CA Rennes, 3e ch. com., 1 décembre 2015, n° 14/01667
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pôle emploi
Défendeur :
C3 Consultants Groupe Ile-de-France Centre (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poumarède
Conseillers :
Mme André, Mme Gueroult
EXPOSÉ DU LITIGE
Les sociétés C3 Consultants Groupe Sud Ouest, C3 Consultants Groupe Est et C3 Consultants Groupe Ile de France-Centre (ci-après désignées sociétés Groupe C3) sont titulaires, en qualité de mandataires de groupements momentanés d'opérateurs économiques, de 170 marchés de prestations aux demandeurs d'emploi et interviennent également en qualité de cotraitants. Elles constituent à ce titre des prestataires importants de Pôle Emploi puisqu'elles assurent une part prépondérante des accompagnements des demandeurs d'emploi et ont réalisé pour cette institution un chiffre d'affaires de l'ordre de 25.000.000 euros en 2013. Le 5 septembre 2013, les sociétés Groupe C3 ont obtenu l'ouverture d'une procédure de conciliation, Me Erwan M. étant désigné en qualité de conciliateur et Pôle Emploi appelé à la conciliation.
Dans ce cadre, par un protocole signé le 3 février 2014, Pôle Emploi a consenti aux sociétés Groupe C3 une avance de 3.500.000 euros sous condition de l'homologation du protocole de conciliation conformément aux articles L. 611-8 II et suivants du code de commerce.
Par requête du 4 février 2014, les sociétés Groupe C3 ont sollicité du tribunal de commerce de Nantes l'homologation du protocole d'accord signé avec Pôle Emploi conformément aux dispositions de l'article L. 611-8 Il du code de commerce. Le 5 février 2014, le tribunal de commerce de Nantes a fait droit à la requête qui lui était présentée et homologué le protocole d'accord sans toutefois préciser que l'apport de trésorerie consenti par Pôle Emploi bénéficiait du privilège légal de l'article L. 611-11 du code de commerce.
Pôle Emploi a en conséquence relevé un appel limité de ce jugement, demandant à la cour :
Vu les articles L. 611-8, L. 611-11, R. 611-40 et R. 611-41 du code de commerce
Vu le protocole de conciliation du 4 février 2014
Vu le jugement d'homologation du tribunal de commerce de Nantes du 17 février 2014
- Déclarer l'appel formé par Pôle emploi recevable
- Constater que le jugement du tribunal de commerce de Nantes en date du 15 février 2014 ne fait pas mention du privilège légal dont bénéficie Pôle Emploi au titre de son apport de trésorerie consenti aux sociétés du GROUPE C3 CONSULTANTS afin d'assurer la poursuite de leur activités et leur pérennité, dans le cadre des procédures de conciliation
- Dire et juger qu'il convient de compléter le dispositif du jugement du tribunal de commerce de Nantes du 17 février 2014 comme suit :«Dit que Pôle Emploi bénéficie du privilège légal de conciliation prévu à l'article L. 611-11 du code de commerce au titre des apports de trésorerie consentis aux Sociétés du Groupe C3 Consultants dans le cadre de leurs procédures de conciliation :
o au titre de l'avance consentie à C3 CONSULTANTS ILE DE FRANCE CENTRE à concurrence de 1.000.000 €
o au titre de l 'avance consentie à C3 CONSULTANTS EST à concurrence de 1.700.000 €
o au titre de l 'avance consentie à C3 CONSULTANTS SUD OUEST à concurrence de 800.000 €. »
- Dire que cette mention sera portée en marge du dispositif du jugement du tribunal de commerce de Nantes du 17 février 2014
- Dire que l'arrêt à intervenir sera notifié dans les conditions de l°article R. 611-41 du code de commerce
- Dire qu'un avis de l'arrêt à intervenir sera adressé pour insertion au Bulletin des annonces civiles et commerciales et comportera les seules mentions de l'article R. 611-43 du code de commerce
- Statuer ce que de droit sur les dépens de la présente procédure d'appel qui seront recouvrés par la SELARL B., T., P., avocats associés, selon l'article 699 du code de procédure civile.'
La SELARL A., représentée par Me Erwan M., ès qualités de conciliateur des sociétés du Groupe C3 Consultants, demande à la cour, vu les articles L.611-4 et suivants du code de commerce, de lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à la décision de la cour concernant l'éligibilité au privilège de conciliation prévu par l'article L.61l-11 du code de commerce des avances consenties par Pôle Emploi aux sociétés du Groupe C3 Consultants aux termes de l'accord conclu le 3 février 2014.
La SCP T.-P.-M.-El B., intimés en qualité d'administrateur judiciaire des redressements judiciaires des sociétés SAS C3 Consultants Groupe Est, SAS C3 Consultants Groupe Sud Ouest et SAS C3 Consultants Groupe Ile de France Centre et la SCP Philippe D., ès qualités de mandataire judiciaire des redressements judiciaires des sociétés SAS C3 Consultants Groupe Est, SAS C3 Consultants Groupe Sud Ouest et SAS C3 Consultants Groupe Ile de France Centre, désignées par jugement du tribunal de commerce de Nantes en date du 9 juillet 2014, ont été assignées en intervention forcée et ont constitué avocat le 22 septembre 2014 mais n'ont pas conclu.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour l'Institution Pôle Emploi le 31 mars 2014 et pour la Selarl A. le 13 juin 2014.
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'article L.611-8 du code de commerce énonce que :
'I. - Le président du tribunal, sur la requête conjointe des parties, constate leur accord et donne à celui-ci force exécutoire. Il statue au vu d'une déclaration certifiée du débiteur attestant qu'il ne se trouvait pas en cessation des paiements lors de la conclusion de l'accord, ou que ce dernier y met fin. La décision constatant l'accord n'est pas soumise à publication et n'est pas susceptible de recours. Elle met fin à la procédure de conciliation.
II. - Toutefois, à la demande du débiteur, le tribunal homologue l'accord obtenu si les conditions suivantes sont réunies :
1° Le débiteur n'est pas en cessation des paiements ou l'accord conclu y met fin ;
2° Les termes de l'accord sont de nature à assurer la pérennité de l'activité de l'entreprise ;
3° L'accord ne porte pas atteinte aux intérêts des créanciers non signataires.'
L'article L.611-11 du code de commerce précise qu'en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, les personnes qui avaient consenti, dans l'accord homologué mentionné au II de l'article L. 611-8, un nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d'assurer la poursuite d'activité de l'entreprise et sa pérennité, sont payées, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes les autres créances, selon le rang prévu au II de l'article L.622-17 et au II de l'article L. 641-13.
Aux termes d'un protocole d'accord signé le 3 février 2014, Pôle Emploi a accepté de consentir aux sociétés du Groupe C3 Consultants une avance exceptionnelle de trésorerie d'un montant de 3.500.000 € au titre des marchés en cours. Cet accord prévoit que l'avance ainsi consentie est subordonnée à la condition suspensive tenant à son homologation par le tribunal de commerce de Nantes dans les conditions prévues aux articles L.611-8 et suivants du code de commerce.
L'unique intérêt pour Pôle Emploi d'exiger l'insertion de cette condition suspensive d'homologation était de lui permettre de bénéficier du privilège légal édicté par l'article L.611-11 sus-rappelé qui lui profite de plein droit dès lors qu'il en réunit les conditions, ce qui n'est ni discuté, ni discutable. En effet, cet apport en trésorerie était postérieur à l'ouverture de la conciliation et expressément destiné à assurer la poursuite d'activité de l'entreprise et sa pérennité.
Ainsi, la requête en homologation déposée par les sociétés Groupe C3 rappelle qu'aux termes du protocole établi à Paris le 2 février 2014, les parties sont convenues d'une avance sur marchés pour la somme de 3 500 000 euros, versée en une seule fois, après homologation de l'accord de conciliation, lequel est intitulé 'Accord régissant une avance exceptionnelle de trésorerie par Pôle Emploi à C3 Consultants dans le cadre d'une procédure de conciliation'. Cette requête précise que du fait de l'homologation de cet accord, les trois sociétés concernées ne se trouveraient plus en état de cessation des paiements et disposeraient à l'avenir d'une trésorerie suffisante pour poursuivre leur activité. La rédaction tant de l'accord que de la requête en homologation témoignent dès lors de la conscience des parties de l'existence de ce privilège et de leur volonté de ne pas l'écarter.
Cependant l'article R.611-40 alinéa 2 du code de commerce qui édicte que le jugement ne reprend pas les termes de l'accord mais mentionne les garanties et privilèges constitués pour en assurer l'exécution en précisant les montants garantis par le privilège institué par l'article L.611-11, n'a pas été respecté sur ce dernier point.
Le jugement critiqué se borne en effet à reprendre la requête déposée par les sociétés débitrices qui n'évoque pas le dit privilège sans que cette omission puisse être imputée à une démarche délibérée de leur part. Il sera d'ailleurs relevé qu'elles ne s'opposent pas à la demande présentée devant la cour par l'appelante.
De même le conciliateur ne soutient pas qu'une renonciation au privilège légal instauré de plein droit au profit du créancier apporteur d'argent frais avait été portée par les parties à sa connaissance.
L'appel formé par Pôle Emploi aux fins de statuer sur ce privilège étant recevable en application de l'article L.611-10 alinéa 2 du code de commerce, il y a lieu d'accueillir la demande.
L'appel formé par Pôle Emploi dans son seul intérêt n'a été nécessaire qu'en raison de son omission de vérifier les termes de la requête soumise à l'homologation du tribunal et de se présenter devant celui-ci pour s'assurer du respect de ses droits de sorte que les dépens de la procédure seront mis à sa charge.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit que le dispositif du jugement rendu le 15 février 2014 par le tribunal de commerce de Nantes sera complété par la disposition suivante :
'Dit que Pôle Emploi bénéficie du privilège légal de conciliation prévu à l'article L.611-11 du code de commerce au titre des apports de trésorerie consentis aux sociétés du Groupe C3 Consultants dans le cadre de leurs procédures de conciliation :
au titre de l'avance consentie à C3 Consultants Ile de France à concurrence de 1 000 000 euros ;
au titre de l'avance consentie à C3 Consultants Est à concurrence de 1 700 000 euros ;
au titre de l'avance consentie à C3 Consultants Sud Ouest à concurrence de 800 000 euros.'
Ordonne en conséquence l'apposition de la mention sus-reproduite en marge du dispositif du dit jugement ;
Confirme pour le surplus les dispositions du jugement rendu le 17 février 2014 par le tribunal de commerce de Nantes homologuant l'accord intervenu entre les parties ;
Dit que le jugement ainsi complété auquel sera joint le présent arrêt sera notifié par le greffier du tribunal de commerce de Nantes aux débiteurs et aux créanciers signataires de l'accord et communiqué à la Selarl A. et au ministère public ;
Dit qu'un avis du présent arrêt sera adressé par le greffier du tribunal de commerce de Nantes pour insertion au BODACC conformément à l'article R.611-43 du code de commerce ;
Condamne Pôle Emploi aux dépens de la procédure d'appel.