Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 3 mai 2018, n° 18/00664

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur de la république de Bobigny

Défendeur :

Grun entreprise (SAS), MJA (SELAFA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Picard

Conseillers :

Mme Rossi, M. Bedouet

T. com. Bobigny, du 19 déc. 2017

19 décembre 2017

Le dossier a été transmis au Ministère Public, représenté par M. François V., Avocat Général, qui a fait connaître son avis.

La Sas Grun Entreprise a pour activité la plomberie, couverture, génie climatique, travaux d'étanchéité, maçonnerie, travaux du bâtiment. Elle emploie 32 salariés.

Par ordonnance du 19 septembre 2017, le président du tribunal de commerce de Bobigny a désigné un mandataire ad hoc pour la Sas Grun Entreprise, en application de l'article L. 611-3 du code de commerce.

Par acte en date du 4 décembre 2017, la Sas Grun Entreprise a demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde judiciaire.

Par jugement contradictoire en date du 19 décembre 2017, le tribunal de commerce de Bobigny a fait droit à cette demande et a ouvert une procédure de sauvegarde judiciaire à l'égard de la Sas Grun Entreprise.

Par déclaration au greffe en date du 27 décembre 2017, le ministère public a relevé appel de ce jugement.

***

Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 28 mars 2018, le ministère public demande à la Cour :

- de dire recevable l'appel interjeté à l'encontre du jugement du 19 décembre 2017 ;

- de le dire bien fondé ;

- de constater la nullité de ce jugement ;

- d'évoquer l'affaire et infirmer ce jugement ;

- de rejeter la demande de sauvegarde ;

- d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire ;

- de renvoyer l'affaire au tribunal de commerce de Bobigny pour désigner les organes de la procédure.

Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 28 mars 2018, Maître B., ès qualités d'administrateur judiciaire et la Selafa MJA, prise en la personne de Maître C., ès qualités de mandataire judiciaire de la Sas Grun Entreprise, demandent à la Cour :

- De constater l'état de cessation des paiements de la société Grun Entreprise ;

En conséquence :

- Infirmer le jugement entrepris qui a ouvert une procédure de sauvegarde à son égard ;

Statuant à nouveau,

- Ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Grun Entreprise ;

- Fixer la date de cessation des paiements,

- Fixer la durée de la période d'observation,

- Désigner les organes de la procédure,

- Prendre les dépens en frais privilégiés de redressement.

Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 30 mars 2018, la Sas Grun Entreprise demande à la Cour de :

- Prendre acte qu'elle s'en rapporte quant à la demande de nullité du jugement déféré ;

- Débouter le ministère public de sa demande de réformation du jugement ;

- Dire que l'état de cessation des paiements n'est pas caractérisé ;

- Confirmer l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à son égard ;

Subsidiairement,

Vu l'article L. 631-1 alinéa 1er et suivants du code de commerce,

- Prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société Grun Entreprise,

- Statuer ce que de droit quant aux dépens.

SUR CE

Sur la nullité du jugement

Le ministère public soulève dans un premier temps une exception de nullité du jugement en ce qu'il a examiné la demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde judiciaire sans la présence du ministère public, pourtant exigée en application des dispositions de l'article L. 621-1 alinéa 5 du code de commerce, et ce dès lors que la société a fait l'objet d'un mandat ad hoc dans les 18 mois précédant l'audience.

Les organes de la procédure n'ont pas conclu sur ce point.

La société Grun Entreprise s'en rapporte.

Il ressort des dispositions de l'article L. 621-1 alinéa 5° du code de commerce que 'l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard d'un débiteur qui a bénéficié d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation dans les dix huit mois qui précèdent doit être examinée en présence du ministère public (...)'

En l'espèce, la société Grun Entreprise a bénéficié d'un mandat ad hoc avant d'être placée en sauvegarde. La présence du ministère public était donc nécessaire et s'agissant d'une disposition d'ordre public le jugement sera annulé.

Il convient cependant d'évoquer à la demande des parties.

Sur la cessation des paiements

Le ministère public soutient que la Sas Grun Entreprise est en état de cessation des paiements et fait valoir dans ce sens que l'actif disponible de l'intimée ne peut s'élever à la somme de 1.628.317 euros comme affirmé par les premiers juges dès lors que cette somme comprend, d'une part, 370.534 euros correspondant à des «'en cours de production de bien'», et, d'autre part, 980.800 euros de «'créances client'», qu'on ne peut considérer comme disponible ; (l'actif disponible s'élèverait donc à la somme de 276.983 euros) et que le passif exigible n'est pas nul dès lors qu'il ressort de courriels de l'Urssaf et de la DGFIP 93 en date de janvier 2018 que la société ne respecte pas le moratoire accordé par la commission de chefs des services financiers le 12 octobre 2017 pour l'apurement de son passif fiscal et social à hauteur de 265.824,82 euros. Il ressort du courriel de la DGIP 93 précédemment cité que la société n'a déposé aucune déclaration de TVA depuis août 2017. Une ordonnance d'injonction de payer la somme de 64.050,91 euros a été prononcée à l'encontre de l'intimée, correspondant aux cotisations impayées de l'année 2016 auprès de la Bnp Retraite et Btp Prévoyance. De plus aucune situation comptable actualisée n'est versée à ce jour et il ressort d'un courrier du 16 octobre 2017 que le mandataire ad hoc a conseillé au président de la société intimée de procéder à une déclaration de cessation des paiements et solliciter l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, après avoir constaté que les sommes dues sont nettement supérieures à l'actif disponible. Il ajoute que la société intimée et son dirigeant font l'objet d'une enquête pénale pour des faits d'abus de biens sociaux auprès du commissariat de Neuilly-sur-Marne à la suite d'une révélation de faits délictueux par le commissaire aux comptes.

L'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire soutiennent que la Sas Grun Entreprise est en état de cessation des paiements dès lors que son actif disponible s'élève à la somme de 30.603 euros alors que son passif exigible s'élève à la somme de 1.124.439,79 euros.

Sur l'actif disponible, l'administrateur et le mandataire judiciaire rappellent que la Sas Grun a mentionné dans sa demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde judiciaire un actif disponible de 1.628.317 euros ventilé comme suit :

370.534 euros d' « en cours de production de biens »

84.773 euros de marchandises

980.800 euros de créances clients

161.607 euros d'autres créances

2.976 euros d'avances versées sur commandes

8.518 euros de disponibilités

19.109 euros de charges constatées d'avance

Ils font cependant valoir que seules les avances versées sur les commandes, les disponibilités, et les charges constatées d'avance peuvent être considérées comme disponibles.

Sur le passif exigible, le mandataire judiciaire fait valoir que le passif total déclaré entre ses mains s'élève à la somme de 6.255.085,73 euros dont 4.300.720 euros à titre provisionnel et 454.380,77 euros à échoir, de sorte que le passif exigible s'élève au moins à la somme 1.124.439,79 euros, laquelle ne prend pas en compte le défaut de déclaration de la Tva depuis le mois d'août 2017.Il produit dans ce sens 64 déclarations de créances.

La Sas Grun Entreprise soutient ne pas être en état de cessation des paiements. Selon elle les encours de production de biens constituent un actif disponible, de même que les créances clients, lesquelles ont fait l'objet d'encaissements s'élevant à la somme de 406.893,34 euros. Elle ne conteste pas ne pas avoir payé les sommes dues au titre du moratoire accordé pour l'apurement de son passif fiscal et social, mais fait valoir, d'une part, que le refus de paiement n'emporte pas cessation des paiements, et, d'autre part, que le plan n'ayant pas été dénoncé, la somme de 265.824,82 euros n'est pas exigible. Elle fait valoir que la somme due au titre de l'ordonnance d'injonction de payer du 12 octobre 2017 n'est pas certaine dès lors qu'elle a fait opposition à ladite ordonnance par lettre recommandé avec avis de réception datée du 12 octobre 2017. La lettre du 16 octobre 2017 par lequel le mandataire ad hoc lui a conseillé d'effectuer une déclaration de cessation des paiements a été envoyée avant que ce dernier n'ait connaissance de la décision de la commission des chefs de services financiers lui accordant un moratoire. Elle soutient que l'argument selon lequel elle ferait l'objet d'une enquête pour des faits d'abus de biens sociaux n'est pas de nature à caractériser un état de cessation des paiements.

La Sas Grun Entreprise conteste dans un second temps le montant du passif exigible allégué par le mandataire judiciaire, et estimé à 1.124.439,79 euros. Elle fait valoir dans ce sens que cette somme comprend à tort les sommes suivantes :

- 317.835,67 euros au bénéfice de Bnp Paribas laquelle n'est pas échue dès lors qu'elle correspond à la facilité de trésorerie en cours au jour de l'ouverture de la sauvegarde ;

- 146.606 euros au bénéfice de l'Urssaf laquelle est incluse dans le moratoire accordé le 12 octobre 2017 pour l'apurement de ses dettes fiscales et sociales ;

- 119.622,88 euros correspondant à des factures dues à la société Abaque Bâtiment Services, laquelle est contestée dès lors qu'elle n'a jamais passé commande des travaux facturés par ce sous-traitant ;

- 56.930,38 euros au titre d'avances sur travaux au bénéfice de la société Efidis, alors que le contrat est en cours d'exécution ;

- 26.293,92 euros au titre de la TVA due entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2014, laquelle est également incluse dans le moratoire accordé le 12 octobre 2017 ;

- 2.988,65 euros au titre d'une facture du 15 décembre 2017 émise par Total, laquelle n'est pas échue dès lors qu'elle est postérieure à l'ouverture de la sauvegarde judiciaire.

Enfin, la Sas Grun Entreprise verse au débat son bilan au 31 décembre 2016, son bilan provisoire au 30 novembre 2017, un compte de résultat prévisionnel 2018 et les résultats d'exploitation dégagés durant la période d'observation dont il ressort que la situation établie pour la période du 19 décembre au 31 janvier 2018 laisse apparaître un chiffre d'affaires réalisé de près de 500.000 euros et un résultat de 20.928 euros.

La cour rappelle les termes de l'article L. 620-1 du code de commerce qui dispose qu'une procédure de sauvegarde peut être ouverte si le débiteur n'est pas en état de cessation des paiements.

Est en état de cessation des paiements le débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

Pour apprécier l'état de cessation des paiements du débiteur la cour doit se placer au moment où elle statue.

En l'espèce, le passif déclaré entre les mains de la Selafa MJA s'élève à 6.255.083, 73 euros dont 4.300.720 euros à titre provisionnel et 454.380, 77 euros à échoir. Le passif antérieur à l'ouverture de la procédure collective s'élève à 1.124.439, 79 euros. Sur ce passif certaines créances ne sont pas exigibles ou n'étaient pas exigibles avant l'ouverture de la procédure collective.

La cour note que le CCSF a accordé un moratoire pour un montant de 265.824, 82 euros de créances fiscales et sociales et qu'en cas de non-respect du moratoire les créanciers se réservaient le droit de le dénoncer. Aucune pièce n'est produite qui établirait que ce moratoire a été dénoncé à ce jour.

Parmi les créances figure également une dette de plus de 64.000 euros envers la CNRBTPIG résultant d'une injonction de payer à laquelle il a été formé opposition. Cette créance ne peut donc être prise en compte.

D'autres créances comme le compte courant auprès de BNP Paribas ne seront pas prises en compte s'agissant d'une ouverture de crédit à durée indéterminée dont le remboursement n'apparaît pas exigible à ce jour.

Au total la somme de 671.125, 50 euros est contestée et contestable…

Le passif s'élève donc au minimum à plus de 500.000 euros.

L'actif disponible est composé des encaissements réalisés pour la période du 1er décembre 2017 au 19 janvier 2018, soit 406.893 euros et d'une somme d'environ 30.000 euros.

En revanche la cour ne prendra pas en compte dans l'actif disponible les créances clients, le listing produit par la société n'étant pas de nature à en établir la réalité et surtout ces créances n'étant pas encore encaissées. De même les encours de production ne seront pas retenus dans l'actif disponible, ces encours n'étant pas vendus et encaissés.

L'actif disponible s'élève donc à 436 000 euros.

La cour constate en conséquence que la société Grun Entreprise n'est pas en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible et qu'elle est bien en état de cessation des paiements.

Le jugement sera donc réformé.

La date de cessation des paiements sera fixée au jour du dépôt de la demande d'ouverture de la procédure de sauvegarde, soit au 4 décembre 2017.

Il résulte des pièces produites aux débats que le redressement de la société n'est pas manifestement impossible. Elle sera en conséquence placée en redressement judiciaire.

PAR CES MOTIFS

Prononce la nullité du jugement rendu le 19 décembre 2017 par le tribunal de commerce de Bobigny,

Statuant à nouveau,

Prononce le redressement judiciaire de la société Grun Entreprise,

Fixe la date de cessation des paiements au 4 décembre 2017,

Fixe la durée de la période d'observation à 6 mois,

Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce de Bobigny pour désignation des organes de la procédure,

Dit que les dépens, seront employés en frais privilégiés de redressement judiciaire.