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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 15 octobre 1998, n° 8802/96

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bouchacourt (Consorts)

Défendeur :

Lejeune (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avocats :

SCP Lissarrague-Dupuis & Associés, Me Fremaux, Me Ventrillon, SCP Fievet, Rochette et Lafon, Me Treynet

TGI Montmorency, du 17 juin 1994

17 juin 1994

FAITS ET PROCEDURE :

Monsieur et Madame BOUCHACOURT étaient propriétaires d’un immeuble situé 8 avenue de la Gare à TAVERNY.

Suivant acte sous seing privé en date du 28 décembre 1997, ils ont donné à bail à Monsieur et Madame LEJEUNE un appartement situé au 1er étage dudit immeuble pour une durée de 6 années commençant à courir à compter du 1er janvier 1988 pour se terminer le 1er janvier 1994.

Suivant acte du 11 janvier 1988, les mêmes époux BOUCHACOURT ont donné à bail à la SARL "TAVERNY DEUCES", dont Monsieur LEJEUNE est le gérant, des locaux commerciaux à usage de boulangerie, pâtisserie, situes au rez de chaussée et en sous-sol de I ‘immeuble susvisé.

Suivant acte d'huissier en date du 09 juin 1993, les époux BOUCHACOURT ont fait délivrer un congé à effet du 1er janvier 1994 aux époux LEJEUNE pour I ‘appartement du 1er étage, et ce, en conformité avec l’article 15-1 de la loi du 06 juillet 1989.

Les époux LEJEUNE s'étant maintenu dans les lieux, les 6poux BOUCHACOURT ont saisi le juge des référés du Tribunal d'instance de MONTMORENCY d'une demande de validation du congé et d'expulsion des locataires.

Les époux LEJEUNE ont soulevé l'incompétence de la juridiction saisie, en invoquant l‘indissociabilité de l’appartement du 1er étage avec les locaux commerciaux du rez de chaussée et en revendiquant ('application du statut des baux commerciaux pour ['ensemble des locaux.

Par ordonnance du 17 juin 1994, le juge des référés s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Grande Instance de PONTOISE et a dit que les dépens de l’instance suivraient ceux de ('instance au fond.

Appel de cette décision a été relevé par les époux BOUCHACOURT. L'affaire a été radiée puis reportée au rôle par les époux LEJEUNE. Pour leur part et en exécution de l’ordonnance du 17 juin 1994, les époux LEJEUNE ont saisi le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE, lequel par jugement du 31 janvier 1996 a statué dans les termes ci-après :

-      Dit que l’appartement sis, 8 avenue de la Gare à TA VERNY, au premier Stage loué pour l’habitation des exploitants du commerce situé au rez de chaussé, est l’accessoire de ce fonds.

-      Dit, en conséquence, que le contrat de location à effet du 1er janvier 1988 conclu pour l’appartement relève, au même titre que celui du rez de chaussé conclu à la même date d'effet, du statut des baux commerciaux prévu au décret du 30 septembre 1953.

-      En conséquence, déclaré nul et de nul effet le congé délivré aux époux LEJEUNE & la requête des époux BOUCHACOURT le 09 juin 1993.

-      Déboute les époux BOUCHACOURT de toutes leurs demandes.

-      Les condamne aux dépens et à payer aux époux LEJEUNE la somme de 5.000 francs au litre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Appel de cette décision a été relevé également par les époux BOUCHACOURT.

Pour une bonne administration de la justice, il conviendra de joindre les procédures issues de ces actes d'appel séparées ou du report au rôle (n° 8802/96, 2916/96) et de statuer par une seule et même décision.

Au soutien de leur premier appel, les époux BOUCHACOURT exposent que c'est à tort que le premier juge a décliné sa compétence des lors que le bail litigieux ne relève pas du statut et que le congé donne pour un motif légitime, à savoir L’état de santé de Monsieur BOUCHACOURT, a sorti son plein et entier effet.

Ils demandent des lors à la Cour d'infirmer l’ordonnance déférée, de dire que les époux LEJEUNE sont occupants sans droit, ni titre, depuis le 1er janvier 1994, d’ordonner leur expulsion immédiate avec toutes conséquences de droit, de les condamner à payer une indemnité d’occupation de 5.000 francs par mois jusqu'à complète libération des locaux ainsi qu'une indemnité de 10.000 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les époux LEJEUNE concluent, pour leur part, à la confirmation de l’ordonnance def6ree par adoption de motifs sauf à se voir allouer une indemnité de 10.000 francs en couverture des frais qu'ils ont été contraints d'exposer devant la Cour au titre de cette première procédure.

Au soutient du deuxième appel, les époux BOUCHACOURT reprochent au premier juge d'avoir mal apprécié la commune intention des parties et les données du litige, faisant valoir que rien ne démontre en l’espèce que les locaux d’habitation du premier étage et les locaux commerciaux du rez de chaussée seraient indissociables. Ils demandent, en conséquence, à la Cour de dire à nouveau que le bail de l’appartement du premier étage n'est pas soumis au statut des baux commerciaux, de déclarer valable le congé du 09 juin 1993, d'ordonner ('expulsion des époux LEJEUNE, de les condamner à payer une indemnité d'occupation de 5.000 francs par mois depuis la date d'effet du congé jusqu'à complète libération des lieux et de les condamner au paiement d'une indemnité de 15.000 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les époux LEJEUNE concluent encore, pour leur part, à la confirmation en toutes ses dispositions du deuxième jugement déféré par adoption de motifs et sollicitent l’allocation d'une indemnité complémentaire de 15.000 francs au titre de l’article 700 précité.

Enfin, il convient de noter que Monsieur Pierre BOUCHACOURT est décédé le 07 novembre 1997 et que l’instance a été régulièrement reprise par Madame Jacqueline BOUCHACOURT, son épouse survivante et par ses enfant Monsieur Jacques BOUCHACOURT et Madame Chantal BOUCHACOURT (ci-après désignées les consorts BOUCHACOURT), lesquels justifient être aux droits de feu Monsieur Pierre BOUCHACOURT par la production d'un acte de notoriété.

MOTIFS DE LA DECISION

* Sur l’appel de l’ordonnance de référé

Considérant que, en vertu de l’article 49 du Nouveau Code de Procédure Civile, toute juridiction saisie d'une demande relevant de sa compétence connait de tous les moyens de défense, à l’exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction.

Considérant que, des lors que comme en l’espèce, le juge des référés du Tribunal d'instance était saisi d'un litige concernant un bail prétendument de droit commun et que le locataire opposait comme moyen de défense, en alléguant d'arguments sérieux, que le bail étant soumis au statut, seul le Tribunal de Grande Instance qui a compétence exclusive pour connaitre de cette contestation, pouvait valablement être saisi du litige.

Que c'est donc à bon droit que le premier juge a renvoyé les parties à se pourvoir devant le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE, territorialement compètent ; que l’ordonnance déférée sera confirmée en toutes ses dispositions.

* Sur l’appel du jugement du Tribunal de Grande Instance de PONTOISE

Considérant que des locaux dans lequel le fonds n'est pas directement exploité peuvent être protégés au même titre que le local principal, lorsqu'ils appartiennent à un propriétaire unique, qu'ils présentent une utilité telle que leur privatisation compromettrait gravement l’exploitation du fonds et que le propriétaire ne pouvait ignorer l’utilisation qui devait en être faite.

Considérant qu'en l’espèce, l’appartement du premier étage et le local à usage de boulangerie - pâtisserie appartiennent aux consorts BOUCHACOURT, propriétaires de la totalité de l’immeuble ; que, même si les deux baux ont été conclu à des dates différentes, force est de constater qu'ils ont la même date d'effet ; qu'il est clairement spécifié, dans le bail d'habitation que celui-ci est destiné à l’exploitant du fonds de commerce du rez de chaussée puisqu'il y est mentionné expressément que "en cas de vente du fonds de commerce exploits au rez de chaussée par la société TAVERNY DEUCES dont Monsieur LEJEUNE est le g6rant, le successeur de ce commerce aura priorité pour le bail de l’appartement, ainsi qu'en cas de changement de girant de la société TA VERNY DEUCES", étant précisé que ce lien était déjà rappelé dans le bail précédant en termes clairs et non équivoques, à savoir: "ce bail est lié à celui consenti ce jour à la société TAVERNY DEUCES"; Qu'en outre, figurent dans le bail des clauses exorbitantes dont notamment le remboursement au bailleur de la totalité des taxes foncières et taxes annexes ; qu'enfin, (l’alimentation en eau froide et chaude, gaz et chauffage central s'effectue à partie des installations se trouvant dans la boutique du rez de chaussée ; qu'il est ainsi suffisamment démontré que la commune intention des parties était de faire du local d'habitation et du local commercial un tout indissociable.

Considérant de surcroit, que s'agissant d'un commerce de boulangerie artisanale qui implique un travail de nuit, il est indispensable que le boulanger puisse résider sur les lieux même ou à proximité de son commerce, sauf à compromettre gravement son exploitation, ce que les consorts BOUCHACOURT ne peuvent prétendre utilement contredire en l’espèce dans la mesure ou feu Monsieur Pierre BOUCHACOURT était lui-même exploitant de la boulangerie et ou, comme il a été dit, le caractère indissociable des locaux lie aux besoins de l’exploitation commerciale a été reconnu dans les baux précédents passés après la cessation d'activité de l’intéressé ; qu'il n'y a pas lieu dans ces conditions de rechercher si les époux LEJEUNE auraient pu disposer de locaux équivalents, ce qui au demeurant se serait avéré impossible en l’espèce eu égard aux aménagements spécifiques précédemment décrits.

Considérant par ailleurs, que le fait que les locaux commerciaux aient été pris à bail par la SARL TAVERNY DEUCES et non par les époux LEJEUNE est sans incidence en la cause des lors que les bailleurs ne sont pas sans ignorer que ladite société est animée et exploitée par les époux LEJEUNE.

Considérant enfin et si besoin était que le motif allégué pour la reprise de l’appartement, à savoir l’état de santé de Monsieur BOUCHACOURT, est aujourd'hui dépourvu d'intérêt puisque celui-ci est décédé.

Considérant que dans ces conditions c'est à bon droit que le premier juge a décidé que le bail des locaux d'habitation du premier étage relève du statut des baux commerciaux et qu'il a débouté les consorts BOUCHACOURT de l’ensemble de leurs prétentions ; que le jugement au fond dont appel sera également confirmé en toutes ses dispositions.

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser a la charge des époux LEJEUNE les frais qu'ils ont été contraints d'engager devant la Cour ; que les consorts BOUCHACOURT seront condamnes à leur payer une indemnité globale complémentaire de 8.000 francs, ladite indemnité s'ajoutant à celle qui leur a déjà été allouée au même titre en première instance.

Considérant enfin que les consorts BOUCHACOURT, qui succombent, supporteront l’ensemble des dépens exposés à ce jour.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort,

-  DIT recevables les appels interjetés par les 6poux BOUCHACOURT, aux droits desquels se trouvent aujourd’hui les consorts BOUCHACOURT, a rencontré de I ‘ordonnance de référé rendue te 17 juin 1994 et du jugement au fond rendu le 31 janvier 1996,

-  Apres jonction des procédures issues de ces actes d'appels séparés, et statuant par une seule et même décision,

-  CONFIRME en toutes leurs dispositions les deux décisions déférées,

Y AJOUTANT,

-  CONDAMNE les consorts BOUCHACOURT à payer aux 6poux LEJEUNE une indemnité complémentaire de 8.000 francs,

-  CONDAMNE également les consorts BOUCHACOURT aux entiers dépens et autorise la SCR d'avoués FIEVET & ROCHETTE & LAFON, à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant comme il est dit à l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.