CA Paris, Pôle 1 ch. 7, 21 décembre 2018, n° 18/26698
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Matching Numbers Ltd
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lapasset
Par requête déposée le 23 novembre 2018 par Me W, avocat justifiant d'un mandat spécial de M. X, représentant la société MATCHING NUMBERS LIMITED, cette société demande le renvoi pour cause de suspicion légitime à l'encontre de MM. Y et M. Z, juges consulaires au tribunal de commerce de Melun, ainsi qu'à l'encontre de M. B, mandataire judiciaire, de l'affaire pendante devant le tribunal de commerce de Melun devant un tribunal du ressort de la cour d'appel de Paris.
A l'appui de sa demande, la société requérante demande, au visa des articles 341 et suivants du code de procédure civile, de l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et des articles L. 622-2 et R. 662-7 du code de commerce, de :
- constater l'existence de conflits d'intérêts suffisants pour fonder sa demande de renvoi,
- constater la violation manifeste du droit à un procès équitable,
- prononcer le sursis à statuer dans la procédure en liquidation judiciaire ouverte contre la société MATCHING NUMBERS LIMITED,
- prononcer le renvoi de cette procédure devant un tribunal de commerce du ressort de la cour d'appel de Paris.
Le tribunal de commerce de Melun n'a pas fait connaître ses observations et le parquet général près la cour d'appel de Paris n'a pas transmis de réquisitions.
Considérant les termes de la requête déposée le 23 novembre 2018 à laquelle il est expressément renvoyé;
Considérant les dispositions de l'article L. 662-2 du code de commerce :
"Lorsque les intérêts en présence le justifient, la cour d'appel peut décider de renvoyer l'affaire devant une autre juridiction, compétente dans le ressort de la cour, ou devant une juridiction mentionnée à l'article L. 721-8 pour connaître du mandat ad hoc, de la procédure de conciliation ou des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, dans des conditions fixées par décret. La Cour de cassation, saisie dans les mêmes conditions, peut renvoyer l'affaire devant une juridiction du ressort d'une autre cour d'appel ou une juridiction mentionnée à l'article L. 721-8. La décision de renvoi par laquelle une juridiction a été désignée pour connaître d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation auquel le débiteur a recouru emporte prorogation de compétence au profit de la même juridiction pour connaître d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire qui pourrait directement s'en suivre."
Considérant les dispositions de l'article R662-7 du même code :
"Lorsque les intérêts en présence justifient le renvoi de l'une des procédures prévues par le livre VI de la partie législative du présent code devant une autre juridiction en application de l'article L. 662-2, ce renvoi peut être décidé d'office par le président du tribunal saisi, qui transmet sans délai le dossier par ordonnance motivée au premier président de la cour d'appel ou, s'il estime que l'affaire relève d'une juridiction du ressort d'une autre cour d'appel, au premier président de la Cour de cassation.
Ce renvoi peut également être demandé, par requête motivée du débiteur, du créancier poursuivant et du ministère public près le tribunal saisi ou près du tribunal qu'il estime devoir être compétent, au premier président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation.
Lorsque la demande n'est pas formée conjointement par les procureurs près les tribunaux de grande instance concernés, celui qui n'en est pas l'auteur fait connaître ses observations au greffe de la cour d'appel ou de la Cour de cassation au plus tard dans les quarante-huit heures de la transmission qui lui en est faite sans délai par le ministère public demandeur. Il en transmet copie au procureur demandeur.
Dans les cas prévus au deuxième alinéa, le greffier du tribunal saisi notifie la requête aux parties sans délai et transmet le dossier à la cour d'appel ou à la Cour de cassation. S'il n'a pas été statué sur l'ouverture de la procédure, le tribunal sursoit à statuer dans l'attente de la décision du premier président de la cour d'appel ou du premier président de la Cour de cassation.
Le premier président de la cour d'appel ou le premier président de la Cour de cassation désigne dans les dix jours de la réception du dossier, après avis du ministère public, la juridiction qui sera saisie de l'affaire. Dans les mêmes conditions, le premier président de la cour d'appel peut, s'il estime que les intérêts en présence justifient le renvoi de l'affaire devant une juridiction du ressort d'une autre cour d'appel, ordonner la transmission du dossier au premier président de la Cour de cassation.
Les décisions du président du tribunal et du premier président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation sont notifiées aux parties sans délai par le greffier du tribunal ou de la cour.
Les décisions prises en application du présent article sont des mesures d'administration judiciaire non susceptibles de recours. Ces décisions s'imposent aux parties et à la juridiction de renvoi désignée. En cas de renvoi de l'affaire, il en est fait mention aux registres ou répertoires mentionnés à l'article R. 621-8 par le greffier du tribunal qui a ouvert, le cas échéant, cette procédure.
Dans l'attente de la décision du premier président, le tribunal peut désigner un administrateur judiciaire, sous l'autorité d'un juge commis temporairement à cet effet, pour accomplir, notamment, les diligences prévues à l'article L. 622-4. Le tribunal peut également ordonner, à titre de mesures provisoires, l'inventaire des biens et, en cas de procédure de liquidation judiciaire, l'apposition des scellés."
Considérant que M. X est bien représentant de la société MATCHING NUMBERS LIMITED et que la requête a été déposée par avocat muni d'un pouvoir spécial établi par M. X; que celle-ci sera jugée recevable;
Considérant que la dite requête expose que la société a été assignée en redressement judiciaire par M. A, bailleur d'un entrepôt exploité à Champagne-Sur-Seine pour lequel un bail commercial a été signé le 23 avril 2013;
Considérant qu'il est justifié que M. Y a assisté dans cette affaire à des audiences jusqu'à l'adoption d'un plan de continuation alors que M. Y et M. A. sont associés dans la même société; qu'il a statué en tant que juge commissaire pour rejeter une contestation de créance soulevée par la société;
Que de tels agissements sont contraires aux principes déontologiques élémentaires de tout juge;
Considérant que les autres griefs relevés par la société ne sont pas probants ou relèvent de l'exercice du pouvoir juridictionnel du juge;
Mais considérant qu'en s'abstenant de faire connaître ses observations au premier président de la cour d'appel de Paris, le président du tribunal de commerce de Melun ne met pas ce dernier en mesure de connaître si des mesures ont été prises;
Considérant les motifs de récusation ou de suspicion légitime énumérés par l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire, qui énonce dans sa version en vigueur au 20 novembre 2016 que:
«Sous réserve de dispositions particulières à certaines juridictions, la récusation d'un juge peut être demandée :
1°) Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ;
2°) Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties ;
3°) Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement ;
4°) S'il y a eu ou s'il y a procès entre lui ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;
5°) S'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties ;
6°) Si le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties ;
7°) S'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;
8°) S'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties ;
9°) S'il existe un conflit d'intérêts, au sens de l'article 7-1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. (...)»
Considérant qu'en conséquence, la société requérante a établi qu'il existait des soupçons d'amitié entre le juge et l'une des parties, voire de conflit d'intérêts;
Qu'en conséquence, les intérêts en présence justifient le renvoi de l'affaire devant une juridiction du ressort; que le tribunal de commerce de Paris sera désigné pour connaître de l'affaire;
PAR CES MOTIFS,
Le premier président,
DIT la requête en renvoi pour cause de suspicion légitime à l'encontre du tribunal de commerce de Melun de la société MATCHING NUMBERS LIMITED recevable et fondée;
ORDONNE le sursis à statuer dans la procédure en liquidation judiciaire ouverte par le tribunal de commerce de Melun à l'encontre de cette société;
DÉSIGNE le tribunal de commerce de Paris pour connaître de la dite procédure;
ORDONNE la transmission du dossier au procureur général près la cour d'appel de Paris.