CA Dijon, 2e ch. civ., 13 juillet 2017, n° 17/00720
DIJON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chocolaterie de Bourgogne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vautrain
Conseillers :
M. Wachter, Mme Dumurgier
FAITS ET PROCÉDURE :
Par requête en date du 10 mars 2017, la SAS CB-CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE saisit le président du tribunal de commerce de Dijon d'une demande de désignation d'un conciliateur sur le fondement des articles L 611-6 et suivants et des articles R 611-22 et suivants du code de commerce.
Elle expose qu'elle a repris, suivant du jugement du tribunal de commerce de Dijon du 13 février 2015, les actifs de la société CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE qui avait déclaré sa cessation des paiements en octobre 2014 et se trouvait en redressement judiciaire ; que, malgré une augmentation considérable du chiffre d'affaires qui lui permettait d'envisager un retour à l'équilibre, elle s'est trouvée confrontée à partir de juin 2016 à trois événements qui ont fragilisé sa situation et ont entraîné d'importantes tensions de trésorerie ; que néanmoins les perspectives de redressement demeurent, les actionnaires ayant accepté de procéder à un apport de financement significatif et à abandonner des créances, et les partenaires locaux (Caisse d'Epargne, administrations fiscales et sociales) ayant accepté de la soutenir ; que des mesures de restructuration sont également envisagées; que l'assistance d'un conciliateur lui permettrait de mener au mieux les solutions de nature à préserver au mieux son activité et les emplois qui y sont attachés.
Elle précise qu'elle a d'ores et déjà obtenu l'accord de Maître Rémy B., qu'elle ne se trouve plus en état de cessation des paiements du fait des moratoires accordés par ses principaux créanciers, et qu'elle n'a pas fait l'objet d'une procédure de conciliation dans les trois mois précédant sa requête.
Par ordonnance du 17 mars 2017, le président du tribunal de commerce de Dijon désigne Maître Rémy B. , administrateur judiciaire, en qualité de conciliateur, avec mission de :
- liminairement vérifier si la société CB-CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE est en état de cessation des paiements ; dans l'affirmative, en déterminer la date ; faire rapport spécifique dans le délai d'un mois,
- dans l'hypothèse d'un état de cessation des paiements non vérifié ou inférieur à 45 jours, assister le dirigeant de la société pour:
° rechercher toute solution permettant de sauvegarder l'activité de CB - Chocolaterie de Bourgogne,
° engager toutes discussions utiles avec les créanciers de CB - Chocolaterie de Bourgogne à l'effet d'obtenir tous moratoires et/ou abandons de créances,
° engager toutes discussions utiles avec les investisseurs pressentis afin de négocier au mieux des intérêts de CB - Chocolaterie de Bourgogne leurs conditions d'entrée dans un cadre sécurisé,
° engager toutes discussions utiles, toujours en assistance du dirigeant, avec les institutions représentatives du personnel de CB - Chocolaterie de Bourgogne à l'effet d'obtenir la signature d'un accord de compétitivité dans les meilleurs délais,
° plus généralement, mettre en oeuvre les diligences nécessaires permettant la conclusion d'accords garantissant la pérennité de l'activité de la société.
Maître Rémy B. dépose le rapport liminaire demandé le 28 avril 2017. Il conclut qu'en l'absence totale d'actif disponible, il lui apparaît que la SAS CB -CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE était en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours lors de la demande d'ouverture de la procédure de conciliation.
Par ordonnance du 4 mai 2017, le président du tribunal de commerce de Dijon, au visa du rapport de Maître B. et de l'article L 611-4 du code de commerce, constate que l'état de cessation des paiements date de plus de 45 jours et met fin en conséquence à la procédure de conciliation ouverte par ordonnance du 17 mars 2017.
La SAS CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 9 mai 2017, intimant Monsieur Rémy B. es qualité de conciliateur et Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Dijon.
Cette procédure est enrôlée sous le n° RG 17/720.
Par ordonnance du 29 mai 2017, Monsieur le premier président de la cour d'appel, saisi en référé par la SAS CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE, ordonne la suspension de l'exécution provisoire de l'ordonnance dont appel.
Par conclusions déposées le 22 mai 2017 auxquelles il est renvoyé conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour l'exposé des moyens, l'appelante demande à la cour d'appel de :
" Vu les articles L.611-4, L.611-6, L.611-8, R.611-36 et R. 611-37 du code de commerce,
Vu les articles 14 et 16 du code de procédure civile,
Vu l'article 461 du code de procédure civile,
Vu l'ordonnance du 4 mai 2017,
- Dire et juger que le Président du tribunal de commerce de DIJON n'était pas autorisé à se saisir d'office pour mettre un terme à la procédure de conciliation dont CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE était l'objet depuis le 17 mars 2017,
- Dire et juger que le Président du tribunal de commerce de DIJON a excédé ses pouvoirs en mettant un terme à la procédure de conciliation dont CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE était l'objet depuis le 17 mars 2017,
- Dire et juger que le Président du tribunal de commerce de Dijon a méconnu le principe du contradictoire en ne convoquant, ni n'entendant CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE avant de mettre un terme à ma procédure de conciliation dont CB était l'objet depuis le 17 mars 2017,
- Annuler en conséquence l'ordonnance du Président du tribunal de commerce de DIJON du 4 mai 2017 ayant mis un terme à la procédure de conciliation ouverte au bénéfice de la société CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE,
- Laisser les dépens à la charge du Trésor public.".
Par conclusions déposées le 29 juin 2017, Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Dijon demande à la cour de prononcer l'annulation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Dijon en date du 4 mai 2017.
Monsieur Rémy B. es qualité de conciliateur n'ayant pas constitué avocat, la SAS CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE lui signifie sa déclaration d'appel, le calendrier de procédure ainsi que ses conclusions par acte d'huissier du 7 juin 2017.
Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dijon fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 9 mai 2017, les intimés étant Maître Rémy B. et la SAS CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE .
Cette procédure est enrôlée sous le numéro de RG 17/728.
Par conclusions déposées le 17 mai 2017, Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dijon, représenté par Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Dijon, demande à la cour de prononcer l'annulation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Dijon en date du 4 mai 2017.
Par conclusions déposées le 2 juin 2017 auxquelles il est renvoyé conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour l'exposé des moyens , la SAS CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE demande à la cour de:
" Vu les articles L.611-4, L.611-6, L.611-8, R.611-36 et R. 611-37 du code de commerce,
Vu les articles 14 et 16 du code de procédure civile,
Vu l'article 461 du code de procédure civile,
Vu l'ordonnance du 4 mai 2017,
- Dire et juger que le Président du tribunal de commerce de DIJON n'était pas autorisé à se saisir d'office pour mettre un terme à la procédure de conciliation dont CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE était l'objet depuis le 17 mars 2017,
- Dire et juger que le Président du tribunal de commerce de DIJON a excédé ses pouvoirs en mettant un terme à la procédure de conciliation dont CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE était l'objet depuis le 17 mars 2017,
- Dire et juger que le Président du tribunal de commerce de Dijon a méconnu le principe du contradictoire en ne convoquant, ni n'entendant CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE avant de mettre un terme à ma procédure de conciliation dont CB était l'objet depuis le 17 mars 2017,
- Annuler en conséquence l'ordonnance du Président du tribunal de commerce de DIJON du 4 mai 2017 ayant mis un terme à la procédure de conciliation ouverte au bénéfice de la société CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE,
- Laisser les dépens à la charge du Trésor public.".
Monsieur Rémy B. n'ayant pas constitué avocat, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dijon lui signifie sa déclaration d'appel par acte d'huissier du 28 juin 2017.
Par ordonnance du 13 juin 2017, le premier président de la cour d'appel de Dijon désigne le tribunal de commerce de Chalon sur Saône pour connaître de la suite de la procédure de conciliation engagée par la société CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE.
Par jugement du 21 juin 2017, le tribunal de commerce de Chalon sur Saône lève la clause d'inaliénabilité concernant les lignes de production apportées en fiducie sûreté et celle vendue à la société SCHOKINAG contenue dans le jugement de cession du 13 février 2015.
Par jugement du 23 juin 2017, le tribunal de commerce de Chalon sur Saône, saisi par requête en date du 14 juin 2017 de la SAS CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE, homologue l'accord conclu entre les parties en la présence de Maître B. et met fin à la procédure de conciliation et à la mission du conciliateur.
Par courrier du 4 juillet 2017, Maître B. rappelle qu'il a été mis fin à sa mission et indique qu'il s'en rapporte à sagesse de justice.
MOTIVATION :
L'appel formé par la SAS CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE d'une part et par Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dijon d'autre part concernent tous les deux l'ordonnance prononcée le 4 mai 2017 par le président du tribunal de commerce de Dijon.
Il y a lieu en conséquence, pour une bonne administration de la Justice, d'ordonner la jonction des deux procédures.
L'article R. 611-38 du code de commerce stipule que la décision mettant fin à la procédure de conciliation organisée en application des articles L. 611-6 et suivants du même code n'est pas susceptible de recours. Il s'en déduit que seul un appel-nullité est recevable. Tel est le cas en l'espèce, les appels formés visant tous deux à l'annulation de l'ordonnance du 4 mai 2017. Ils sont en conséquence recevables.
Aux termes de l'article L. 611-4 du code de commerce, il est institué, devant le tribunal de commerce, une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou possible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours.
L'article L. 611-6 du même code précise que le président du tribunal est saisi par une requête du débiteur exposant sa situation économique, financière, sociale et patrimoniale, ses besoins de financement ainsi que, le cas échéant, les moyens d'y faire face ; que le débiteur peut proposer le nom d'un conciliateur ; que la procédure de conciliation est ouverte par le président du tribunal qui désigne un conciliateur pour une période n'excédant pas quatre mois susceptible de prorogation.
L'article R. 611-22 liste les pièces justificatives qui doivent être jointes à la requête.
Il ressort de ces dispositions légales et réglementaires que, saisi d'une demande de désignation d'un conciliateur, il appartient au président du tribunal de commerce de vérifier si les conditions légales sont remplies, et notamment si le requérant n'est pas en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours lors du dépôt de sa requête, au besoin en demandant avant-dire-droit à ce requérant des éléments complémentaires ; que les textes ne lui laissent que la possibilité soit de rejeter la requête, cette décision étant susceptible d'appel (article R. 611-26 du code de commerce), soit d'y faire droit en désignant le conciliateur en définissant sa mission (article R. 611-23 du même code), cette décision étant susceptible d'appel par le procureur de la République (article R. 611-26-1).
Il apparaît en conséquence que c'est en méconnaissance de ces dispositions que le président du tribunal de commerce de Dijon, dans son ordonnance du 17 mars 2017, a désigné Maître B. en qualité de conciliateur au visa des articles L. 611-6 et suivants du code de commerce tout en lui donnant liminairement la mission de vérifier la date de cessation des paiements et de la dater, et a conditionné la mission confiée à ce conciliateur aux hypothèses d'un état de cessation des paiements non vérifié ou inférieur à 45 jours.
Par ailleurs, il ressort du dossier que le président du tribunal de commerce de Dijon, à réception du rapport liminaire de Maître B. en date du 28 avril 2017, lequel ne portait que sur la détermination de la date de cessation des paiements, a prononcé l'ordonnance dont appel en se saisissant d'office et sans procéder à un débat contradictoire alors même que l'article R. 611-23 du code de commerce confirme que la procédure prévue par les articles L. 611- 6 et suivants est contradictoire ; qu'il a ainsi contrevenu aux dispositions des articles 4 et 16 du code de procédure civile applicables.
Par ailleurs, ainsi que le relèvent à juste titre les appelants, au termes des dispositions légales, la procédure de conciliation ne prend fin que par la constatation ou l'homologation d'un protocole d'accord intervenu dans les conditions prévues à l'article L. 611-8, ou par l'arrivée à son terme du délai fixé dans l'ordonnance, ou, à la demande du débiteur (article R. 611-37) ou du conciliateur (articles L. 611-7 et R. 611-36).
Aucune disposition légale ne prévoit la possibilité pour le président du tribunal de commerce de se saisir d'office aux fins de mettre fin par anticipation à la procédure de conciliation. Or, l'article 1er du code de procédure civile dispose que "seules les parties introduisent l'instance hors les cas où la loi en dispose autrement". C'est donc en méconnaissance de ces dispositions que le président du tribunal de commerce de Dijon s'est saisi d'office de cette procédure.
Enfin, il ressort de la lecture des dispositions des articles L. 611-6 et suivants et R. 611-22 et suivants du code de commerce que, dès lors qu'il a fait droit à la demande de désignation d'un conciliateur, le président du tribunal de commerce ne dispose que de la possibilité de procéder à des investigations complémentaires et indépendantes de la mission confiée au conciliateur (articles L. 611-4 et R. 611-24) et de statuer sur les requêtes qui lui sont présentées en application des articles L. 611-8, L. 611-6, R. 611-36 et R. 611-37.
En mettant un terme à la procédure de conciliation en dehors des conditions légales sus-rappelées, le président du tribunal de commerce de Dijon a méconnu les limites de ses attributions et commis en conséquence un excès de pouvoir.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que l'ordonnance dont appel ne peut qu'être annulée.
PAR CES MOTIFS
Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les n° de RG 17/720 et 17/728,
Déclare recevables les appels - nullité formés par la SAS CB - CHOCOLATERIE DE BOURGOGNE et par Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dijon,
Annule l'ordonnance rendue le 4 mai 2017 par le président du tribunal de commerce de Dijon par laquelle il a mis fin à la procédure de conciliation et à la mission confiée à Maître Rémy B. par ordonnance du 17 mars 2017,
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.