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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 16 août 2016, n° 15/02506-11

REIMS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

BNP Paribas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

Mme Simon-Rossenthal

CA Reims n° 15/02506-11

16 août 2016

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Suivant exploit en date du 5 juin 2012, Madame Véronique H. a assigné la BNP Paribas, devant le tribunal de grande instance de Chalons en Champagne aux fins de voir constater la responsabilité de la défenderesse au titre des prêts consentis et paiement de la somme de 472 489 euros et celle de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi.

Par jugement en date du 27 mai 2015, le tribunal a :

- condamné la société BNP Paribas à payer à Madame Véronique H. la somme de 29 648 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, celle de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral, découlant du manquement de la banque à son obligation de mise en garde au titre du seul prêt immobilier d'un montant principal de 80 000 euros souscrit le 22 juillet 2010 et celle de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts découlant de la clôture sans préavis du compte bancaire,

- débouté Mme Véronique H. de ses autres demandes et de sa demande d'exécution provisoire,

- condamné la société BNP Paribas à payer à Mme H. une indemnité de procédure de 1 500 euros ainsi qu'aux entiers dépens ;

Madame H. a relevé appel de ce jugement le 9 octobre 2015.

Par jugement du 5 novembre 2015, Mme H. a été placée en redressement judiciaire. Maître Isabelle T. a été nommée en qualité de mandataire judiciaire.

Par un cinquième jeu de conclusions d'incident signifiées le 5 juillet 2016, Mme H. demande au conseiller de la mise en état, au visa des articles 369 et 378, 122 et 914 du code de procédure civile et 622-21 du code de commerce , de dire n'y avoir lieu à interrompre l'instance en cours, de juger que le conseiller de la mise en état n'est pas compétent pour statuer sur le moyen soulevé par la BNP Paribas selon lequel Mme H. aurait dû solliciter l'autorisation du juge commissaire pour poursuivre la procédure d'appel qui s'analyse en une fin de non-recevoir.

Elle prie le conseiller de la mise en état de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Chalons en Champagne à intervenir statuant sur la nullité du commandement et saisies effectuées eu égard à la prescription de l'action de la BNP Paribas.

Elle sollicite la condamnation de la société BNP Paribas à lui payer une indemnité de procédure de 3 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP d'avocats ACG.

Par un troisième jeu de conclusions en réplique signifiées le 23 mai 2016, la BNP Paribas demande au conseiller de la mise en état, au visa des articles 122 et suivants et 378 et suivants du code de procédure civile et L 633-3 du code de commerce et en vertu du jugement de redressement judiciaire de Mme H. du 5 novembre 2015, de juger n'y avoir lieu à faire droit à l'incident d'exception de sursis à statuer introduit par Mme H. dans l'attente de la décision du juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Châlons en Champagne incompétent pour statuer sur sa demande et de l'en débouter.

Elle prie le conseiller de juger qu'elle est bien fondée en son exception de sursis à statuer dans l'attente de connaître la position de Maître Isabelle T., mandataire judiciaire au redressement judiciaire de Mme H. et dans l'attente de connaître la décision de Monsieur le juge commissaire qui doit autoriser la poursuite de la présente procédure afin qu'elle soit opposable au redressement judiciaire et qu'à défaut d'autorisation de ce dernier, la présente procédure d'appel poursuivie par Mme H. sera déclarée purement et simplement irrecevable.

Elle demande au conseiller, au vu de la théorie de l'estoppel, de juger Mme H. irrecevable en son action au vue de son changement de position de nature à induire son adversaire en erreur.

Elle sollicite la condamnation de Mme H. à lui payer une indemnité de procédure de 1 000 euros ainsi qu'en tous les dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP d'avocats B. H. S.-S. D. R..

Elle expose que la banque tente aujourd'hui de recouvrer les prêts qu'elle a accordés avec une légèreté blâmable alors que le délai de deux ans pour ce faire est expiré depuis octobre 2012 ; que la banque a fait délivrer à son encontre un commandement de payer aux fins de saisie vente l'enjoignant à payer une somme de 430 102,52 euros au titre de trois prêts notariés consentis à cette dernière ; que le 6 janvier 2016, elle a saisi le juge de l'exécution afin de faire valoir la prescription des trois prêts litigieux et que toute action de la banque étant irrecevable, les commandements de payer et procédure de saisie sont atteints de nullité.

SUR CE,

Sur l'exception d'irrecevabilité et sur la demande de sursis à statuer formée par BNP Paribas

La société BNP Paribas demande au conseiller de la mise en état de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse du mandataire judiciaire ou du juge commissaire à la procédure de redressement judiciaire de Mme H. qui doit autoriser la poursuite de l'action et souligne que si l'appel a été relevé avant le jugement d'ouverture, les conclusions prises au soutien de son appel sont postérieures. Elle indique qu'à défaut d'autorisation du juge commissaire, l'action de Mme H. est irrecevable.

Mme H. exerçant une activité d'auto-entrepreneur, a fait l'objet d'un procédure de redressement judiciaire par jugement du 5 novembre 2015. La SCP T. R. a été nommée en qualité de mandataire judiciaire. Il n'a pas été nommé d'administrateur.

En vertu du principe de l'unicité du patrimoine, Mme H. ne peut faire la distinction entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel.

La banque prétend que la poursuite de l'action en appel doit être autorisée par le juge-commissaire dès lors qu'il ne s'agit pas d'une action de gestion courante de son patrimoine afférent à son statut d'auto-entrepreneur.

Lorsqu'aucun administrateur n'a été désigné, la poursuite de l'activité est confiée au seul débiteur.

En application de l'article L 627-2 du code de commerce, l'avis conforme du mandataire judiciaire, représentant des créanciers, n'est requis que pour la poursuite des contrats en cours et la résiliation du bail et en cas de désaccord, le juge commissaire est saisi par tout intéressé.

En application de l'article L 627-3 du même code, les propositions de règlement du passif sont communiquées au mandataire judiciaire et au juge commissaire qui, lui seul, fixe le montant de l'augmentation de capital proposée à l'assemblée pour reconstituer les capitaux propres.

En application de l'article L 622-7 du code de commerce, le juge commissaire peut autoriser le débiteur à faire un acte de disposition étranger à la gestion courante de l'entreprise.

Ainsi, en l'absence de désignation d'un administrateur dans le cadre du redressement judiciaire de Mme H., la poursuite de son activité est exercée par elle-même sans qu'il n'y ait lieu à apprécier si la poursuite d'une affaire en cause d'appel constitue un acte gestion courante du patrimoine ou pas et sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'autorisation du mandataire judiciaire et/ou du juge commissaire ; celle -ci ne constituant pas au surplus un acte de disposition.

La demande de sursis à statuer formée par la banque sera dès lors rejetée.

Sur l'exception d'irrecevabilité formée par la banque sur le fondement de la théorie de l'estoppel

La banque soutient que Mme H. est irrecevable en ses demandes pour avoir changé d'argumentation depuis la procédure de première instance.

La théorie de l'estoppel constitue à se contredire aux dépens d'autrui et d'adopter des positions intellectuellement et juridiquement contradictoires.

En l'espèce, l'assignation en responsabilité diligentée par Mme H. à l'encontre de la banque a été délivrée le 5 juin 2012. la clôture de l'instruction est intervenue le 6 janvier 2015, les plaidoiries ont eu lieu le 21 janvier 2015 et le jugement rendu le 27 mai 2015. L'appel a été relevé le 9 octobre 2015.

L'assignation devant le juge de l'exécution en nullité du commandement de payer du 7 septembre 2015 a été délivrée le 6 janvier 2016.

Ainsi, il ne peut pas être reproché à Mme H. d'avoir saisi le juge de l'exécution en nullité d'un commandement de payer qui lui a été délivré postérieurement à la clôture des débats qui se sont tenus devant le tribunal de grande instance de Châlons en Champagne qui est intervenue le 6 janvier 2015 et de soutenir en défense à une action en recouvrement de la banque, la prescription de ladite action.

L'exception d'irrecevabilité sera dès lors rejetée.

Sur la demande de sursis à statuer formée par Mme H.

Mme H. demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente du jugement à intervenir par le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Châlons en Champagne saisi à l'initiative de Mme H. en nullité du commandement de payer qui lui a été délivré par la banque sur la base de 3 actes de prêt notariés.

Mme H. a, en effet, assigné la BNP Paribas devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Châlons en Champagne aux fins de nullité du commandement de payer la somme de 430 102,50 euros qui lui a été délivré le 7 septembre 2015 au titre des trois prêts notariés suivants :

- le 23 juillet 2007 d'un montant de 181 800 euros,

- le 22 juillet 2010 d'un montant de 80 000 euros,

- le 26 mars 2009 d'un montant de 124 489 euros.

Mme H. a soulevé la prescription des actions en paiement.

Contrairement à ce que soutient la banque, il n'appartient pas au conseiller de la mise en état de se prononcer sur la régularité de la procédure diligentée par Mme H. devant le juge de l'exécution de Châlons en Champagne.

Le jugement entrepris devant la cour de céans a condamné la BNP Paribas à indemniser Mme H. pour violation de son obligation de mise en garde au titre du seul prêt immobilier de 80 000 euros et pour brusque clôture de son compte bancaire.

Comme le relève justement Mme H., l'éventuelle prescription ou le rejet de la demande visant à voir prescrite l'action ou les actions en recouvrement de la banque aura nécessairement une incidence sur son préjudice constitué par la perte de chance de ne pas contracter le ou les prêts en question.

Ainsi, il convient, pour une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer dans l'attente du jugement du juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Châlons en Champagne opposant les parties à intervenir.

Les dépens de l'incident seront à la charge de BNP Paribas qui sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure. Elle sera condamnée à payer, sur ce même fondement, la somme de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

Le conseiller de la mise en état, statuant par ordonnance rendue publiquement et contradictoirement,

REJETTE les exceptions d'irrecevabilités formées par BNP Paribas ;

DEBOUTE la société BNP Paribas de sa demande de sursis à statuer ;

SURSOIT A STATUER dans l'attente du jugement du juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Châlons en Champagne opposant les parties à intervenir ;

CONDAMNE la société BNP Paribas aux dépens de l'incident avec faculté de recouvrement direct au profit de la SCP ACG, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la société BNP Paribas de sa demande d'indemnité de procédure ;

CONDAMNE La société BNP Paribas à payer à Madame Véronique H. la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.