l'indemnité d'occupation versée par le locataire qui se maintient dans les lieux pendant la procédure de fixation de l'indemnité d'éviction est soumise au même régime fiscal que les loyers du bail commercial, en revanche l'indemnité d'occupation due par le locataire commercial qui se maintient dans les lieux sans droit ni titre n'est ni imposable pour le bailleur, ni déductible pour le preneur, du fait de son caractère compensateur.
Il n'y a pas lieu par conséquent d'inclure la TVA dans le montant réclamé par le bailleur au titre des indemnités d'occupation.
Il importe peu qu'une partie de l'immeuble ait fait l'objet d'une sous-location, l'article 7 du bail stipulant expressément que dans tous les cas le preneur demeure garant solidaire de son sous-locataire pour le paiement du loyer et l'exécution des conditions du bail.
Au regard des éléments de la cause tels qu’ils viennent d'être énoncés, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a mis à la charge de la SARL PIPOLAKI à compter du 13 août 2013 le paiement d'une indemnité d'occupation équivalente au montant du loyer hors taxe, soit 6 925 € HT.
Il n'est pas contesté que les lieux ont été libérés par la société locataire le 31 mai 2014.
Il convient par conséquent de condamner la SARL PIPOLAKI à payer la somme totale de 66 346 € au titre des indemnités d'occupation ayant couru du 13 août 2013 au 31 mai 2014.
Sur l'indemnité contractuelle
La Communauté de communes du pays de Nay sollicite la somme de 52'200 € au titre de l'indemnité contractuelle en vertu d'une clause du contrat de bail qui stipule qu'à défaut de remise des clés et de libération des lieux à la date de résiliation du bail, le preneur encourra une astreinte d'un montant de 200 € par jour de retard, son expulsion pouvant être ordonnée par simple ordonnance de référé.
Cette indemnité constitue une clause pénale au sens de l'article 1152 du Code civil, dès lors que les parties ont évalué forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution de l'obligation contractée.
Son montant est manifestement disproportionné par rapport au préjudice réellement subi par la bailleresse, déjà en partie réparé par l'allocation d'une indemnité d'occupation équivalente au paiement du loyer.
Il convient par conséquent de réduire d'office son montant à la somme de 15 000 €.
* * *
L'appelante, qui succombe pour la plus grande part dans le cadre de la présente procédure, sera condamnée aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Confirme la décision déférée en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la SARL PIPOLAKI,
- débouté la SARL PIPOLAKI de sa demande visant à voir prononcer la nullité du bail,
- condamné la SARL PIPOLAKI à régler à la communauté des communes du pays de Nay la somme de 56'609,13 € TTC (cinquante-six mille six cent neuf euros treize centimes) au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 13 août 2013, outre une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 6 925 € HT ( six mille neuf cent vingt-cinq euros) à compter du 14 août 2013, jusqu'à parfaite et complète libération des lieux,
- condamné la SARL PIPOLAKI à payer à la Communauté des communes du pays de Nay la somme de 2 000 € (deux mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL PIPOLAKI aux dépens, et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
L'infirme pour le surplus,
Prononce l'annulation des titres exécutoires émis par la Communauté de communes du pays de Nay au titre des indemnités d'occupation,
Condamne la SARL PIPOLAKI à payer à la Communauté de communes du pays de Nay la somme de 66 346 € (soixante-six mille trois cent quarante-six euros) au titre des indemnités d'occupation arrêtées à la date du 31 mai 2014,
Condamne la SARL PIPOLAKI à payer à la Communauté de communes du pays de Nay la somme de 15 000 € (quinze mille euros) au titre de l'indemnité contractuelle,
Et y ajoutant,
Vu l'article 700 alinéa 1 1° du code de procédure civile, condamne la SARL PIPOLAKI à payer à la Communauté de communes du pays de Nay la somme de 2 500 € (deux mille cinq cents euros) à ce titre,
Condamne la SARL PIPOLAKI aux dépens d'appel.