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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 30 juin 1998, n° ECOC9810201X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Héli-Inter Assistance (Sté)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

M. Renard-Payen, Mme Kamara

Avocat :

Me Eveno

CA Paris n° ECOC9810201X

30 juin 1998

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours,

Aux termes d’une décision n° 96-D-51 du 3 septembre 1996, confirmée par arrêt de cette cour du 9 septembre 1997, le Conseil de la concurrence (ci-après le Conseil), saisi par la société Jet Systems, sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, de pratiques mises en œuvre dans l’exploitation de l’hélistation de Saint-Crescent-le-Vieil à Narbonne, a infligé à la société Héli-Inter Assistance une sanction pécuniaire de 70 000 F et lui a enjoint de justifier, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d’une proposition de tarification des prestations des services liés à l’utilisation de l’hélistation pour l’exécution du marché de fourniture des transports sanitaires héliportés du centre hospitalier de Narbonne dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et orientées vers les coûts encourus pour répondre à cette demande.

Par lettre reçue le 23 janvier 1997, la société Héli-Inter Assistance a communiqué au Conseil un tarif des «prestations de services liées à l’utilisation de l’hélistation de Saint-Crescent-le-Vieil par la société Jet Systems pour l’exécution du marché de transports sanitaires héliportés du centre hospitalier de Narbonne », indiquant le prix du stationnement d’un hélicoptère par mois et par heure, de la taxe d’atterrissage par poser, de la livraison de carburant par intervention, du litre de kérosène, de la mise à disposition d’une aire de lavage, du branchement électrique et PTT privatifs, de la mise à disposition d’un bureau de permanence, d’accès aux sanitaires, et de la main-d’œuvre mécanicien et électromécanicien.

Elle précisait qu’à l’appui de cette tarification, se trouvaient joints les tarifs pratiqués par les héliports et hélistations de Saint-Tropez et d’Issy-les-Moulineaux en ce qui concernait les taxes d’atterrissage et de stationnement, et par trois «confrères » proposant les mêmes services de maintenance.

La société Héli-Inter Assistance joignait en outre à l’envoi du tarif une lettre du 11 janvier 1995 par laquelle la Société d’équipement de Narbonne Axe Sud (SENA Sud), qui lui a consenti une autorisation d’occupation temporaire et d’utilisation de l’hélistation, acceptait le montant des redevances d’atterrissage et de stationnement.

La société Jet Systems ayant saisi le Conseil du non-respect de l’injonction prononcée, Mme Bourard, gérante de la société Héli-Inter Assistance, entendue suivant procès-verbal du 15 mai 1997, a déclaré que les prix susmentionnés étaient « très directement inspirés » des tarifs pratiqués dans d’autres hélistations pour les redevances, par d’autres opérateurs pour la main-d’œuvre et en référence aux prix du marché, notamment pour la location de bureau et le lavage de voiture. Elle indiquait de surcroît « Jusqu’au 1er janvier 1995, nous étions quasiment les seuls opérateurs privés à utiliser l’hélistation... le chiffre d’affaires généré par la perception des différentes redevances dues par les utilisateurs de l’hélistation en 1996 était d’environ 500 F (hors la société Jet Systems), il est nul pour l’année 1997. Nous n’avions donc pas ressenti la nécessité d’élaborer une comptabilité analytique propre au fonctionnement de l’hélistation et confronté à une demande de prix, il nous a paru fondé de procéder par comparaison avec les redevances prélevées par les autres gestionnaires d’hélistation».

C’est dans ces conditions que, par décision n° 97-D-69 du 23 septembre 1997, statuant en application de l’article 14 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil a estimé que la société Héli-Inter Assistance ne s’était pas conformée à l’injonction contenue dans sa précédente décision, dès lors que, si elle a élaboré, rendu public et communiqué dans les délais requis un tarif détaillé, celui-ci ne constituait pas une tarification établie dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et orientées vers les coûts encourus. Il lui a ainsi infligé une sanction pécuniaire de 10 000 F.

La société Héli-Inter Assistance poursuit l’infirmation et l’annulation de cette décision en demandant à la cour de juger, sous réserve des mérites de son pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt du 9 septembre 1997, qu’elle a fourni au Conseil, dans le délai imposé, le tarif qui lui était demandé dans le respect de la liberté des prix et du libre jeu de la concurrence.

Elle sollicite, en outre, la condamnation de la société Jet Systems à lui verser la somme de 20 000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Jet Systems, régulièrement convoquée devant la cour, n’a pas formulé d’observations.

Le ministre de l’économie conclut à la confirmation de la décision déférée, soulignant que l’injonction prononcée par le Conseil avait pour finalité le rétablissement de l’ordre public concurrentiel et qu’il y a lieu de contrôler l’adéquation du contenu de l’offre formulée par l’entreprise aux conditions posées par l’injonction.

Le Conseil n’a pas usé de la faculté de présenter des observations écrites.

Le ministère public a conclu oralement au rejet du recours, motif pris de ce que l’injonction à elle donnée n’a pas été respectée par la requérante.

Ayant eu la parole en dernier, la société Héli-Inter Assistance a réitéré ses moyens initiaux, indiquant qu’elle estimait avoir satisfait aux prescriptions de la décision du Conseil en appliquant les prix pratiqués par d’autres.

Cela étant exposé, la cour, considérant que, pour la bonne compréhension du litige, il est rappelé que :

- par convention du 26 avril 1988, modifiée le 27 juin 1990 pour se terminer le 1er septembre 2005, la société d’économie mixte locale SENA Sud a confié, sous le régime général de l’occupation temporaire du domaine public, à la société Air Assistance, aux droits de laquelle vient la société Héli-Inter Assistance, l’exploitation de l’hélistation de Saint-Crescent-le-Vieil, à Narbonne, comportant deux aires d’envol et d’atterrissage, ainsi que des locaux d’accueil et de garage composés d’un bâtiment pour partie à usage de bureau, salle d’attente, sanitaires et, pour une autre partie, à usage d’atelier et de hangar, moyennant une redevance annuelle fixée à 119 228,16 F en 1995 ;

- ce contrat prévoyait que le permissionnaire ne pourrait s’opposer à l’atterrissage et à l’envol de tous hélicoptères sur les installations confiées, qu’il proposerait au contraire des prestations qu’il facturerait selon un barème clairement affiché à l’intention des usagers et qu’une copie de ce barème, comportant notamment le tarif des redevances et taxes aéronautiques, serait remis à la SEML SENA Sud pour accord préalable ;

- le tarif alors établi par la société Héli-Inter Assistance mentionnait :

                - taxe d’atterrissage (par poser) : 150 F ;

                - stationnement (l’heure) : 13 F ;

                - ravitaillement carburant (forfait) : 50 F ;

                - prix du carburant (le litre) : 2,50 F ;

                - mécanicien (l’heure) : 270 F ;

                - électromécanicien (l’heure) : 340 F

- de 1989 à 1994, la société Air Assistance, puis la société Héli-Inter Assistance, ont été titulaires du marché de fourniture de transports sanitaires héliportés pour le SMUR du centre hospitalier de Narbonne ;

- à l’issue d’un appel d’offres ouvert en octobre 1994, ce marché, conclu pour une année à partir du 1er janvier 1995 et renouvelable par tacite reconduction pour une période globale ne pouvant excéder trois ans, a été attribuée à la société Jet Systems avec l’option « 24 heures sur 24 » pour un montant de 1 538 000 F par année, tandis que l’offre de la société Héli-Inter Assistance était chiffrée à 2 157 000 F ;

-  le cahier des clauses techniques particulières afférent à ce marché précisait que l’hélicoptère devrait rester à disposition du SMUR de Narbonne sur l’hélistation de Saint-Crescent-le-Vieil, dans laquelle s’effectueraient de préférence les avitaillements ;

- par lettre du 6 janvier 1995, la société Jet Systems interrogeait la société Héli-Inter Assistance sur les tarifs qu’elle pouvait lui consentir pour l’utilisation des installations de l’hélistation ;

- le même jour, la société Héli-Inter Assistance lui adressait « ses meilleures conditions » pour l’utilisation de l’hélistation et les facilités que cette utilisation pouvait apporter: stationnement d’un hélicoptère, mise à disposition d’une aire de lavage, branchement électrique et PU privatifs livraison de carburant, mise à disposition d’un bureau de permanence aux heures de bureau et accès aux sanitaires : forfait mensuel sur la base de 1 200 F HT/jour de semaine, week-ends et jours fériés sur la base de 1 800 F HT/jour, soit 40 800 F HT/mois ;

- ayant refusé ces propositions, la société Jet Systems a pu seulement utiliser la piste de décollage et d’atterrissage, mais a été privée de l’accès au bâtiment à usage de garage, à l’aire de lavage, ainsi qu’à la station de kérosène et s’est trouvée contrainte d’installer le bureau de ses pilotes dans une caravane sur un terrain contigu à l’hélistation et de se faire livrer le carburant par un camion-citerne provenant de Lézignan ;

- saisi par la société Jet Systems des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par l’exploitant de l’hélistation, le Conseil a estimé que la société Héli-Inter Assistance avait abusé de sa position dominante et de la situation de dépendance dans laquelle la société Jet Systems se trouvait à son égard en lui imposant une tarification forfaitaire injustifiée et discriminatoire, et que cette pratique avait pu avoir pour effet de restreindre la concurrence en empêchant la société Jet Systems d’assurer dans des conditions financières justifiées et dans des conditions techniques acceptables l’exécution du marché de fourniture des transports sanitaires d’urgence héliportés dont elle avait été déclarée attributaire ;

Considérant que, par son arrêt rejetant le recours, la Cour a énoncé :

- que les ressources essentielles désignent des installations ou des équipements indispensables pour assurer la liaison avec les clients et/ou permettre à des concurrents d’exercer leurs activités et qu’il serait impossible de reproduire par des moyens raisonnables ;

- qu’en l’espèce, les services de ravitaillement des hélicoptères en carburant, le hangar pour abriter des appareils et l’aire de lavage de l’hélistation de Saint-Crescent-le-Vieil, seule hélistation de la commune de Narbonne dont l’utilisation était imposée par le marché public de fourniture de transports héliportés pour le centre hospitalier narbonnais, étaient indispensables à la sécurité et au bon fonctionne ment de ces transports ;

- que les moyens de fortune employés par la société Jet Systems, à savoir l’installation d’une caravane sur un terrain contigu à l’hélistation pour y abriter les pilotes et recevoir les communications du centre hospitalier, le stationnement de l’hélicoptère en terrain découvert sans commodité de lavage, ainsi que l’avitaillement en kérosène par un camion-citerne provenant d’une commune voisine, ne constituaient que des procédés précaires et ne pouvaient donc être qualifiés de prestations substituables, la seule solution alternative équivalente qui consisterait en la construction de nouveaux bâtiments et équipements destinés à remplir les services offerts par l’hélistation, ne pouvant être réalisée à un coût économiquement raisonnable ;

Considérant que la cour a en conséquence retenu que l’hélistation de Saint-Crescent-le-Vieil était une installation essentielle, à laquelle la société Jet Systems devait avoir accès dans des conditions non discriminatoires pour l’exécution du marché public des transports sanitaires héliportés pour le SMUR du centre hospitalier de Narbonne, dont la société Héli-Inter Assistance était précédemment titulaire et au renouvellement duquel elle s’était portée candidate, de sorte que ces deux entreprises étaient concurrentes ;

Considérant qu’elle a encore énoncé que, sur le marché pertinent de l’exploitation de l’hélistation, la société Héli-Inter Assistance, unique opérateur, détenait un monopole et occupait de ce seul fait une position dominante, et que la société Jet Systems, qui ne pouvait disposer d’installations et d’équipements substituables à l’infrastructure essentielle que la requérante exploitait à titre monopolistique, se trouvait nécessairement en situation de dépendance économique pour l’exécution du contrat dont elle était titulaire ;

Considérant, enfin, que la cour a relevé que, lorsque l’exploitant monopolistique d’une infrastructure essentielle est en même temps le concurrent potentiel d’une entreprise offrant un service exigeant le recours à cette facilité, cet exploitant pouvait, comme en l’espèce la société Héli-Inter Assistance, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval du service en abusant de sa position dominante ou de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve son concurrent à son égard en établissant un prix d’accès à cette facilité injustifié, non proportionné à la nature et à l’importance des services demandés, non transparent et non orienté vers les coûts encourus relevant de critères objectifs ;

Considérant que c’est dans ces circonstances que, ayant rappelé que la tarification des prestations de services offertes sur l’hélistation de Saint-Crescent-le-Vieil ne pouvait être utilement établie par comparaison avec des tarifs mis en œuvre sur des hélistations de dimensions et de trafic héliporté différents, et qu’il ne suffirait d’ailleurs pas qu’un tarif fût comparable à un autre pour ne pas présenter un caractère abusif, la cour a jugé qu’avait été justement prononcée par le Conseil à l’encontre de la société Héli-Inter Assistance l’injonction de lui justifier de la mise en œuvre « d’une tarification des prestations des services liés à l’utilisation de l’hélistation de Saint-Crescent-le-Vieil par la société Jet Systems pour l’exécution du marché de fourniture des transports sanitaires héliportés du centre hospitalier de Narbonne dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et orientées vers les coûts encourus pour répondre à cette demande », laissant à l’entreprise sa liberté de tarification en fonction des paramètres qu’elle retiendrait pour établir sa grille tarifaire ;

Considérant que, pour satisfaire à cette injonction, il appartenait à la requérante, en sa qualité d’unique exploitante de l’infrastructure essentielle sur laquelle elle était personnellement et directement concurrente de l’entreprise sollicitant l’accès à cette installation, d’établir un tarif tenant compte de ses propres coûts d’exploitation, et non de procéder en s’inspirant des prix pratiqués par d’autres exploitants d’hélistation ou prestataires de services sur lesquels pèsent des charges d’exploitation sans comparai son avec les siennes ; que le seul fait qu’elle n’ait pas tenu de comptabilité analytique ne saurait constituer une excuse justificative du défaut de recherche du coût réel des services par elle offerts, laquelle pouvait seule assurer les conditions de mise en œuvre d’une libre concurrence entre l’entreprise sollicitante et elle-même ;

Considérant qu’il s’ensuit qu’en élaborant une grille tarifaire par comparaison avec les prix appliqués par des tiers, sans définir de manière objective et transparente les coûts véritables que représentait pour elle la fourniture des différents services, la société Héli-Inter Assistance n’a pas exécuté l’injonction prononcée à son encontre ;

Que le Conseil lui a donc à bon droit infligé une sanction pécuniaire, dont le montant, modéré et au demeurant non discuté, est justifié ;

Considérant que la requérante, qui succombe en son recours et supportera les dépens, ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs :

Rejette le recours ;

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Met les dépens à la charge de la requérante.