Cass. com., 5 janvier 1999, n° 96-18.574
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bezard
Rapporteur :
Mme Aubert
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
Me Choucroy, SCP Le Bret et Laugier
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 14 mai 1996), que le tribunal de commerce de l'Ile Rousse a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. X... marchand de biens et une autre procédure à l'égard de la société en nom collectif Place Lisfranc (la SNC) dont M. X... était le gérant et l'un des associés, l'autre étant Mme X..., M. De Moro Giafferi étant désigné en qualité de représentant des créanciers dans les deux procédures ; que, par arrêt du 17 octobre 1994, la cour d'appel de Bastia a déclaré le tribunal de l'Ile Rousse incompétent pour statuer sur le redressement judiciaire de M. X..., renvoyé la procédure à la cour d'appel de Douai qui, par arrêt du 19 janvier 1995, a désigné le tribunal de commerce de Lille pour en connaître ; que, le 29 juillet 1994, la banque Joire-Pajot-Martin, actuellement dénommée Banque des Flandres, a fait tierce opposition au jugement ouvrant le redressement judiciaire de la SNC qui a été déclarée irrecevable par le Tribunal ;
Sur le premier moyen, pris en ses six premières branches :
Attendu que la SNC fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable la tierce opposition de la banque alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'article 156 du décret du 27 décembre 1985 dispose que la tierce opposition à l'encontre d'une décision soumise aux formalités d'insertion dans un journal d'annonces légales ou au BODACC doit être formée dans un délai de dix jours à compter du jour de la publication au BODACC ; que l'article 21 du même décret précise que les publicités relatives au jugement ouvrant le redressement judiciaire d'un débiteur doivent être effectuées au BODACC et dans un journal d'annonces légales, d'office par le greffier, dans les huit jours de la date du jugement ;
qu'en s'abstenant, dès lors, de relever l'irrecevabilité de la tierce opposition formée le 29 juillet 1994 à l'encontre du jugement du 4 juillet 1994 ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SNC, soit plus de dix jours après la publicité ayant dû être effectuée au BODACC, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ainsi que l'article 125 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que seul le représentant des créanciers a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt des créanciers ; que la cour d'appel a relevé, d'un côté que M. Y... était intervenu à l'instance en qualité de représentant des créanciers de M. X... et de l'autre que la banque agissait en sa qualité de créancière de M. X... ; qu'en s'abstenant de tirer les conséquences légales de ses constatations d'où il résultait que M. Y... qui avait conclu à l'irrecevabilité de la tierce opposition de la banque, aurait eu seule qualité, en tant que représentant des créanciers de M. X... pour poursuivre l'action en tierce opposition, la cour d'appel a violé l'article 46 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, ensuite, que la cour d'appel a constaté que les procédures ouvertes à l'encontre de la SNC et de M. X... étaient distinctes, indépendantes et devaient conserver chacune son autonomie et suivre son régime propre ; qu'en déclarant, par ailleurs, ces procédures indivisibles, la cour d'appel s'est contredite, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, encore, que la cour d'appel a admis qu'en ouvrant une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SNC, le Tribunal avait omis d'étendre cette procédure aux associés ; qu'en fondant néanmoins l'intérêt à agir de la banque sur le fait qu'il aurait été de bonne administration de la justice de soumettre les procédures à l'encontre de la société et de ses associés devant les mêmes juges, la cour d'appel a entaché l'arrêt d'un défaut de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, en outre, qu'en conférant l'autorité de la chose jugée aux motifs des arrêts rendus le 17 octobre 1994 par la cour d'appel de Bastia et le 19 janvier 1995 par la cour d'appel de Douai, l'arrêt a méconnu l'article 480 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin que les arrêts susvisés en date du 17 octobre 1994 et 19 janvier 1995 envisageaient exclusivement les activités exercées par M. X... à titre personnel ; qu'en énonçant néanmoins qu'ils auraient établi la fraude faite aux droits de la banque par la SNC dans un dépôt de bilan géographiquement choisi éloigné de l'activité de celle-ci, la cour d'appel a dénaturé ces décisions, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la publication du jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la SNC ayant été effectuée le 31 juillet 1994, la tierce opposition formée le 29 juillet 1994 est intervenue avant que court le délai de dix jours qui part de la date de publication ; que le moyen manque en fait dans sa première branche ;
Attendu, en second lieu, que pour déterminer si la banque avait intérêt à faire tierce opposition, il convient de se placer à la date à laquelle elle a formé ce recours ; que la prétention de M. Y... nommé représentant des créanciers dans la procédure de redressement judiciaire ouverte le 3 mars 1995 à l'égard de M. X... par le tribunal de Lille d'avoir seul qualité pour poursuivre la tierce opposition est sans influence sur la recevabilité du recours ; que le moyen est inopérant dans sa deuxième branche ;
Attendu, en troisième lieu, que, sans se contredire, l'arrêt retient d'un côté que la procédure de redressement judiciaire de la SNC et celle de ses associés sont distinctes, indépendantes, et, d'un autre côté, que la procédure de redressement judiciaire de la SNC et celle de M. X... à titre personnel sont unies par l'indivisibilité au regard de l'article 591, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, le jugement qui ouvre le redressement judiciaire de la personne morale produisant ses effets à l'égard des associés indéfiniment et solidairement responsables du passif social ; que, sans recourir à un motif hypothétique, l'arrêt relève qu'il est de bonne administration de la justice de soumettre les procédures à l'encontre de la SNC et de ses associés devant les mêmes juges après avoir constaté que le Tribunal a omis d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard des associés en nom par méconnaissance des dispositions de l'article 178 de la loi du 25 janvier 1985 ; que le moyen n'est pas fondé dans ses troisième et quatrième branches ;
Attendu, en quatrième lieu, que la banque n'ayant pas fait tierce opposition en qualité de créancière de la SNC mais en qualité de créancière de M. X..., la cour d'appel n'avait pas à rechercher si la SNC avait agi en fraude de ses droits ; que les motifs critiqués par les cinquième et sixième branches sont donc surabondants ;
D'où il suit que la cour d'appel a légalement justifié sa décision et que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses six branches ;
Sur le premier moyen, pris en sa septième branche :
Attendu que la SNC fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré fondée l'exception d'incompétence soulevée par la banque alors, selon le pourvoi, que, par jugement du 20 novembre 1995, le tribunal de commerce de l'Ile Rousse a arrêté le plan de redressement de la SNC ;
qu'en déclarant le tribunal de commerce de Lille compétent pour connaître de la procédure collective de cette société, redevenue in bonis, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à cette dernière décision, violant ainsi l'article 1351 du Code civil et l'article 64 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu qu'en déclarant le tribunal de l'Ile Rousse incompétent pour connaître de la procédure collective de la SNC, l'arrêt a infirmé le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la SNC et privé de tout fondement juridique les décisions rendues dans le cadre de cette procédure par un tribunal incompétent ; que le moyen est sans fondement ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la SNC fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi, que le tribunal compétent pour connaître de la procédure de redressement judiciaire est celui dans le ressort duquel le débiteur a le siège de son entreprise ; que la cour d'appel qui constate que la SNC a son siège social en Corse, à Calenzana, ne pouvait, dès lors, déclarer fondée l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la banque au profit du tribunal de commerce de Lille, sans caractériser l'exercice d'une activité principale de la SNC dans le ressort de cette juridiction ; qu'en se bornant dès lors à faire état de l'activité exercée par M. X..., à titre personnel ainsi que du domicile de celui-ci, de son épouse et des créanciers déclarés de la SNC, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1er du décret du 27 décembre 1985 ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la SNC, dont M. X... marchand de biens exerçant son activité dans le ressort du tribunal de commerce de Lille était le gérant et l'associé et dont les créanciers déclarés étaient domiciliés dans le ressort de ce Tribunal, n'était propriétaire d'aucun bien en Corse, ne disposait d'aucun bureau, ni infrastructure justifiant l'exercice d'une activité réelle en Corse ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.