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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 3 avril 2014, n° 13/07219

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Caisse de Mutualité Sociale Agricole de l'Ile-de-France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Belaval

Conseillers :

Mme Beauvois, Mme Vaissette

Avocat :

AARPI Avocalys

T. com. Versailles, du 5 sept. 2013

5 septembre 2013

Par jugement en date du 5 septembre 2013, le tribunal de commerce de Versailles, saisi par la Caisse de mutualité sociale agricole de l'Ile de France (la Caisse), a notamment constaté la cessation des paiements de Mme X, exerçant l'activité de paysagiste, ouvert sa liquidation judiciaire, fixé la date de cessation des paiements au 5 mars 2012 et désigné Maître Y en qualité de liquidateur.

Mme X a fait appel du jugement suivant déclarations des 26 et 27 septembre 2013 en intimant la Caisse. Elle a assigné en intervention forcée Maître Y, ès qualités, le 29 novembre 2013.

Aux termes de ses dernières conclusions du 11 décembre 2013, Mme X demande à la cour de :

- déclarer recevable son appel,

- infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé sa liquidation judiciaire,

- statuant à nouveau,

- ouvrir une procédure de liquidation judiciaire dans les limites du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté exercée par Mme X conformément au Livre VI Titre VIII du code de commerce et notamment l'article L. 680-2 de ce code,

- condamner la Caisse à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Caisse aux entiers dépens.

Mme X soutient que son appel est recevable pour avoir été formé dans les délais à l'encontre de la Caisse, et que la procédure est régulière puisque le mandataire a été appelé dans la cause et a constitué avocat.

Sur le fond, elle fait valoir qu'elle exerçait une activité d'aménagements extérieurs sous la forme d'une entreprise individuelle, l'entreprise Z, régulièrement inscrite à la chambre des métiers, que cette entreprise a été modifiée en entreprise individuelle à responsabilité limitée (Eirl), que la déclaration d'affectation du patrimoine a produit ses effets à l'égard des créanciers antérieurs qui ont été informés par lettre recommandée du 3 août 2013 et qui ne s'y sont pas opposés, et que le fait d'avoir modifié son statut ne peut être considéré comme une fraude.

Par conclusions du 11 février 2014, la Caisse demande à la cour de :

- déclarer irrecevable l'appel régularisé par Mme X,

- le juger subsidiairement mal fondé et l'en débouter,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter Mme X de ses demandes,

- condamner Mme X à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme X aux dépens avec droit de recouvrement direct.

La Caisse souligne que les dispositions de l'article R 661-6, 1°, du code de commerce exigent expressément l'intimation du mandataire judiciaire et non sa simple mise en cause, que Mme X n'a pas intimé Maître Y sur son appel, et que l'assignation en intervention forcée qui lui a été délivrée le 29 novembre 2013, soit postérieurement à l'expiration du délai d'appel ne saurait permettre de régulariser la fin de non-recevoir résultant du défaut d'intimation dans l'acte d'appel.

Subsidiairement sur le fond, la Caisse soutient que les lettres d'information que Mme X a adressées aux créanciers pour porter à leur connaissance son changement de statut ne reprennent pas les mentions obligatoires énumérées par l'article R 526-3 du code de commerce et ne comprennent par ailleurs aucune indication sur le droit du créancier de faire opposition à la déclaration d'affectation et du délai dont il dispose pour agir en justice. Elle en conclut que la déclaration d'affectation de patrimoine ne peut être opposée aux créanciers dont les droits sont nés antérieurement à celle-ci.

Elle indique aussi qu'en cas de fraude, l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée est responsable sur la totalité de ses biens et droits et que tel est le cas en l'espèce, Mme X ayant procédé à la modification de son statut postérieurement à l'assignation en redressement judiciaire, et n'ayant jamais eu l'intention de son propre aveu formalisé à l'audience de poursuivre une activité puisqu'elle a elle-même demandé l'ouverture de sa liquidation judiciaire.

Maître Y, ès qualités, a signifié des conclusions le 30 janvier 2014 selon lesquelles il demande à la cour de :

- constater que Mme X n'a pas interjeté appel à son encontre,

- déclarer irrecevable l'appel de Mme X,

- débouter Mme X de ses demandes,

- à titre subsidiaire, déclarer Mme X mal fondée en sa demande d'appel,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter Mme X de ses demandes,

- condamner Mme X aux entiers dépens.

Maître Y ès qualités soutient que si Mme X a formulé une déclaration d'appel dans les délais à l'encontre de la Caisse, elle ne l'a pas fait à son encontre, que la mise en cause est intervenue hors délai et que l'appel est donc irrecevable.

Sur le fond, il constate que Mme X ne justifie ni de la réalité de l'existence de son statut d'Eirl, ni des obligations inhérentes à ce statut, que les créanciers qui ont déclaré leur créance concernent Mme X exerçant en son nom propre, le statut d'Eirl à le supposer établi leur étant inopposable, et que le tribunal de commerce a entendu prononcer la liquidation judiciaire de Mme X exerçant en nom propre.

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'appel :

Considérant que l'article R 661-6, 1°, du code de commerce impose aux appelants des jugements rendus en matière de procédures collectives dont fait partie le jugement prononçant la liquidation judiciaire d'intimer les mandataires de justice qui ne sont pas eux-mêmes appelants ;

Considérant que selon l'article 552, alinéa 2, du code de procédure civile , en cas de solidarité ou d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel dirigé contre l'une des parties réserve à l'appelant la faculté d'appeler les autres à l'instance ; que le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire est indivisible à l'égard du débiteur, du créancier poursuivant et des mandataires de justice ; qu'il faut en conclure que l'appel de Mme X dirigé en temps utile contre la Caisse qui l'avait assignée devant le tribunal réservait la faculté pour l'appelante d'appeler Maître Y ès qualités à l'instance et que la mise en cause de celui-ci couvre l'irrégularité d'intimation, tous les intéressés étant désormais mis en cause devant la cour ; que l'appel est recevable ;

Sur le fond :

Considérant qu'en vertu de l'article L 526-6 du code de commerce, tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne morale, ce patrimoine étant composé de l'ensemble des biens , droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur est titulaire, nécessaires à l'exercice de son activité professionnelle ; que selon les articles L 526-7 et L 526-12 du même code, la constitution du patrimoine affecté résulte du dépôt d'une déclaration qui est opposable de plein droit aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à son dépôt et qui n'est opposable aux créanciers dont les droits sont nés antérieurement à son dépôt qu'à la condition que l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée le mentionne dans la déclaration d'affectation et en informe les créanciers dans des conditions fixées par voie réglementaire ; que dans ce cas, les créanciers concernés peuvent former opposition à ce que la déclaration leur soit opposable dans un délai également fixé par voie réglementaire ;

Considérant que l'article R 526-3 énumère la liste des informations que doit contenir la déclaration d'affectation ; que l'article R 526-8 impose à l'entrepreneur de porter à la connaissance de chacun des créanciers antérieurs les informations mentionnées aux 1° à 8° de l'article R 526-3 et de les informer de leur droit de faire opposition à la déclaration d'affectation et du délai d'un mois dont ils disposent en vertu de l'article R 526-10 pour agir en justice devant le tribunal compétent ;

Considérant que selon l'article L 680-1 du code de commerce, lorsque les dispositions des titres Ier à VI du Livre VI sont appliquées à raison des activités professionnelles exercées par un Eirl, elles le sont patrimoine par patrimoine ; que selon l'article L 680-2 du même code les mêmes dispositions qui intéressent la situation économique ou les biens, droits ou obligations du débiteur Eirl doivent, sauf dispositions contraires, être comprises comme visant les éléments du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté ; que l'article L 680-3 du même code prévoit que les mêmes dispositions qui intéressent les droits ou obligations des créanciers du débiteur Eirl s'appliquent, sauf dispositions contraires, dans les limites du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté ; qu'il en résulte qu'en cas de cessation des paiements concernant l'activité professionnelle d'un Eirl à laquelle un patrimoine est affecté, la procédure collective ne peut être ouverte qu'à l'égard du patrimoine affecté à l'activité en difficulté et que les créanciers professionnels auxquels la déclaration d'affectation est inopposable pourront concourir à la procédure collective du patrimoine affecté mais aussi exercer des poursuites sur le patrimoine exclu de l'affectation ;

Considérant qu'aux termes de l'article L 621-2, dernier alinéa, du code de commerce, à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d'office, un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur Eirl peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure lorsque le débiteur a notamment commis un manquement grave aux règles prévues au deuxième alinéa de l'article L 526-6 ou aux oligations prévues à l'article L 526-13 ou encore une fraude à l'égard d'un créancier titulaire d'un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure ;

Considérant que Mme X a déposé une déclaration d'affectation au centre de formalités des entreprises de la chambre de métiers et de l'artisanat des Yvelines qui en a accusé réception le 7 août 2013 ; que Mme X qui justifie exercer une activité en qualité d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée a affecté à son activité professionnelle un patrimoine composé d'une minipelle de marque Caterpillar, un ordinateur , une imprimante, un véhicule de marque Renault et un lot de matériel, le tout représentant un patrimoine d'une valeur de 16 000 euros ; que la déclaration mentionne l'opposabilité de la déclaration d'affectation aux créanciers dont les droits sont nés antérieurement au dépôt de la déclaration, à savoir la Caisse, l'UGRR, et le centre des impôts de Rambouillet ; que la déclaration comporte les mentions obligatoires imposées par l'article R 526-3 ;

Considérant que les trois créanciers antérieurs concernés par la déclaration d'affectation, dont la Caisse, ont été informés par Mme X au moyen de lettres recommandées avec demandes d'avis de réception auxquelles était jointe la déclaration dans le mois suivant le dépôt de celle-ci ; que les lettres ne contenaient aucune information donnée aux créanciers sur leur droit de faire opposition à la déclaration et sur le délai d'un mois dont ils disposaient pour agir en justice devant la juridiction compétente ; que l'information n'ayant pas été donnée à ces créanciers dans les conditions exigées par l'article R 526-8, la déclaration d'affectation ne leur est pas opposable en application des dispositions de l'article L 526-12, alinéa 2 ; que si cette situation permet notamment à la Caisse d'exercer des poursuites à l'égard du patrimoine non affecté, elle n'a pas vocation à étendre la procédure collective à l'ensemble du patrimoine de Mme X ;

Considérant qu'il en irait différemment en cas de fraude, laquelle permettrait de réunir le patrimoine non affecté de Mme X au patrimoine visé par la procédure en application de l'article L 621-2 susvisé; que force est de constater que le liquidateur qui représente les créanciers de la procédure collective n'invoque pas la fraude, ce moyen n'étant soulevé que par la Caisse qui obtient gain de cause sur l'inopposabilité et qui en tant que créancière ne figure pas parmi les personnes ayant qualité pour demander la réunion des patrimoines ;

Considérant que le patrimoine affecté par Mme X à l'activité en difficulté n'a pas la personnalité morale ; qu'il en résulte que la liquidation judiciaire ne peut être ouverte qu'à l'égard de Mme X avec la précision que cette liquidation judiciaire ne peut produire d'effet que sur les éléments de son patrimoine affecté à l'activité en difficulté ; que par voie de conséquence mais avec cette précision le jugement sera confirmé ;

Considérant que l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,

Déclare recevable l'appel formé par Mme X,

Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Versailles en date du 5 septembre 2013,

Y ajoutant,

Constate que l'activité en difficulté d'aménagements extérieurs est exercée par Mme Nicole R. en tant qu'entrepreneur individuel à responsabilité limitée,

Constate que la cour n'est pas saisie d'une demande de réunion des patrimoines dans les conditions prévues par l'article L 621-2, dernier alinéa, du code de commerce,

Dit que la liquidation judiciaire de Mme X est limitée au patrimoine affecté à l'activité en difficulté d'aménagements extérieurs,

Dit que la déclaration d'affectation du patrimoine à cette activité professionnelle déposée par Mme X le 7 août 2013 n'est pas opposable à la Caisse de mutualité sociale agricole de l'Ile de France,

Rejette les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme X aux dépens d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.