CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 18 décembre 2014, n° 14/21964
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Procureur général près la Cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franchi
Conseillers :
Mme Picard, Mme Rossi
Madame X, de nationalité allemande, mariée sous le régime hongrois de la séparation de biens, exploitait jusqu'en 2007 ensemble avec un co-associé une société civile de droit allemand "F. & S. GbR" ayant comme objet la location professionnelle d'un immeuble industriel.
Elle était par la suite gérante de la société de droit allemand ATOMIUM GmbH. A la suite de la résiliation d'un contrat pluriannuel de cinq ans par le principal donneur d'ordre, cette société a déposé le bilan et la procédure allemande de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif.
Madame X a quitté l'Allemagne pour se domicilier depuis avril 2011 en France, précisément d'abord [...], puis [...].
Madame X vit donc depuis 2011 en France en l'occurrence à PARIS ensemble avec son époux, ambassadeur d'Hongrie auprès de l'OCDE.
Madame X a déposé le 20 juin 2014 la déclaration de cessation des paiements au greffe du tribunal de commerce de Paris à fin de voir ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à son bénéfice parce qu'elle ne peut pas faire face à une dette d’environ 300.000,00 €, due au fisc allemand dont l'origine est pour partie professionnelle.
Elle expose avoir saisi le Tribunal de Commerce de PARIS au motif qu'il était territorialement compétent conformément à l'article 3 du Règlement (CE) n° 1346-2000 du 29 mai 2000.
Présentée en chambre du conseil le 3 juillet 2014, selon convocations du greffe en date du 20 juin 2014. le 3 juillet 2014, l'affaire a été renvoyée au 9 octobre 2014 avec reconvocations.
Par jugement du 24 octobre 2014, le Tribunal de commerce de PARIS ne se déclare pas incompétent internationalement ou territorialement mais déboute Madame X de sa déclaration de cessation des paiements, considérant la demande irrecevable au motif qu'il s'agirait d'une société de droit allemand qui n'a jamais été immatriculée en France et n'a eu aucune activité en France.
Il laissait les dépens à sa charge.
Appel était formé par Madame X contre le jugement.
Madame X demande à la cour de :
- déclarer recevable l'appel de Madame X,
- infirmer le jugement du 24 octobre 2014 du Tribunal de commerce de PARIS,
En statuant à nouveau,
- déclarer recevable la déclaration de cessations des paiements de Madame X,
- ordonner l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'encontre de Madame X ;
- désigner tel représentant tel Juge Commissaire, tel Mandataire judiciaire qu'il plaira au Tribunal de désigner ;
- fixer la date de cessation des paiements à telle date qu'il plaira au Tribunal de fixer.
- dire que les frais de la présente seront considérés comme frais privilégiés de la liquidation.
Elle expose :
1 - rapporter la preuve qu'elle se trouve bien en état de cessation des paiements.
2 - justifier la compétence internationale et territoriale du Tribunal de commerce de PARIS par le Règlement communautaire :
Aux termes de l'article 3 du Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 ensemble avec l'article 1er du Décret 85-1388 du 27 décembre 1985, le Tribunal territorialement compétent pour connaître de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est celui dans le ressort duquel le débiteur a le centre principal de ses intérêts.
Et la Cour de Justice des Communautés Européennes a eu l'occasion de se prononcer sur ce règlement par les arrêts du 17 janvier 2006 dans l'affaire S. c/ S. C-1/04 et du 02/05/2006 dans l'affaire EUROFOOD c/ PARMALAT (C-341/04).
La Cour a précisé dans ces arrêts que le centre des intérêts principaux, au sens de l'article 3 § 1 du Règlement (CE) 1346/2000 est à déterminer de manière autonome et non pas selon les règles nationales et que ce centre est le lieu où le débiteur gère ses intérêts de façon objectivement vérifiable.
Cette définition est par ailleurs stipulée au "considérant" 13 du Règlement communautaire.
S'il est vrai que selon ce "considérant", le règlement n° 1346/2000 a comme objectif de déterminer la compétence des tribunaux nationaux à l'intérieur de la Communauté Européenne, (cf. le "considérant" 15 de ce règlement), le critère du "centre des intérêts principaux" du demandeur à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire est également mentionné à l'article R. 600-1 du Code de commerce dans les termes suivants :
"A défaut de siège en territoire français, le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel le débiteur a le centre principal de ses intérêts en France."
Le Tribunal de première instance n'a pas contesté que le centre des intérêts principaux de Madame X se trouve à PARIS au vu des pièces justificatives communiquées.
Par ailleurs, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (cf. arrêt de la chambre commerciale du 15 février 2011, n° de pourvoi : 10-13832), la date à prendre en considération pour déterminer le centre des intérêts principaux du débiteur est celle de l'introduction de la demande.
Mme X observe enfin qu'une procédure collective de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peut être ouverte, sur le fondement de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, à la demande d'un professionnel ayant cessé son activité et qui n'est pas déjà soumis à une procédure collective, dès lors qu'il se trouve en état de cessation des paiements et que tout ou partie de son passif provient de son activité professionnelle, peu important la date à laquelle il a cessé son activité.
Monsieur l'Avocat général est d'avis que la cour, réformant le jugement, se déclare incompétente dès lors que le siège de la société se trouve en Allemagne.
SUR CE,
Le Règlement (CE) 1346/2000 rappelle que le droit interne ne peut pas écarter son l'application et s'applique que le débiteur soit une personne physique ou morale, un commerçant ou un particulier en permettant d'ouvrir une procédure d'insolvabilité dans l'État membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur, lequel correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers.
Sur la compétence territoriale
Si la compétence internationale, c'est-à-dire qu'elles désignent les États membres dont les juridictions peuvent ouvrir une procédure d'insolvabilité est définie par le règlement, la compétence territoriale au sein de cet État membre doit être déterminée par la loi nationale de l'État concerné.
Le Parquet général se réfère traditionnellement à :
- l'article L. 621-2 du Code de commerce attribue compétence ratione materiae au Tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale.
- le fait que le demandeur n'établit pas la présence en France d'une activité ou économique et de moyens présentant une certaine permanence, une succursale, un bureau de représentation, une agence répondant à ces conditions alors que ni la détention de simples avoirs en compte, ni l'existence de biens isolés en France ne constitueraient un critère de compétence suffisant pour qu'y soit ouverte une procédure
Cependant, il n'est pas contesté que Madame X a exercé des activités commerciales en Allemagne, et si seule la mention d'une inscription au registre du commerce ou des métiers allemands est portée sur la déclaration de cessation des paiements, parmi les pièces produites figurent :
- un état de créances fiscales du FINANZAMT de DETMOLD montant une créance remontant à compter du 21 mai 2005 jusqu'au 23 février 2006 pour des activités commerciales,
- une déclaration de cessation d'activité depuis le 1 mars 2006 de la société WIRTSHAFTSBRUCKER GMBH sise à LAGE, commerce d'import-export en tout genre,
- une ordonnance de saisie du 23 novembre 2007 d'un montant de 223 842 € pour des impôts sur chiffre d'affaires.
Or, l'article L. 640-3 du code de commerce dispose que la procédure de liquidation judiciaire est également ouverte aux personnes mentionnées au 1er alinéa de l'article L. 640-2 et donc aux personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale, professionnelle indépendant et ce, après la cessation de leur activité professionnelle, si tout ou partie de leur passif provient de cette dernière.
Au surplus, la cour observe que Madame X ne peut se voir appliquer le régime du surendettement, non parce qu'elle est de nationalité allemande dès lors que les règles européennes imposent d'assimiler le citoyen de l'Union européenne au français, mais parce que ce régime juridique s'applique seulement aux personnes physiques dans l'incapacité de rembourser ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir.
Sur le centre des des intérêts principaux du débiteur
La cour rappelle que le Règlement européen permet d'ouvrir la procédure d'insolvabilité principale dans l'État membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur, la loi applicable à la procédure d'insolvabilité et à ses effets étant alors celle de l'État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, dénommé "État d'ouverture".
Le centre des intérêts principaux correspondant au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts au point d'être vérifiable par les tiers, il ne fait aucun doute que le centre des intérêts principaux de Mme X est la FRANCE et plus spécifiquement PARIS et donc que la compétence revient au tribunal de commerce de Paris.
Elle rappelle à cet égard que le Règlement européen exige la coordination des mesures à prendre concernant le patrimoine d'un débiteur insolvable en vue d'éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d'un État à un autre en vue d'améliorer leur situation juridique.
Sur l'état de cessation des paiements
La cour observe que la déclaration de cessation des paiements du 26 mai 2014 montre un passif exigé du fisc allemand de 293 705.43 € face à un actif nul et que les relevés bancaires produits démontrent l'absence de tout crédit de la débitrice.
La cour infirmera donc la décision du premier juge et relève qu'il appartient au mandataire saisi de publier dans les autres États membres le contenu essentiel de la décision ouvrant la procédure.
Elle observe encore que l'article 23 du règlement prévoit que les frais des mesures de publicité et d'inscription prévues aux articles 21 et 22 sont considérés comme des frais et dépenses de la procédure.
Sur la date de cessation des paiements
La cour observe que les créances du fisc remontent jusqu'à mai 2005 et qu'une ordonnance de saisie du 23 novembre 2007 est demeurée vaine ; elle fixera en conséquence la date de cessation des paiements au maximum prévu par la loi soit 18 mois avant le jugement d'ouverture de al procédure soit le 18 juin 2013.
PAR CES MOTIFS,
Constate que le centre des intérêts principaux de Me X épouse M. est situé dans le ressort du tribunal de commerce de Paris
Prononce la liquidation judiciaire de Madame X épouse M. conformément aux dispositions de l'article L 640-1 et suivants du code de commerce et du Règlement (CE) 1346/2000
Dit que cette procédure est une procédure principale au sens du Règlement
Fixe la date de cessation des paiements au 18 juin 2013
Renvoie la procédure devant le tribunal de commerce de PARIS pour la désignation des organes de la procédure
Ordonne l'exécution des mesures de publicité.