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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 9 octobre 2014, n° 13/08847

LYON

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tournier

Conseillers :

Mme Homs, M. Bardoux

T. com. Saint-Etienne, du 30 oct. 2013

30 octobre 2013

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 20 février 2013, le Tribunal de Commerce a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée concernant l'entreprise individuelle à responsabilité limitée EIRL K. TUNCER et a désigné la SELAS MJ LEX, prise en la personne de Me André-Charles R., en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte d'huissier en date du 18 septembre 2013, le liquidateur judiciaire a assigné Monsieur K. Tuncer par devant le Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE aux fins de voir prononcer la réunion du patrimoine personnel de Monsieur K. avec le patrimoine affecté à l'EIRL K. lors de la liquidation judiciaire de l'EIRL K..

Par jugement du 30 octobre 2013, le Tribunal de commerce de SAINT ETIENNE a notamment :

-Fait droit à la demande de la SELAS MJ LEX prise en la personne de Me R., ès qualité,

-Prononcé la réunion du patrimoine personnel de Monsieur Tuncer K. avec le patrimoine affecté à l'EIRL K. TUNCER.

-Prononcé l'extension de la procédure de liquidation judiciaire régime simplifié de l'EIRL TUNCER K. à l'égard de Monsieur Tuncer K..

-Fixé provisoirement au 12/02/2013, la date de cessation des paiements de Monsieur Tuncer K..

Appel de cette décision a été interjeté par Monsieur Tuncer K. par déclaration d'appel enregistrée le 14 novembre 2013.

Une ordonnance de clôture du Conseiller de la mise en état a été rendue le 29 juillet 2014

Dans ses conclusions récapitulatives déposées le 3 juin 2014, Tuncer K. demande à la Cour de :

-Réformer le jugement entrepris,

-Dire et juger que le patrimoine de Tuncer K. ne sera pas réuni avec celui affecté a l'EIRL K. TUNCER, et qu'il n'y a pas lieu d'étendre la procédure de liquidation judiciaire régime simplifié de l'EIRL K. TUNCER a l'égard de Tuncer K.,

-Condamner la SELAS MJ LEX prise en la personne de Me André Charles R. à verser à Tuncer K. la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

Il fait notamment valoir que :

L'EIRL K. TUNCER n'a pas pu produire les bilans comptables et comptes de résultat lors de la procédure de liquidation par suite d'un litige avec son comptable.

La comptabilité produite, certes avec retard, est autonome et respecte les dispositions en vigueur du Code de commerce. Les comptes présentés sont réguliers, sincères et probants.

Il ne peut en être conclu à une absence de comptabilité alors que la comptabilité est présentée. Les documents comptables (factures, livres, journaux, grand livre) sont à la disposition du mandataire et de la Cour.

Le passif professionnel de l'EIRL K. ne s'est jamais élevé à la somme de 306 562 euros puisque dans le passif produit par le mandataire judiciaire, sont compris les créanciers bancaires de monsieur K. à titre personnel pour l'acquisition de sa maison personnelle et d'un bien immobilier.

Concernant la déclaration d'affectation du patrimoine, monsieur K. a établi une déclaration en affectant un lot de matériels d'occasion ainsi qu'un véhicule Peugeot partner d'occasion pour un montant total de 1 000 euros.

Le mandataire judiciaire n'apporte aucune preuve de ce qu'il affirme concernant les actifs importants de Monsieur K..

Dans ses conclusions récapitulatives déposées le 22 juillet 2014, la société MJ LEX requiert de la Cour de :

-Constater que Tuncer K. a:

> manqué à ses obligations comptables,

>manqué aux règles de constitution de l'affectation du patrimoine,

>refusé de coopérer à la procédure de liquidation judiciaire,

-Confirmer en toutes ses dispositions le jugement frappé d'appel,

-Condamner Tuncer K. au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

-Condamner Tuncer K. aux entiers dépens, avec distraction.

Elle argue notamment de ce que :

Tuncer K. n'a produit aucun élément comptable jusqu'à ses conclusions d'appel, ce qui laisse penser qu'aucune comptabilité autonome n'a été tenue.

Les comptes établis en appel par Tuncer K. ne l'ont été que sous la pression de la sanction prononcée à son encontre et ne sont, de toute évidence, ni réguliers ni sincères car il est incontestable que le passif ressortant du bilan simplifié a été largement minoré. En effet, le total du passif professionnel de l'EIRL K. s'élève à 306 562,21 euros alors que le passif ressortant du bilan simplifié produits par Tuncer K. ressort à 38 182 euros.

Tuncer K. a refusé de coopérer à la procédure puisqu'il s'est abstenu de communiquer aux organes de la procédure quelque élément comptable que ce soit, jusqu'à qu'un jugement de réunion de patrimoine soit prononcé à son encontre. S'il a fini par verser des documents comptables au débat, ces documents sont irréguliers. De plus, dès le début de la procédure Monsieur Tuncer K. n'a daigné répondre à aucune demande du commissaire-priseur et il refuse de procéder à la vérification du passif.

La déclaration d'affectation du patrimoine de Tuncer K. n'est pas conforme aux articles L526-6 et L526-8 du Code de commerce car il y a un très faible nombre de biens affectés au patrimoine et la description des biens présentée dans la déclaration de Tuncer K. est plus qu'approximative.

Tuncer K. n'a pas respecté les règles de composition du patrimoine affecté puisqu' il n'a déclaré qu'un véhicule et un lot de matériels, dont la valeur est très faible, à hauteur de 6 000 euros. Or, il est peu probable que l'EIRL, qui emploie deux salariés, puisse exercer sa vaste activité « étanchéité, couverture, bardage, maçonnerie générale » avec si peu de matériel.

Enfin le Procureur Général conclut à la confirmation de la décision rendue le 30 octobre 2013 par le Tribunal de commerce de SAINT ETIENNE.

Il expose que l'absence de comptabilité régulière, complète et sincère s'inscrit dans un contexte de dissimulation d'un volume significatif de créances déclarées de l'EIRL et de déclaration incomplète d'affectation de patrimoine au détriment de l'intérêt collectif des créanciers en violation du fondement de la loi et de l'intérêt général qui le sous-tend.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures devant la cour ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé pour répondre aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la demande d'extension :

Attendu qu'aux termes de l'article L526-13 du code de commerce : « l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté fait l'objet d'une comptabilité autonome, établie dans les conditions définies aux articles L123-12 à L123-23 et L123-25 à L123-27 », l'article L526-14 précisant: « Les comptes annuels de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou, le cas échéant, le ou les éléments comptables résultant des obligations comptables simplifiées prévues au deuxième alinéa de l'article L526-13 sont déposés chaque année au registre auquel a été effectuée le dépôt de déclaration prévu à l'article L526-7 pour y être annexés », ces dispositions étant complétées par l'article L123-12 du code de commerce qui fait obligation à tout commerçant de « procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise »et d' « établir des comptes annuels » à la clôture de chaque exercice, comprenant le bilan, le compte de résultat et une annexe « qui forment un tout indissociable »;

Attendu qu'en l'espèce, en premier lieu, il résulte des pièces 6 et 8 versées aux débats par le liquidateur que Tuncer K. n'a pas répondu à ses convocations et s'est abstenu de collaborer avec les organes de la procédure (commissaire priseur, liquidateur), ne leur produisant aucun élément comptable, pas plus qu'au tribunal de commerce; Qu'ainsi cette juridiction ne pouvait que constater que l'EIRL K. n'avait tenu aucune comptabilité autonome; Que cette absence de remise de comptabilité est d'ailleurs reconnue expressément dans les conclusions de l'appelant qui prétend que « l'EIRL K. Tuncer n'a pas pu produire les bilans et comptes de résultat lors de la procédure de liquidation par suite d'un litige avec son comptable » sans d'ailleurs spécifier la nature de ce litige ou produire le moindre élément de preuve établissant la réalité tant de l'existence d'un comptable que de la réalité d'un litige avec lui;

Attendu qu'en deuxième lieu, ce n'est qu'en appel que Tuncer K. produit quelques éléments comptables, à savoir des liasses fiscales pour 2012 et 2013 (sa pièce 3), un document ayant l'apparence d'un journal et une attestation de l'Union des Entrepreneurs Franco Turcs (UNEFT) (sa pièce 4); Qu'en ne versant aux débats que ce bilan simplifié et cette liste d'écritures, il ne produit pas une comptabilité complète et notamment aucun élément probant pouvant constituer un livre journal, un grand livre ou bien un livre d'inventaire; Que l'attestation de l'UNEFT, qui n'est pas expert comptable et n'a fait que réaliser des liasses fiscales au regard de documents qui lui sont remis, ne saurait conférer une quelconque force probante à ces écritures; Qu'au demeurant le passif déclaré (pièce 9 du liquidateur) s'élève à 548 163,90 €, que même en en déduisant les créances 5 et 6 de la caisse d'Epargne qui représentent des prêts personnels, il demeure de 306 562,21 €, chiffre sans commune mesure avec le passif résultant du bilan simplifié (38 182 €); Qu'un écart d'une telle ampleur suffit à démontrer l'insincérité des comptes produits;

Qu'ainsi l'établissement tardif et incomplet de cette comptabilité, non vérifiée et non authentifiée par un homme du chiffre, dans le contexte sus-évoqué de défaut de collaboration avec les organes de la procédure, n'élude pas le fait que le non tenu de comptabilité en première instance, la tenue d'une comptabilité irrégulière, insincère et incomplète en appel, au regard des dispositions des articles L123-12 et suivants et R133-173 du code de commerce, sont établis ;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a accueilli la demande du liquidateur fondée sur l'article L526-13 du code de commerce ;

Attendu qu'en troisième lieu les articles L526-6 et L526-8 du code de commerce précisent le contenu et les formalités de la déclaration qui tient lieu de constitution de patrimoine affecté; Qu'il en résulte que les créanciers d'une EIRL n'ont pour seul gage général que le patrimoine affecté, de sorte qu'il est essentiel que la déclaration affecte au patrimoine de l'EIRL l'ensemble des biens nécessaires à son activité, or en l'espèce Tuncer K. n'affecte au patrimoine qu'un véhicule PEUGEOT PATNER qu'il évalue à 5000 € (Pièce 5) et un « lot de matériels » d'une valeur approximative de 1000 € (Pièce 5); Que la modicité de la valeur de ce lot de matériels est sans rapport avec l'activité ample et multiforme de l'EIRL ( « étanchéité, couverture, bardage, maçonnerie générale ») qui employait deux salariés; Qu'en outre l'article L526-8 du code de commerce exige un état descriptif des biens notamment leur nature, leur quantité, leur qualité et leur valeur, ce que Tuncer K. ne fait pas; Qu'ainsi il n'a pas respecté les exigences de la loi en matière d'affectation de patrimoine, peu important à cet égard que l'organisme chargé de la tenue des registres n'ait pas vérifié la régularité de cette déclaration;

Qu'il n'y a donc pas lieu de dire, comme l'ont fait les premiers juges, que la demande du liquidateur fondée sur les articles L526-6 et L526-8 du code de commerce ne saurait prospérer ;

Attendu qu'ainsi Tuncer K. a gravement manqué aux obligations prévues par les articles L526-13, L526-6 et L526-8 du code de commerce ;

Attendu que le troisième alinéa de l'article L621-2 du code de commerce prévoit que « un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure en cas de confusion avec celui-ci. Il en va de même lorsque le débiteur a commis un manquement grave aux règles prévues aux deuxième alinéa de l'article L526-6 ou aux obligations prévues à l'article L526-13 ou encore une fraude à l'égard d'un créancier titulaire d'un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure » ;

Qu'il convient donc de confirmer en tous points le jugement entrepris en son dispositif ;

Sur l'article 700 :

Attendu que l'équité commande que les frais de la procédure soient mis à la charge de Tuncer K.;

Qu'il sera donc condamné à payer à la société MJ LEX, prise en la personne de Maître R., la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par arrêt contradictoire,

CONFIRME en tous points le dispositif du jugement entrepris,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE Tuncer K. à payer à la société MJ LEX, prise en la personne de Maître R., la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Tuncer K. aux entiers dépens de l'instance, ceux d'appel pouvant être distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.