Cass. com., 28 avril 1998, n° 96-13.607
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Rémery
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP de Chaisemartin et Courjon, M. Foussard
Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par la Société d'exploitation, d'importation et d'exportation que sur le pourvoi principal formé par le liquidateur de la procédure collective de la Société commerciale Interagra Ipitrade international ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, pour transporter du Vietnam sur les côtes occidentales de l'Afrique des cargaisons de riz, la Société commerciale Interagra Ipitrade international (société Interagra) a affrété au voyage deux navires, le Bisk et l'Alyn ; qu'en cours de route, la société Interagra a vendu " coût et fret " une partie de la cargaison de riz de chacun des navires à la Société d'exploitation, d'importation et d'exportation (Soeximex), devenue porteur des connaissements ; que le navire Bisk a atteint le port de Freetown (Sierra Leone) le 31 juillet 1989 mais n'a été déchargé que le 18 septembre suivant ; que le navire Alyn, arrivé sur rade à Conakry (Guinée) le 15 août 1989, n'a pu accoster que le 4 septembre suivant pour être déchargé le 14 octobre 1989 ; que la société Interagra a assigné la Soeximex en paiement de surestaries et de marchandises livrées en excédent à Conakry, tandis que la société défenderesse lui réclamait reconventionnellement des dommages-intérêts pour avaries à la marchandise ainsi que diverses autres indemnités ; qu'après expertise, le Tribunal s'est prononcé par un jugement dont les deux parties ont relevé appel ; qu'en cause d'appel, la société Interagra a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires ; que Mme X, désignée en qualité de liquidateur de la procédure collective, a repris l'instance ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que la Soeximex reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des surestaries pour le retard au déchargement du navire Bisk, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, à supposer qu'il ait été contractuellement convenu que les suppléments de frais, tels que les surestaries, aient été à la charge de l'acquéreur, de toute façon, l'acquéreur ne pouvait être tenu, au titre des surestaries, que dans les limites des paiements effectués par le vendeur entre les mains de l'armateur ; qu'en effet, les suppléments de frais ne peuvent s'entendre que de débours effectivement supportés par le vendeur ; qu'en décidant de condamner la Soeximex à une certaine somme, tout en constatant qu'elle était dans l'impossibilité de déterminer quels étaient les frais que le vendeur avait supportés dans ses rapports avec l'armateur, les juges du fond ont violé les articles 1134 et 1583 du Code civil ; et alors, d'autre part, qu'un moyen ne peut être écarté, sans faire l'objet d'un examen au fond, au motif qu'il n'a pas été soumis à l'expert ; qu'il appartient aux juges du fond de se prononcer sur le bien-fondé du moyen, au besoin après avoir prescrit un complément d'expertise ; qu'en statuant comme ils ont fait, les juges du second degré ont violé les articles 5 du Code civil et 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que les clauses des chartes-parties relatives à l'exigibilité et au mode de calcul des surestaries avaient été incorporées aux différents contrats de vente " coût et fret " ; qu'il en a exactement déduit que l'acheteur était tenu de payer les surestaries, comme constituant un surcoût du déchargement non inclus dans le montant du fret, en vertu, non des contrats d'affrètement, mais des contrats de vente et aux conditions que ces derniers fixaient eux-mêmes, sans pouvoir, dès lors, exiger du vendeur qu'il justifie de leur paiement préalable aux fréteurs ;
Attendu, d'autre part, qu'en adoptant les conclusions de l'expert, qui n'avait pris en considération dans le calcul des surestaries que certaines causes d'interruption du délai de déchargement du navire Bisk, la cour d'appel a légalement justifié sa décision d'écarter les autres causes de réduction du montant des surestaries alléguées par la Soeximex, abstraction faite des motifs critiqués par la seconde branche ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches, du pourvoi principal, qui est aussi préalable : (sans intérêt) ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches, du pourvoi incident : (sans intérêt) ;
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Vu les articles 48 de la loi du 25 janvier 1985 et 65 du décret du 27 décembre 1985 ;
Attendu que le jugement de redressement judiciaire suspend jusqu'à la déclaration de créance toute action en justice de la part des créanciers de sommes d'argent dont la créance a son origine antérieurement audit jugement ; que l'instance suspendue est reprise à l'initiative du créancier demandeur dès que celui-ci a produit à la juridiction saisie de l'instance une copie de la déclaration de créance et mis en cause le représentant des créanciers et, le cas échéant, l'administrateur ;
Attendu que, tout en constatant que la Soeximex ne justifiait pas, en l'état, avoir déclaré de créance au titre des dommages-intérêts qu'elle réclamait, par voie reconventionnelle, à la société Interagra, l'arrêt, statuant sur le bien-fondé de la demande, retient le principe de cette créance, fixe son montant et ordonne sa compensation avec les sommes allouées à la société Interagra, le tout sous réserve de justification de la déclaration de créance ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de vérifier au préalable la régularité de la reprise d'instance devant elle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen du pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé la créance de la Société d'exploitation, d'importation et d'exportation (Soeximex) au passif de la liquidation judiciaire de la Société commerciale Interagra Ipitrade international (société Interagra) à diverses sommes et ordonné compensation sous réserve de la justification de la déclaration de créance de la Soeximex, l'arrêt rendu le 18 janvier 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.