Livv
Décisions

CA Nancy, 2e ch. com., 9 avril 2014, n° 13/02244

NANCY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Norma (SARL)

Défendeur :

Les Korrigans Quatre (SCI), Carine Fabri (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meslin

Conseillers :

M. Bruneau, Mme Thomas

Avocats :

Me Chardon, Me Zimmermann, Me Huck

TGI Briey, du 27 mai 2013

27 mai 2013

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé des 18 décembre 1990 et 15 janvier 1991, la société civile immobilière Plein centre a donné à bail commercial à la Sàrl Norma des locaux à construire sur diverses parcelles situées [...] avec une surface de vente d'environ 580 m², une surface de stockage d'environ 140 m², une surface de bureaux, locaux techniques et sociaux d'environ 60 m² et soixante places de parking. Le bail a été conclu pour une durée de douze années commençant à courir le 1er août 1991 pour se terminer le 31 juillet 2003. Le loyer mensuel a été fixé au montant de 6 402,86 € (42 000 francs) hors taxes avec possibilité de révision du loyer à compter de la sixième année en cas de variation de plus de 5% de l'indice trimestriel du coût de la construction publié par l'INSEE par rapport à l'indice trimestriel en vigueur au moment de l'expiration de la cinquième année.

Par  avenant du 1er octobre 2007, le bail a été renouvelé pour une durée de douze années commençant à courir le 1er août 2003 pour se terminer le 31 juillet 2015. Le loyer mensuel a été fixé au montant de 7 331,88 € hors taxes depuis le 1er novembre 2000, au montant de 8 092,67 € hors taxes au 1er novembre 2003 et au montant de 9 196,83 € hors taxes au 1er novembre 2006.

La société Carine Fabri, propriétaire de la parcelle cadastrée AM n°461 correspondant aux lots 1 à 17, est intervenue à l'acte de renouvellement du bail en qualité de bailleresse à côté de la SCI Plein centre.

Le 12 janvier 2012, la SCI Plein centre a vendu ses parcelles cadastrées AM n°450 et AM n°462 à la société civile immobilière Les Korrigans quatre.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juin 2012, la société Norma a sollicité de ses bailleresses la révision du loyer au bénéfice de l'article L. 145-39 du code de commerce et la fixation d'un loyer conforme à la valeur locative évaluée à 6 000 € hors taxes et hors charges par mois, soit 72 000 € par an.

Faute d'accord et après signification d'un mémoire, la société Norma a, par actes délivrés les 21 décembre 2012 et 2 janvier 2013, saisi le  juge des loyers commerciaux.

Par  jugement du 27 mai 2013, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Briey, considérant que le contrat de bail ne contenait pas de clause d'échelle mobile faute d'avoir prévu une révision annuelle, a :

- dit n'y avoir lieu à application de l'article L. 145-39 du code de commerce,

- déclaré la Sàrl Norma irrecevable en ses demandes,

- condamné la Sàrl Norma aux dépens,

- condamné la Sàrl Norma à payer à la SCI Les Korrigans quatre la somme de 3 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le 20 juillet 2013, la société Norma a déclaré interjeter appel de ce jugement.

Par acte délivré le 5 novembre 2013 à personne se déclarant habilitée à recevoir l'acte, la société Carine Fabri a été appelée à la procédure d'appel.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 22 janvier 2014.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Dans ses dernières écritures du 29 octobre 2013, dûment signifiées à la société Carine Fabri le 5 novembre 2013, la société Norma, appelante, demande à la cour de :

- vu les dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce,

- vu les dispositions des  articles R. 145-20, R. 145-23, R. 145-24 et R. 145-25 du code de commerce,

- déclarer l'appel recevable et bien fondé,

- y faisant droit,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- jugeant à nouveau :

- déclarer la demande recevable et bien fondée,

- y faisant droit,

- constater, au besoin dire que le loyer révisé avec effet au 1er avril 2010 est supérieur de plus d'un quart au montant du loyer initialement convenu entre les parties,

- en conséquence et en application de l'article L. 145-39 du code de commerce,

- dire que le loyer sera fixé à la valeur locative,

- dire que la valeur locative s'établit à 109 € HT et hors charges par m² pondéré et par an,

- en conséquence,

- fixer le montant du nouveau loyer rétroactivement à compter du 13 juin 2012 à la somme de 72 000 € HT et hors charges par an,

- subsidiairement, si une mesure d'expertise était ordonnée,

- fixer le loyer provisionnel à la somme de 72 000 € HT par an,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner les défenderesses à lui payer une indemnité de 3 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les défenderesses aux entiers frais et dépens de la procédure, en ceux compris les éventuels frais d'expertise, s'il y a lieu, qui seront recouvrés par Me Alain Chardon, avocat à la cour, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Norma fait valoir que :

- l'article 3 du contrat de bail contient une clause d'échelle mobile, en l'occurrence une indexation du loyer sur l'indice du coût de la construction, ce que la SCI Les Korrigans quatre a reconnu lors de la procédure en première instance et peu important que l'indexation soit triennale plutôt qu'annuelle,

- la variation du loyer en application de la clause d'échelle mobile a entraîné une variation de plus du quart du loyer depuis le début du bail, le loyer de référence initialement fixé au 1er août 2003 à 7 331,88 € ayant atteint le montant de 10 085,54 €, soit une variation de 37,56%,

- le loyer actuel est très au-dessus de la valeur locative,

- il n'y a pas eu de modification contractuelle relative au montant du loyer au 1er novembre 2006.

Dans ses dernières écritures du 3 décembre 2013, la SCI Les Korrigans quatre, intimée, demande à la cour de :

- déclarer la société Norma mal fondée en son appel,

- l'en débouter,

- constater qu'il n'y a pas lieu à application de l'article L. 145-39 du code de commerce en l'espèce,

- condamner la Sàrl Norma aux entiers frais et dépens d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Leinster Wisniewski Mouton Gérard, société d'avocats aux offres de droit, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à lui payer une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI Les Korrigans quatre fait valoir que :

- le contrat de bail ne contient pas de clause d'échelle mobile, en ce que l'avenant n'a pas prévu une périodicité de révision claire, ni une réelle automaticité de la révision puisqu'une notification du bailleur est nécessaire,

- les parties, faisant suite à la réalisation de travaux de rénovation, ont procédé à la fixation d'un nouveau montant de loyer à la date du 1er novembre 2006, lequel constitue le loyer de référence pour apprécier la variation de plus du quart,

- très subsidiairement, les termes de comparaison fournis au soutien de la fixation à la soi-disant valeur locative ne sont pas pertinents.

La société Carine Fabri, qui n'a pas constitué avocat, n'a pas conclu.

MOTIFS :

Attendu que les parties sont liées par un bail en date des 18 décembre 1990 et 15 janvier 1991 d'une durée de douze ans ayant fixé le loyer au montant mensuel de 6 402,86 € (42 000 francs) hors taxes et incluant une clause ouvrant à chaque partie le droit de demander, à l'issue des cinq premières années du bail, une augmentation ou une diminution de loyer de 5% en cas de variation de loyer telle que l'indice trimestriel du coût de la construction publié par l'INSEE a augmenté ou diminué de plus de 5% par rapport à l'indice trimestriel en vigueur au moment de l'expiration de la cinquième année et une telle demande de révision pouvant être à nouveau formulée si, à partir de la dernière révision effective du loyer, l'indice trimestriel de référence a à nouveau augmenté ou diminué de plus de 5% ; que la période de douze années prévue à ce contrat a expiré le 31 juillet 2003 ;

Que par  avenant du 1er octobre 2007, les parties, après avoir rappelé que le loyer mensuel initial s'élevait à la somme de 42 000 francs hors taxes (6 402,86 €) et que compte tenu de la 'clause d'indexation', le loyer mensuel s'établissait désormais à la somme de 7 331,88 € hors taxes, ont convenu de renouveler le bail pour une nouvelle durée de douze années commençant à courir rétroactivement le 1er août 2003 pour se terminer le 31 juillet 2015 ; que l'article 3 du contrat relatif au loyer est ainsi rédigé :

' Le présent bail est renouvelé moyennant un loyer mensuel depuis le 1er novembre 2000 de 7331,88 € hors taxes (indice = 1089)

[...]

Observation faite que les parties ont convenu que le premier novembre constitue la date retenue pour l'indexation triennale du loyer.

Le loyer a été indexé à 8 092,67 € le 1er novembre 2003 (indice = 1202).

Compte tenu des travaux de rénovation réalisés dernièrement par le preneur, il est convenu que le loyer pour ce renouvellement de bail est passé au 1er novembre 2006 à 9 196,83 € [...]

L'indice de base étant celui du deuxième trimestre 2003 soit (1202) qui sera comparé à l'indice connu et publié le jour du 1er novembre 2006 (indice = 1366).

Les variations du loyer seront automatiques mais subordonnées à la notification du loyer indexé par le bailleur. Cette notification sera faite par le bailleur par écrit avant la période d'indexation. Le nouveau loyer indexé ne pourra prendre effet qu'à compter de la date de réception de la notification faite par le bailleur.

Si l'indice de référence cessait d'être publié, il serait remplacé, à défaut d'indice officiel, par un indice équivalent choisi d'un commun accord entre les parties ou à défaut par voie d'expertise effectuée par un expert choisi d'un commun accord entre les parties ou par ordonnance du président du tribunal de grande instance du siège de l'immeuble, rendue sur requête de la partie la plus diligente.';

Attendu que la société preneuse sollicite le bénéfice des dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce selon lesquelles, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ;

Attendu que les parties s'opposent sur l'existence ou non d'une clause d'échelle mobile et, partant, sur l'applicabilité de cette disposition ;

Attendu qu'une clause d'échelle mobile consiste pour les parties à s'accorder sur la variation automatique du loyer à des échéances déterminées et en fonction d'un indice en relation directe avec l'objet du contrat ou l'activité de l'une des parties ;

Que l'indice national du coût de la construction est présumé en relation directe avec l'objet du contrat de bail en application de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier ;

Attendu qu'il s'évince des termes du contrat de bail initial que les parties se sont réciproquement reconnu la faculté, à compter de la sixième année, de se demander une révision du loyer de plus ou moins 5% en cas de variation de plus de 5% de l'indice trimestriel du coût de la construction par rapport à l'indice trimestriel en vigueur au moment de l'expiration de la cinquième année et ensuite chaque fois que, à partir de la dernière révision effective, l'indice trimestriel a augmenté ou diminué de plus de 5% par rapport à l'indice trimestriel de l'année de la dernière révision effective ;

Que si le cas d'ouverture du droit à variation de loyer et les paramètres du calcul de la variation ont ainsi été prévus, sur la base d'un indice de référence légalement admissible, aucune périodicité pour la variation du loyer n'a été arrêtée entre les parties ;

Qu'ainsi, faute de l'un des paramètres nécessaires pour l'automaticité de la variation, le bail initial ne contient pas de clause d'échelle mobile ;

Que l'avenant au contrat de bail apparaît cependant avoir introduit une telle clause, en ce qu'il fait expressément référence à une 'clause d'indexation' pour la fixation du loyer en rappelant les indices du coût de la construction sur lesquels le calcul a été effectué pour les loyers successifs (indice 1089, indice 1202 et indice 1366), en ce qu'il énonce la convention expresse des parties selon laquelle 'le premier novembre constitue la date retenue pour l'indexation triennale du loyer', qu'il précise encore le caractère d'automaticité des variations de loyer et qu'il a été jusqu'à prévoir les modalités de remplacement de l'indice du coût de la construction précédemment choisi dans le contrat initial si celui-ci venait à disparaître, de manière à palier tout risque de disparition d'un paramètre de l'échelle mobile ;

Que la durée de trois ans prévue pour la révision périodique ne contrevient pas aux dispositions de l'article L. 112-1 alinéa 2 du code monétaire et financier, dont il s'induit qu'une telle clause ne peut prévoir une périodicité supérieure à trois ans en matière de baux commerciaux ; que les parties étaient libres de prévoir une telle périodicité, même si celle-ci n'est pas la plus usuellement retenue ;

Que le fait que l'avenant ait prévu que la variation de loyer ne peut prendre effet qu'après une notification préalable du bailleur n'enlève rien au caractère d'automaticité de la révision, laquelle est de plein droit et dispense le bailleur de toute demande, la notification du montant révisé du loyer ne constituant qu'une modalité de mise en oeuvre de cette stipulation exigeant une manifestation de volonté expresse du bailleur ;

Que d'ailleurs, par  lettre du 30 mars 2010, (pièce n°3 de l'appelante), la bailleresse s'est prévalue du bénéfice de l'indexation et a notifié le nouveau montant de loyer ;

Qu'en conséquence, il sera jugé que les parties ont introduit une clause d'échelle mobile dans leur convention à compter du renouvellement du bail à effet du 1er août 2003 ;

Que la demande de révision fondée sur l'article L. 145-39 du code de commerce doit donc être examinée ;

Attendu que le montant du loyer à retenir comme référence pour calculer l'éventuelle variation de plus du quart est le prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ;

Attendu que dans l'avenant au contrat de bail, pour la fixation des loyers au 1er novembre 2000, au 1er novembre 2003 et au 1er novembre 2006, la clause afférente au loyer, dont les termes sont ci-dessus rappelés, se réfère à chaque fois à l'application de l'indice du coût de la construction ; que les montants ainsi successivement fixés correspondent à l'application arithmétique de l'indice, avec, manifestement, une mise en oeuvre avec effet rétroactif pour déterminer le loyer à la date d'effet du renouvellement du bail du 1er août 2003 ; que néanmoins, pour la fixation du loyer au 1er novembre 2006, les parties ont en sus expressément précisé que le nouveau montant tenait compte de travaux de rénovation récents et que de ce fait, 'le loyer pour ce renouvellement de bail est passé au 1er novembre 2006 à 9 196,83 €' ; que, sauf à ne rien signifier, ce qui doit être exclu, cette formulation traduit la volonté commune des parties de fixer le prix de renouvellement du bail à ce montant, sans s'en tenir à l'application arithmétique rétroactive de l'indice et en intégrant l'élément nouveau que constituaient les travaux de rénovation, dont la réalité et l'effectivité à cette date du 1er novembre 2006 ne sont pas discutés ;

Qu'il doit en être conclu que ce montant de 9 196,83 € est le prix précédemment fixé contractuellement et donc le prix de référence à retenir pour l'application de l'article L. 145-39 du code de commerce ;

Que le loyer indexé de 10 085,54 € réclamé à compter du 1er avril 2010 correspond à une augmentation de 9,66% du montant de 9 196,83 €, donc inférieure au quart exigé par le texte pour ouvrir droit à révision en cours de bail ;

Qu'en conséquence, le jugement déféré, qui a déclaré à tort la société Norma irrecevable en sa demande, sera infirmé et que la société Norma, mal fondée en sa demande, en sera déboutée ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe et en dernier ressort :

INFIRME le  jugement du 27 mai 2013 du juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Briey ;

Statuant à nouveau :

DIT que l'avenant de renouvellement de bail contient une clause d'échelle mobile ;

DIT que le prix du loyer précédemment fixé contractuellement entre les parties au sens de l'article L. 145-39 du code de commerce est celui fixé par les parties à effet du 1er novembre 2006, soit neuf mille cent quatre vingt seize euros et quatre vingt trois centimes (9 196,83 €) ;

DÉBOUTE la Sàrl Norma de sa demande sur le fondement de l'article L. 145-39 du code de commerce ;

CONDAMNE la Sàrl Norma aux dépens de première instance et d'appel et dit que ces derniers pourront être recouvrés par la SCP Leinster Wisniewski Mouton Gérard, société d'avocats aux offres de droit, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

VU l'article 700 du code de procédure civile, condamne la Sàrl Norma à payer à la SCI Les Korrigans quatre la somme de trois mille euros (3 000 €) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel et déboute la Sàrl Norma de sa demande à ce titre.