CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 10 juin 2015, n° 13/13238
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
McDonalds France (SAS)
Défendeur :
62 Rue de la République (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Chokron, Mme Parant
Avocats :
Me Taze Bernard, Me Chavance, Me Nicolas
Suivant acte sous seing privé du 1er juin 1992, la société civile immobilière (Sci) du 62 rue de la République a consenti à la société Aux Vêtements Saint Joseph aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Mc Donald's France (Sas), un bail d'une durée de neuf années portant sur divers locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble sis 60-62, rue de la République et 2, rue des Chaumettes à Saint Denis (93200).
Un arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 avril 2007 a fixé le loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2001 à la somme annuelle en principal de 207.000 euros ; par suite de révisions triennales, le loyer a été porté à la somme annuelle en principal de 270.014 euros à compter du 1er janvier 2010.
Par exploit du 29 mars 2010, la Sci bailleresse a notifié à la locataire un congé avec offre de renouvellement au 1er octobre 2010, moyennant un loyer en principal de 400.000 euros par an.
La société Mc Donald's France n'a pas accepté le prix proposé et a assigné, le 12 juillet 2011, la Sci du 62 rue de la République en fixation à la baisse du loyer de renouvellement au 1er octobre 2010, la valeur locative s'établissant selon elle à 218.000 euros par an.
Par jugement du 9 novembre 2011, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Bobigny a commis un expert pour estimation de la valeur locative au 1er octobre 2010 et fixé le loyer provisionnel à la somme annuelle de 298.000 euros en principal.
L'expert Michel B. a procédé à sa mission et déposé son rapport le 10 septembre 2012, concluant à un prix du loyer en renouvellement de 277.472 euros en cas d'application, selon lui justifiée, de la règle du plafonnement et, si cette règle devait être écartée, à 289.800 euros pour une surface de 414 m2 et 283.500 pour une surface de 405 m2.
Par jugement contradictoire du 5 juin 2013, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Bobigny a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- retenu le déplafonnement,
- fixé à 283.500 euros le loyer annuel du bail renouvelé sur la base d'une surface pondérée de 405 m2,
- débouté des demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- partagé par moitié la charge des dépens comprenant le coût de l'expertise .
La société Mc Donald's France (Sas) a relevé appel le 1er juillet 2013 et conclu en dernier lieu le 17 février 2015 à l'infirmation du jugement déféré ; elle soutient que compte tenu de l'accession des travaux en fin de jouissance, les locaux doivent être considérés dans leur configuration avant travaux, que la surface pondérée totale s'établit ainsi à 343 m2P, que la valeur locative peut être fixée sur la base de 650 euros / m2 ; elle demande en conséquence à la cour de fixer le loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2010 à la somme annuelle en principal de 223.000 euros correspondant à la valeur locative, subsidiairement, par application du plafonnement, au montant de 277.472 euros, de condamner la Sci du 62 rue de la République au remboursement des loyers éventuellement trop perçus à compter du 1er octobre 2010 avec intérêts sur les dites sommes et au paiement d'une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles .
La Sci du 62 rue de la République, intimée et incidemment appelante, par dernières conclusions signifiées le 4 février 2015, fait valoir que la construction édifiée par le preneur est devenue la propriété du bailleur au second renouvellement de sorte que, sa surface ne saurait être déduite de celle à prendre en considération pour le calcul de la valeur locative, que la modification notable des facteurs locaux de commercialité justifie le déplafonnement du loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2010, que la valeur locative ne saurait être inférieure à 700 euros / m2 ; elle demande en conséquence la fixation du prix du bail au 1er octobre 2010 à la somme de 289.800 euros par an en principal, outre la condamnation de l'appelante à lui verser 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens comprenant le coût de l'expertise judiciaire.
SUR CE :
Aux termes du bail, les locaux dépendant de l'immeuble sis 60-62 rue de la République et 2, rue des Chaumettes à Saint Denis (Seine Saint Denis) se composent du sous sol, du rez de chaussée et du premier étage ainsi que d'une aire de stationnement, le tout d'une superficie de 800 m2" ;
Ils sont destinés à la restauration sur place et à emporter sous toutes ses formes, présentes et à venir, notamment restauration rapide, à l'exclusion de tous autres commerces' et sont actuellement exploités sous l'enseigne Mc Donald s ;
Il ressort des constatations de l'expert que les lieux loués se situent à l'angle de la rue de la République, aménagée en voie piétonne, et de la rue des Chaumettes ; les façades sur rue sont en maçonnerie sous ciment peint avec habillage en pierre pelliculaire;
Au rez de chaussée se déploient, une salle de restaurant avec une entrée sur le pan coupé et une entrée sur la rue des Chaumettes ; à la suite, une aire d'attente, un cabinet de toilettes avec lave mains, une cuisine, en partie arrière de la cuisine, un dégagement donnant accès à des chambres froides, une réserve et un local poubelles, dans le prolongement, un petit bureau et une réserve, au fond, une porte ouvre sur la cour bitumée où stationnent les véhicules ;
Le 1er étage, directement accessible depuis le rez de chaussée par un escalier principal ainsi que par un escalier de service, est occupé par une large salle de restaurant avec baies vitrées en façade donnant sur la rue de la République et la rue des Chaumettes ; à la suite, un sanitaire hommes, un sanitaire femmes, un petit local d'entretien, un local technique ( chaufferie) , un local social avec vestiaires du personnel, des réserves ;
Le sous sol, relié au rez de chaussée par un escalier intérieur, abrite une cave, un débarras, une réserve ;
L'ensemble est en bon état d'entretien ;
Sur la surface pondérée,
Il n'est pas contesté que la société Mc Donald's France a entrepris l'édification, à son entrée dans les lieux en 1992, d'un local R+1 d'une surface totale de 36 m2, à usage de réserve au sol et de chambre froide à l'étage ;
La locataire estime que cette construction ne doit pas être prise en compte comme élément de fixation de la valeur locative et doit être en conséquence soustraite de la surface réelle des locaux qui doivent être pris dans leur configuration antérieure aux travaux ; la bailleresse soutient à l'inverse que la clause d'accession stipulée au bail a pris effet au second renouvellement du bail et qu'il y a lieu, dès lors, d'intégrer la surface de la construction réalisée par le preneur dans le calcul de la surface réelle des locaux ;
Selon le bail, tous travaux d aménagement, embellissement, amélioration, à l exclusion du matériel d'exploitation même celui devenu éventuellement immeuble par destination, exécutés ou installés par le preneur dans les locaux loués, deviendront propriété du bailleur à la fin de l'occupation des locaux loués par le preneur ou, en cas d'acquisition de la clause résolutoire, sans indemnité à sa charge, à moins qu'il ne préfère demander le rétablissement des locaux loués dans leur état primitif aux frais du preneur, ce qu'il aura le droit de requérir même s'il a autorisé les dits travaux' ;
Il s'infère de ces stipulations que l'accession des travaux exécutés par la locataire s'opère, non pas à l'expiration du bail, ni davantage à l'occasion du second renouvellement, mais au terme de l'occupation des locaux par la locataire, c'est-à- dire, au départ de celle ci des lieux loués, ou, le cas, échéant, à la date de la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire ; qu'en conséquence, l'accession au bénéfice de la bailleresse ne se trouvant pas réalisée, les locaux doivent être considérés, pour la détermination de la valeur locative du bail renouvelé au 1er octobre 2010, tels qu'ils se présentaient avant la réalisation des travaux effectués par la locataire ;
La bailleresse prétend vainement que la clause d'accession, visant des travaux d'aménagement, exclurait les travaux d'édification d'une construction alors qu'elle a laissé à la charge du preneur, aux termes de l'article 3 du bail, tous les travaux , sans restriction quant à la nature de ces travaux, nécessaires à l'installation et à l'implantation de son restaurant', qu'elle s'est engagée, selon le même article, à autoriser tous les travaux qui s avéreraient nécessaires à l exploitation d un restaurant conforme aux normes utilisées par le preneur', et qu'elle ne dément pas avoir autorisé la construction édifiée par le preneur pour que celui ci puisse y installer des locaux techniques et en particulier des chambres froides qui ne trouvaient pas place dans les locaux tels que délivrés ;
Les construction entreprise s'inscrit ainsi dans les travaux d'aménagement destinés à permettre l'exploitation d'un restaurant selon les normes de la société locataire Mc Donald's et se trouve en conséquence visée par la clause d'accession en fin d'occupation de la locataire stipulée au bail ;
C'est dès lors à bon droit que le premier juge a exclu de la surface réelle des locaux, les 36 m2 correspondant à la construction réalisée par la locataire à son entrée dans les lieux ;
Exclusion faite de la construction précédemment évoquée, l'expert établit la surface pondérée des locaux à 405 m2 ;
La proposition de l'expert, entérinée par le premier juge, n'est contestée que sur un seul point, à savoir le coefficient de pondération qu'il convient d'appliquer à la salle de restaurant du 1er étage ;
L'expert a proposé un coefficient de 0,75 , correspondant à celui retenu par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 avril 2007 pour la fixation du loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2001 ; la bailleresse, invoquant l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt, conclut au maintien de ce coefficient, tandis que la locataire, l'estimant excessif au regard des usages en matière de pondération des locaux en étage, demande de le voir réduire à 0,45 ;
Or, aucune autorité de chose jugée n'est attachée à la pondération des surfaces retenue par une décision de justice dans le cadre d'une procédure antérieure en fixation du loyer ;
La pondération des surfaces réelles, tenant compte des caractéristiques des locaux indépendamment du commerce qui y est exercé, constitue en effet un outil permettant de déterminer la valeur locative par une comparaison objective avec les prix pratiqués dans le voisinage ; elle doit être opérée, en la cause, à la date du 1er octobre 2010, à laquelle il convient de fixer le loyer du bail en renouvellement ;
Au regard des usages en la matière, qui ressortent de la charte de la compagnie des experts en estimation de fonds de commerce et des valeurs locatives près la cour d'appel de Paris, un coefficient de 0, 40 à 0, 50 est appliqué aux boutiques en 1er étage ; s'agissant en l'espèce d'une salle d'une superficie réelle de 190 m2 dotée, sur un linéaire de 25 mètres, de baies vitrées en façade sur les rues de la République et des Chaumettes, très éclairée, et desservie à partir du rez de chaussée par un large escalier principal ainsi que par un escalier de service, il y a lieu de retenir la fourchette haute de 0,50, ce qui établit la surface pondérée de la salle de restaurant du 1er étage à 95 m2 ;
La surface pondérée totale des locaux revient ainsi à 352,79 euros m2, arrondis à 353 m2 ;
Le jugement déféré sera en conséquence réformé en ce qu'il a fixé le loyer en renouvellement sur la base d'une surface pondérée de 405 m2 ;
Sur la valeur locative,
Chaque partie a produit un rapport d'expertise amiable indiquant, pour le bailleur, des valeurs unitaires de 190 à 980 euros mais concernant des surfaces plus petites que celle des lieux loués, pour le preneur, de 167 à 865 euros ;
L'expert judiciaire a exactement relevé que plusieurs références sont communes aux deux rapports dont celle relative à l'enseigne de restauration rapide KFC, que celle ci montre un prix unitaire de 865 euros mais pour une surface très inférieure à celle des lieux loués, que les autres références indiquent des valeurs nettement plus faibles ;
L'expert propose un prix unitaire de 700 euros par an après avoir procédé à une juste appréciation des valeurs de comparaison soumises à son examen ; ce prix est accepté par la bailleresse et n'est pas sérieusement contesté par la société Mc Donald's qui avance essentiellement, pour conclure à un prix de 650 euros le m2, que l'analyse de l'expert n'aurait pas pris en considération la commercialité de l'emplacement, très pénalisée par un environnement qui ne cesse de se dégrader;
Or, l'expert a relevé que les locaux sont situés dans un secteur entièrement rénové depuis 2005, à la suite de l'opération de rénovation urbaine Coeur de Ville Coeur de Vie , dans le 2ème tronçon de la rue de la République, qui est le plus recherché et dans lequel on recense 59 commerces (dont 42% d'enseignes nationales) ; ce tronçon est dans le prolongement du 1er tronçon, proche de la Basilique de Saint Denis, qui bénéficie également (avec 23 commerces) d'une bonne commercialité ;
Selon les propres éléments apportés à l'expert par le preneur, si des enseignes ont disparu, d'autres se sont créées, avec pour résultat, sur la période du bail expiré, tout au plus une stagnation mais non pas un déclin de la commercialité;
L'expert a noté par ailleurs la bonne desserte par les transports en commun et le prolongement de la ligne de tramway T1 ;
La dégradation de la commercialité alléguée par la société Mc Donald's n'est donc pas, en l'état de ces éléments, établie ;
Le prix unitaire de 700 euros par an sera ainsi retenu soit une valeur locative au 1er octobre 2010 de : 353 m2 x 700 = 247.100 euros par an en principal ;
Il a lieu de fixer le loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2010 conformément à cette valeur locative qui est inférieure au loyer plafonné de 277.472 euros ;
Il s'infère du sens de l'arrêt que la Sci bailleresse doit être en tant que de besoin condamnée à rembourser les loyers trop perçus ; les intérêts commenceront à courir à compter de la demande en justice du 12 juillet 2011 et au fur et à mesure des versements trop perçus ;
L'équité ne commande pas de faire droit aux demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Chacune des parties succombant partiellement à l'appel, les dépens comprenant le coût de l'expertise judiciaire seront partagés par moitié .
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement dont appel,
Fixe le loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2010 entre la Sci du 62 rue de la République et la société Mc Donald's France pour les locaux situés 60-62 rue de la République et 2, rue des Chaumettes à Saint Denis (Seine Saint Denis) à la somme de 247.100 euros par an en principal sur la base d'une surface pondérée de 353 m2 ,
Condamne en tant que de besoin la Sci du 62 rue de la République à rembourser à la société Mc Donald's les loyers trop perçus qui produiront intérêts à compter de la demande en justice du 12 juillet 2011 au fur et à mesure de leur versement ;
Déboute de toutes demandes contraires aux motifs de l'arrêt,
Dit que les dépens de première instance, comprenant le coût de l'expertise judiciaire, ainsi que les dépens d'appel, seront partagés par moitié entre les parties.