Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 4, 24 février 2012, n° 11/07581

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tiesseire France

Défendeur :

Lidl (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Laylavoix

Conseillers :

Mme Bouscant, Mme Taillandier-Thomas

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Dumont, SCP Deprez, Guignot et Associés, Me Lesenechal, Me Casalonga

TGI Paris, du 8 avr. 2011

8 avril 2011

La société Teisseire France, qui a pour activité la production de boissons rafraîchissantes, se prévalant du fait qu'elle est titulaire d'un modèle français déposé le 13 juillet 2001, enregistré sous le numéro 014152-0003 et portant sur « un bouchon de récipient » qu'elle dit utiliser depuis 2000 pour ses gammes de sirops vendus dans des bidons métalliques, après un constat d'achat du 20 décembre 2010 attestant de la commercialisation, dans un magasin à l'enseigne Lidl à Paris, de bouteilles de sirop de fruits sous la marque « Plein Sud » présentant un bouchon qui reproduirait les caractéristiques de son modèle puis après avoir mis en demeure la société Lidl de modifier le "packaging" de ses sirops et la couleur verte du bouchon reprenant une couleur similaire aux siens, a assigné en référé la société Lidl afin de :

- dire qu'il est vraisemblable que la société Lidl a porté atteinte à ses droits en reproduisant les éléments caractéristiques du modèle dont elle était titulaire,

- constater qu'il est manifeste qu'elle a commis des actes de parasitisme en offrant à la vente des bidons de sirop marqués « Plein Sud » dont le bouchon est décliné en couleur vert foncée,

en conséquence, ordonner à la société Lidl :

- de cesser, sous astreinte, toute offre, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation ou détention à des fins du sirop « plein sud » dans un conditionnement reproduisant les éléments caractéristiques du modèle français dont elle est titulaire sur le territoire français,

- de cesser tout acte de concurrence déloyale et parasitaire.

Par ordonnance rendue le 8 avril 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes formées par la société Teisseire France, l'a condamnée aux dépens et à payer à la société Lidl la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Appelante de cette ordonnance, la société Teisseire France, dans ses dernières conclusions signifiées le 18 janvier 2012, prie la cour au visa des articles L. 521-6, L. 513-5 et de l'ancien article L. 511-6 du Code de la propriété intellectuelle, de l'article 1382 du Code civil, et de l'article 809 du CPC :

- de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a jugé que le défaut manifeste de validité du modèle français n°0145152 -003 n'était pas démontré,

- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté ses demandes,

Statuant à nouveau,

- de "constater" qu'il est vraisemblable que la société Lidl a porté atteinte aux droits de la société Teisseire en reproduisant les éléments caractéristiques du modèle n° 014152-003 dont elle est titulaire,

-de "constater" qu'il est manifeste que la société Lidl a commis des actes de parasitisme en offrant à la vente des bidons de sirop marqués "Plein Sud" dont le bouchon est décliné en couleur vert foncé,

-d'ordonner à la société Lidl :

* de cesser toute offre mise sur le marché, importation, exportation, utilisation ou détention à ces fins du sirop "Plein Sud" dans un conditionnement reproduisant les éléments caractéristiques du modèle français n° 014152-003, dont Teisseire France est titulaire, sur le territoire de la France et ce, dans le délai d'un mois de la signification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard,

* de cesser tout acte de concurrence déloyale et parasitaire,

- de condamner la société Lidl à lui verser une somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de la condamner aux dépens en ce compris les frais de constat et d'appel.

Par dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2012, la Snc Lidl prie la cour d'infirmer partiellement la décision entreprise, de "constater" que le modèle n°014152-003 déposé le 13 juillet 2011 par la société Teisseire encourt la nullité ou à tout le moins qu'il est susceptible d'annulation, de confirmer la décision entreprise pour le surplus, de débouter la société Teisseire de toutes ses demandes et de condamner la société Teisseire à lui payer la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens ;

Considérant qu'en application de l'article L.626 du Code de la propriété intellectuelle, "toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre de prétendu contrefacteur (...), toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon ;(....) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente" ;

Que la société Lidl soutient que le juge des référés ne saurait retenir le caractère vraisemblable de la contrefaçon dès lors qu'il existe une contestation sérieuse sur la validité du modèle 014152 -003 dont se prévaut la société Teisseire, dont l' enregistrement à l'Inpi ne constitue qu'une présomption simple de titularité, l'INPI se contentant de vérifier la régularité formelle des dépôts, que le modèle revendiqué n'est pas nouveau et ne présente pas de caractère propre au sens de l'article 511-2 du CPI et que, contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, force est de constater que non seulement le modèle revendiqué est fonctionnel mais que la preuve de son originalité, d'une recherche esthétique et ornementale sans rapport nécessaire avec des prescriptions d'ordre technique ou usuelles au regard de l'affectation donnée au modèle n'est pas rapportée ;

Que la société Lidl ajoute que les caractéristiques du modèle n° 014152-003 qui présente non pas trois parties distinctes mais deux, dont la base circulaire enserrant le bidon et le capuchon comportant un chapeau et une jupe bouchon, ne sont ni nouvelles ni originales au regard du brevet US des.218 414, qui présentait déjà un chapeau circulaire aux contours arrondis avec une face supérieure plate liée à une jupe galbée, du modèle international DM/ 0033887-7 déposé le 23 août 1995 représentant un bouchon pulvérisateur pour l'aérosol, du modèle français 982240 déposé le 9 avril 1998 et au regard d'autres modèles internationaux, que le modèle revendiqué par Teisseire ne peut bénéficier de la protection des dispositions du livre V ancien du CPI, que le juge des référés, juge de l'évidence, ne peut donc retenir l'existence d' un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite et que l'action de la société Teisseire est mal fondée ;

Que la société Teisseire France, venant au soutien des motivations de l'ordonnance sur les arguments de Lidl relatifs au prétendu défaut de validité du modèle Teisseire, ajoute que les 3 éléments caractéristiques du modèle à savoir :

- un chapeau circulaire, aux contours arrondis, avec une face supérieure plate,

- une jupe évasée et galbée liant le chapeau à la base recouvrant la face supérieure du bidon, dans laquelle se fond une encoche discrète,

- une base large et ronde d'un diamètre identique au bidon qu'il enserre et avec lequel il crée une unité,

établissent sa nouveauté et sa physionomie propre, dissociables des caractéristiques fonctionnelles du bouchon et que le modèle est nouveau par rapport à ceux présentés par l'appelante ;

Considérant que le juge des référés, il convient de le rappeler, ne saurait se prononcer sur la nullité d'un modèle mais seulement sur le caractère vraisemblable de l'atteinte aux droits de la propriété intellectuelle ;

Que c'est par des motifs pertinents adoptés par la cour que le premier juge a écarté l'absence d'élément de nature à détruire la nouveauté et le caractère propre du modèle en retenant que l'association du socle de forme bombée, dont seul le diamètre est fonctionnel, du capuchon et de l'encoche confère une physionomie propre au modèle et que les modèles déposés antérieurement diffèrent de manière notable du modèle litigieux soit parce que l'un deux, le brevet CHO du 16 avril 1985, présente un capuchon sur lequel sont apposés des stries, soit parce qu'un autre, le modèle DM /03 38 87, publié le 31 octobre 1995, comporte un bouchon pulvérisateur, soit enfin parce que le modèle français de bouchon 98 2240, publié le 21 août 1998, présente des proportions différentes, soit enfin, parce que le modèle international DM/ 051607 présente des stries en partie basse sans reprendre la forme du modèle en cause ;

Que les modèles communiqués en cause d'appel par Lidl DM/049984, DM/048880 et DM / 05 8252, ne présentent pas de jupe comme le modèle "teisseire" et sont composés de deux éléments, un chapeau et un socle ;

Que le défaut manifeste de validité du modèle n'est pas démontré ;

Considérant qu'en application de l'article L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle, la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente ;

Qu' il ne saurait échapper à un observateur averti qui, s'il n'est pas défini de manière précise, est pour le moins un consommateur attentif à la présentation du produit, que, contrairement à ce que prétend la société Teisseire, les différences entre le modèle revendiqué et le modèle critiqué ne sont pas insignifiantes :

- chapeau à contours arrondis haut et bombé, face supérieure plate du bouchon Teisseire contrairement au bouchon Lidl posé directement sur la base et dénué d'effet rebondi ;

- l'encoche de forme originale du modèle Teisseire, qui n'est pas discrète, contrairement à ce que soutient Teisseire et comme l'indique à juste titre le premier juge, mais qui constitue une individualisation du modèle, alors que l'encoche Lidl est de forme rectangulaire de petite taille ;

Que l'aspect d'ensemble des modèles est différent, le bouchon Lidl étant plus ramassé, plus "bas" alors que le bouchon Teisseire donne une impression de hauteur et de rondeur ;

Que cette impression d'ensemble exclut le caractère vraisemblable de la contrefaçon ;

Que l'ordonnance doit être confirmée de ce chef ;

Considérant, sur la demande formée au titre de la concurrence déloyale et /ou du parasitime, que la société Teisseire persiste à affirmer qu'en déclinant son nouveau bouchon ainsi que tous les bouchons de sa marque "Plein Sud" depuis 2010, en couleur vert foncé, Lidl a commis un acte de concurrence déloyale et de parasitisme alors que le vert foncé est la couleur dominante de la marque Teisseire et est son identifiant aux yeux du public ;

Mais considérant que la société Lidl rappelle, à raison, que l'action en concurrence déloyale, qui serait fondée sur la faute au sens de l'article 1382 du Code civil, constitait à utiliser la couleur verte, n'est pas établie en l'espèce et que le fait de commercialiser le produit concurrent, qui n'est pas protégé par un droit de propriété intellectuelle ne constitue pas un acte de concurrence déloyale, en l'absence de tout risque de confusion sur l'origine du produit, risque qui n'est pas davantage établi ;

Que la revendication d'une couleur de base, comme la couleur verte, ne saurait suffire à caractériser le parasitime, étant observé que la couleur adoptée par la société Teisseire n'est pas la même que celle de Lidl ; que la première est un vert « bouteille » et la seconde un vert plus sombre « wagon », la société Lidl rappelant que d'autres bouchons de sirops de marques comme "Sirop Sport" et "Pulco" sont également de couleur verte ;

Qu'en conséquence, la demande d'interdiction fondée sur le parasitisme ne saurait trouver application en l'absence de trouble manifestement illicite ;

Que l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a dit qu'il n'y avait lieu à référé de ce chef de demande ;

Considérant que la société Teisseire, qui succombe, sera déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamnée à payer sur ce fondement à la société Lidl la somme de 5000 € ainsi qu'aux dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme l'ordonnance,

Y ajoutant,

Condamne la société Teisseire à payer à la société Lidl la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.