Livv
Décisions

Cass. com., 7 novembre 2018, n° 17-20.601

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Toulouse, du 27 avr. 2017

27 avril 2017

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que le GFA fait grief à l'arrêt de constater la confusion des patrimoines entre M. Y... et lui-même, en conséquence, après avoir également constaté la confusion des patrimoines entre l'Earl et lui-même, de prononcer l'extension de la liquidation judiciaire de M. Y... et de l'Earl à son égard et de préciser que la société E..., en sa qualité de liquidateur de l'Earl, et les organes de cette procédure collective seraient chargés de liquider l'ensemble alors, selon le moyen :

1°) que la confusion des patrimoines de nature à justifier l'extension d'une procédure collective de liquidation judiciaire suppose soit la preuve d'une imbrication des comptes, soit celle de relations financières anormales ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré, par motifs propres et adoptés, qu'il existait des relations financières anormales entre M. F... Y... et le GFA dans la mesure où le GFA s'était abstenu de réclamer le paiement du fermage qui constituait sa principale ressource pendant huit années consécutives, et que cette « abstention sur une période aussi longue procéd[ait] d'une volonté réitérée et systématique lui permettant de bénéficier d'une trésorerie indue », le GFA ayant « fait bénéficier M. F... Y... , sans aucune contrepartie effective, de la jouissance de son seul actif et dans le seul dessein de retarder la cessation des paiements de M. F... Y... » ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la seule constatation du défaut de paiement des loyers et de l'abstention du GFA de poursuivre le recouvrement de sa créance était impropre à caractériser l'existence de relations financières anormales entre M. F... Y... et le GFA, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si le GFA n'avait exercé aucune action en paiement de ses loyers en raison d'une contrainte morale d'ordre familial exercé par l'Earl et M. F... Y... , la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-5 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°) que la confusion des patrimoines de nature à justifier l'extension d'une procédure collective de liquidation judiciaire suppose soit la preuve d'une imbrication des comptes, soit celle de relations financières anormales ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré, par motifs propres et adoptés, qu'il existait des relations financières anormales entre M. F... Y... et le GFA dans la mesure où le GFA s'était abstenu de réclamer le paiement du fermage qui constituait sa principale ressource pendant huit années consécutives, et que cette « abstention sur une période aussi longue procéd[ait] d'une volonté réitérée et systématique lui permettant de bénéficier d'une trésorerie indue », le GFA ayant « fait bénéficier M. F... Y... , sans aucune contrepartie effective, de la jouissance de son seul actif et dans le seul dessein de retarder la cessation des paiements de M. F... Y... » ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la seule constatation du défaut de paiement des loyers et de l'abstention du GFA de poursuivre le recouvrement de sa créance était impropre à caractériser l'existence de relations financières anormales entre M. F... Y... et le GFA, et sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il convenait de tenir compte, pour apprécier l'existence de relations financières anormales, de l'absence de vocation du GFA à devenir propriétaire des embellissements réalisés en fin de bail, ce qui avait conduit à une assignation devant le tribunal paritaire des baux ruraux, dont la cour d'appel a relevé qu'elle avait donné lieu à une condamnation du GFA supérieure au montant des loyers dont M. F... Y... était redevable, de sorte que l'absence de perception des loyers pouvait être justifiée par le montant des investissements réalisés par le preneur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-5 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause ;

Mais attendu qu'ayant constaté que M. Y... était locataire du GFA depuis le 1er avril 1993, l'arrêt relève, d'abord, qu'un jugement du 29 novembre 2012, confirmé par un arrêt du 16 janvier 2014, a condamné le GFA à payer à la liquidation judiciaire de M. Y... les sommes de "54.26,58" et 111 866,48 euros au titre d'améliorations apportées au bâtiment et aux plantations ; que l'arrêt relève, ensuite, que, bien que M. Y... se soit abstenu de payer le moindre loyer depuis 1998, le GFA, bailleur, n'en a jamais réclamé paiement, et n'a délivré ni mise en demeure ni commandement de payer afin de recouvrer sa créance de loyers ou d'obtenir la résiliation du bail, cependant que le fermage constituait sa principale ressource ; que l'arrêt constate encore que le bailleur a persisté dans cette carence pendant huit années consécutives, laissant s'accroître une dette de loyers qui atteignait, en 2006, la somme de 109 326 euros ; que l'arrêt retient que l'abstention, sur une période aussi longue, procède d'une volonté réitérée et systématique permettant au locataire de bénéficier d'une trésorerie indue et que le GFA a ainsi fait bénéficier M. Y..., sans contrepartie, de la jouissance de son seul actif, à seule fin de retarder la cessation des paiements de M. Y... ; que par ces constatations et appréciations, desquelles il résulte l'existence, entre M. Y... et le GFA, de relations incompatibles avec des obligations contractuelles réciproques normales, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder aux recherches non demandées invoquées par les première et deuxième branches, a caractérisé, entre ces deux entités, l'existence de relations financières anormales constitutives d'une confusion des patrimoines, et ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en première, deuxième et troisième branches :

Attendu que le GFA fait grief à l'arrêt de constater la confusion des patrimoines entre l'Earl et lui-même, en conséquence, après avoir également constaté la confusion des patrimoines entre M. Y... et lui-même, de prononcer l'extension de la liquidation judiciaire ouverte au nom de M. Y... et de l'Earl à son égard, et de préciser que la société E..., en sa qualité de liquidateur de l'Earl, et les organes de cette procédure collective seraient chargés de liquider l'ensemble alors, selon le moyen :

1°) que la confusion des patrimoines de nature à justifier l'extension d'une procédure collective de liquidation judiciaire suppose soit la preuve d'une imbrication des comptes, soit celle de relations financières anormales ; que de telles relations doivent exister entre la personne à l'encontre de laquelle une liquidation judiciaire a été ouverte et celle visée par la demande d'extension ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il existait des relations financières anormales entre le GFA et l'Earl dès lors que l'Earl, à laquelle M. F... Y... avait mis à disposition les terres qu'il louait au GFA, était tenue indéfiniment et solidairement avec le preneur de l'exécution des clauses du bail conformément à l'article L. 411-37 du code rural, de sorte que le GFA disposait de liens avec l'Earl ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence de relations financières entre le GFA et l'Earl, laquelle était seulement tenue, solidairement avec M. F... Y... , du paiement des loyers, sans être titulaire du bail, comme le rappelait le GFA dans ses écritures, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-5 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°) que la confusion des patrimoines de nature à justifier l'extension d'une procédure collective de liquidation judiciaire suppose soit la preuve d'une imbrication des comptes, soit celle de relations financières anormales ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il existait des relations financières anormales entre l'Earl et le GFA dans la mesure où le GFA s'était abstenu de lui réclamer le paiement du fermage qui constituait sa principale, tandis qu'il disposait d'un « droit direct d'obtenir le paiement des loyers auprès d'elle », en application de l'article L. 411-37 du code rural, « se privant ainsi de sa principale ressource et persistant dans cette carence pendant plus de sept années consécutives puisque la liquidation judiciaire de cette exploitante a été prononcée en décembre 2005 », ce qui traduisait une « volonté systématique de masquer l'endettement de cette société, de favoriser la poursuite d'une activité déficitaire » ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la seule constatation du défaut de paiement des loyers et de l'abstention du GFA de poursuivre le recouvrement de sa créance auprès de l'Earl, simple codébiteur solidaire, même ayant permis la poursuite d'une activité déficitaire, était impropre à caractériser l'existence de relations financières anormales entre l'Earl et le GFA, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si le GFA n'avait exercé aucune action en paiement de ses loyers en raison d'une contrainte morale d'ordre familial exercé par l'Earl et M. F... Y... , la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-5 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause ;

3°/ que la confusion des patrimoines de nature à justifier l'extension d'une procédure collective de liquidation judiciaire suppose soit la preuve d'une imbrication des comptes, soit celle de relations financières anormales ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il existait des relations financières anormales entre l'Earl et le GFA dans la mesure où le GFA s'était abstenu de lui réclamer le paiement du fermage qui constituait sa principale, tandis qu'il disposait d'un « droit direct d'obtenir le paiement des loyers auprès d'elle », en application de l'article L. 411-37 du code rural, « se privant ainsi de sa principale ressource et persistant dans cette carence pendant plus de sept années consécutives puisque la liquidation judiciaire de cette exploitante a été prononcée en décembre 2005 », ce qui traduisait une « volonté systématique de masquer l'endettement de cette société, de favoriser la poursuite d'une activité déficitaire » ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la seule constatation du défaut de paiement des loyers et de l'abstention du GFA de poursuivre le recouvrement de sa créance auprès de l'Earl, simple codébiteur solidaire, même ayant permis la poursuite d'une activité déficitaire, était impropre à caractériser l'existence de relations financières anormales entre l'Earl et le GFA, et sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il convenait de tenir compte, pour apprécier l'existence de relations financières anormales, de l'absence de vocation du GFA à devenir propriétaire des embellissements réalisés en fin de bail, ce qui avait conduit à une assignation devant le tribunal paritaire des baux ruraux, dont la cour d'appel a elle-même relevé qu'elle avait donné lieu à une condamnation du GFA supérieure au montant des loyers dont M. F... Y... était redevable, de sorte que l'absence de perception des loyers pouvait être justifiée par le montant des investissements réalisés par le preneur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-5 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause ;

Mais attendu que l'arrêt relève, d'abord, que M. Y..., preneur des terres appartenant au GFA depuis le 1er avril 1993, avait mis ces parcelles à disposition de l'Earl constituée le 24 mars 1993 entre lui-même et son ex-épouse et qui les a exploitées depuis l'origine au vu et au su du bailleur, ensuite, que M. Y... continuait à se consacrer à l'exploitation et restait seul titulaire du bail rural, mais qu'en application de l'article L. 411-37 du code rural, l'Earl était tenue indéfiniment et solidairement avec le preneur de l'exécution des clauses du bail ; qu'après en avoir déduit que le GFA avait le droit d'obtenir directement le paiement des loyers auprès de l'Earl, ce qu'il n'ignorait pas puisque les premiers loyers, seuls acquittés, l'avaient été par cette société, l'arrêt relève que le GFA s'est cependant abstenu de toute réclamation, que ce soit sous la forme d'une mise en demeure, d'un commandement de payer ou d'une action en résiliation du bail, se privant ainsi de sa principale ressource, et qu'il a persisté dans cette carence pendant plus de sept années consécutives, jusqu'à la liquidation judiciaire de l'Earl ; que l'arrêt retient que cette répétition, sur une aussi longue période, procède d'une volonté systématique de masquer l'endettement de l'Earl, de favoriser la poursuite d'une activité déficitaire, son passif s'élevant, au 17 avril 2003, à la somme 1 250 000 euros au vu d'un rapport d'expertise du 18 juin 2002, et de la faire profiter du patrimoine du GFA sans la moindre contrepartie effective ; que par ces constatations et appréciations, desquelles il résulte l'existence, entre l'Earl et le GFA, de relations incompatibles avec des obligations contractuelles réciproques normales, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder aux recherches non demandées invoquées par les deuxième et troisième branches, a caractérisé, entre ces deux entités, l'existence de relations financières anormales constitutives d'une confusion des patrimoines, et ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses première et quatrième branches :

Attendu que le GFA fait grief à l'arrêt, après avoir constaté la confusion des patrimoines entre, d'une part, M. Y... et lui-même, d'autre part, l'Earl et lui-même, de prononcer l'extension de la liquidation judiciaire ouverte au nom de M. Y... et de l'Earl à son égard et de préciser que la société E..., en sa qualité de liquidateur de l'Earl, et les organes de cette procédure collective seraient chargés de liquider l'ensemble alors, selon le moyen :

1°) que l'extension d'une procédure de liquidation judiciaire à une autre personne ne peut être prononcée qu'en cas de fictivité ou de confusion de patrimoines ; que lorsqu'est retenue une confusion des patrimoines entre une personne morale et deux autres personnes à l'encontre desquelles une procédure collective distincte a été ouverte, il en résulte une extension de chacune de ces procédures collectives à cette personne morale ; qu'en revanche, le juge ne peut prononcer l'extension de la première procédure collective ouverte à la personne soumise à une procédure collective distincte, sans constater entre ces deux personnes soit une fictivité, soit une confusion des patrimoines ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a décidé que le GFA, l'Earl et M. F... Y... étaient placés « dans une situation juridique identique » et se trouvaient dès lors « soumises à une procédure collective unique » ; qu'en décidant ainsi l'extension de la procédure ouverte contre l'Earl à la fois au GFA et à M. F... Y... , après avoir seulement constaté qu'il existait une confusion des patrimoines, d'une part, entre l'Earl et le GFA, d'autre part, entre M. F... Y... et ce GFA, sans constater de fictivité ou de confusion des patrimoines entre l'Earl et M. F... Y... , la cour d'appel a violé l'article L. 621-5 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°) que la loi ancienne ne peut s'appliquer aux situations régies par la loi nouvelle ; que l'extension d'une procédure collective de liquidation judiciaire à une autre personne, en raison d'une fictivité ou d'une confusion des patrimoines, est régie par la loi applicable à la date d'ouverture de la procédure collective faisant l'objet de l'extension ; qu'en l'espèce, la liquidation judiciaire de l'Earl a été prononcée le 16 décembre 2005, tandis que celle de M. F... Y... à titre personnel a été prononcée le 7 décembre 2006 ; qu'il en résulte que la demande d'extension de la procédure ouverte contre l'Earl au GFA relevait de l'article L. 621-5 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, en vigueur au 1er janvier 2006, tandis que la demande d'extension de la procédure ouverte à l'encontre de M. F... Y... à titre personnel était régie par l'article L. 621-2 du code de commerce tel que résultant de la loi du 26 juillet 2005 ; qu'en décidant que les trois entités étaient dans une situation juridique identique et se trouvaient dès lors soumises à une procédure collective, tandis que chacune des procédures d'extension engagées était régie par une loi différente, de sorte que la liquidation judiciaire correspondante n'obéissait pas aux mêmes règles et qu'il n'était donc pas possible de fondre les trois entités en une procédure collective unique, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, ensemble les articles L. 621-5 ancien et L. 621-2 nouveau du code de commerce, dans leurs rédactions applicables en la cause ;

Mais attendu que, la liquidation judiciaire de l'Earl ayant été prononcée avant le 1er janvier 2006, date d'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, l'article L. 621-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la ladite loi, demeure applicable à la procédure du GFA, par l'effet de l'extension pour confusion des patrimoines, peu important que la liquidation judiciaire de M. Y... ait été prononcée après le 1er janvier 2006, la procédure étant désormais commune aux trois débiteurs et soumise aux mêmes dispositions antérieures à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ; qu'il s'ensuit que c'est à bon droit qu'après avoir constaté la confusion des patrimoines entre M. Y... et le GFA, d'un côté, et entre l'Earl et le GFA, de l'autre, la cour d'appel a retenu que les trois entités étaient désormais mises dans une situation juridique identique et se trouvaient soumises à une procédure collective unique ; que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, ni sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.