Cass. 1re civ., 6 mai 2009, n° 08-10.281
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Rapporteur :
Mme Pascal
Avocat général :
M. Domingo
Avocat :
Me Bertrand
Attendu que la société Jean X. et compagnie a conclu avec la société égyptienne International Company For Commercial Exchanges (Income) trois contrats concernant la vente de sucre cristallisé, comportant une clause compromissoire stipulant, en cas de litige, un arbitrage sous l'égide de la Refined Sugar Association ; que des difficultés d'exécution étant survenues, la société Income a saisi le tribunal arbitral le 5 octobre 2001 ; que par jugement du 20 mai 2003, la société Jean X. a été déclarée en redressement judiciaire, M. Y. étant désigné comme administrateur judiciaire et la Selafa MJA, en la personne de Mme Z., en qualité de représentant des créanciers ; que la société Income a déclaré sa créance ; que, par jugement du 1er juillet 2003, la société Jean X. a été placée en liquidation judiciaire, la Selafa MJA, en la personne de Mme Z. étant désignée comme liquidateur ; qu'après avoir adressé divers avis à la société Income et à la Selafa MJA en la personne de Mme Z., le tribunal arbitral a rendu le 9 février 2004 une sentence ordonnant à la société Jean X. de payer certaines sommes à la société Income ; que le liquidateur a interjeté appel de l'ordonnance d'exequatur en date du 20 février 2006 ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué de confirmer l'ordonnance d'exequatur, alors que, lorsqu'une juridiction décide de relever d'office un moyen, elle est tenue de respecter le principe de la contradiction en invitant les parties à s'expliquer sur celui-ci ; qu'en opposant à Mme Z., ès qualités, la règle de l'estoppel qui n'était nullement invoquée par la société Income, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur l'application de cette règle en l'espèce, la cour d'appel aurait violé l'article 16 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, dans ses écritures devant la cour d'appel, la société Income faisait grief au liquidateur de s'être volontairement abstenu de participer à la procédure après en avoir été pleinement informé et avoir été mis en cause, ce qui lui interdisait de s'en plaindre en appel, et en tirait la conclusion qu'il était censé avoir renoncé à se prévaloir des éventuelles irrégularités de la procédure ; que la société ajoutait que le liquidateur avait agi sciemment, par collusion frauduleuse et dans le but de se réserver un moyen de recours contre la sentence ; que, dès lors que les domaines d'application respectifs de la règle de l'estoppel et du principe de la renonciation peuvent, dans certains cas, être identiques et qu'il appartient au juge de l'annulation de faire respecter la loyauté procédurale des parties à l'arbitrage, c'est sans violer le principe de la contradiction que la cour d'appel a qualifié d'estoppel l'attitude procédurale du liquidateur ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, qu'en énonçant qu'il appartenait à Mme Z., informée de la procédure d'arbitrage, de faire valoir devant le tribunal arbitral le moyen tiré de l'absence de mise en cause des mandataires judiciaires de la société Jean X. et compagnie quand le fait de tenir informé les mandataires judiciaires de l'évolution de l'instance arbitrale ne peut suffire à rendre ceux-ci parties à cette instance, de sorte que Mme Z., ès qualités, ne se trouvait pas en situation de faire valoir un quelconque moyen devant l'arbitre, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 621-41 du code de commerce et les articles 68 et 373 du code de procédure civile et par fausse application l'article 1502, 5°, du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève que Mme Z., en tant qu'associé de la Selafa MJA, a été destinataire d'abord des correspondances échangées entre le conseil de la société Income et M. Y., administrateur, pour assurer la continuité de la défense de la société Jean X., puis, une fois désigné comme liquidateur, des documents relatifs à la procédure d'arbitrage et de toute information sur les étapes de la procédure, la Refined Sugar Association l'ayant même invité expressément à prendre contact et s'étant mise à sa disposition pour lui fournir toute information ou tout document ; que la cour d'appel a pu en déduire que le liquidateur, parfaitement informé du déroulement de la procédure, ne pouvait se plaindre de l'irrégularité de la reprise d'instance, après déclaration de la créance de la société Income, faute de citation par huissier ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique, en ses quatrième et cinquième branches :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :
1°) que ne saurait donner lieu à exequatur la sentence arbitrale rendue en violation du principe de la contradiction ; qu'en estimant que la règle de l'estoppel s'opposait à ce que Mme Z., ès qualités, invoque le moyen tiré de ce que la sentence arbitrale avait été expressément rendue en l'absence de débats contradictoires, dès lors que celle-ci n'avait "rien trouvé à dire pendant l'arbitrage", quand il ne pouvait être reproché à Mme Z. une quelconque abstention au cours de l'instance arbitrale, à laquelle elle n'avait pas été régulièrement appelée comme elle aurait dû l'être, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 621-41 du code de commerce et les articles 68 et 373 du code de procédure civile et par fausse application l'article 1502, 4°, du code de procédure civile ;
2°) qu'après avoir constaté que le tribunal arbitral avait examiné l'affaire "sans organiser de débats contradictoires", la cour d'appel devait nécessairement en déduire l'impossibilité pour le juge français de donner l'exequatur à une telle sentence, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur l'existence d'un consentement des parties à l'option choisie par l'arbitre ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1502, 4°, du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève d'abord que des télécopies ont été échangées entre la société Income et la Refined Sugar Association, dont le liquidateur a été destinataire, demandant leur avis sur la possibilité pour le tribunal arbitral de statuer, au vu des écritures échangées, sans débats oraux afin de limiter les frais d'arbitrage ; puis, qu'il résulte de la sentence que le liquidateur ne s'est pas opposé à ce qu'il soit ainsi procédé, dans le délai imparti, et qu'il n'a pas plus produit pour le compte de la société Jean X. ; qu'alors surtout, comme l'invoquait la société Income, qu'une telle possibilité était expressément prévue par le règlement d'arbitrage, la cour d'appel, analysant le comportement du liquidateur, a pu décider qu'aucune violation du principe de la contradiction n'était établie ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, en sa deuxième branche :
Vu l'article 1502-5° du code de procédure civile, ensemble l'article L. 621-41 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable ;
Attendu que selon le second de ces textes, les instances en cours à la date du jugement d'ouverture sont suspendues jusqu'à ce que le créancier ait déclaré sa créance ; qu'elles sont alors reprises de plein droit, le représentant des créanciers et, le cas échéant, l'administrateur dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ; que le principe de suspension des poursuites individuelles en matière de faillite est à la fois d'ordre public interne et international ;
Attendu que pour rejeter la demande du liquidateur et confirmer l'ordonnance d'exequatur, l'arrêt retient d'abord que, pour réaliser une violation de l'ordre public international, la reconnaissance ou l'exécution de la sentence doit y contrevenir de manière effective et concrète, ce qui n'est pas le cas d'une violation purement formelle de l'impossibilité de prononcer une condamnation à l'encontre d'une personne morale liquidée ; ensuite que, en l'espèce, la règle de l'égalité des créanciers n'est pas méconnue puisque la société Income a produit à la liquidation de la société Jean X. et demande de lui donner acte de ce qu'elle ne reprend pas l'exécution de la sentence ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que la sentence avait ordonné à la société Jean X. de payer diverses sommes à la société Income, en violation de la règle d'ordre public international de la suspension des poursuites individuelles dès lors que, une fois la créance déclarée et le liquidateur mis en cause, l'instance ne pouvait tendre qu'à la fixation de la créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 novembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande d'exequatur formée par la société Income.