CA Poitiers, ch. civ. sect. 2, 12 mai 1993, n° 3296/92
POITIERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Banque Worms (SA)
Défendeur :
Pechex (SA), Rambour
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lerner
Conseillers :
M. Andrault, Mme Mechiche
Avoués :
SCP Musereau-Drouineau-Rosaz, SCP Paille-Thibault
Avocats :
Me Thomassin, Me Gibert
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Le Tribunal de Commerce de LA ROCHELLE, par jugement en date du 5 Août 1992, a ouvert une procédure de redressement judiciaire concernant la Ste “PECHEX", SA dont le siège social est à LA ROCHELLE <adresse> et Maitre RAMBOUR a été désigne en qualité d'administrateur,
Ce même jugement a fixé à trois semaines la période d'observation pour l’établissement du bilan économique et social de l’entreprise,
Maitre RAMBOUR ès qualités, par requête en date du 12 Aout 1992 présentée à M. le Juge Commissaire CHARMET, exposait qu'aux termes d'un contrat en date du 19 décembre 1987, la Sté marocaine "SIB" (Sté Internationale de pèche) a commandé à la Ste PECHEX la construction de cinq chalutiers congélateurs "pèche arrière" ; qu'un avenant en date du 11 Août 1988 précisait qu'une somme de 14 230 500 francs ferait l'objet d'un déposit en compte bloqué sous contrôle de la banque garantissant le risque commercial,
Maitre RAMBOUR exposait que ce déposit aurait été fait à la Banque "WORMS" sur un compte numéro 40582411A,
En exécution de cet accord, la Sté PECHEX aurait été créditée à la Banque "AL SAOUDI BANQUE” du montant de l‘acompte commande (13 223 665 francs),
Les 3 et 5 octobre 1988, ce compte aurait été débité des sommes de 5 285 450 francs et 7 934 175 francs, soit au total 13 223 625 francs par virement à la Banque "WORMS", et ce, en exécution des accords et des ordres de la Banque "AL SAOUDI" à la Banque "WORMS",
Le 17 juin 1992, la Sté "PECHEX" a interrogé la Banque "WORMS" sur la position de ce compte, crédité les 3 et 5 octobre 1988 sur les fonds en provenance de AL SAOUDI BANQUE et destinés au financement de l’achat par la Sté Internationale de Pèche (SIP),
La banque "WORMS" a refusé de faire connaitre la position de ce compte, soutenant qu'il n'existait pas au nom de la Sté "PECHEX",
En application de l'article 19 de la loi du 25 janvier 1985, Maitre RAMBOUR ès qualités demandait au Juge commissaire d'ordonner à la Banque "WORMS" communication de I‘historique du compte et la position actuelle (compte 50582411A), de donner d'une façon générale la situation de la Sté "PECHEX" sur ses livres, comme étant titulaire ou sous titulaire d'un compte à la Sté "MAROCAINE de dépôt et de crédit",
M. le Juge commissaire, par ordonnance du 13 Août 1992 ordonnait à la Banque "WORMS" de communiquer l'historique du compte sus-indiqué, la situation de "PECHEX" en général dans ses livres (qu'elle soit ou non titulaire ou sous titulaire d'un compte "SMDC ou SMDCI ANDSTALT"),
M. le Juge Commissaire ordonnait que la Banque "WORMS" satisfasse à cette demande dans le délai de 48 heures à compter des notifications effectuées par lettres commandées du greffe, en date du 14 Août 1992,
La Ste BANQUE "WORMS" a formé opposition à l'ordonnance précitée le 20 Août 1992 devant le Tribunal de Commerce de LA ROCHELLE, lui demandant d'infirmer l’ordonnance sus-indiquée, de constater que la Sté "PECHEX" n'était pas titulaire du compte 40582411A et de dire qu'il n'y a pas lieu à communiquer l’historique de la position actuelle de ce compte,
Le Tribunal de Commerce de LA ROCHELLE, par jugement en date du 11 septembre 1992, constatant que la Banque "WORMS" avait reçu deux virements en provenance d'AL SAOUDI BANQUE au bénéfice de la Ste "PECHEX", a jugé que ladite Banque "WORMS" devait répondre de cette situation du compte bancaire et donner tous éclaircissements sur le sort des deux virements d'un montant respectif de 7 934 175 francs et 5 589 450 francs, et ce, au vu des dispositions de l'article 19 de la Loi du 25 janvier 1985, aux termes duquel le Juge commissaire est en droit d'obtenir des établissements de crédit tous renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation financière et économique de l'entreprise,
La Banque "WORMS" était condamnée à payer une somme de 3 000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile et à fournir les renseignements sus-indiqués dans un délai de huitaine à compter de la signification du jugement sous astreinte de 20 000 francs par jour de retard passe ce délai.
Par déclaration au Greffe en date du 12 octobre 1992, la Banque "WORMS" a relevé appel contre la Sté "PECHEX" et Maitre RAMBOUR qualités,
Elle demande à la Cour de reformer l'ordonnance prononcée le 13 Août 1992 par le Juge Commissaire et d'infirmer le jugement du Tribunal de Commerce déféré aux parties, à l’exception de ce qu'il a constaté que la Sté "PECHEX" n'est pas titulaire d'un compte n" 402582411A dans ses livres, subsidiairement, il est sollicité de la Cour prononcé de nullité à l’encontre du jugement déféré et condamnation des intimés à payer une somme de 50 000 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.
La Sté "PECHEX", assistée de Maitre RAMBOUR ès qualités demande à la Cour de déclarer irrecevable l’appel de la Banque "WORMS" et de la condamner à payer une somme de 10 000 francs pour procédure abusive et 5 000 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure civile,
Dans le dernier état de la procédure, la Banque "WORMS" demande à la Cour de débouter Maitre RAMBOUR et la Sté "PECHEX" de l’intégralité de ses demandes au fond,
MOTIFS DE LA DECISION :
ATTENDU qu'il est constant qu'aux termes d'un contrat du 19 décembre 1987, la Sté Internationale de Pèche (SIP) a commandé 5 chalutiers congélateurs à la Sté "PECHEX" ; qu'il a été précisé dans un avenant du 11 Août 1988, qu'une somme de 14 230 500 francs formerait déposit sous contrôle des sociétés de crédit garantissant l’opération commerciale, jusqu'à livraison ou pré-livraison de la marchandise
ATTENDU que le financement de l’opération s'est effectué au profit de la Ste acheteur (SIP), par une société marocaine de Banque (AL SAOUDI BANQUE) ;
ATTENDU qu'une garantie a été offerte par la Banque "WORMS" avec contre garantie de la Ste "Marocaine de Dépôt et de crédit" et avec un crédit acheteur Garanti par la Banque AL SAOUDI BANQUE, le tout par la "COFACE" ;
ATTENDU qu'il est produit aux débats une lettre du 26 aout 1988 adressée à la Banque "WORMS" aux termes de laquelle est parfaitement expliqué le mécanisme financier, et, autorisant la Banque "WORMS" à débiter le compte de la Sté "Marocaine de Dépôt et de Crédit" pour régler au titre de la garantie ;
ATTENDU que cette même lettre rappelait à la Banque "WORMS" qu'il serait procédé, dès réception des fonds, à l’ouverture d'un compte de comptabilité générale spécifique intitulé, « PECHEX BANQUE » "WORMS", provision pour caution", et que ce compte était destiné à enregistrer le déposit de garantie à concurrence de 13 223 625 francs ;
ATTENDU que la Banque "WORMS", par acte sous seing privé en date du 31 Août 1988, s'est engagée a garantir le paiement n° 71982 auprès de la "EL SAOUDI BANQUE PARIS" et après avoir déclaré avoir parfaite connaissance de la convention de crédit financier mentionné dans ladite convention ;
ATTENDU qu'il est justifié par les pièces produites aux débats d'un avis de débit de la banque AL SAOUDI pour un montant d'une part, de 7 934 175 francs, valeur 5 octobre 1988, et pour un montant d'autre part, de 5 289 450 francs, valeur 3 octobre 1988, et ce, au compte bénéficiaire 40582411A ouvert au nom de la Sté "PECHEX", étant précisé que l'établissement chargé du règlement était la banque "WORMS" ;
Sur la compétence du Juge commissaire statuant en application de l’article 19 de la Loi du 25 janvier 1985:
ATTENDU que la banque "WORMS" soutient que le juge a statué hors de sa compétence ;
ATTENDU qu'en application de l’article 19 de la loi du 25 janvier 1985, le Juge commissaire peut obtenir information de tout établissement de crédit sur la situation économique et financière de l’entreprise ayant déposé son bilan, et ce, pour qu'il soit procédé rapidement à l'élaboration d'un plan de redressement de l’entreprise ;
ATTENDU que la banque "WORMS" soutient ne pas avoir à communiquer les documents bancaires, selon lesquels la Sté "PECHEX", (sur son compte bancaire numéroté comme il est dit), n'aurait aucun actif : il n'en reste pas moins vrai que l’ordonnance qui a organisé une mesure d'information est exécutoire quant à l’obligation qui était faite à la Banque de communiquer l’historique du compte quel qu'en soit le solde ;
ATTENDU que la Sté de banque "WORMS" ne saurait invoquer le secret professionnel, au motif que l’article 19 stipule que tous renseignements doivent être donnés, "nonobstant toutes dispositions législatives ou règlementaires contraires" ; qu'il ne saurait être opposé le principe du secret bancaire, et ce d'autant plus, que la Sté "PECHEX" et Me RAMBOUR ès qualité sont bénéficiaires des fonds et ont intérêt à agir ;
ATTENDU que la Sté Banque "WORMS" soutient que le jugement déféré est contraire à l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance de référé en date du 20 juillet 1992, prononcée par M. le Président du Tribunal de Commerce de NANTERRE ayant constaté une difficulté sérieuse sur la question de savoir si la Sté "PECHEX" était titulaire d'un compte auprès de la Banque "WORMS" et si cette dernière détenait des fonds après avoir été bénéficiaire des virements litigieux ;
ATTENDU que si le Juge des référés a débouté la Sté "PECHEX" de sa demande d'information, c'est hors de la compétence du Juge Commissaire, agissant dans le cadre d'une procédure collective, et selon les termes de l'article 19 de la Loi du 25 janvier 1985 ;
ATTENDU que la Banque "WORMS" soutient que le Tribunal de LA ROCHELLE aurait commis une erreur grossière de droit, violant les droits de la défense et ayant statué très au-delà d'une simple demande de renseignements soumise à son appréciation ;
ATTENDU que ni le Juge Commissaire, ni le Tribunal de LA ROCHELLE n'ont abordé le fond et analysé les conventions intervenues entre la Sté "WORMS" et "PECHEX" ; que seule a été organisée une mesure d'information par communication de documents ;
ATTENDU que les parties ont pu régulièrement s'expliquer contradictoirement devant le Tribunal et qu'il n'y a pas lieu à prononcer la nullité du jugement déféré ;
ATTENDU qu'à défaut de nullité du jugement déféré, il convient de faire application des dispositions de l'article 173.2 de la loi du 25 janvier 1985, aux termes de laquelle ne sont susceptibles ni d'opposition, ni de tierce opposition, ni d'appel, ni de recours en cassation les jugements rendus par le Tribunal statuant sur le recours formé contre les ordonnances du Juge commissaire dans les limites de ses: attributions ; que l'appel sera déclaré irrecevable en application de ces dispositions et mal fondé à défaut de nullité du jugement déféré ;
ATTENDU qu'eu égard à l'équité, il convient de condamner la Sté "WORMS" à payer à la Sté "PECHEX" et à Me RAMBOUR ès qualités une somme de 5 000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile ;
ATTENDU que l‘entier dossier a été communiqué à M. le Procureur Général le 25 mars 1993, lequel s'en est rapporté à justice ;
ATTENDU que la Sté "PECHEX" ne justifie pas d'un préjudice et qu'elle sera deboutée de sa demande en dommages et intérêts ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
DECLARE l’appel formé par la Sté "WORMS" irrecevable et mal fondé.
DEBOUTE la Sté "PECHEX" de sa demande en paiement de dommages et intérêts,
CONDAMNE la Sté "WORMS" à payer à la Sté "PECHEX" et Maitre RAMBOUR ès qualités une somme de 5 000 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
CONDAMNE la Sté "WORMS" aux entiers dépens de première instance et d'appel et AUTORISE la SCP PAILLE-THIBAULT à recouvrer directement les frais dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.