CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 7 février 2017, n° 16/19774
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cofima (SAS)
Défendeur :
Club des Enfants Parisiens (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert-Pageot
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Bedouet
La société Cofima a, le 5 décembre 2012, consenti à la Sas Club des Enfants Parisiens (CEP), qui a pour activité l'organisation d'activités extrascolaires pour les mineurs, de cours pour les parents, de location de salles et de prestations événementielles, un bail portant sur des locaux d'une surface de 1510 m², sis à [...], moyennant un loyer annuel de 657 000 euros hors-taxes et hors charges, porté à 668 782,93 euros à compter du 1er avril 2014.
La société CEP a sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation et par ordonnance du 2 décembre 2013, Maître Isabelle D. a été désignée en qualité de conciliateur. Un accord de conciliation a été conclu le 30 avril 2014, prévoyant de l'échelonnement des loyers impayés d'un montant de 273 750 euros.
L'accord de conciliation a été homologué par jugement du 16 juin 2014.
Des désaccords sont survenus entre les parties sur le montant des travaux d'amélioration et sur la charge de ceux-ci et après une tentative de conciliation confiée à nouveau à Maître Isabelle D., qui a échoué, la société bailleresse a adressé le 18 mai 2015 à la société CEP un commandement de payer visant la clause résolutoire.
De son côté, la société CEP, arguant d'un déséquilibre significatif affectant le contrat de bail, a alors assigné la société Cofima en paiement de la somme de 1 135 000 euros à titre de dommages-intérêts pour les travaux qu'elle avait accomplis, 197 100 euros à titre d'indemnité correspondant à 10 % du loyer, 197 100 euros à titre d'indemnisation pour compensation de pertes de commercialité de 178 m², ainsi que la compensation avec les sommes dues.
Puis par acte du 24 août 2015, la société Cofima a assigné la société CEP en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, arguant d'une créance impayée de 1 077 235,01 euros.
Le tribunal de commerce a alors diligenté une enquête et n'a pas fait droit à l'ouverture de la procédure collective dans la mesure où l'enquête a conclu à l'absence de cessation des paiements en raison de la compensation qui devait intervenir entre les créances réciproques.
Par jugement du 15 février 2016, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société CEP, désigné la SCP BTSG, prise en la personne de Maître Denis G. en qualité de mandataire judiciaire et Maître P. en qualité d'administrateur judiciaire.
La société Cofima, bailleresse, a formé tierce opposition et par jugement du 27 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a déclaré la tierce opposition recevable mais mal fondée, a débouté la société CEP de sa demande de dommages-intérêts et a condamné la société Cofima aux dépens.
La société Cofima a interjeté appel le 4 octobre 2016.
Vu les dernières conclusions du 12 décembre 2016 de la société Cofima , par lesquelles elle demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré sa tierce-opposition recevable, de constater l'état de cessation des paiements de la société CEP, de constater que son redressement est manifestement impossible, d'ouvrir à son encontre une procédure de liquidation judiciaire, et de la condamner au paiement du 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions du 12 décembre 2016 de la société CEP et de la SCP BTSG, prise en la personne de Maître Denis G., ès qualités de mandataire judiciaire de la société CEP, par lesquelles elles demandent d'infirmer la décision en ce qu'elle a jugé la tierce-opposition recevable, de rejeter la tierce-opposition, à titre très subsidiaire, de confirmer la décision du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a jugé mal fondée la tierce-opposition de la société Cofima, en conséquence de la débouter de l'ensemble de ses demandes, de la condamner à verser à la société CEP la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Le dossier a fait l'objet d'une communication au ministère public le 17 octobre 2016.
SUR CE,
Sur la recevabilité de la tierce-opposition.
Il résulte des articles L. 661-1 et L. 661-2 du code de commerce que le jugement qui ouvre une procédure de sauvegarde est susceptible de tierce opposition.
Selon l'article 583 du code de procédure civile, est recevable à former tierce-opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque. Par ailleurs, les créanciers peuvent former tierce-opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres.
En l'espèce, la bailleresse se trouve du fait de l'ouverture de la procédure collective, dans l'impossibilité d'obtenir l'acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail, suite au commandement qu'elle avait fait délivrer, et justifie donc d'un intérêt distinct de celui de la collectivité des créanciers.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable sa tierce opposition.
Au fond, sur l'état de cessation des paiements.
Selon l'article L. 620-1 du code de commerce, la procédure de sauvegarde est ouverte au débiteur qui, sans être en état de cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter.
Par ailleurs les conditions de l'ouverture de la procédure de sauvegarde doivent être appréciées au jour où il est procédé à cette ouverture.
La bailleresse soutient qu'au jour où le tribunal a statué, la société débitrice était en état de cessation des paiements et qu'elle n'était donc pas éligible à une procédure de sauvegarde.
Il résulte de l'article L. 631-1 du code de commerce que la cessation des paiements se définit comme étant l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
Si la société Cofima indique être créancière de loyers et charges pour un montant de 1 408 143,25 euros, de son côté la société débitrice conteste cette créance et l'a assignée en invoquant une créance provenant d'un déséquilibre significatif, de taxes sur les bureaux qui lui sont facturées sans justificatif, ainsi que d'un défaut d'autorisation administrative nécessaire pour pouvoir exploiter les locaux conformément aux termes du bail, pour un montant total supérieur à la créance invoquée par sa bailleresse et a sollicité la compensation entre les sommes réclamées et celles qu'elle resterait devoir à celle-ci. Il s'ensuit que la créance de la bailleresse, qui fait l'objet de contestations sérieuses, ne revêt pas de caractère certain et ne constitue donc pas un passif exigible au sens de l'article L631-1du code de commerce.
S'agissant des autres créances constituant un passif exigible, il ressort du rapport de Maître L. Thomas, missionnée par le juge commis du tribunal de commerce de Paris, qu'au 10 décembre 2015 le passif exigible de la société CEP était d'un montant de 1326,83 euros, tandis que l'actif disponible était d'un montant de 124 603 95 euros. Ces éléments sont corroborés par le rapport effectué postérieurement par Maître P., administrateur judiciaire de la société CEP qui met en évidence qu'au jour de la demande d'ouverture de la procédure de sauvegarde l'actif disponible était d'un montant de 420 000 euros, tandis que le passif exigible était d'un montant de 291 400 euros.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'actif disponible étant supérieur au passif exigible, la société CEP n'était pas en état de cessation des paiements au jour où le tribunal de commerce a ouvert à son bénéfice une procédure de sauvegarde.
Par ailleurs, il résulte de ce même rapport de l'administrateur judiciaire que la société CEP fait face à des difficultés sérieuses du fait d'un coût effectif de travaux réalisés extrêmement important, de retards consécutifs aux travaux qui ont eu pour conséquence un retard dans les inscriptions des clients et donc des charges d'exploitation qui se sont révélées trop élevées par rapport au niveau du chiffre d'affaires généré. L'administrateur judiciaire souligne par ailleurs la persistance du conflit avec le bailleur. Il s'ensuit que la société CEP connaît des difficultés sérieuses, de nature à motiver l'ouverture à son égard d'une procédure de sauvegarde.
Enfin, c'est en vain que la bailleresse soutient que la société CEP serait dans l'impossibilité de présenter un plan crédible, puisque par jugement du 25 octobre 2016 le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de sauvegarde de la société CEP pour une durée de neuf ans.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré la tierce-opposition mal fondée.
Sur la demande de dommages-intérêts.
La société CEP sollicite la condamnation de la société Cofima au paiement de dommages et intérêts pour abus d'ester en justice.
Cependant l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.
La société CEP sera déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de la société Cofima et d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais de défense exposés. Le jugement sera donc également confirmé de ce chef.
Sur les dépens et les frais hors dépens.
La société Cofima sera condamnée aux dépens.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré la société Cofima recevable en sa tierce-opposition,
Au fond,
Constate que la société CEP n'est pas en état de cessation des paiements,
Constate que la société CEP justifie de difficultés qu'elle n'est pas en mesure de surmonter,
En conséquence, confirme le jugement en ce qu'il a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société CEP,
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société CEP de sa demande de dommages-intérêts,
Condamne la société Cofima aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.