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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 26 octobre 2017, n° 17/01523

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureure générale près la Cour d'appel de Douai

Défendeur :

Tissel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme André, Mme Cordier

T. com. Lille, du 28 févr. 2017

28 février 2017

Par jugement en date du 12 décembre 2016, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la SAS Tissel ayant son siège social, [...], désignant Me B. en qualité d'administrateur judiciaire et la SELURL D. en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement contradictoire et en premier ressort en date du 28 février 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- rejeté la requête du Ministère Public aux motifs que cette demande n'est pas visée par l'article 463 du code de procédure civile et que le Tribunal a statué sur la demande qui le saisissait à savoir une demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde et qu'il a considéré être suffisamment informé sans user de sa faculté d'obtenir les pièces et actes du la conciliation prévue par l'article L. 62l-1 et ce nonobstant la demande en ce sens du ministère public.

Par déclaration en date du 9 mars 2017, le ministère public a interjeté appel de la décision.

MOYENS ET PRETENTIONS :

Par écritures en date 25 avril 2017, le ministère public demande à la cour, au visa des dispositions des articles 643 du code de procédure civile, L. 611-15 et L. 621-1 du code de commerce, de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce le 28 février 2017

- faire droit à la requête en omission de statuer du procureur de la République de Lille

- ordonner la levée de la confidentialité de la procédure de conciliation dont a bénéficié la société Tissel en application de l'article L. 621-1 du code de commerce

Il fait valoir que :

- dès lors que cette société avait fait l'objet d'une procédure de mandat ad hoc par ordonnance du 15juin 2015 et une procédure de conciliation par ordonnance-du 19 novembre 2015 (soit à l'intérieur du délai de 18 mois), le tribunal ne pouvait statuer qu'en présence du ministère public conformément aux dispositions de l'article L.62l-1 alinéa 4 du code de commerce ;

- lors de l'audience du 12 décembre 2016, ayant donné lieu au jugement d'ouverture, le ministère public, partie jointe, a sollicité du tribunal, la levée de la mesure de confidentialité qui frappe la procédure de conciliation conformément aux dispositions de l'article L. 61l-15 du Code de commerce (article L. 62l-1 alinéa 5 du Code de commerce), demande actée par le Greffier et reprise dans le jugement du 12 décembre

- une omission de statuer étant caractérisée, le ministère public a donc déposé le 20 décembre 2016 une requête en omission de statuer au visa de l'article 463 du code de procédure civile.

Il estime que :

- s'agissant d'une procédure où sa présence est obligatoire à peine de nullité, et intervenant en qualité de partie jointe pour donner son avis, il était une partie fondée à déposer une requête au visa de l'article 463 du code de procédure civile,

- les jurisprudences de la cour de cassation citées affirmant que l'article 463 ne trouve pas à s'appliquer lorsque la juridiction doit donner une solution à la procédure collective, n'ont pas vocation à s'appliquer en l'espèce, puisque la demande est celle d'une levée de confidentialité et le tribunal n'apporte pas une solution à la procédure collective,

- il s'agit d'une demande au sens de l'article 463 du code de procédure civile.

Quant au motif du rejet, tirée du fait que le tribunal s'était considéré suffisamment informé sans faire usage des dispositions de l'article L. 621-1 alinéa 6 du code de commerce, il soutient que :

- le tribunal semble ainsi indiquer qu'il avait été répondu implicitement, par la négative, à la demande de levée de confidentialité du ministère public,

-le tribunal doit se prononcer sur tout ce qui est demandé,

- le tribunal aurait pris connaissance de l'accord de conciliation et que la confidentialité de la procédure n'a pas été respectée, que la conciliation et l'accord ont été évoqués à l'audience,

- pour pouvoir procéder ainsi recueillir le rapport de conciliation et consulter la procédure de conciliation, il fallait obtenir la main levée de la confidentialité,

- seul le tribunal a disposé de l'accord de conciliation remis par le conseil de l'entreprise lors de son délibéré, ne respectant pas le principe de la contradiction.

Par conclusions signifiées par voie électronique en date du 31 mai 2017, Me B., la SAS Tissel et la SELURL D. demandent à la cour, des dispositions de l'article L. 621-1 du code de commerce de :

- donner acte à la SAS Tissel de ses observations et de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les réquisitions du Ministère Public sur la recevabilité de sa requête en omission de statuer et sa demande de mainlevée par le tribunal de la confidentialité de l'accord de conciliation dont elle a bénéficié.

- pour le surplus, au visa des dispositions des articles 562 et 568 du code de procédure civile,

- déclarer irrecevable la réquisition de Madame le Procureur Général à s'entendre ordonner par la cour la levée de la confidentialité de la procédure de conciliation dont a bénéficié la société Tissel en application de l'article L. 621-1 du code de commerce.

- au visa des dispositions de l'article 555 du code de procédure civile,

- dire irrecevable l'intervention forcée de Me B., es qualité d'administrateur judiciaire de la SAS Tissel et de la Selurl D., représentée par Me D., es qualité de mandataire judiciaire de la SAS Tissel.

- dire que les dépens de première instance et d'appel seront à la charge du Trésor Public.

Sur la recevabilité de la requête, ils font valoir que :

- il existe une spécificité de certains contentieux, notamment le traitement des entreprises en difficulté dont la finalité n'est pas de trancher un litige sur un droit subjectif mais d'apporter une solution économique à l'entreprise,

- le tribunal, saisi par la SAS Tissel d'une demande d'ouverture de la procédure de sauvegarde pour permettre une prise en compte précoce de ses difficultés sans attendre la survenance de la cessation des paiements, n'avait en conséquence d'autre obligation que de statuer exclusivement sur cette demande d'ordre strictement économique.

Sur le bienfondé de la demande de levée de confidentialité, ils maintiennent que:

- le tribunal a ainsi, implicitement mais nécessairement considéré qu'il disposait à l'audience de tous les éléments nécessaires et suffisants pour statuer en l'état et dès l'issue de l'audience sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde de la SAS Tissel et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner la mainlevée de la confidentialité et la communication de l'accord de conciliation requis par le Parquet.

- si le tribunal avait eu communication sans respecter la procédure contradictoire des éléments de la procédure de mandat ad hoc et de conciliation, il appartenait alors au ministère public d'interjeter appel du jugement au visa de l'article 16 du code de procédure civile, et non de procéder par voie de requête en omission de statuer.

- le tribunal a souverainement considéré qu'au vu des éléments régulièrement communiqués à l'audience et du déroulement de celle-ci, il n'y avait pas lieu à faire application des dispositions dérogatoires de l'article L. 621-1 al.5 du code de commerce.

Sur la demande de levée de la confidentialité de la procédure de conciliation par la Cour, cette dernière « réquisition » apparaît quant à elle strictement irrecevable :

- l'appel n'a pas d'effet dévolutif au-delà des problèmes tranchés par les premiers juges (code de procédure civile art. 562).

- le pouvoir d'évocation de la cour est limité par les dispositions de l'article 568 du code de procédure civile,

- En l'espèce, la cour est saisie de l'appel d'un jugement qui rejette une requête en omission de statuer et n'a pas le pouvoir de se substituer au Tribunal pour ordonner « qu'il obtienne communication des pièces et actes relatifs à la conciliation (art. L. 621-1 al. 5) » alors que cette communication ne pouvait être requise qu'à l'occasion de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, laquelle a déjà été prononcée.

Ils soulignent que :

- les organes de la procédure n'étaient pas parties à la procédure en omission de statuer initiée par le Ministère Public (cf. jugement du 28.02.17), pas plus qu'ils n'ont été parties « et pour cause » à la procédure qui a précédé le jugement d'ouverture (cf. jugement du12.12.2016), leur mise en cause devant la cour par le Ministère Public méritant d'être explicité au visa de l'article 555 du Code de Procédure Civile.

- les conditions de recevabilité de leur intervention forcée ne sont pas réunies et en tirer toute conséquence de droit.

Par note en délibéré en date du 14 juin 2017, au vu des débats et des décisions, la cour indique solliciter la communication de l'entier dossier de première instance, entre les parties, à savoir le dossier d'ouverture de la sauvegarde ayant donné lieu au jugement du 12 décembre 2016 et le dossier ayant donné lieu au jugement ayant rejeté la requête en omission de statuer en date du 28 février 2017.

À réception du dossier du tribunal de commerce, le greffe a avisé les parties pour leur permettre d'en prendre connaissance au greffe où il sera tenu à disposition, dans un délai de 15 jours, et faire toutes observations éventuelles, dans ce même délai.

En outre, par cette note la cour a invité le ministère public à expliciter l'intérêt effectivement poursuivi par cette procédure et par la demande de 'main levée de la confidentialité', eu égard aux dispositions de l'article L. 621-1 du code commerce et au prononcé par le tribunal de la décision du 12 décembre 2016 ordonnant l'ouverture de sauvegarde.

Par avis en date du 29 juin 2017, le ministère public a indiqué :

- avoir la qualité pour agir en demande de levée de confidentialité au regard des dispositions de l'article L. 621-1 alinéa 6 : la présence du parquet était d'ailleurs obligatoire dans le cas précis, le ministère public rappelant que le contradictoire n'a pas été totalement respecté,

- avoir intérêt à agir dans la demande de levée de la confidentialité, cette levée permettant au ministère public d'exercer son contrôle pour s'assurer notamment de l'absence de cessation des paiements et de l'ancienneté, de vérifier les conditions d'ouverture pour éviter toute contestation dans le cadre de sanction ultérieure,

- avoir intérêt à agir une fois la procédure ouverte, estimant que considérer qu'au stade de l'appel, le ministère public n'a plus d'intérêt à agir puisque la procédure de sauvegarde a été ouverte sur réquisition favorable reviendrait à nier la possibilité qui lui est reconnue par l'article L. 621-1 du code de commerce de réclamer la levée de la confidentialité.

Par note en date du 26 juillet 2017, le conseil de la société Tissel fait valoir que :

- le ministère public esquisse toute réponse précise à la fin de non-recevoir relevé d'office par la cour,

- le ministère public se borne à rappeler les dispositions générales de l'article L. 621-1 du code de commerce sur la levée de confidentialité, l'intérêt à agir mais ne justifie pas d'un intérêt actuel à demander à la cour d'ordonner la levée alors que la procédure de sauvegarde a été ouverte,

- il rappelle la note remise à l'audience, émanant de M. D., dans une revue juridique qui s'interrogeait lui-même sur l'intérêt de levée la confidentialité après l'ouverture de la procédure de sauvegarde pour conclure que cette mesure ne lui apparaissait pas opportune,

- l'intérêt à agir du ministère public aurait ainsi disparu avec le prononcé du jugement d'ouverture.

Par note en délibéré en date du 25 et 26 septembre 2017, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen tiré du défaut de qualité à agir et a prorogé le délibéré au 26 octobre pour permettre aux parties d'y répondre.

Aucune des parties dans le délai fixé n'a communiqué d'observation à la cour sur ce nouveau moyen.

MOTIFS :

En vertu des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délia préfix, la chose jugée.

Les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public. La liste donnée par le code n'est pas limitative

En vertu des dispositions de l'article 463 du code de procédure civile, la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut également, compléter son jugement sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à établir, s'il y a lieu, le véritable exposé des prétentions des parties et de leurs moyens.

Encore faut-il pour que puisse être réparée une omission de statuer que la juridiction soit valablement saisie d'une prétention par une partie, raison pour laquelle au regard de la particularité du contentieux du traitement des entreprises en difficulté, lorsque le tribunal donne une solution à la procédure collective, ce dernier n'étant pas saisi d'une demande au sens des dispositions des articles 463 et 464 du code de procédure civile mais d'un choix relatif à l'orientation même de la procédure, il n'y a pas lieu à application des dispositions précitées.

En l'espèce, le ministère public s'étant prévalu, lors de l'audience d'ouverture de la sauvegarde, des dispositions de l'alinéa 6 de l'article L. 621-1 du code de commerce pour demander la communication des pièces de la procédure de conciliation, a déposé une requête en omission de statuer, requête qui a été rejetée par le tribunal.

Toutefois cette possibilité de présenter une requête en omission de statuer doit être articulée avec les pouvoirs du ministère public en matière de sauvegarde.

Si l'alinéa 5 de l'article L. 621-1 du code de commerce impose que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard d'un débiteur qui bénéficie ou a bénéficié d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation dans les 18 mois qui précèdent doit être examinée en présence du ministère public, à moins qu'il ne s'agisse de patrimoines distincts d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, il n'en demeure pas moins que dans ce cadre, le ministère public n'est que partie jointe et non partie principale.

Dès lors, et conformément aux limites imposées par l'article 424 du code de procédure civile, le ministère public intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire dont il a communication.

Ainsi, n'émet-il pas une prétention mais soumet-il un avis au tribunal, jouant un rôle de guide et de régulateur de la vie économique.

Si l'alinéa 6 de l'article L. 621-1 du code de commerce offre au tribunal la faculté à la requête du parquet ou d’office, d'obtenir la communication des pièces et actes de la conciliation, le ministère public ne saisit pas pour autant le tribunal d'une prétention.

Il ne s'agit que d'une information soumise à l'appréciation discrétionnaire du tribunal, qui ne peut générer une quelconque voie de recours, et qui ne soulève aucune problématique d'ordre public.

Le fait que l'article L. 661-1 du code de commerce précise que sont susceptibles d'appel ou de pourvoi en cassation les décisions statuant sur l'ouverture des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire de la part du débiteur, du créancier poursuivant ainsi que du ministère public, même s'il n'a pas agi comme partie principale, constitue une exception au principe de l'absence de recours ouvert au ministère public lorsqu'il agit en qualité de partie jointe.

Cette exception s'interprète strictement et ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce, le ministère public n'ayant nullement fait appel du jugement de sauvegarde mais ayant seulement interjeté appel de la décision rejetant sa requête en omission de statuer.

En conséquence, il convient de déclarer irrecevable l'appel du parquet.

Au surplus, il ne peut qu'être observé que la requête en omission de statuer était également radicalement irrecevable.

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, le ministère public succombant en ses prétentions, les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DECLARE IRRECEVABLE l'appel formé par le ministère public à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole en date du 28 février 2017,

LAISSE la charge des dépens au Trésor public.