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Décisions

Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-14.355

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Favre

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

Me Cossa, Me Garaud

Orléans, ch. com., du 19 févr. 1998

19 février 1998

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 19 février 1998), que la société Altus qui avait souscrit, le 28 novembre 1991 avec la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Indre et Loire aux droits de laquelle vient la Caisse régionale de Crédit agricole de la Touraine et du Poitou (le Crédit agricole) une convention relative à la cession de ses créances professionnelles selon les modalités prévues par la loi du 2 janvier 1981, a cédé à celui-ci, par acte du 30 décembre 1993, une créance de 19 124 846 francs sur la SCI Elma (la SCI) ; que cette dernière a accusé réception, le 3 janvier 1994, de la notification de cette cession qui lui avait été adressée le 30 décembre et a signé l'acte d'acceptation le 5 janvier 1994 ; que le Crédit agricole a poursuivi en paiement la SCI alors que la société Altus avait fait l'objet d'un redressement judiciaire prononcé le 18 août 1994 avec une date de cessation des paiements fixée au 30 avril 1993 ; que la SCI a contesté la somme qui lui était réclamée, motif pris de l'inexécution des prestations facturées, et a invoqué la responsabilité du Crédit agricole pour soutien abusif ;

Sur le premier moyen pris en ses quatre branches :

Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer au Crédit agricole la somme de 2 078 000,82 francs, alors, selon le moyen :

1°) que l'acte en date du 5 janvier 1994 intitulé acte d'acceptation de la cession d'une créance professionnelle indique se rapporter à une créance détenue par la société Altus à l'encontre du Crédit agricole d'Indre et Loire et dont la date d'échéance n'est pas précisée ; qu'en l'état de ces énonciations tout à la fois erronées, générales et incomplètes, ne permettant pas l'identification précise de la créance cédée, l'acte susvisé ne pouvait valoir acceptation, au sens de l'article 6 de la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981, de la cession au profit de la caisse de Crédit agricole de la créance d'un montant de 2 948 665,11 francs soit-disant détenue par la société Altus à l'encontre de la SCI Elma ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;

2°) qu'en toute hypothèse, le débiteur cédé qui accepte dans les termes de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981 la cession d'une créance professionnelle globale correspondant à des prestations non encore réalisées par le cédant et dont le paiement sera échelonné conditionne implicitement mais nécessairement son engagement de payer directement le cessionnaire à l'exécution par le cédant de ses obligations contractuelles et ne perd donc pas le droit d'opposer à la demande en paiement formée par ledit cessionnaire, à la date d'exigibilité de la créance cédée, l'exception résultant de la défaillance du cédant ; qu'en l'espèce, il résultait des propres constatations de l'arrêt attaqué, selon lesquelles les deux factures, en date du 21 décembre 1993, représentant une fraction de la créance cédée à la caisse de Crédit agricole par un bordereau en date du 30 décembre 1993 avaient été émises par la société Altus à partir d'un simple ordre de service de la SCI Elma en date du 21 décembre 1993 et correspondaient à des frais d'études et de travaux préparatoires pour la période allant jusqu'au 30 mars 1994, que la société cédante avait facturé à l'exposante des prestations en cours de réalisation et avait cédé la créance correspondante antérieurement à sa date d'exigibilité, l'arrêt attaqué ayant relevé sur ce point que la société Altus et la SCI Elma étaient convenues de la "mise en Dailly" de ladite créance, ce qui excluait tout paiement comptant par la SCI Elma ;

que, dès lors, en déniant à celle-ci, dont elle a constaté qu'elle avait accepté la cession par un acte en date du 5 janvier 1994, soit antérieurement à la date d'exigibilité de la créance cédée, le droit d'opposer à la caisse de Crédit agricole, demanderesse en paiement de ladite créance en sa qualité de cessionnaire, l'inexécution par la société Altus des prestations visées dans les deux factures susvisées, la cour d'appel a violé l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981, ensemble les articles 1102 et 1134 du Code civil ;

3°) que la partie au contrat qui se prévaut, par voie d'exception, de l'inexécution par l'autre partie des obligations lui incombant n'est tenue de prouver cette inexécution que pour autant que celle-ci n'a été que partielle, hypothèse dans laquelle il est matériellement possible de comparer ce que le cocontractant défaillant a réellement exécuté avec ce qu'il avait promis ; qu'en revanche, dans l'hypothèse où une partie reproche à son cocontractant l'inexécution de la totalité de ses obligations, il incombe au débiteur dont la défaillance est alléguée de rapporter la preuve d'un fait négatif ; que, dès lors, en reprochant à la SCI Elma, qui avait fait valoir en cause d'appel que les factures en date du 21 décembre 1993 "ne correspondaient à aucune réalité", de ne pas avoir rapporté la preuve que les divers "frais préalables et préparatoires" dont la société Altus lui avait demandé paiement n'avaient en réalité pas été engagés, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, violant ainsi l'article 1315 du Code civil ;

4°) qu'en considérant qu'il résultait "des documents qu'elle a signés" que la SCI Elma se reconnaissait débitrice de la société Altus au titre de la créance litigieuse bien que tous les documents cités par l'arrêt attaqué aient été signés par la SCI Elma antérieurement à la date du 30 mars 1994, avant laquelle il ne lui était pas possible d'apprécier la réalité de l'engagement par la société Altus des divers "frais" que celle-ci lui avait facturés le 21 décembre 1993, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de tout fondement légal au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions produites par le Crédit agricole, soutenues par la SCI en instance d'appel qu'elle ait alors contesté la régularité formelle de son acte d'acceptation ; que le grief visé par la première branche est, dès lors, nouveau et mélangé de fait et de droit ;

Attendu, d'autre part, que l'arrêt relève que l'acceptation, donnée le 5 janvier 1994, contenait l'engagement "de régler le montant intégral de la créance à son échéance sans pouvoir élever aucune exception fondée sur les rapports personnels avec l'entreprise cédante" ;

qu'ayant ainsi déduit de cette constatation que l'acte litigieux d'acceptation n'avait pas été souscrit par la SCI sous la réserve de l'exécution des travaux qu'elle avait commandés, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants relatifs à l'exécution des prestations facturées, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la SCI reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer au Crédit agricole la somme de 2 078 000, 82 francs, alors, selon le moyen :

1°) que l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981 dispose notamment que le débiteur qui a accepté la cession de la créance détenue à son encontre par le cédant "ne peut opposer à l'établissement de crédit cessionnaire les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau, à moins que l'établissement de crédit, en acquérant ou en recevant la créance, n'ait agi sciemment au détriment du débiteur" ; qu'en application des dispositions des articles 1er et 1er-1 de la même loi, le cessionnaire acquiert ou reçoit la créance cédée par la "seule remise" du bordereau de cession, lequel lui en transfère la propriété ; que, dès lors, en décidant que la connaissance des difficultés financières de la société Altus devait être appréciée à la date de la convention-cadre de cession de créances professionnelles conclue par ces deux parties en date du 28 novembre 1991, et non à celle figurant sur le bordereau de cession de la créance litigieuse, soit le 30 décembre 1993, la cour d'appel a violé les articles 1er, 1er-1 et 6 de la loi du 2 janvier 1981 ;

2°) que, du même coup, en ne s'expliquant pas sur la circonstance que le jugement en date du 18 août 1994 ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Altus avait fixé rétroactivement la date de cessation des paiements au 30 avril 1993, soit à une date antérieure à celle du 30 décembre 1993 figurant sur le bordereau de cession de la créance litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de tout fondement légal au regard de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981 ;

Mais attendu que si, pour l'application de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985, devenu l'article L. 621-108 du Code de commerce, lorsque les organes de la procédure collective prétendent à l'annulation de cessions de créance, il convient de vérifier si celles-ci ne sont pas intervenues en exécution d'une convention-cadre conclue avant la période suspecte, il n'en est pas de même pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 313-29 du Code monétaire et financier, issu de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981, lorsque le débiteur ayant accepté la cession de créance prétend, eu égard à la mauvaise foi du cessionnaire à son égard au moment de l'acquisition de la créance, invoquer contre lui les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le cédant, la mauvaise foi devant dans un tel cas s'apprécier, indépendamment de toute référence à la convention-cadre, à la date de la cession ;

Attendu cependant qu'il résulte des motifs de l'arrêt que la preuve n'est pas rapportée que la banque a eu connaissance, au moment de la cession litigieuse, de la situation irrémédiablement compromise de la société Altus, le courrier du 26 juin 1994, cité à cet égard par elles, dans lequel le Crédit agricole conditionnait la mise en place d'une avance de crédit en contrepartie d'une cession de créance, n'étant pas révélateur de l'existence d'une telle situation ; que, dès lors, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants visés au moyen, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.