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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. C, 16 avril 2015, n° 13/24475

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Uber Michel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Combes

Conseillers :

M. Mathis, Mme Demory-Petel

T. com. Salon-de-Provence, du 12 nov. 20…

12 novembre 2013

Monsieur Serge C. et Madame Colette D. épouse C. étaient les seuls associés d'une SARL SCC GESTION.

Par acte sous seing privé en date du 18 septembre 2007, la SARL SCC GESTION a acquis 30 480 des 30 500 parts sociales de la SAS UBER MICHEL qui avait pour activité les travaux publics, le terrassement, la location d'engins et de bennes à déchets et le négoce de matériaux. Le prix de cession des parts a été fixé à 1'950'000 € et a été financé en partie par un apport des époux C. soit 400 000 € et par un emprunt souscrit auprès du CREDIT DU NORD pour 1'400 000 € remboursable en 84'mensualités de 20 510 €, le remboursement du prêt devant s'effectuer à partir des revenus de la SAS UBER MICHEL.

A partir de cette acquisition la SAS UBER MICHEL a été dirigée par Monsieur Serge C. en qualité de président du conseil d'administration et par son épouse Madame Colette D., en qualité de directrice générale. Au jour du redressement judiciaire, la société employait 87 salariés.

La société UBER MICHEL a effectué une déclaration de cessation des paiements le 27 mai 2010.

Le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la société UBER MICHEL par jugement du 31 mai 2010, la date de cessation des paiements étant fixée au 27 mai 2010. Maître Michel G. a été désigné en qualité de d'administrateur judiciaire et Maître Eric V. en qualité de mandataire judiciaire.

Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 2'août 2010, Maître Eric V. étant désigné en qualité de liquidateur. Le tribunal a retenu que le débiteur était dans l'impossibilité de présenter un plan de redressement en raison de sa situation totalement obérée et de l'absence de trésorerie qui lui permettrait de poursuivre la période d'observation, que rien ne permettait d'affirmer avec certitude que les salaires du mois de juillet et d'août pourront être réglés et encore que la société a créé des dettes postérieures à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

Le passif admis d'élève à la somme de 5 120 492,38 €, l'actif recouvré totalise un montant de 390'649,48 €, l'insuffisance d'actif étant de 4 729 842,90 €.

Par assignation du 17 décembre 2012, Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL, a demandé au tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE de :

-  condamner in solidum Monsieur Serge C. et Madame Colette D. épouse C. à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif et, à tout le moins, une part significative de celle-ci,

- prononcer à leur encontre une mesure de faillite personnelle, et, à défaut, une interdiction de gérer de 15 années,

- condamner in solidum les époux C. au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 12 novembre 2013, le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a:

- débouté Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL, de sa demande en comblement d'insuffisance d'actif,

- prononcé à l'encontre de Madame Colette D. épouse C. une interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale ayant une activité économique,

- fixé la durée de cette mesure à 15 ans,

- condamné Madame Colette D. épouse C. à payer à Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL, la somme de 2'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- dit que le jugement fera l'objet des publicités prévues à l'article R. 621-8 du code de commerce et sera adressé aux aux autorités mentionnées à l'article R. 621-7 du code de commerce,

- dit que le greffier fera également procéder à la signification du jugement,

- condamné Madame Colette D. épouse C. aux dépens.

Maître Eric V., en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS UBER MICHEL, a interjeté appel de cette décision suivant déclaration du 23 décembre 2013.

Par réquisitions du 12 février 2015, Monsieur le procureur général demande l'application de la loi et s'en rapporte à la décision de la cour.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 17 février 2015.

Suivant dernières conclusions déposées et notifiées le 4 août 2014, Maître Eric V., en qualité de liquidateur judiciaire de la société UBER MICHEL, demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déchargé Madame Colette D. épouse C. de toute condamnation au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif en application de l'article L.'651-2 du code de commerce et de :

- condamner Madame Colette D. épouse C. à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société UBER MICHEL chiffrée à la somme de 4 729 842,90€ et à tout le moins une part significative de celle-ci,

- confirmer pour le surplus le jugement déféré,

- condamner Madame Colette D. épouse C. au paiement de la somme de 5'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner à supporter les entiers dépens, lesquels seront déclarés frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire.

Par dernières conclusions déposées et notifiées le 14 mai 2014, Madame Colette D. épouse C. demande à la cour de :

à titre principal

- constater que le prononcé d'une sanction patrimoniale au visa de l'article L. 651-2 du code de commerce est toujours facultatif, le tribunal possédant un pouvoir d'appréciation très large, y compris dans l'hypothèse où les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis,

- constater que Maître Eric V., en qualité de liquidateur judiciaire de la société UBER MICHEL, ne fait pas la démonstration que l'état de cessation des paiements était réalisé le 31 décembre 2009, de sorte qu'en ne procédant à la déclaration de cessation des paiements que courant avril 2010, le dirigeant social aurait enfreint l'obligation déclarative dans le délai de 45 jours,

- constater, au contraire, qu'il s'évince des comptes annuels de 2009, que le montant des créances échues que l'entreprise possédait sur des clients solvables, au 31 décembre 2009, était supérieur à son passif existant,

- écarter comme moyen de preuve des fautes de gestion le rapport de l'administrateur judiciaire établi non contradictoirement alors que l'ancien dirigeant social est aujourd'hui dépourvu des moyens matériels lui permettant de discuter les conclusions de celui-ci,

- constater que le rapport de l'administrateur judiciaire ayant été écarté, Maître Eric V., en qualité de liquidateur judiciaire de la société UBER MICHEL, ne dispose d'aucun moyen de démonstration des fautes de gestion invoquées à l'appui de ses demandes,

- débouter Maître Eric V., en qualité de liquidateur judiciaire de la société UBER MICHEL, de ses demandes,

à titre subsidiaire

- constater en tout état de cause l'insolvabilité des époux C., leur surendettement et leur incapacité de faire face à toute condamnation financière,

- prononcer une interdiction de gérer une entreprise commerciale,

en tout état de cause

- dire que les dépens de la procédure seront considérés comme frais de la procédure collective.

MOTIFS

1°) Sur le rapport établi par Maître Michel G., en qualité d'administrateur de la société UBER MICHEL

L'article L. 623-1 du code de commerce dispose que l'administrateur, avec le concours du débiteur et l'assistance éventuelle d'un ou plusieurs experts, est chargé de dresser dans un rapport le bilan économique et social de l'entreprise, que le bilan économique et social précise l'origine, l'importance et la nature des difficultés de l'entreprise et que dans le cas où l'entreprise exploite une ou des installations classées au sens du titre Ier du livre V du code de l'environnement, le bilan économique et social est complété par un bilan environnemental que l'administrateur fait réaliser dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État.

Au visa de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'article 16 du code de procédure civile, Madame Colette D. épouse C. demande à la cour d'écarter des débats le document intitulé « rapport L. 631-15 c. com. & bilan économique et social & environnemental L. 623-1 c. com. » établi le 21 juin 2010 par Maître Michel G., en qualité d'administrateur de la société UBER MICHEL, aux motifs que ce document n'a pas été établi contradictoirement et qu'elle se trouve aujourd'hui dépourvue des moyens matériels lui permettant d'en discuter les conclusions.

Mais rien ne permet de dire que le rapport incriminé n'a pas été dressé avec le concours de la SAS UBER MICHEL, comme le commande l'article L. 623-1 du code de commerce, étant relevé que cette dernière n'a nullement contesté ce point lors de l'instance ayant conduit à la liquidation judiciaire.

Aucun texte ne faisait obligation à Maître Michel G., en qualité d'administrateur de la société UBER MICHEL, de respecter le principe du contradictoire, à l'égard des dirigeants de la société, dans l'établissement de son rapport, dès lors que cette pièce avait vocation à être produite en justice et à y être discutée contradictoirement.

Le fait que Madame Colette D. épouse C. ne dirige plus son entreprise, laquelle a été liquidée, ne l'empêche nullement de discuter précisément le rapport de l'administrateur judiciaire puisqu'au temps des faits en cause elle en était bien une dirigeante.

En conséquence il n'y a pas lieu d'écarter des débats le rapport établi le 21 juin 2010 par Maître Michel G., en qualité d'administrateur de la société UBER MICHEL.

2°) Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif

Il convient tout d'abord de relever que Madame Colette D. épouse C. n'est nullement recherchée en obligation aux dettes sociales au sens de l'article L. 652-1 du code de commerce mais que seule sa responsabilité est recherchée à raison de l'insuffisance d'actif sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce qui dispose, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, que le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion et qu'en cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.

Bien que l'action de l'article L. 651-2 du code de commerce soit une action en responsabilité, il se déduit de l'utilisation par le législateur du verbe « peut » que la condamnation du dirigeant doit être appréciée non uniquement au regard de la faute de gestion, du préjudice constitué par l'insuffisance d'actif et du lien de causalité, mais aussi en considération de l'opportunité d'une telle condamnation.

En l'espèce, les époux C. ont apporté pour l'acquisition de l'entreprise la somme de 400 000 € et ils ont garanti l'emprunt de 1 400 000 € qu'ils ont dû contracter par des cautionnements solidaires lesquels ont conduits à la saisie et à la vente de leur domicile qui constituait leur seul bien. Ils exposent aujourd'hui ne plus vivre que de la solidarité de leurs familles respectives.

Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL, ne fait état d'aucun élément de patrimoine de nature à contredire la présentation que Madame Colette D. épouse C. fait de sa situation.

Ainsi, c'est justement que les premiers juges ont estimé qu'une condamnation en responsabilité pour insuffisance d'actif de Madame Colette D. épouse C. était inopportune et ils seront confirmés sur ce point.

3°) Sur l'interdiction de gérer

L'article L. 653-4 du code de commerce autorise le prononcé de la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1. avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres,

2. sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel,

3. avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement,

4. avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale,

5. avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

L'article L. 653-5 du code de commerce ajoute à cette liste des cas de faillite personnelle communs aux entrepreneurs individuels et aux dirigeants de personnels morales :

1. avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi,

2. avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds,

3. avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale,

4. avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers,

5. avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement,

6. avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables,

7. avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée.

L'article L. 653-8 du code de commerce dispose que dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

Ce texte ajoute que l'interdiction mentionnée à l'alinéa précédent peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22 ; qu'elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L 653-1 qui a omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL sollicite sur ce point la confirmation du jugement dont appel sans motiver cette demande.

Dès lors, en l'absence de motivation de la demande de confirmation, seule la motivation du tribunal pourra être discutée.

Le jugement dont appel n'a retenu, au titre de l'interdiction de gérer, qu'une faute à la charge de Madame Colette D. épouse C. consistant à avoir omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Or ce grief n'est pas fondé dès lors que l'omission s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report. En effet, la société UBER MICHEL a effectué sa déclaration de cessation des paiements le 27'mai'2010 alors que le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la société UBER MICHEL par jugement du 31'mai 2010 et a retenu comme date de cessation des paiements le 27 mai 2010.

Ainsi, le jugement dont appel sera infirmé en ce qu'il a prononcé une mesure d'interdiction à l'encontre de Madame Colette D. épouse C..

4°) Sur les autres demandes

L'équité ne commande pas de faire droit à la demande formée par Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL, par application des dispositions de l'article 700'du code de procédure civile.

Les dépens seront mis à la charge de la procédure collective et employés en frais privilégiés.

PAR CES MOTIFS

La cour, publiquement et contradictoirement

Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats le rapport rédigé par Maître Michel G., en qualité d'administrateur de la société UBER MICHEL.

Infirme le jugement dont appel sauf en ce qu'il a débouté Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL, de son action en responsabilité pour insuffisance d'actif dirigée contre Madame Colette D. épouse C

Statuant à nouveau

Déboute Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL, de sa demande d'entendre prononcer à l'encontre de Madame Colette D. épouse C. une interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale ayant une activité économique.

Déboute Maître Eric V., en qualité de liquidateur de la société UBER MICHEL, de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Met les dépens à la charge de la liquidation de la société UBER MICHEL et dit qu'ils seront employés en frais privilégiés de cette dernière.