CA Angers, ch. com. A, 5 juillet 2016, n° 15/01353
ANGERS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Van Gampelaere
Conseillers :
Mme Monge, Mme Portmann
FAITS ET PROCEDURE
Par jugement du 1er juillet 2014, le tribunal de commerce du Mans a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée X (l'EIRL) qui exerçait une activité de vente de boissons, Me Y étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Par jugement du 30 avril 2015, le tribunal de commerce du Mans, saisi par Me Y ès qualités d'une demande tendant à obtenir la réunion du patrimoine personnel de M. X et celui de l'EIRL, a constaté que les éléments justifiant la confusion des patrimoines entre M. X et sa société, n'étaient pas réunis, débouté Me Y ès qualités de sa demande de confusion des patrimoines et condamné Me Y ès qualités aux entiers dépens.
Selon déclaration adressée le 11 mai 2015, Me Y ès qualités a interjeté appel de cette décision.
Les parties ont toutes deux conclu.
L'affaire a été communiquée au ministère public qui a pris, le 3 février 2015, des conclusions tendant à l'infirmation du jugement.
Une ordonnance rendue le 18 avril 2016 a clôturé la procédure.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Les dernières conclusions, respectivement déposées les 9 juin 2015 pour Me Y ès qualités et 19 février 2016 pour M. X, auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
Me Y ès qualités demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté que les éléments justifiant la confusion des patrimoines n'étaient pas réunis et en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, de constater que la déclaration d'affectation de patrimoine n'affecte aucun patrimoine à l'activité de M. X, de constater l'absence de compte bancaire affecté à l'activité d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée de M. X faute d'avoir mentionné ce compte dans la déclaration de patrimoine, de constater l'absence de dépôt de comptes pour l'activité d'entrepreneur de M. X, de constater la confusion entre les patrimoines de M. X qui mentionne dans sa déclaration de cessation des paiements un immeuble et des matériels ne figurant pas à la déclaration d'affectation de patrimoine, de dire que M. X a opéré une confusion dans la gestion de son EIRL avec son patrimoine non affecté à son activité professionnelle, de dire qu'en sa qualité de liquidateur, il est bien fondé à solliciter une réunion des deux patrimoines pour permettre de désintéresser les créanciers, de prononcer cette réunion et de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de l'EIRL.
Il expose que le 19 mars 2012, M. X a commencé une activité de vente de boissons et que le 4 avril 2012, il s'immatriculait au greffe du tribunal en qualité d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée suite au dépôt au greffe d'une déclaration d'affectation vierge de toutes indications. Il se prévaut des dispositions de l'article L. 621-2 du code de commerce qui prévoient qu'à la demande, notamment, du mandataire judiciaire, un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure collective en cas de confusion avec celui-ci et qu'il en va de même lorsque le débiteur a commis un manquement grave aux règles prévues au deuxième alinéa de l'article L. 526-6 ou aux obligations prévues à l'article L. 526-13 ou encore une fraude à l'égard d'un créancier titulaire d'un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure. Il rappelle que ces dispositions sont applicables en matière de liquidation judiciaire en application de l'article L. 641-1 du même code. Il énonce que l'article L. 526-6 du code de commerce dispose que tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne morale, que ce patrimoine est composé de l'ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l'exercice de son activité professionnelle. Il soutient que pour bénéficier d'une responsabilité limitée, l'entrepreneur individuel a l'obligation par une déclaration d'affectation d'affecter tous les biens nécessaires à son activité professionnelle et qu'il peut y ajouter à titre facultatif d'autres biens et que faute de faire cette déclaration, il y a lieu à réunion de patrimoines.
Il ajoute qu'en vertu de l'article L. 526-13 du code de commerce , l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée est tenu de tenir une comptabilité et d'ouvrir un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l'activité à laquelle le patrimoine est affecté. Il affirme que M. X n'a procédé à aucun dépôt de ses comptes au greffe du tribunal et qu'il ne justifie pas avoir ouvert un compte bancaire affecté à son activité professionnelle en le mentionnant à la déclaration d'affectation du patrimoine. Il explique qu'une confusion entre les deux patrimoines ressort de la déclaration de cessation des paiements de M. X qui mentionne à l'actif de l'EIRL des biens non mentionnés dans sa déclaration d'affectation de patrimoine tels qu'un immeuble. Il conclut à la nécessité de réunir les deux patrimoines.
M. X demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner Me Y ès qualités au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euros, outre les dépens.
Il explique que, souhaitant adopter le statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, il a mandaté le cabinet Segeca pour qu'il procède aux formalités et déclarations nécessaires. Il précise avoir effectué une déclaration d'affectation du patrimoine et ouvert un compte auprès du Crédit mutuel dédié à son activité professionnelle. Il fait valoir qu'ayant subi une lourde intervention chirurgicale, il a été hospitalisé du 26 novembre 2013 au 31 décembre 2013 puis en arrêt maladie pendant trois mois, ce qui l'a obligé à saisir le tribunal d'une déclaration de cessation des paiements.
Il soutient que la loi limite strictement les cas où la réunion des patrimoines est possible. S'agissant du manquement grave aux règles prévues au deuxième alinéa de l'article L. 526-6 du code de commerce, il fait valoir que la loi distingue le patrimoine nécessaire à l'exercice de l'activité professionnelle qui doit obligatoirement être affecté à l'EIRL (matériel, outillage, stocks, équipements spécifiques à l'activité professionnelle et de manière générale tous les biens qui ne peuvent être affectés à un autre usage) du patrimoine utilisé dans le cadre de l'activité professionnelle qui peut lui être affecté sans obligation (un immeuble, un équipement de décoration, par exemple). Il en déduit que la loi ne qualifie de manquement grave que la non-affectation d'un bien nécessaire à l'activité professionnelle et non le choix de n'affecter aucun patrimoine 'facultatif'.
Concernant sa déclaration, il rappelle que les organismes chargés de la tenue des registres mentionnés à l'article L. 626-7 du code ce commerce n'acceptent le dépôt d'une déclaration que si celle-ci comporte les éléments nécessaires et observe que le greffe du tribunal n'a opposé aucune objection à sa déclaration. Il conclut que le fait de n'affecter aucun patrimoine 'facultatif' n'est pas constitutif d'une faute et affirme que les biens nécessaires à son activité étaient en effet compris à l'actif de l'EIRL, telle une camionnette Iveco. Il assure avoir ouvert un compte bancaire dédié à son activité professionnelle. Il conteste que le défaut de dépôt de comptes soit sanctionné par la réunion de patrimoines. Enfin il nie qu'existent entre son patrimoine personnel et le patrimoine de l'EIRL des flux suspects.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 526-6 du code de commerce, tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne morale ; que ce patrimoine est composé de l'ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l'exercice de son activité professionnelle ; qu'il peut comprendre également les biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, utilisés pour l'exercice de son activité professionnelle et qu'il décide d'y affecter ; qu'un même bien, droit, obligation ou sûreté ne peut entrer dans la composition que d'un seul patrimoine affecté ;
Qu'en vertu de l'article L. 526-7 du même code, la constitution du patrimoine affecté résulte du dépôt d'une déclaration qui peut, notamment, être effectué sur un registre tenu au greffe du tribunal de commerce du lieu de l'établissement principal ;
Qu'en application de l'article L. 526-8 du même code, l'organisme chargé de la tenue de ce registre n'accepte ce dépôt de déclaration qu'après avoir vérifié qu'elle comporte, en particulier, un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés affectés à l'activité professionnelle, en nature, qualité, quantité et valeur ;
Qu'en effet, l'article R. 526-3 du même code, énumère les informations devant figurer sur la déclaration d'affectation, dont, un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés affectés à l'activité professionnelle, en nature, qualité, quantité et valeur ;
Qu'en application de l'article L. 526-12 du même code, la déclaration d'affectation est opposable de plein droit aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à son dépôt ; que par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les créanciers auxquels la déclaration d'affectation est opposable et dont les droits sont nés à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ont pour seul gage général de patrimoine affecté, les autres créanciers auxquels la déclaration est opposable ont pour seul gage général le patrimoine non affecté ;
Attendu, d'autre part, qu'en vertu de l'article L. 621-2 du code de commerce, à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, un ou plusieurs patrimoines du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure collective en cas de confusion avec celui-ci ; qu'il en va de même lorsque le débiteur a commis un manquement grave aux règles prévues au deuxième alinéa de l'article L.526-6 ou aux obligations prévues à l'article L. 526-13 ou encore une fraude à l'égard d'un créancier titulaire d'un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure ;
Attendu, en l'espèce, qu'il est constant que le 5 mars 2012, M. X a déposé une déclaration d'ouverture d'un débit de boissons qu'il se proposait d'exploiter sous la forme de vente ambulante de boissons en affectant à celle-ci un patrimoine séparé de son patrimoine personnel et que, le 15 mars suivant, il a déposé une déclaration d'affectation auprès du registre du commerce et des sociétés du Mans qui a été acceptée, sans réserve apparente, par l'organisme tenant ce registre ;
Que pour poursuivre son action en réunion de patrimoines, Me Y ès qualités fait valoir que la déclaration d'affectation n'affecte aucun patrimoine à l'activité d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée de M. X, que le compte bancaire affecté à cette activité n'est pas mentionné sur cette déclaration, que M. X n'a pas déposé ses comptes pour cette activité et qu'il a confondu son patrimoine affecté et son patrimoine personnel dans sa déclaration de cessation des paiements ;
Mais attendu que M. X justifie avoir ouvert auprès de la société Crédit mutuel, le 22 mars 2012, un "compte courant eurocompte pro" n° [...] sous l'intitulé "X EIRL" (pièce n° 7 de l'intimé) destiné à enregistrer les opérations bancaires de son activité professionnelle et avoir immatriculé, le 30 mai 2012, au nom de "EIRL X" un véhicule utilitaire Iveco (pièce n° 15 de l'intimé) qui figure à l'actif de son bilan simplifié sous la rubrique 'matériel de transport' (pièce n° 11 de l'intimé) ;
Qu'à la date de sa déclaration d'affectation de patrimoine, établie par la société d'expertise comptable Segeca comme en persuade la note d'honoraires que celle-ci a dressée au nom de "EIRL X" le 16 juillet 2012 pour une prestation de "rédaction et dépôt des formalités d'immatriculation au RCS de l'EIRL" (pièce n° 2 de l'intimé), le compte courant n'étant pas encore ouvert ni le véhicule à usage professionnel immatriculé, ils ne pouvaient figurer sur la déclaration ;
Qu'au demeurant, la déclaration d'affectation a pour principal objet de rendre opposable aux créanciers de l'entrepreneur la décision de celui-ci d'affecter à son activité professionnelle tel ou tel bien qu'il utilise pour l'exercice de cette activité mais qui, par nature, n'est pas nécessaire à cet exercice, non celui de dénoncer l'existence de biens par nature nécessaires à cet exercice qui, ne figureraient-ils pas sur la déclaration, n'en constitueraient pas moins le gage des créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de l'exercice de cette activité professionnelle ;
Qu'ici tant le compte susvisé que le véhicule utilitaire Iveco, isolés des compte bancaire et véhicule personnel de M. X par l'utilisation exigée au dernier alinéa de l'article L. 526-6 du code de commerce de ses nom et prénom immédiatement suivis ou précédés des initiales EIRL, étant nécessaires à la vente ambulante de boissons de l'EIRL X, ce que M. X ne conteste pas qui ne les a pas dissimulés en les faisant au contraire clairement apparaître dans son bilan, relèvent du patrimoine professionnel, peu important l'omission de déclaration d'affectation expresse ;
Que Me Y ès qualités n'est ainsi pas fondé à prétendre, au profit des créanciers dont il défend les intérêts collectifs et au détriment des créanciers personnels de M. X, à la réunion du patrimoine personnel de celui-ci et du patrimoine nécessaire à son activité professionnelle pour la seule raison que les biens nécessaires, sans contestation du débiteur, à cette activité n'ont pas été mentionnés dans la déclaration d'affectation ou dans une déclaration complémentaire, cette absence de mention ne caractérisant en soi ni une confusion des patrimoines professionnel et personnel, ni un manquement grave aux règles de l'alinéa 2 de l'article L. 526-6 du code de commerce définissant le patrimoine séparé que l'entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle en opérant la distinction entre les biens nécessaires et les biens simplement utilisés pour l'exercice de cette activité ;
Que cela ne caractérise pas davantage un manquement, qui plus est grave, aux obligations prévues à l'article L. 526-13 du code de commerce relatif à la nécessité pour l'entrepreneur individuel de tenir une comptabilité autonome et d'ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle, ni une fraude à l'égard d'un créancier ;
Que M. X justifie d'ailleurs, on l'a vu, avoir ouvert un compte bancaire dédié à son activité professionnelle ;
Qu'il justifie également avoir confié, par lettre de mission du 20 juillet 2012, à la société Segeca la tâche de présentation des comptes annuels de son activité (pièce n° 1 de l'intimé) avec répartition précise des opérations incombant à M. X (journaux achats et ventes sur tableau Excel, brouillards de caisse, détail des stocks et données d'inventaire, justificatifs des comptes clients et fournisseurs) et de celles incombant à la société Segeca (toutes les autres prestations, y compris à l'égard du fisc et des organismes sociaux);
Que diverses pièces comptables pour les exercices 2012 et 2013 ainsi que les premiers mois de l'année 2014 de l'EIRL (pièces n° 8 à 13 de l'intimé) sont encore versés aux débats ;
Attendu que le défaut invoqué des comptes annuels au greffe du tribunal de commerce n'est pas sanctionné par la réunion des patrimoines ;
Attendu, enfin, que le fait que M. X ait fait état, dans la déclaration de cessation des paiements qu'il a chargé son épouse de déposer le 30 juin 2014 (pièce n° 5 de l'appelant), du véhicule Iveco et d'un matériel à l'évidence nécessaire à son activité professionnelle (un appareil à pression) et qu'il ait coché 'oui' au regard des mots "présence d'actif immobilier" ne signifie pas qu'il y ait eu au cours de son activité confusion des deux patrimoines ;
Qu'au reste le tribunal ne s'y est pas trompé qui, après avoir entendu M. X en ses explications, a, dans son jugement d'ouverture du 1er juillet 2014, opté pour une procédure de liquidation judiciaire simplifiée en constatant l'absence de bien immobilier ;
Attendu que le jugement qui a débouté Me Y ès qualités de sa demande sera confirmé, sauf à rectifier le dispositif en substituant les mots de 'demande de réunion des patrimoines' à ceux de 'demande de confusion des patrimoines' ;
Attendu que Me Y ès qualités succombant en cause d'appel, les entiers dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective, sans qu'il y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement déféré SAUF à substituer les termes de "demande de réunion des patrimoines" à ceux de "demande de confusion des patrimoines" et à dire que les dépens de première instance seront employés en frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire de l'EIRL X,
Y ajoutant,
DIT que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire de l'EIRL X,
DEBOUTE les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires.