CA Caen, 2e ch. civ. et com., 8 septembre 2016, n° 15/03792
CAEN
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briand
Conseillers :
Mme Beuve, Mme Pochon
EXPOSE DU LITIGE
Le 1er août 2013 M. Olivier A. a inscrit une entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) dénommée "charpente A." au répertoire des métiers afin d'exercer une activité de charpente, couverture.
M. A. a régularisé la déclaration prévue à l'article L 526-6 du code de commerce en affectant à son patrimoine professionnel une machine à bois Felder, une toupie Felder 700, une scie à format Altendorf, une raboteuse Casadei PS 510 d'une valeur totale déclarée de 13 000 €.
Par jugement du 10 septembre 2014 le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de l'EIRL charpente A. qu'il a convertie en liquidation judiciaire par jugement du 11 mars 2015 désignant Mme D. en qualité de mandataire liquidateur.
Par acte d'huissier du 27 juillet 2015 Mme D. ès qualités a assigné M. A. devant le tribunal de commerce de Caen auquel elle demandait sur le fondement des dispositions des articles L. 621-1, L. 641-1, L. 526-6 et suivants du code de commerce, de prononcer la réunion des patrimoines professionnel et personnel de M. A., afin qu'ils forment une masse unique.
Par jugement du 7 octobre 2015 le tribunal de commerce de Caen a étendu à M. A. la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de l'EIRL charpente A. et prononcé la réunion des patrimoines professionnel et personnel de M. A., en une masse unique.
Le 27 octobre 2015 M. A. a relevé appel de cette décision.
Dans des conclusions récapitulatives remises au greffe le 14 mars 2016 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés M. A. demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, dire et juger qu'il n'a commis aucun manquement grave dans la gestion de l'EIRL et aucune fraude aux droits des créanciers, qu'il n'y a pas lieu à la réunion de ses patrimoines personnel et professionnel, condamner Mme D. ès qualités à lui payer une indemnité de 1800 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Dans des conclusions remises au greffe le 4 janvier 2016 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés Mme D. ès qualités demande à la cour de confirmer le jugement déféré, statuer ce que de droit quant aux dépens lesquels seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 mars 2016.
MOTIFS DE LA DECISION
Pour aboutir l'action en réunion des patrimoines professionnel et personnel visée par les dispositions de l'article L. 621-2 alinéa 3 du code de commerce applicables à la liquidation judiciaire par application des dispositions de l'article L. 641-1 du même code suppose soit la preuve d'un manquement grave du débiteur aux règles prévues au deuxième alinéa de l'article L. 526-6 ou aux obligations prévues à l'article L. 526-13 ou encore une fraude à l'égard d'un créancier titulaire d'un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédures soit la démonstration de la confusion des dits patrimoines.
Aux termes de l'article L. 526-6, alinéa 2 du code de commerce le patrimoine affecté « est composé de l'ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l'exercice de son activité professionnelle ».
En l'espèce l'inventaire réalisé par maître R., commissaire-priseur, a révélé que l'entreprise de M. A. utilisait pour l'exercice de son activité professionnelle un véhicule automobile et différents matériels, lapidaire, dégauchisseuse, échafaudage non affectés au gage de ses créanciers qui s'en trouvait minoré d'autant.
Cette seule constatation suffit à établir l'infraction aux dispositions précitées qui n'exigent pas la démonstration du caractère intentionnel de leur violation par son auteur.
Le fait au demeurant non établi que les matériels litigieux auraient été acquis postérieurement à l'établissement de la déclaration d'affectation ne dispensait pas pour autant M. A. de ses obligations déclaratives, l'article L. 526-10 alinéa 2 du code de commerce prévoyant expressément que "lorsque l'affectation d'un bien visé au premier alinéa est postérieure à la constitution du patrimoine affecté, elle fait l'objet d'une évaluation dans les mêmes formes et donne lieu au dépôt d'une déclaration complémentaire au registre où est déposée la déclaration prévue à l'article L. 526-7"...
Enfin l'absence d'affectation et de déclaration des biens concernés qui a pour effet de les exclure de l'actif dépendant de la procédure collective, s'oppose à leur réalisation par le mandataire liquidateur qui n'a dés lors pas à démontrer « qu'un bien qui aurait dû être affecté à l'exploitation individuelle n'aurait pu être réalisé dans le cadre des procédures de réalisation d'actif ».
La violation par M. A. des dispositions de l'article L. 526-6, alinéa 2 du code de commerce est donc caractérisée.
Aux termes de l'article L. 526-13 alinéa 3 du code de commerce « l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée est tenu de faire ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l'activité à laquelle le patrimoine a été affecté »
L'article L 526-6 dernier alinéa du même code fait obligation à l'entrepreneur individuel d'utiliser pour l'exercice de l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté, « une dénomination incorporant son nom, précédé ou suivi immédiatement des mots « entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ou des initiales « EIRL » »
En l'espèce il n'est pas discuté que le compte bancaire dont était titulaire M. A. auprès de la BNP avant l'ouverture de la procédure collective, était le compte bancaire de l'entreprise. Or leur examen révèle qu'il n'est fait aucune référence à l'EIRL dans l'identité du titulaire du compte reprise par les relevés bancaires versés aux débats.
Il est indifférent que cette mention apparaisse dans l'intitulé de comptes autres que le compte bancaire de l'entreprise, seul celui-ci étant visé par l'article L. 526-13 précité.
De même M. A. ne peut s'exonérer de la responsabilité qui est la sienne en se retranchant derrière la carence au demeurant non démontrée de son expert-comptable étant observé qu'il était à même de rectifier l'intitulé du compte bancaire s'il était erroné, ce qu'il n'a jamais fait.
Ce faisant M. A. donnait à croire à ses créanciers qu'il exerçait son activité en nom personnel en leur offrant en gage la totalité de son patrimoine.
La violation par M. A. des obligations prévues à l'article L. 526-13 du code de commerce est donc caractérisée.
Il ressort en outre des pièces produites que les 3 et 5 mars 2015 Mme D. ès qualités a été informée par deux des salariés de l'entreprise de l'absence de paiement des salaires qui leur étaient dus pour les mois de janvier et février 2015, que le 5 mars 2015 le mandataire liquidateur a saisi le tribunal de commerce de Caen d'une requête en conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire, que le même jour le compte de l'EIRL A. a été débité par M. A. d'un montant total de 18 500 € correspondant à trois virements effectués au profit de l'épouse, du père et du frère de M. A..
Ces trois virements ont eu pour effet de vider le compte de l'entreprise qui concluait elle-même par la voix de M. A. à sa liquidation judiciaire lors de l'audience du 11 mars 2015.
En procédant ainsi M. A. qui savait que ses salariés n'étaient pas payés, a agi en fraude des droits de ses créanciers comme il l'avait déjà fait en n'affectant pas la totalité du matériel utilisé par l'entreprise à son activité professionnelle
Le non-respect des dispositions essentielles du statut de l'EIRL se double ainsi d'une fraude aux droits des créanciers.
Enfin et surabondamment la preuve d'une confusion de patrimoine entre l'EIRL et M. A. résulte aussi des éléments précédents et particulièrement de l'absence de référence à l'EIRL sur le compte bancaire de l'entreprise ouvert au seul nom de M. A. et sur les marchés régularisés par l'EIRL ainsi que de la souscription par M. A. seul d'un prêt professionnel pourtant destiné à l'EIRL, l'appelant n'établissant pas qu'il s'agissait sur ce dernier point d'une exigence de la BNP et ne pouvant utilement se retrancher à nouveau derrière la responsabilité de son expert-comptable pour prétendre s'exonérer des obligations résultant du statut choisi pour exercer son activité.
Les conditions posées par l'article L 621-2 alinéa 3 du code de commerce à la réunion des patrimoines personnel et professionnel de M. A. sont donc remplies.
La constatation simultanée de la violation par M. A. des obligations essentielles du statut de l'EIRL, de la fraude aux droits de ses créanciers et de la confusion de son patrimoine avec celui de l'EIRL en à peine un an d'exploitation de l'entreprise qui se solde par un passif déclaré de 117 023,14 € pour un actif de 1 896,41 € au 15 juin 2015, suffisent à conférer aux agissements de l'appelant le caractère de gravité justifiant la réunion des patrimoines professionnel et personnel de M. A. et l'extension à ce dernier de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de l'EIRL Olivier A..
Le jugement déféré doit donc être confirmé dans toutes ses dispositions.
Partie perdante M. A. doit être débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles et condamné aux dépens de la procédure d'appel qui seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 7 octobre 2015 par le tribunal de commerce de Caen dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M. A. de sa demande au titre des frais irrépétibles,
Condamne M. A. aux dépens de la procédure d'appel qui seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.