CA Paris, Pôle 5 ch. 1re, 9 septembre 2009, n° 07/21674
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Hansgrohe AG (S.A), Hansgrohe (SARL)
Défendeur :
DGK productions Europe (SARL), Carrefour hypermarché France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
Mme Chokron, Mme Rosenthal-Rolland
Avocats :
SCP Fisselier - Chiloux - Boulay, SCP Fanet - Serra, SCP Duboscq - Pellerin
LA COUR,
VU l'appel formé par la S.A.R.L HANSGROHE et la société anonyme de droit allemand HANSGROHE AG du jugement du tribunal de commerce de Créteil (6ème chambre, n° RG : 2006F00046) rendu le 15 novembre 2007 ; Vu les dernières conclusions des appelantes (10 avril2009) ; Vu les dernières conclusions (27 avril 2009) de la S.A. MTK IMPORT EXPORT (ci-après : MTK) et de la S.A.R.L DGK PRODUCTIONS EUROPE (ci-après DGK), intimées ; Vu les dernières conclusions (12 mai 2009) de la S.A.S. CARREFOUR HYPERMARCHES FRANCE (ci-après: C), intimée; Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 26 mai 2009 ; SUR QUOI,
Considérant que HANSGROHE AG, titulaire d'un modèle communautaire de douchette à main déposé auprès de l'OHMI, enregistré le 10 juin 2003, publié le 25 novembre 2003 sous priorité d'un dépôt effectué en Allemagne le 12 décembre 2002 et commercialisé en France par la S. A.R.L HANGROHE SOUS la référence «Raindance», ayant constaté que C vendait, sous la référence «Lagoone», un produit reproduisant les caractéristiques de son propre modèle déposé et ayant, après vaine mise en demeure d'avoir à retirer cet article de la vente, fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux de DGK, fournisseur de C, a assigné ces deux sociétés, plus MTK, importateur du modèle en cause, sur le fondement d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ; que le tribunal, par le jugement dont appel, ayant retenu qu'un modèle de la société WATER PIK, déposé le 8 juin 2001, présentait avec le modèle déposé «Raindance» des ressemblances telles que les deux modèles produisaient, sur un observateur averti, une impression visuelle d'ensemble similaire, a, entre autres dispositions, prononcé la nullité du modèle déposé par HANSGROHE AG, débouté cette société et la S.A.R.L HANSGROHE de toutes leurs demandes et prononcé la nullité du dépôt des modèles enregistrés par MTK auprès de l'INPI le 25 février 2005 sous le n° 04 4465, le 8 octobre 2004 sous le n° 042607 et le 22 octobre 2004 sous le n° 042764 ;
1. Sur la validité du modèle « Raindance » déposé parHANSGROHE AG :
Considérant qu'il est constant que HANSGROHE AG a déposé le 10 juin 2003 auprès de l'OHMI, sous le n° 000037940 - 0001, sous priorité d'un dépôt effectué en Allemagne le 12 décembre 2002, un modèle de douchette à main caractérisé par les éléments suivants:
- pomme de douche ronde d'un rayon de 15 cm,
- de forme aplatie et chromée,
- présentant un disque mobile,
- recouvert de 82 picots dont 3 de taille plus importante au centre, surélevés,
- un manche court de 80 mm (angle de 60°) ;
Considérant qu'il ressort des dispositions des articles L.511 -1 et suivants du code de la propriété intellectuelle que, pour bénéficier de la protection conférée par ces textes, le modèle doit présenter un caractère de nouveauté, lequel est démontré par l'absence de divulgation d'un modèle identique antérieur, et un caractère propre, qui est établi lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il produit sur un observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de priorité revendiquée ;
Considérant, à cet égard, que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le modèle déposé le 8 juin 2001 sous le n° 013345 par la société WATER PlK INC détruisait la nouveauté et le caractère propre du modèle «Raindance» ;
Considérant en effet que la comparaison sur pièces à laquelle s'est livrée la cour révèle que ce modèle, de dimensions sensiblement plus importantes que celles du modèle «Raindance», est réalisé, non en métal chromé, mais en matière plastique de couleur grise, que la pomme de douche proprement dite, d'un diamètre plus grand d'au moins un tiers, présente une face extérieure dont la convexité, plus accentuée, est reliée par une arête vive à la face intérieure plane ; que la poignée, cylindrique et rectiligne, d'une longueur double du diamètre de la pomme, se compose d'une partie rigide et d'une partie annelée flexible ;
Qu'il se distingue radicalement, sur tous ces points, du modèle «Raindance», dont la pomme ne présente aucune arête vive et dont les deux faces sont convexes, dont la poignée n'est pas cylindrique mais s'élargit depuis la pomme jusqu'au pas de vis du raccord, ni rectiligne, mais incurvée, et d'une longueur représentant la moitié du diamètre de la pomme ;
Considérant ainsi que, pour être de même nature et destinés aux mêmes fonctions, ces deux modèles présentent de telles différences dans leur matière, leur volume, leur forme générale, la proportion relative des divers éléments qui les composent que, loin de produire une impression générale d'ensemble similaire aux yeux d'un observateur averti, ils se distinguent au contraire par tant d'éléments sensibles immédiatement perceptibles que le modèle «Water Pik» ne saurait être regardé comme une antériorité de toutes pièces du modèle «Raindance» ;
Considérant que les deux autres modèles invoqués par C ne constituent pas davantage des antériorités opposables à HANSGROHE ; que le modèle n° 0941783 déposé Ie28 août 1994 (pièce 2) se caractérise par la continuité des formes sans rupture entre la poignée et le pommeau, lequel ne présente pas les particularités de largeur et de forme aplatie du modèle « Raindance », et que le modèle DM/046 555 déposé le 22 janvier 1999 (pièce 3) n'offre pas plus au regard ces proportions qui distinguent le modèle «Raindance» de tous les modèles antérieurs ;
Que les sociétés MTK et DGK ne produisent aucun modèle antérieur au modèle «Raindance» susceptible de détruire la nouveauté et le caractère propre de ce dernier ;
Considérant enfin que, si le modèle « Raindance » comporte des éléments fonctionnels tels que la présence de picots élastiques en silicone empêchant notamment le dépôt de calcaire ou celle d'un taquet permettant de régler les cinq jets différents, du jet de pluie doux au massage puissant, ces caractéristiques, non protégeables au titre des dessins et modèles, ne sont pas prises en compte dans la description de l'apparence, au sens de l'article L.511-1 du code de la propriété intellectuelle , telle que précédemment examinée pour retenir la nouveauté et le caractère propre du modèle «Raindance» ; que ce modèle, qui se caractérise en particulier par ses lignes, ses contours, sa finition chromée et sa forme, justifie la protection revendiquée ; que le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du dépôt de ce modèle ;
2. Sur la contrefaçon :
Considérant qu'il est constant que DGK commercialise le modèle de douchette «Lagoone» qui lui est fourni par MTK et qu'un exemplaire de cet article, présenté dans le catalogue de C, a pu être acheté dans l'un des magasins de cette société ;
Considérant que ce modèle, réalisé en métal d'aspect chromé, comporte une pomme de douche de contour circulaire d'un diamètre de 15 cm, de forme aplatie, présentant une convexité tant sur la face externe que sur la face interne, laquelle se trouve garnie de picots dont certains sont regroupés au centre dans une disposition particulière, un taquet destiné à manoeuvrer le dispositif de réglage de la puissance des jets, n'offre aucune arête vive, est munie d'une poignée incurvée dont la dimension augmente progressivement depuis la pomme jusqu'à l'emplacement du raccord ;
Considérant que, de l'examen comparatif de ce modèle avec le modèle «Raindance», auquel la cour a procédé sur pièces, il apparaît que ces deux articles produisent, par le volume identique de la pomme, par l'aspect extérieur métallique et chromé, par les proportions relatives de la pomme et de la poignée, par le contour et la courbure des formes, une impression visuelle globale similaire aux yeux d'un observateur averti ;
Que les différences relatives au nombre de picots (67 au lieu de 82), à la taille et au positionnement des picots centraux, à la forme du taquet de réglage de la puissance des jets, de longueur de la poignée et de poids sont de détail, peu perceptibles et en tout cas insuffisantes à dissiper l'impression de similitude qui s'impose à l'observateur et qui génère un risque certain de confusion ;
Considérant qu'il en résulte que ce modèle « Lagoone » constitue une contrefaçon du modèle «Raindance» et que la demande de nullité telle que présentée par les sociétés HANSGROHE doit être accueillie ;
3.Sur les demandes de la S.A.R.L HANSGROHE au titre de laconcurrence déloyale :
Considérant que les sociétés HANSGROHE font valoir que, outre la copie servile de la forme du modèle « Raindance » constitutive de la contrefaçon précédemment examinée, les intimées ont commis des actes de concurrence déloyale en reproduisant ses caractéristiques techniques telles que les picots élastiques en silicone, la présence d'un taquet permettant de manœuvrer le dispositif de réglage de la puissance des jets et la diversité même de ces jets ;
Mais considérant que ces éléments techniques ne sont en eux-mêmes l'objet d'aucun droit de protection privatif et sont au contraire communément répandus comme caractérisant des systèmes de douche variés, ainsi que l'a montré l'examen précédent du produit de la société WATER PIK et comme le montrent les divers documents versés au débat illustrant l'état de l'offre de ce type d'appareils sur le marché ; qu'il n'y a donc aucune faute de la part de MTK d'adapter sur ses propres produits cette technologie mettant en oeuvre une pluralité de jets de puissance variable distribués par de multiples picots de silicone ;
Considérant que les appelantes exposent encore que le modèle « Lagoone » a été offert à la vente dans un conditionnement de type blister dont les couleurs ressemblent à celle de ses propres emballages ;
Mais considérant que les produits des sociétés HANGROHE sont présentés dans un coffret de carton ; que les premiers juges ont pertinemment relevé que le conditionnement des deux produits est différent et que l'utilisation des coloris vert, bleu et blanc, d'un emploi quasi systématique pour la présentation des produits destinés à l'équipement des salles de bain, n'est pas susceptible de générer un risque de confusion ;
Considérant que les sociétés HANSGROHE indiquent enfin que le modèle «Raindance» est vendu 88 euros et que la mise en vente du modèle «Lagoone» au prix nettement inférieur de 23 euros constitue un acte de concurrence déloyale dès lors que ce prix ne peut s'expliquer que par l'économie réalisée sur les frais de recherche et de rémunération des droits du créateur ;
Mais considérant que les appelantes ne s'expliquent pas sur les frais de recherche auxquels elles font allusion et que, en toute hypothèse, la différence de prix s'explique suffisamment en l'espèce, et par la différence de qualité de fabrication des produits en cause, et par la diversité des clientèles auxquelles ils s'adressent ;
Considérant que les demandes de la S.A.R.L HANSGROHE, dirigées contre MTK et DGK d'une part, contre CARREFOUR d'autre part, tendant à la réparation de son préjudice causé par des faits de concurrence déloyale seront rejetées ;
4.Sur le préjudice de la société Hansgrohe AG causé par lacontrefaçon et les mesures réparatrices :
Considérant que HANSGROHE AG réclame la condamnation in solidum des intimées à lui payer 100.000 euros de dommages-intérêts en réparation de la perte financière qu'elle subit à raison de l'atteinte portée à son modèle dont la valeur distinctive et patrimoniale se trouve diminuée ;
Mais considérant que, hormis cette affirmation de principe, l'appelante ne produit aucun élément chiffré ni aucune donnée concrète de nature à permettre à la cour de mesurer l'étendue du préjudice dont elle sollicite ainsi réparation ; qu'elle ne justifie aucunement des frais de création de son modèle ; que, tout au contraire, en se flattant du succès commercial persistant de celui-ci, malgré son ancienneté, elle accrédite l'idée d'un préjudice relativement modéré, alors surtout que la présence actuelle sur le marché d'un grand nombre de modèles de douchettes présentant de fortes similitudes, pertinemment relevée par C, explique à elle seule une banalisation et une certaine dilution de la valeur patrimoniale du modèle «Raindance» ;
Considérant toutefois que le préjudice invoqué est certain dans son principe ; que, compte tenu des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il sera réparé par une indemnité de 30.000 euros ;
Considérant, par ailleurs, qu'il y a lieu de faire droit aux demandes présentées par les sociétés HANSGROHE tendant à ce que la cour interdise, sous astreinte, MTK, à DGK et à C, d'importer et offrir à la vente le modèle de douchette contrefaisant et ordonne la destruction de celui-ci ;
Considérant, en revanche, eu égard à l'ancienneté des faits, aux conditions particulières de l'environnement commercial et aux circonstances de la cause, que la mesure de publication sollicitée par les appelantes ne se justifie pas ;
5.Sur la demande de garantie formée par C contre DGK :
Considérant que C réclame la garantie de DGK, sur le double fondement de l'article 1625 du code civil et de l'article 13.1 de l'accord commercial signé entre les parties le 30 novembre 2004, lequel dispose : «Le fournisseur s'engage à ne proposer et à ne vendre à C que des produits libres de tous droits de propriété intellectuelle appartenant à des tiers. Il garantit C contre toute action de quelque nature que ce soit ou toute demande émanant d'un tiers qui serait ou se prétendrait titulaire d'un droit quelconque sur les produits qu' il aurait proposés et vendus à C et s'engage à rembourser C notamment des dommages et intérêts, honoraires et frais engendrés par cette action» ;
Considérant que DGK ne s'oppose pas à cette demande ; qu'il y sera fait droit ;
6.Sur les demandes reconventionnelles des sociétés MTK et DGK :
Considérant qu'il résulte du sens de cet arrêt que les demandes des sociétés MTK et DGK tendant à la condamnation des sociétés HANSGROHE à leur payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial qui leur aurait été causé par l'action des appelantes ne sont pas fondées et doivent être rejetées ;
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement entrepris et STATUANT à nouveau,
CONDAMNE in solidum, la S.A MTK IMPORT EXPORT, la SARL DGK PRODUCTIONS EUROPE et la SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE à payer à la société HANSGROHE AG 30.000 euros de dommages- intérêts,
PRONONCE la nullité du dépôt des modèles enregistrés par la société MTK IMPORT EXPORT auprès de l’INPI le 25 février 2005 sous le n° 04 4465 (1-1, 1-2, 2-1, 2-2), le 8 octobre 2004 sous le n° 04 2607 (11-1, 12-1), et le 22 octobre 2004 sous le n° 04 2764 (1-1, 2-1, 4-1, 5-1) et dit que la décision sera transcrite sur les registres de l’INPI, sur simple réquisition du greffe,
INTERDIT à la SA MTK IMPORT EXPORT, à la SARL DGK PRODUCTIONS EUROPE et à la SAS CARREFOUR HYPERMACHÉS FRANCE d’importer en France, d’y offrir en vente et vendre le modèle de douchette à main contrefaisant, sous astreinte de 500 euros par article vendu, à compter de la signification de l’arrêt,
ORDONNE la destruction, sous contrôle d’huissier de justice et aux frais, in solidum, des sociétés MTK IMPORT EXPORT, DGK PRODUCTIONS EUROPE et CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE, de tous les modèles de douchettes « Lagoone » contrefaisants ainsi que de tout catalogue, journal ou brochure relatif aux dites douchettes à main, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard,
CONDAMNE la SA MTK IMPORT EXPORT à garantir la SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE des condamnations prononcées à son encontre,
DÉBOUTE les parties de toutes leurs demandes contraires à la motivation,
CONDAMNE les sociétés MTK IMPORT EXPORT, DGK PRODUCTIONS EUROPE et CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE aux dépens de première instance et d’appel et aux frais de saisie-contrefaçon et ADMET les avoués de la cause au bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE les sociétés MTK IMPORT EXPORT, DGK PRODUCTIONS EUROPE et CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE à payer à la société HANSGROHE AG 5.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.