CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 16 février 1999, n° ECOC9910040X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ligue nationale de football (Sté)
Défendeur :
Adidas Sarragan France (SARL), Nike France (SA), Asics France (SARL), Reebok France (SA), Puma France (SA), M. le commissaire du Gouvernement, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Canivet, Mme Thin, Mme Favre
Conseillers :
Mme Guirimand, Mme Bregeon
Avocats :
Me Appietto, Me Monnerville, Me Elsen, Me Thibault, Me Choffel, Me Anstett-Gardea
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours,
La cour est saisie du recours principal formé par la Ligue nationale de football contre la décision n° 95-MC-10 du conseil de la concurrence du 12 juillet 1995, lui ayant enjoint à titre de mesure conservatoire :
- de suspendre l’application de l’article 315 nouveau du règlement des championnats de France de football professionnel de première et deuxième divisions ;
- de ne pas s’opposer à l’exécution des contrats en cours signés entre les clubs de première et deuxième divisions de football professionnel et leurs fournisseurs respectifs pour l’équipement et leurs joueurs, et avait enjoint (art. 2 et 3 de la décision) à la Ligue nationale de football et à la société Adidas Sarragan France, dans l’attente d’une décision au fond, de suspendre l’accord relatif à la fourniture d’équipements aux dus de première et deuxième divisions de football.
Le conseil avait été saisi par différentes sociétés fabriquant des vêtements et équipements de football de l’accord passé par la LNF avec la société Adidas, portant sur la fourniture par la société Adidas d’équipements sportifs aux clubs de première et deuxième divisions, ainsi que le port de ces équipements par les joueurs. En application de cet accord, le directeur de la LNF avait adressé aux présidents des clubs de football concernés une lettre datée du 5 mai 1995, par laquelle il leur demandait de lui adresser la copie de leur contrat de fourniture d’équipements, afin de permettre la mise en œuvre de la décision du conseil d’administration de la Ligue d’imposer le port, dès la saison 1995-1996, par les joueurs de clubs disputant les championnats de première et de deuxième division, d’équipements sportifs fournis par la Ligue nationale.
Cette décision avait été arrêtée le 28 avril 1995 par le conseil d’administration qui avait, au cours de la même séance, décidé de modifier l’article 315 du règlement des championnats de première et deuxième divisions, pour disposer que « les clubs participant aux CF 1 et CF 2 seront tenus de faire porter à leurs joueurs les équipements fournis par la LNF ».
Les sociétés saisissantes ont indiqué que plusieurs clubs les avaient avisées de leur intention de résilier les contrats de parrainage conclus avec elles, afin de se conformer à la décision de la LNF, et qu’elles se trouve raient ainsi privées, au profit d’Adidas, du bénéfice de la publicité liée au parrainage.
Le conseil a retenu que, dans Je domaine du football, Je parrainage avait une influence déterminante par rapport aux autres formes de publicité, et que la pratique dénoncée était susceptible dc permettre à la Société Adidas de conforter sa position sur les marchés des équipements sportifs liés à la pratique du football, au détriment de ses concurrents directs, et de limiter l’accès de ceux-ci aux marchés concernés. Il a également estimé que, certaines des entreprises saisissantes réalisant la majeure partie de leur chiffre d’affaires dans le domaine du football, les conséquences de l’entrée en vigueur de l’accord Seraient graves et immédiates, eu égard à la proximité du début du championnat, et a constaté que trente-deux clubs avaient déjà commandé leurs équipements auprès de la société Adidas, parmi lesquels plusieurs qui avaient rompu de manière unilatérale leurs relations avec leurs précédents fournisseurs.
C’est dans ces conditions que le conseil a estimé qu’il ne pouvait être exclu que les pratiques dénoncées puissent être qualifiées sur le fondement des dispositions du titre III de l’ordonnance du 1er décembre 1986, et a rendu la décision ci-dessus rappelée.
Dans son arrêt du 23 août 1995, la cour de céans, autrement composée, saisie d’un déclinatoire de compétence par le préfet de la région Ile-de-France, a estimé que le pouvoir d’imposer aux clubs de faire porter les équipements fournis par la LNF relevait du pouvoir général d’organisation dévolu à celle-ci, constituait l’usage d’une prérogative de puissance publique et ne s’inscrivait pas dans une activité de production, de distribution ou de service, au sens de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. Elle s’est en conséquence déclarée incompétente pour suspendre l’application de l’article 315 du règlement de la Ligue nationale de football et apprécier la validité de cette disposition. Ecartant l’argumentation de la LNF tendant à voir la cour se déclarer incompétente pour prononcer une injonction relativement à l’accord passé avec la société Adidas, selon elle non détachable de l’article 315 du règlement, la cour a rejeté le recours concernant les articles 2 et 3 de la décision.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt, en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour suspendre l’application de l’article 315 du règlement et apprécier la validité de cette disposition, ayant pour seul objet la fourniture exclusive de vêtements et d’équipements sportifs par la LNF aux clubs de première et deuxième divisions, et ne pouvant être caractérisée comme mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique.
Le préfet de la région Ile-de-France a, par un déclinatoire du 27 novembre 1998, demandé à la cour de se déclarer incompétente pour suspendre la validité de l’article 315 du règlement de la LNF et apprécier la validité de cette disposition et, par voie de conséquence, d’annuler l’article 1er de la décision du conseil de la concurrence.
Il indique que la Fédération française de football participe à l’exécution d’une mission de service public et a, pour ce faire, reçu délégation du ministre chargé des sports pour organiser les compétitions sportives ; que la LNF instituée par la Fédération pour diriger es activités sportives à caractère professionnel bénéficie de cette délégation, dans la limite de ses attributions. Le règlement de la LNF étant un acte réglementaire, dont la légalité a été appréciée par le Conseil d’Etat, il n’appartiendrait qu’au juge de l’ordre administratif d’imposer à l’autorité publique le respect de la règle qui lui interdit de placer une entreprise en situation de position dominante.
La Ligue nationale de football et la société Adidas Sarragan France s’associent aux moyens présentés au soutien du déclinatoire de compétence et demandent à la cour de se déclarer incompétente. La société Adidas fait en outre valoir que, le Conseil d’Etat ayant, par un arrêt du 19 novembre 1997, annulé l’article incriminé du règlement d la LNF pour excès de pouvoir, la cour ne peut en aucun cas porter une quelconque appréciation sur ce texte qui est censé n’avoir jamais existé.
La société Reebok France conclut au rejet du déclinatoire de compétence, qui, selon elle, méconnaît la qualification donnée à l’article 315 du règlement de la LNF, tant par la Cour de cassation que par le Conseil d’Etat.
La société Nike France, défenderesse au recours, relève qu’à la suite de l’annulation par le Conseil d’Etat pour excès de pouvoir de l’article 315 du règlement de la LNF cet article n’est plus susceptible d’exécution, et le recours de la LNF se trouve privé d’objet. Elle demande à la cour de retenir sa compétence, pour dire n’y avoir lieu à statuer sur le recours.
Le ministre chargé de l’économie conclut que le déclinatoire n’a pas à être examiné par la cour, puisque le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé, et que le conseil de la concurrence a rendu sa décision sur le fond. A titre subsidiaire, il estime que le déclinatoire doit être rejeté, dans la mesure où la modification de l’article 315 du règlement n’était qu’un moyen de parvenir à la conclusion d’un accord d’exclusivité et a été pris en dehors de toute prérogative de puissance publique.
Le ministère public conclut au rejet du déclinatoire de compétence, eu égard à l’objet de l’article 315 du règlement de la LNF, et au caractère détachable de la mission de service public de cette dernière des activités ainsi visées.
Sur ce, la cour,
Considérant que les mesures ordonnées sur le fondement de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 n’ont d’effet que pour la durée de la procédure, et jusqu’à ce qu’intervienne la décision sur le fond ;
Considérant que, par décision n° 97-D-71 du 7 octobre 1997, le conseil de la concurrence s’est prononcé au fond sur les pratiques dont il était saisi, à l’égard de la LNF et de la société Adidas ;
Qu’ainsi le recours formé par la LNF et partant le déclinatoire de compétence se trouvent dépourvus d’objet,
Par ces motifs :
Dit n’y avoir lieu à statuer sur le déclinatoire de compétence de m. le préfet de la région d’Ile-de-France ;
Laisse les dépens à la charge de la requérante.