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Décisions

CA Paris, 4e ch., 16 janvier 2002, n° D20020008

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

People'rag compagnie, Geda épure (SARL)

Défendeur :

Dar (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

CA Paris n° D20020008

16 janvier 2002

Alexandre R styliste, a créé un modèle de "doudoune", le 4 décembre 1997, sous la référence MSLK, déposé le 17 mars 1998 à l'INPI sous le numéro 981671 et publié le 18 novembre 1998, sous les numéros 0524436 à 0524438. La société DAR est titulaire d'une licence exclusive des droits d'exploitation sur ce modèle, selon contrat du 20 mars 1998, enregistré à l'INPI le 2 décembre 1998 et publié au registre national des dessins et modèles, le 6 janvier 1999. Le modèle MSLK a été proposé à la vente par la société DAR, le 4 mars 1998, sous la marque MISOLKA, dans la galerie commerciale "le Shop" à Paris.

Constatant que la société People'Rag Compagnie mettait en vente, dans la même galerie marchande, un blouson dénommé PREMIUM constituant, selon elle, la contrefaçon du modèle MSLK, Alexandre R et la société DAR ont fait pratiquer une saisie contrefaçon le 27 novembre 1998. Par acte du 11 décembre 1998, ils ont saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une action en contrefaçon, subsidiairement d'une action en concurrence déloyale et parasitaire. Par jugement réputé contradictoire du 5 mai 1999, le tribunal a :

- dit qu'en commercialisant un blouson reproduisant les caractéristiques du modèle déposé par Alexandre R, la société People's Rag Compagnie a commis des actes de contrefaçon au préjudice de celui-ci et de la société DAR, titulaire des droits d'exploitation du modèle,

- interdit à la société People's Rag Compagnie de poursuivre les actes de contrefaçon, sous astreinte de. 1.000 francs.par infraction constatée, passé un délai de 15 jours après : la signification du jugement,

- condamné la société People's Rag Compagnie à payer à Alexandre R et à la société DAR la somme de 50.000 francs en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon,

- condamné la société People's Rag Compagnie à payer à Alexandre R et à la société DAR la somme de 12.000 francs au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté de cette décision le 18 juin 1999 par la société People's Rag Compagnie ;

Vu les dernières écritures du 14 mars 2001 aux termes desquelles, la société People's Rag Compagnie prétendant que :

- la société DAR ne peut se prévaloir d'aucun droit patrimonial sur le modèle déposé par Alexandre R,

- le contrat de licence concédé à la société DAR n'a pas été publié au Registre National des Modèles,

- l'action d'Alexandre R et de la société DAR est mal fondée juridiquement en ce qu'elle est fondée sur la loi du 14 juillet 1909 qui a été abrogée,

- le modèle invoqué n'est pas nouveau et n'a pas de physionomie propre,

- au surplus, le blouson PREMIUM a été créé antérieurement à la doudoune référencée MSLK,

- les éléments composant le blouson PREMIUM ne se retrouvent pas dans le modèle opposé,

- aucun acte de concurrence déloyale n'est démontré,

- le montant des dommages et intérêts demandés apparaît excessif.

Demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de déclarer irrecevable la demande en contrefaçon formée par la société DAR,

- de prononcer la nullité du modèle déposé,

- de débouter Alexandre R et la société DAR de leurs demandes en contrefaçon et en concurrence déloyale,

- de condamner Alexandre R et la société DAR à lui payer "solidairement" la somme de 100.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- de les condamner à lui payer la somme de 30.000 francs au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions du 22 mars 2001 aux termes desquelles Alexandre R et la société DAR font valoir que :

- le contrat de cession de licence de modèle a été publié au registre des dépôts et modèles le 9 janvier 1999,

- la procédure a été conjointement intentée par eux et qu'à la date du jugement, la société DAR était titulaire des droits d'exploitation d'auteur du modèle créé par Alexandre R,

- le modèle MSLK est nouveau et original,

- aucune preuve n'est rapportée sur la création antérieure du blouson PREMIUM,

- les ressemblances entre le blouson PREMIUM et le modèle MSLK justifient l'action en contrefaçon,

- dans l'hypothèse où la contrefaçon de modèle ne serait pas retenue, la commercialisation du blouson PREMIUM devrait être sanctionnée sur le terrain de la concurrence déloyale,

et sollicitent :

- à titre principal, la confirmation du jugement entrepris sur le principe de la contrefaçon, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts allouées, qu'ils demandent à l'a Cour de porter à la somme de 50.000 francs en réparation du droit moral de Alexandre R et à la somme de 150.000 francs en réparation du préjudice patrimonial de la société DAR,

- à titre subsidiaire, la condamnation de la société People's Rag Compagnie pour actes de concurrence déloyale et le paiement de 50.000 francs à Alexandre R et de 150.000 francs à la société DAR,

- à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour estimerait que la société DAR n'est pas recevable agir pour la défense de ses droits patrimoniaux, la condamnation de la société People's Rag Compagnie à payer à Alexandre R la somme de 200.000 francs à charge pour lui d'indemniser la société DAR,

- enfin la condamnation de la société People's Rag Compagnie au paiement de 20.000 francs au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

DECISION

Considérant qu'Alexandre R et la société DAR fondent leurs demandes sur les dispositions des Livres 5 et 1 du Code de la propriété intellectuelle, invoquant la double protection par le droit des dessins et modèles et les droits d'auteur ;

I - SUR LA PROTECTION DU MODELE :

Considérant que le modèle MSLK déposé par Alexandre R le 17 mars 1998 se caractérise comme : une doudoune s'enfilant comme un pull-over avec deux zips inclinés de chaque côté de l'encolure, des coutures en forme de trapèze dans le prolongement du col ;

Considérant, que pour reconnaître le bénéfice de la protection spécifique instaurée par le livre V du Code de la propriété intellectuelle, il convient de rechercher si le modèle en cause est nouveau, c'est à dire s'il ne peut lui être opposé d'antériorité de toute pièce et S'il possède un caractère propre résultant d'une impression globale différente des modèles divulgués antérieurement ;

Considérant que pour contester la nouveauté et la validité du modèle déposé, la société People's Rag Compagnie :

- produit d'une part, un blouson qu'elle a créé en 1997 dénommé Tech-Er, d'autre part, des articles de presse ;

- soutient que le blouson Premium, argué de contrefaçon, aurait été créé avant le dépôt du modèle MSLK ;

- prétend enfin qu'il ne peut y avoir protection d'un genre de doudounes bicolores, comportant des fermetures : à glissières purement fonctionnelles ;

Considérant, sur l'antériorité revendiquée du blouson Tech-Er, que contrairement aux dires de la société People's Rag Compagnie, les éléments caractérisant le modèle MSLK ne se retrouvent pas dans ce blouson, lequel, s'il s'enfile pareillement par la tête, ne reprend pas les caractéristiques du modèle en ce qu'il ne comporte pas deux zips inclinés mais des fermetures à glissières verticales, ne présente pas des coutures trapézoïdales de chaque côté de l'encolure et s'apparente plutôt à un coupe-vent qu'à une doudoune matelassée ;

Que par ailleurs, le blouson Tech-Er a une capuche alors que le modèle MSLK n'en comporte pas ;

Qu'ainsi, les deux modèles n'ont pas la même ressemblance d'aspect, ni dans l'assemblage des pièces, ni dans leur forme ou leurs coutures ;

Considérant, sur les articles de presse, que les revues Beaux Arts, Sportswear, Cosmopolitan, Marie C, Dépêche Mode sont parues postérieurement au dépôt du modèle par Alexandre R ;

Que si les revues Actuastyl du mois de septembre 1997, ELLE du mois de mars 1998 et URBAN également du mois de mars 1998 sont antérieures au dépôt, elles ne comportent pas la représentation du modèle opposé dans la combinaison qui est revendiquée, dès lors que les modèles de blousons publiés dans ces revues, sous la marque E.PURE, comportent un col ouvert par une seule fermeture à glissière verticale et n'ont pas l'aspect d'une doudoune ;

Considérant, sur la création du modèle PREMIUM, que les pièces versées aux débats relatives à la livraison de ce blouson, sont datées du mois d'octobre 1998 ; qu'aucun élément matériel objectif ne corrobore les attestations produites par le toiliste-modéliste et la directrice commerciale de la société People's Rag selon lesquelles ce modèle aurait été présenté dès le mois de janvier 1998, pas plus qu'il ne démontre la mise sur le marché de ce blouson avant le modèle MSLK ;

Que, dans ces conditions, aucun document versé ne constitue une antériorité de toute pièce susceptible de détruire la nouveauté du modèle déposé ;

Considérant par ailleurs, que les glissières trapézoïdales revendiquées au dépôt du modèle MSLK, ne sont nullement imposées par leur fonction ; que ce modèle a une physionomie particulière le distinguant d'autres doudounes bicolores du même genre ;

Considérant que la combinaison du modèle MSLK, dans la spécificité qui est la sienne, confère à l'ensemble un caractère propre dès lors que se dégage une impression globale qui lui permet de se démarquer d'autres blousons, cette perception différente : s'imposant à l'examen des modèles en présence ;

Que ce modèle ayant une apparence nouvelle est valable et bénéficie de la protection instaurée par le livre V du Code de la propriété intellectuelle ;

Que la demande reconventionnelle en nullité de modèle n'est pas fondée ;

Considérant, au surplus, que la combinaison revendiquée résulte d'un processus créatif qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur, que le modèle litigieux est donc également protégeable par le droit d'auteur ;

II - SUR LA CONTREFAÇON :

Considérant que le blouson PREMIUM, même s'il présente quelques différences d'empiècements et de couleurs, reprend les éléments caractéristiques du modèle MSLK, tels que ci-dessus décrits, c'est à dire les deux fermetures à glissières inclinées le long de l'encolure, ouvrant sur un empiècement trapézoïdal aux coutures prolongées, donnant ainsi aux deux créations un aspect similaire et la même impression d'ensemble ;

Que le grief de contrefaçon a été, à juste titre, retenu par le tribunal ;

III - SUR LA TITULARITE DES DROITS DE LA SOCIETE DAR :

Considérant selon l'article L 512-4 du Code de la propriété intellectuelle, que tout acte modifiant les droits attachés à un dessin ou modèle n'est opposable aux tiers que s'il a été inscrit au registre national des dessins et modèles ;

Considérant que le contrat de cession des droits d'exploitation exclusive du modèle déposé sous le numéro 981671, conclu entre Alexandre R et la société DAR le 20 mars 1998, déposé à l'INPI, le 25 novembre 1998, n'a été publié au registre national des dessins et modèles que le 6 janvier 1999, date à laquelle il est devenu opposable aux tiers ;

Que si la société DAR ne peut agir en contrefaçon sur le fondement du Livre V du Code de la Propriété intellectuelle, les faits dénoncés étant antérieurs à la publication sus visée, elle n'en demeure pas moins recevable à agir en contrefaçon sur le fondement du Livre ler du Code de la Propriété intellectuelle à raison des droits patrimoniaux d'auteur sur le modèle qu'elle exploite sous son nom et qu'Alexandre R, qui en est l'auteur, déclare lui avoir cédés ;

Que la société People's Rag soutient, dès lors, à bon droit que la société DAR n'est pas fondée à agir en contrefaçon sur le fondement des dispositions du Livre V du Code de la Propriété intellectuelle ;

Mais considérant qu'il est constant que cette société, reconnue par Alexandre R comme titulaire des droits d'exploitation de la création artistique qu'il a créée ; dans ces conditions, qu'elle est bien fondée à agir en contrefaçon en vertu des dispositions du livre 1er du Code de la propriété intellectuelle ;

IV - SUR LA REPARATION DES PREJUDICES :

Considérant que les opérations de saisie contrefaçon ont révélé que la société People's Rag Compagnie proposait à la vente quatre exemplaires du blouson PREMIUM ;

Que la mise sur le marché de ce blouson contrefaisant a eu nécessairement pour effet de dévaloriser le blouson MSLK original en le banalisant et d'inciter la clientèle à s'en détourner ;

Qu'au vu de ces éléments, le préjudice subi par Alexandre R au titre de l'atteinte porté à son droit moral sera entièrement indemnisé par l'allocation de la somme de 50.000 francs soit 7.622, 45 euros, celui éprouvé par la société DAR au titre de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux l'étant par l'octroi de la somme de 150.000 francs, soit 22.867, 35 euros ;

Considérant que la société People's Rag Compagnie qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société DAR et qu'il convient de lui accorder la somme de 20.000 francs, soit 3.048, 98 euros ;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande de la société People's Rag Compagnie sur ce même fondement ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme par substitution de motifs le jugement entrepris en ce qu'il a retenu les actes de contrefaçon commis au détriment d'Alexandre R et de la société DAR,

Le réformant sur le montant des dommages et intérêts,

Condamne la société People's Rag Compagnie à payer à Alexandre R la somme de 7.622, 45 euros (50.000 francs) au titre de l'atteinte portée à son droit moral et à la société DAR la somme de 22.867, 25 euros (150.000 francs) au titre de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société People's Rag Compagnie à payer à la société DAR la somme de 3.048, 98 euros (20.000 francs) au titre des frais irrépétibles d'appel,

La condamne aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés par l'avoué des intimés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.