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Décisions

CA Paris, 4e ch., 28 novembre 2001, n° D20010152

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Durobor (SA)

Défendeur :

VCA - verrerie cristallerie D'arques J.G. D et Cie (SARL)

CA Paris n° D20010152

28 novembre 2001

La société de droit belge DUROBOR commercialise depuis 1986, sous la dénomination "MAZAGRAN" un modèle de verre à pied doté d'une anse qu'elle a déposé à l'OMPI, le 15 octobre 1987, sous le n° DM/009.479, pour plusieurs pays dont la France. Le 10 octobre 1986, la société Verrerie Cristal d'Arques a de son côté déposé, à l'INPI, un modèle de verre à pied doté d'une anse, enregistré sous le n° 96.5725 et publié sous le n° 460.838.

Prétendant que ce modèle, commercialisé par la société Verrerie Cristal d'Arques sous la dénomination Irish Coffee, contrefaisait le sien, la société DUROBOR a, par acte du 29 mai 1998, saisi le tribunal de commerce de PARIS pour solliciter, outre l'annulation de ce modèle et le prononcé des mesures d'interdiction, de confiscation aux fins de destruction et de publication habituelles, paiement d'une somme de 100.000 francs pour l'atteinte à ses droits d'auteur, d'une provision de 300.000 francs à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice commercial à évaluer à dire d'expert et d'une somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La société Verrerie Cristal d'Arques a reconventionnellement contesté la validité du modèle déposé et en a poursuivi l'annulation pour la partie française, a également contesté la contrefaçon reprochée et sollicité paiement d'une somme de 100.000 francs pour procédure abusive, ainsi que d'une somme de 60.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Par jugement du 8 octobre 1999, le tribunal de commerce de PARIS a débouté les parties de leurs prétentions et demandes et condamné la société DUROBOR à payer à la société Verrerie Cristal d'Arques la somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

VU l'appel interjeté de cette décision, le 21 décembre 1999, par la société DUROBOR ;

VU les conclusions du 12 octobre 2001 aux termes desquelles la société DUROBOR reprochant à la société Verrerie Cristal d'Arques d'avoir, loin de déférer à ses réclamations, lancé sur le marché un second modèle de verre Irish Coffee, reprenant tout autant les caractéristiques de son modèle, réitère ses prétentions de premières instance, et, soutenant que son modèle est nouveau et original et que les deux modèles de la société Verrerie Cristal d'Arques en constitue la contrefaçon, demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de prononcer la nullité du dépôt de modèle français de la société Verrerie Cristal d'Arques, de dire que celle-ci a commis des actes de contrefaçon à son préjudice, de prononcer les mesures d'interdiction, de confiscation et de destruction ainsi que de publication habituelles, de condamner la société Verrerie Cristal d'Arques à lui payer les sommes de 1.000.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à ses droits d'auteur et de 3.000.000 francs à titre de dommages-intérêts provisionnels à valoir sur la réparation de son préjudice commercial à évaluer à dire d'expert, outre la somme de 150.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

VU les conclusions du 19 octobre 2001 aux termes desquelles la société ARC INTERNATIONAL, anciennement Verrerie Cristal d'Arques, fait valoir que le modèle revendiqué par la société DUROBOR n'est pas susceptible d'être protégé que ce soit par la Livre Ier ou par le Livre V du Code de la propriété intellectuelle, que le modèle qu'elle commercialise n'en constitue pas au surplus la contrefaçon et demande en conséquence à la Cour, de prononcer la nullité du modèle de la société DUROBOR, de la condamner à lui payer la somme de 200.000 francs pour procédure abusive, d'ordonner à titre de supplément de dommages-intérêts la publication de la décision à intervenir, et de lui allouer la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

DECISION

I - SUR LA VALIDITE DU MODELE DE LA SOCIETE DUROBOR :

Considérant que la société DUROBOR caractérise son modèle par la combinaison :

- d'un bol en forme de lyre normande,

- d'une jambe de forme arrondie qui s'évase progressivement jusqu'au pied,

- d'un pied de forme légèrement incurvée dont le diamètre est équivalent à celui du bol,

- d'une anse de forme arrondie et en arc de cercle solidaire avec la jambe du verre ;

Considérant que pour contester la validité du modèle déposé, la société ARC INTERNATIONAL soutient que celui-ci ne constitue pas une création au sens de la loi, le seul fait d'ajouter à un verre connu une anse en vue d'en assurer la préhension relevant, selon elle, d'une simple idée non susceptible de protection ; qu'elle produit à cet effet un certain nombre de documents reproduisant des verres à pied avec des paraisons identiques ;

Mais considérant que pour bénéficier de la protection spécifique instaurée par le livre V du Code de la propriété intellectuelle il faut et il suffit de rechercher si le modèle en cause est nouveau, c'est-à-dire s'il ne peut lui être opposé d'antériorité de toute pièce, et s'il possède un caractère propre, c'est à dire si l'impression globale qui s'en dégage diffère des modèles divulgués antérieurement ;

Que les pièces produites par la société ARC INTERNATIONAL, qu'il s'agisse des revues Porzellan-Glas de 1981, Die vitrine, de décembre 1981 et avril 1982, Porzellan de 1983 et 1984, ou des revues Tebleware international de décembre/janvier 1985, Vicrila de 1982, Porzellan de 1977, Luminarc de 1979, The Libbey touch de 1978, si elles reproduisent des verres à pied aux paraisons identiques en forme de lyre, appartenant plus généralement au genre des verres dit de Bourgogne, ne comportent pas la représentation du modèle opposé dans la combinaison qui est revendiquée, dès lors que tous ces modèles sont dépourvus d'anse ;

Que le catalogue turc PASABAHCE, au demeurant non daté avec certitude, s'il reproduit des verres à pied dotés d'une anse, ne présente aucun modèle sur lequel l'anse serait exclusivement solidaire de la jambe du pied ; qu'il en est de même des différentes esquisses versées aux débats, non davantage datées avec certitude, qui reproduisent des verres dont l'anse est disposée sur la paraison du verre ;

Que le modèle dit "verre à boisson chaude" n° 150332 du 6 février 1975 comporte un pied à bulbe, bulbe sur lequel est disposé l'anse ; Que les autres documents produits ne sont pas datés ou sont postérieurs ; Qu'aucun document versé ne constitue donc une antériorité de toute pièce susceptible de détruire la nouveauté de la combinaison revendiquée, laquelle n'est pas reproduite dans toutes ses composantes ;

Considérant que cette combinaison du modèle DUROBOR, dans la spécificité qui est la sienne, confère à l'ensemble un caractère propre dès lors que s'en dégage une impression globale qui lui permet de se démarquer de ses semblables, cette perception différente s'imposant d'évidence à l'examen comparatif des modèles en présence ; Que le modèle déposé par la société DUROBOR répondant aux critères du Livre V du Code de la propriété intellectuelle est parfaitement valable et bénéficie de la protection instaurée par ce titre ;

Considérant au surplus que la combinaison revendiquée, loin de relever du simple monde des idées, comme le souligne à tort la société intimée, résulte d'un processus créatif qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur, quel qu'en soit le mérite qu'il n'appartient pas au juge d'apprécier ; Que le modèle litigieux est donc également protégeable par le droit d'auteur ; Que le tribunal a exactement débouté la société ARC INTERNATIONAL de sa demande en nullité de modèle ;

II - SUR LES GRIEFS DE CONTREFAÇON :

Considérant qu'il est constant que les deux modèles critiqués, présentent :

- un bol en forme de lyre normande,

- unejambe de forme arrondie qui s'évase progressivement jusqu'au pied,

- un pied de forme légèrement incurvée dont le diamètre est équivalent à celui du bol ;

Mais considérant que l'anse de ces deux modèles ne présentent pas le même arrondi ni la même apparence en raison de la forme adoptée ; que si l'une des extrémités des anse est solidaire avec la jambe incurvé du verre, l'autre extrémité, prend, dans les deux cas, appui sur la paraison du verre et non sur la jambe ; Que la société DUROBOR qui ne peut valablement voir étendre la protection dont bénéficie son modèle au genre de verre mazagran dès lors qu'il serait doté d'une anse, prétend à tort que la combinaison de son modèle serait reprise dans les deux modèles critiqués ; Que le tribunal a exactement considéré que le grief de contrefaçon n'était pas avéré et que le propre modèle déposé par la société Verrerie Cristal d'Arques était parfaitement valable en raison de la combinaison nouvelle qui avait été adoptée, laquelle permet à celle-ci de se démarquer des combinaisons précédemment divulguées ; Que le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions ; Sur les autres demandes :

Considérant que la société ARC INTERNATIONAL ne démontre pas que la procédure entreprise par la société DUROBOR serait abusive et aurait été entreprise dans l'intention de lui nuire ; Qu'elle doit être déboutée de la demande de dommages-intérêts et de publication formulée à ce titre ; Qu'il convient en revanche, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de lui allouer la somme de 50.000 francs pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, en complément de celle de 30.000 francs allouée par les premiers juges ; Que la société DUROBOR qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formé à ce titre ;

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société DUROBOR à payer à la société ARC INTERNATIONAL la somme de 50.000 francs pour ses frais irrépétibles en cause d'appel en complément de celle de allouée par les premiers juges,

DEBOUTE la société ARC INTERNATIONAL de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

REJETTE toute autre demande,

CONDAMNE la société DUROBOR aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.