Cass. com., 2 février 1999, n° 96-13.678
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Badi
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Waquet, Farge et Hazan, Me Blondel
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Société alimentaire Rhône-Alpes (société SARA) a été créée le 30 août 1988 entre M. Z..., son épouse et M. X..., pour acquérir la majorité des actions de la société Union d'alimentation de la Vallée du Gier (société UAVG), acquisition réalisée le 30 septembre 1988 au moyen d'un emprunt de 6 000 000 de francs consenti par le Crédit agricole et remboursable en six mois ; que, le 1er octobre suivant, la société SARA a pris en location-gérance cinq fonds de commerce d'alimentation appartenant à la société UAVG ; que, le 20 juin 1990, les consorts A... ont cédé à la société Revignon la totalité des actions de la société SARA, ainsi que les 98 actions de la société UAVG qu'ils détenaient ; que les sociétés SARA et UAVG ont chacune été mises ultérieurement en liquidation judiciaire et qu'à la suite d'une expertise ordonnée par le juge-commissaire, le liquidateur a saisi le Tribunal d'une demande tendant au "prononcé de la confusion des patrimoines des deux sociétés", à la condamnation de M. Z..., dirigeant de celles-ci, au paiement de l'insuffisance d'actif et au prononcé d'une interdiction de diriger ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt de lui avoir déclaré le rapport de l'expert opposable et d'avoir en conséquence confirmé le jugement qui avait prononcé la confusion des patrimoines des sociétés SARA et UAVG, dit qu'il sera établi une seule masse active et passive, de l'avoir condamné à verser la somme de 3 000 000 de francs à titre de "comblement de passif" et d'avoir prononcé à son encontre une mesure d'interdiction d'une durée de dix années, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que M. Z..., qui n'a pas été partie à l'instance ayant abouti à la désignation de l'expert et qui n'a même pas reçu les lettres de convocation que lui adressait l'expert et n'a dès lors pas assisté aux opérations d'expertise, ne pouvait se voir opposer le rapport de ce dernier ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'en se fondant, pour constater la confusion des patrimoines des sociétés SARA et UAVG et la faute de gestion de M. Z... et pour le condamner en conséquence à combler le passif de ces sociétés et prononcer à son encontre une mesure d'interdiction, exclusivement sur le rapport de l'expert dont l'inopposabilité était invoquée, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que le rapport de l'expert, régulièrement versé aux débats, avait été soumis à la libre discussion des parties ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. Z... reproche encore à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement qui avait prononcé la confusion des patrimoines des sociétés SARA et UAVG, dit qu'il ne sera établi qu'une seule masse active et qu'une seule masse passive, et d'avoir condamné M. Z... à verser la somme de 3 000 000 de francs à titre de comblement de passif, et d'avoir prononcé contre lui une mesure d'interdiction d'une durée de dix années, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'extension de la procédure collective d'une personne morale à une autre ne saurait être prononcée en raison de la seule circonstance que ces sociétés ont des dirigeants communs, un objet social identique, une gestion centralisée et des relations commerciales, mais suppose établie une confusion de leurs patrimoines, à savoir une imbrication des éléments d'actif et de passif ne permettant plus de les distinguer ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une telle imbrication, a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 et 3 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, d'autre part, que M. Z... faisait valoir que les transferts d'actifs incriminés de la société UAVG vers la société SARA avaient donné lieu à chaque fois à une convention autorisée par le conseil d'administration de chaque société ; que, notamment, les sommes prélevées sur la société UAVG pour le financement de son acquisition par la société SARA avaient fait l'objet d'un contrat prêt prévoyant une rémunération de 8 % par an au profit de la société UAVG ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions ne nature à exclure l'anormalité des flux constatés entre les deux sociétés et, partant, à exclure toute extension de procédure, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres qu'adoptés, que la société SARA a dépossédé la société UAVG de la totalité de sa trésorerie au moyen de l'appropriation d'un stock évalué à 1 638 146 francs et de prélèvements directs opérés par virements de compte à compte entre janvier et février 1990 pour une somme totale de 4 500 000 francs, que cette appropriation s'est trouvée aggravée par le prélèvement opéré sur les redevances de location-gérance au titre de la participation aux frais de gestion administrative dont le montant apparaît excessif compte tenu de la mise en sommeil de l'activité de la société UAVG à la suite de la mise en location-gérance de ses fonds de commerce, et, enfin, que ces opérations de transfert d'actif, rendues possibles par l'identité des dirigeants des deux sociétés, n'ont donné lieu à aucune régularisation comptable ; qu'en l'état de ces constatations retenant la confusion des patrimoines des deux sociétés, la cour d'appel, qui a répondu en les écartant aux conclusions invoquées, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le troisième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches :
Vu l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que, pour condamner M. Z..., dirigeant des sociétés SARA et UAVG, à payer au liquidateur la somme de 3 000 000 de francs, l'arrêt retient que le montage mis en place pour assurer le financement du rachat de la société UAVG au moyen de sa propre trésorerie et l'absence de reconstitution de cet élément d'actif, intégralement absorbé par la société SARA, constitue une faute de gestion qui engage directement la responsabilité de M. Z... sur le fondement de l'article 180 précité dans la mesure où elle est directement à l'origine de l'insuffisance d'actif révélée quelques mois après les opérations de liquidation ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si l'insuffisance d'actif invoquée existait déjà en juillet 1990, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour prononcer à l'encontre de M. Z... l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant une durée de dix années, l'arrêt retient que le montage financier décrit par l'expert permet de retenir à l'encontre de M. Z... le grief visé à l'article 182.3 de la loi du 25 janvier 1985 et suffit à justifier la mesure d'interdiction prononcée par le Tribunal ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par un moyen relevé d'office sans que les parties aient été invitées à présenter leurs observations, et alors qu'elle constatait que le Tribunal s'était prononcé en vertu des articles 189 et 192 de la loi précitée et que le liquidateur concluait à la confirmation du jugement déféré, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur la seconde branche du moyen :
Vu les articles 182, 188, 189 et 192 de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Attendu que si, en vertu du dernier de ces textes, le Tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler dans l'un des cinq cas visés à l'article 189, il résulte de l'article 188 que la faillite personnelle est seule encourue par le dirigeant d'une personne morale qui a commis l'un des actes mentionnés à l'article 182 ;
Attendu que, pour prononcer la décision d'interdiction de diriger, gérer, administrer et contrôler, l'arrêt énonce que le grief visé à l'article 183.3 de la loi du 25 janvier 1985 peut être retenu à l'encontre de M. Z... et justifie la mesure d'interdiction prononcée par le Tribunal ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans relever contre le dirigeant l'un des faits visés à l'article 189, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. Z... à payer à M. Y..., ès qualités, la somme de 3 000 000 de francs et prononcé à l'encontre de ce dirigeant l'interdiction de diriger, gérer, administrer et contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant une durée de dix ans, l'arrêt rendu le 9 février 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.