CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 12 mai 1998, n° ECOC9810137X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pompes funèbres générales Ile-de-France (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard Payen
Conseillers :
Mme Marais, M. Perie
Avocat :
Me Donnedieu de Vabres
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;
Par décision n°97-D-28 du 29 avril 1997 relative à des pratiques relevées dans le secteur des pompes funèbres, dans le département de la Seine-Saint-Denis, le Conseil de la concurrence :
- a dit qu’il était établi que la société Pompes funèbres générales (aux droits et aux obligations de laquelle la société PGF Ile-de-France) a enfreint les dispositions du premier alinéa de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- a infligé en conséquence une sanction pécuniaire à la société PFG d’un montant de 100 000 F.
La société PGF Ile-de-France a formé un recours en annulation ou en réformation à l’encontre de cette décision.
Elle soutient :
- que la décision est nulle pour s’être fondée sur des documents issus d’un procès-verbal qui ne figurait pas en annexe du rapport du conseil, contrairement aux prescriptions de l’article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- qu’elle est également nulle en raison de l’irrégularité, au regard des dispositions de l’article 31 du décret du 29 décembre 1986, du procès-verbal de communication desdits documents établi le 10 juillet 1990.
Elle demande, en conséquence, à la cour :
- de prononcer l’annulation de la décision ;
- d’ordonner le remboursement immédiat des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter du paiement de ladite sanction ;
- d’ordonner la capitalisation des intérêts à compter dudit paiement ;
- de condamner le ministre chargé de l’économie et des finances au paiement d’une somme de 50 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie fait observer en réplique :
- que les dispositions de l’article 21 précité et le principe du contradictoire ont été respectés ;
- que le procès-verbal de M. Boulet du 10 juillet 1990 est parfaitement régulier dès lors qu’il ne concerne qu’une remise de documents purement objectifs dont la présentation est obligatoire et qui n’est accompagné d’aucune déclaration ; qu’il est, au surplus, régulier pour faire suite au procès-verbal de M. Chomette du 1er février 1990, selon lui, parfaitement régulier et écarté, à tort, par le conseil ;
- que le recours systématique à la société Marbreries réunies par l’agence de Bondy, non retenu par le conseil, constitue une pratique contraire à l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 susceptible d’entraver le fonctionnement normal du marché.
Il demande en conséquence à la cour :
- de retenir la régularité du procès-verbal de M. Boulet en date du 10 juillet 1990 ainsi que celui de M. Chomette du 1er février 1990 ;
- de confirmer l’abus de position dominante de la société PFG Ile-de-France, le grief d’avoir, par une information tronquée donnée aux familles, faussé le jeu de la concurrence sur le marché des soins de thanatopraxie dans le département de la Seine-Saint-Denis.
Le Conseil de la concurrence n’a formulé aucune observation.
LE ministère public a conclu oralement au rejet du recours formé par la société PFG Ile-de-France en raison de la validité qui, selon lui, est celle du procès-verbal critiqué.
Sur quoi, la cour :
Sur l’annexation du procès-verbal de communication des pièces au rapport du 30 août 1994 :
Considérant que le procès-verbal de communication des pièces par M. Boulet, au date du 10 juillet 1990, sur lequel le rapporteur s’est fondé, s’agissant de l’insuffisance d’informations données aux familles au funérarium de Montfermeil et qui a conduit le Conseil à prononcer à l’encontre de la société PFG Ile-de-France une sanction pécuniaire, ne figure pas au sommaire des annexes du rapport du 30 août 1994 notifié aux parties ;
Mais considérant que ce procès-verbal figure en annexe 28, pages 575 à 593, du rapport administratif qui se trouve lui-même annexé au rapport du 30 août 1994 en annexe IV sous l’intitulé « Rapport administratif (y compris les annexes sur lesquelles le rapporteur se fonde) » ; que les documents que ce procès-verbal comporte et qui ont fondé la décision du Conseil ont régulièrement figuré aux débats et ont pu contradictoirement être discutés ; que le moyen tiré de l’article 21 de l’ordonnance du 1 décembre 1986 n’est pas avéré et doit, de ce fait, être écarté ;
Sur la régularité du procès-verbal du 10 juillet 1990 :
Considérant qu’il résulte des énonciations du procès-verbal du 10 juillet 1990 que M. Boulet, assistant funéraire, responsable du funérarium de Montfermeil en l’absence de M. Chomette, chef de l’établissement, a accepté de communiquer divers documents dont les sept factures sur lesquelles le Conseil a fondé sa décision ;
Mais considérant que ce procès-verbal ne porte pas mention de l’objet de la remise ou de la connaissance qu’aurait pu en avoir la personne qui y a procédé; qu’il ne comporte pas davantage mention de l’ordonnance du 1er décembre 1986 de sorte qu’il n’est nullement établi que M. Boulet ait accepté de remettre les documents en connaissance de la nature des pour suites engagées ; qu’on ne saurait trouver dans le procès-verbal d’audition et de remise de documents du 1 février 1990 de M. Chomette, chef du funérarium, auquel le procès-verbal du 10 juillet 1990 s’incorpore mais qui ne comporte pas davantage les mentions susvisées et a été, à juste titre, écarté des débats par le Conseil, des éléments permettant d’affirmer que les intéressés n’ignoraient pas la nature de la procédure poursuivie à l’encontre des entreprises de pompes funèbres ; qu’ainsi la seule évocation par M. Chomette d’un concurrent à Montfermeil en la personne des «pompes funèbres de la liberté» et du non-respect par ce dernier du monopole légal ne permet pas de déduire que l’intéressé avait une parfaite connaissance de la nature de la procédure en cause et que ses déclarations aient été faites de façon éclairée et recueillies en toute loyauté ;
Que la nature des documents remis par M. Boulet, s’agissant de factures professionnelles obligatoires, exemptes de commentaire, et l’absence de déclaration accompagnant leur remise n’est pas, en soi, de nature à valider le procès-verbal établi dans les conditions ci-dessus évoquées, non conformes aux dispositions de l’article 31 du décret du 29 décembre 1986 ;
Que les seules pièces qui ont fondé la décision du Conseil doivent être écartées et, par voie de conséquence, la décision du Conseil annulée ;
Considérant que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie n’ayant pas formé de recours incident conforme aux dispositions de l’article 6 du décret du 19 octobre 1987, les demandes par lui formées à l’occasion de ses observations écrites sont irrecevables ;
Considérant qu’en raison de ce qui précède la somme de 100 000 F versée par la société requérante en exécution de la décision annulée doit être restituée avec intérêts au taux légal à compter de la notification de la présente décision et capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l’article 1154 du code civil ;
Qu’il n’apparaît pas contraire à l’équité de laisser à la requérante la charge de ses frais irrépétibles d’instance ;
Par ces motifs :
Ecarte des débats le procès-verbal de communication des pièces par M. Boulet du 10 juillet 1990 ;
Annule la décision n 97-D-28 du 29 avril 1997 du Conseil de la concurrence ;
Déclare irrecevables les demandes formées par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ;
Ordonne le remboursement à la société PFG Ile-de-France de la somme de 100 000 F avec intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision et capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l’article 1154 du code civil ;
Dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Met les dépens à la charge du Trésor public.