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Décisions

Cass. com., 1 juillet 2020, n° 19-12.068

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Avocats :

SARL Cabinet Briard, SCP Célice, Texidor, Périer

Versailles, du 11 déc. 2018

11 décembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 décembre 2018), la société [...] (la société), dont M. C... est le gérant, a été mise en redressement judiciaire le 13 juillet 2018, la société FHB étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la société J... en celle de mandataire judiciaire.

Examen du moyen unique

Enoncé du moyen

2. La société fait grief à l'arrêt de la mettre en redressement judiciaire et de fixer au 29 mai 2018 la date de cessation des paiements alors :

« 1°) que l'état de cessation des paiements de la société doit s'apprécier au moment où la juridiction statue, y compris en cause d'appel ; que pour confirmer le jugement ayant mis la société en redressement judiciaire, l'arrêt attaqué évalue le passif exigible à la date de ce jugement à la somme totale de 96 705,72 euros, avant de relever que la société ne justifiait d'aucun actif disponible ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la cessation des paiements de la société à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé l'article L. 631-1 du code de commerce ;

2°) que pour caractériser l'état de cessation des paiements, les juges du fond doivent préciser la consistance du passif exigible et de l'actif disponible à la date à laquelle ils statuent ; qu'au cas présent, la cour s'est bornée, après avoir fait état de la liste des créances de la société, à relever que celle-ci ne justifiait d'aucun actif disponible à la date du jugement d'ouverture et que l'avance en compte courant du 12 octobre 2018 ne pouvait être prise en compte ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'état de cessation des paiements de la société, en l'absence de précision sur l'existence et le montant de l'actif disponible à la date de sa décision, la cour d'appel a privé celle-ci de base légale au regard de l'article L. 631-1 du code de commerce ;

3°) que la charge de la preuve de l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible pèse sur le demandeur à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; qu'au cas présent, la cour d'appel s'est bornée, après avoir fait état de la liste des créances de la société, à relever que celle-ci ne justifiait d'aucun actif disponible ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;

4°) que, subsidiairement, la société démontrait qu'elle était en mesure de faire face à son passif exigible grâce à un apport en compte courant de son associé effectué le 12 octobre 2018 à hauteur de 114 000 euros et que, dans le cadre de sa nouvelle activité, elle ne supportait aucune charge fixe, l'administrateur judiciaire n'ayant été amené, dans le cadre de sa mission, à valider aucun paiement depuis l'ouverture du redressement, ce qui n'était d'ailleurs pas contesté ; que, pour refuser de comptabiliser ce versement dans l'actif disponible, la cour retient que la société ne démontrait pas qu'il pouvait lui permettre de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;

5°) qu'alors qu'une avance en compte courant, qui n'est pas bloquée ou dont le remboursement n'a pas été demandé, constitue un actif disponible, peu important à cet égard que ce financement soit anormal, qu'il vise à maintenir artificiellement l'activité de la société ou qu'il ne lui permette pas de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'au cas présent, pour refuser de comptabiliser l'apport en compte courant du 12 octobre 2018 dans l'actif disponible, la cour a estimé que ce versement constituait un financement anormal destiné à soutenir artificiellement la société et insusceptible de lui permettre de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'en statuant, quand il lui appartenait uniquement de rechercher si cette avance n'avait pas été bloquée et si son remboursement n'avait pas été demandé, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas sur le caractère normal du financement destiné à faire face au passif exigible, a violé l'article L. 631-1 du code de commerce ;

6°) que, subsidiairement, une avance en compte courant ne peut être regardée comme anormale et, en conséquence, écartée de l'évaluation de l'actif disponible que si elle résulte de moyens frauduleux ou ruineux ; que pour juger que l'apport effectué par M. C... était anormal, la cour a retenu qu'au cours du premier semestre 2018, l'activité de la société se serait poursuivie grâce à des paiements opérés par des tiers pour son compte et que celle-ci ne démontrait pas que cette nouvelle avance lui permettrait de recouvrer un équilibre financier à court terme, pour en déduire que ce versement était destiné à soutenir artificiellement la société ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que cette avance en compte courant constituait un moyen frauduleux ou ruineux et, dès lors, anormal, la cour d'appel a violé l'article L. 631-1 du code de commerce ;

7°) qu'alors que la société soutenait que l'avance de M. C... ne constituait pas un financement anormal et qu'elle devait lui permettre de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'à cet égard, elle faisait valoir, d'une part, que ce versement avait été préconisé par l'administrateur judiciaire au cours de l'audience du 13 septembre 2018, ce qui était de nature à en écarter tout caractère douteux ou illégitime ; que, d'autre part, elle démontrait, sans être contestée, que, dans le cadre de sa mission, l'administrateur judiciaire n'avait pas été amené à valider de paiements depuis l'ouverture du redressement judiciaire, sans constitution d'un nouveau passif, ce dont il résultait que sa nouvelle activité de détention de titres ne générait plus de besoins en fonds de roulement et que l'avance de M. C... lui permettrait de recouvrer un équilibre financier à court terme ; qu'en omettant de se prononcer sur ces éléments et en jugeant que l'avance de M. C... constituait un financement anormal, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. En premier lieu, l'arrêt, après avoir exactement rappelé qu'il appartient à la cour de rechercher si le débiteur se trouve en état de cessation des paiements au jour où elle statue et qu'il convient d'examiner successivement les différentes créances composant le passif exigible au 12 novembre 2018, retient, après avoir analysé les créances connues en fonction des différentes pièces produites depuis le jugement d'ouverture, dont les créances déclarées par la société EDF et les différentes créances fiscales, pour écarter une somme de 61 154 euros faisant l'objet d'une réclamation contentieuse, pour déterminer le montant exigible de chacune d'elles, que le montant global du passif exigible de la société [...] s'établit au minimum à 96 705,72 euros à la date du jugement d'ouverture, tandis qu'à la même date il n'était justifié d'aucun actif disponible.

4. Ayant ainsi procédé, avant de se déterminer sur l'existence d'un état de cessation des paiements, à l'examen, depuis l'ouverture du redressement judiciaire, de l'évolution du passif et de l'actif de la société, dont elle a décidé d'écarter l'apport en compte courant consenti par son gérant en considération de son caractère anormal, la cour d'appel s'est, sans inverser la charge de la preuve, nécessairement placée à la date où elle a statué.

5. En second lieu, après avoir justement considéré que l'apport en compte courant consenti par le gérant de la société constituait une réserve de crédit devant être prise en considération au titre de l'actif disponible, l'arrêt constate qu'il ressort du rapport d'enquête que la société ne disposait pas d'un compte bancaire, que le règlement de ses charges était opéré par M. C... ou par un tiers, et que le compte courant d'associé de M. C... était de 300 000 euros pour un capital social de 10 000 euros. L'arrêt relève encore, qu'alors que le chiffre d'affaires de la société est constitué de dividendes versés par ses filiales et de la facturation de prestations réalisées pour le compte de la société CREAM, il n'a, d'une part, été produit ni compte d'exploitation ni document prévisionnel et, d'autre part, qu'ont été déclarées au passif des factures d'électricité et une créance du bailleur, la société ne donnant pas d'explication sur ses charges depuis son changement de siège social, de sorte qu'il n'est pas démontré qu'elle n'a qu'une activité de holding ne générant pas de besoin de fonds de roulement et qu'une nouvelle avance en compte courant lui permettra de recouvrer son équilibre financier à court terme.

6. En l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu retenir qu'il n'était pas établi que la société avait modifié les conditions de son activité, de sorte qu'un apport en compte courant de son gérant, fût-il suggéré par l'administrateur, constituait un financement anormal destiné à soutenir artificiellement sa trésorerie en dissimulant la persistance de son état de cessation des paiements.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.