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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 septembre 2021, n° 18/21471

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

3 Brasseurs International (SAS)

Défendeur :

Brasserie Bouquet (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

Avocats :

Me Guizard, Me Beaugendre, Me Boccon Gibod, Me Langlais

T. com. Lyon, du 12 sept. 2018

12 septembre 2018

La SAS 3 Brasseurs international gère un réseau de restaurants succursalistes et franchisés de type brasserie, à l'enseigne « Les 3 Brasseurs », dont la particularité est de produire leur propre bière. Le 10 décembre 1998, un contrat d'affiliation a été est signé entre M. X et la société ICO 3B, aux droits de laquelle se trouve la société 3 Brasseurs international. Ce contrat a permis à la SA Brasserie Bouquet, en sa qualité d'affilié, d'utiliser l'enseigne « Les 3 brasseurs » en Auvergne, en particulier dans un restaurant à Aubière. Le contrat qui avait été conclu pour neuf années, sans tacite reconduction, a été renouvelé une fois. Par lettre du 15 mai 2015, la société 3 Brasseurs a dénoncé ce contrat, notifiant sa volonté de ne pas le renouveler à son terme du 10 décembre 2016.

Par acte extrajudiciaire du 10 aout 2016, la société Brasserie Bouquet a assigné la société 3 Brasseurs devant le tribunal de commerce de Lyon, en lui reprochant la résiliation fautive du contrat et le caractère brutal de la rupture de leurs relations commerciales.

C'est dans ces conditions que, par jugement du 12 septembre 2018, le tribunal de commerce de Lyon a :

- débouté la société 3 Brasseurs international de sa demande d'irrecevabilité,

- condamné la société 3 Brasseurs international à payer à la Brasserie Bouquet les sommes de 180 600 euros au titre du complément au préavis et 400 000 euros au titre des nouveaux agencements effectués,

- débouté la Brasserie Bouquet de toutes ses autres demandes,

- condamné la Brasserie Bouquet à payer à la société 3 Brasseurs international la somme de 44 000 euros au titre des redevances contractuelles,

- débouté la société 3 Brasseurs de toutes ses autres demandes,

- condamné la société 3 Brasseurs international à payer à la Brasserie Bouquet la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société 3 Brasseurs international aux entiers dépens de l'instance.

Vu les dernières conclusions de la société 3 Brasseurs, déposées et notifiées le 2 mars 2020, demandant à la cour d'appel de Paris de :

vu les articles 1134, 1149 à 1154 du code civil en vigueur avant le 1er octobre 2016,

vu l'article L. 442-1-ll du code de commerce créé par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ensemble l'ancien article L. 442-6-l-5 du code de commerce abrogé par ladite ordonnance,

vu le Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019,

vu l'article R. 412-47 du code de la consommation,

vu les mesures d'instruction judiciaires ordonnées le 25 mai 2016 par M. le Président du TGI de Marseille et validées par arrêts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence des 8 mars et 21 juin 2018, et celles ordonnées par M. le Président du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand les 19 et 27 juillet 2016, validées par arrêt de la cour d'appel de Riom du 14 février 2018, ensemble les constats dressés par les huissiers commis, constat du 27 mai 2016 de M. Y et constat du 5 août 2016 de M. Z,

vu l'ordonnance de référé de M. le Président du tribunal de commerce de Paris du 12 octobre 2016,

vu l'ordonnance de M. le Président du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand du 28 octobre 2016 ensemble le constat dressé par l'huissier commis, Me Z, du 8 novembre 2016,

vu le jugement du TGI Marseille du 27 juin 2019,

vu les décisions de justice citées, spécialement les arrêts Cass. com., 5 septembre 2018 n° 17-15.031 et Cass. com., 5 décembre 2018 n° 17-22.011 ;

dire et juger l'appel tant recevable que bien-fondé ;

débouter la société Brasserie Bouquet de toutes ses demandes, fins et conclusions, spécialement, en dernier lieu, de ses conclusions d'incident élevées par conclusions n° 3 du 2 mars 2020 par lesquelles elle demande à mauvais droit que soient déclarées tardives les conclusions d'appelante en réponse n° 2 du 24 février 2020 et les pièces n° 90 à 93 ;

en conséquence, dire recevables les conclusions d'appelante du 24 février 2020 et les conclusions récapitulatives et sur incident du 2 mars 2020 ;

infirmer en son entier le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 12 septembre 2018, sauf en ce qu'il a dit le contrat de franchise rompu le 3 août 2016 et en ce qu'il a condamné Brasserie Bouquet à la somme de 44 000 euros pour redevances impayées depuis le 1er janvier 2016 jusqu'à la rupture à l'initiative du franchisé au 3 août 2016 ;

statuer à nouveau sur tous les autres éléments, comme suit :

1/ sur l'existence de fautes graves commises par Brasserie Bouquet :

constater que par jugement du 27 juin 2019, le tribunal de grande instance de Marseille a dit la société PBC responsable d'actes de concurrence déloyale et parasitisme commis avec la complicité de la société Brasserie Bouquet, au préjudice de la société 3 Brasseurs international ; que le tribunal a énoncé : « Par ailleurs, il est établi, grâce aux pièces comptables saisis par l'huissier que la société exploitant la brasserie 3 Brasseurs International gérée par X, a commandé au cours de l'année 2015 des quantités plus importantes que celles qu'elle commandait habituellement et que le houblon, le fourquet et les palettés de dégustation commandés étaient en réalité destinés au restaurant Chez le Brasseur de la Valette du Var à laquelle ils ont été rétrocédés » ;

Constater que le constat du 5 août 2016 de Me Z (pièce n° 8), établit l'existence de rétrocessions frauduleuses par Brasserie Bouquet au concurrent PBC, pour un montant de 37.037,65 euros sur la période du 25 avril au 30 juin 2016, dire et juger le franchisé Brasserie Bouquet auteur de fautes graves par :

- violation de son obligation de fidélité (article 53 du contrat de franchise) et de son devoir de loyauté, en agissant de manière frauduleuse et mensongère au détriment du réseau 3 Brasseurs, au profit de l'enseigne concurrente « Chez le Brasseur » créée par X et W, spécialement en faveur de l'exploitation du restaurant concurrent de Toulon exploitée par la société PBC et financée en commun avec Brasserie Bouquet;

- déploiement dès l'été 2016 du concept concurrent « Chez le Brasseur » au sein de son propre restaurant franchisé 3 Brasseurs d'Aubière, appuyé par une communication publique semant la confusion auprès de la clientèle et des institutionnels (office de tourisme, guide « Le Petit Fûté ») par un mixage des marques, des pratiques et des objets « 3 Brasseurs » et « Chez le Brasseur » ; communication relayée par la presse locale qui a informé le public d'un changement d'enseigne ;

- cessation du paiement des redevances de franchise à compter de janvier 2016 ; dire et juger que les fautes graves imputables à Brasserie Bouquet justifient le prononcé d'une résiliation judiciaire du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchisé avec effet au 3 août 2016 et justifient que Brasserie Bouquet ne puisse se prévaloir d'une rupture brutale de relation commerciale établie, ni sur le fondement de l'article L. 442-1-ll du code de commerce créé par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ni, subsidiairement, sur celui de l'ancien article L. 442-6-l 5 du code de commerce abrogé par l'ordonnance du 26 avril 2019 ;

2/ subsidiairement, sur l'absence de responsabilité du franchiseur qui a respecté un préavis supérieur aux 18 mois visés par L. 422-1-II du code de commerce créé par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

constater que la société 3 Brasseurs international a dénoncé la relation moyennant un préavis de 18 mois et 25 jours ;

dire et juger qu'en application de l'article L. 442-1-ll du code de commerce créé par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, immédiatement applicable aux instances en cours, la responsabilité de 3 Brasseurs International ne peut être engagée dès lors qu'elle a respecté un préavis supérieur à dix-huit mois (18 mois et 25 jours) ;

au surplus, dire et juger d'autant plus proportionné le délai respecté par l'appelante que la règle du doublement de la durée de préavis en cas « fourniture de produits sous marque de distributeur » prévue par l'ancien article L. 442-6-l-5 du code commerce, a été supprimée par l'ordonnance du 24 avril 2019 et n'a pas été reprise dans le nouvel article L. 442-1-ll du code de commerce ;

3/ plus subsidiairement, si par impossible la cour estimait devoir apprécier le caractère suffisant et proportionné du préavis de 18 mois et 25 jours par application de l'ancien article L. 442-6-l-5 du code de commerce :

dire et juger n'y avoir lieu à doublement de la durée de préavis, dès lors que la relation commerciale entre la société 3 Brasseurs international et la société Brasserie Bouquet ne portait pas sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, puisque, à l'inverse, le Franchisé vend à la clientèle la bière sous la marque « 3 Brasseurs » du franchiseur fournisseur ;

dire et juger suffisant le préavis de 18 mois et 25 jours donné par le Franchiseur, abrégé à 14 mois par le franchisé qui, après avoir agi en faveur du concurrent PBC a déployé son enseigne « Chez le Brasseur » dans son restaurant à compter du 3 août 2016 ; que le franchisé n'est donc pas fondé à se plaindre d'un préavis insuffisant qui n'a été abrégé que par sa propre faute ;

4/ en toutes hypothèses, sur les dommages-intérêts, les dépens et frais irrépétibles : condamner la société Brasserie Bouquet à payer à la société 3 Brasseurs international à titre de dommages intérêts et de redevances de franchise impayées :

- la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice né de la violation de l'obligation de non-concurrence contractuelle, dite « obligation de fidélité », et de l'obligation de loyauté ;

- la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice né de la transmission frauduleuse d'éléments et informations confidentiels à un concurrent (PBC) ;

- la somme de 1 000 000 d'euros en réparation du préjudice d'atteinte à l'image né du mélange des enseignes 3 Brasseurs et Chez le Brasseur et de la confusion entretenue auprès de la clientèle et des tiers ;

- la somme globale arrondie de 71 238 euros au titre des redevances de franchise impayées, par confirmation du jugement en ce qu'il a condamné Brasserie Bouquet au paiement de la somme de 44 000 euros pour les redevances impayées au titre des mois de janvier à juillet 2016 (compte tenu de la rupture survenue au 3 août 2016) et y ajouter la condamnation du franchisé à réparer le gain manqué causé par la rupture prématurée du contrat, à la somme de 27 238,12 euros correspondant aux redevances de franchise dues au titre de la période courant du 3 août au 10 décembre 2016 ;

- la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral ;

Condamner la société Brasserie Bouquet aux entiers dépens et à payer à la société 3 Brasseurs international la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour couvrir les frais exposés en première instance et en appel.

Vu les dernières conclusions de la société Brasserie Bouquet, déposées et notifiées le 2 mars 2020, demandant à la cour d'appel de Paris de :

vu les articles 16, 908, 910-4 et 954 du code de procédure civile,

vu l'article L. 442-6 du Code de Commerce,

in limine litis,

rejeter les écritures et pièces signifiées au nom de la société 3 Brasseurs international le 24 février 2020 ;

liminairement,

rejeter comme irrecevables les prétentions présentées par la société 3 Brasseurs international non comprises dans ses premières écritures ;

écarter les moyens figurant au dispositif des écritures présentées par 3 Brasseurs International et s'estimer non saisie de ces derniers ;

au principal,

débouter la société 3 Brasseurs international de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions présentées à l'encontre de la Brasserie Bouquet ;

confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a partiellement fait droit aux demandes indemnitaires présentées par la Brasserie Bouquet, de l'arrêt des relations commerciales établies ;

réformer la décision entreprise en ce qu'elle a limité les postes d'indemnisation de la Société Brasserie Bouquet ;

en conséquence,

condamner 3 Brasseurs International à payer et porter à la Brasserie Bouquet, à titre de dommages et intérêts, les sommes suivantes :

- en réparation du préjudice résultant du non-respect du préavis, la somme de 245 100 euros,

- en réparation du préjudice résultant de l'existence d'une situation de dépendance économique, la somme de 280.000 euros,

- en réparation du préjudice résultant de la perte des investissements, la somme de 400 000 euros,

- en réparation du préjudice résultant de l'inexécution contractuelle, la somme de 70 000 euros ; de la même manière, il y a lieu de condamner en cause d'appel la société 3 Brasseurs international à payer et porter à la Brasserie Bouquet la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, dépens en sus.

SUR CE

LA COUR

- Sur la recevabilité des dernières conclusions d'appelant

La SA Brasserie Bouquet soutient que l'appelant principal a conclu en dernière minute, veille de clôture, pour produire : un article de presse d'octobre 2016, un jugement du TGI de Marseille du 27 juin 2019, de la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris de mars et novembre 2019, ce qui constituerait selon elle une attitude déloyale avec intention de nuire.

En conséquence, le rejet de ces écritures et pièces est demandé, au visa des articles 16 et 802 du code de procédure civile.

La Cour observe toutefois que les dernières écritures de la société 3 Brasseurs international datent du 2 mars 2020 alors que la clôture a été repoussée au 10 mars 2020 et que, dès lors, la SA Brasserie Bouquet, qui a eu le temps d'examiner les pièces nouvelles et de répliquer, ne soutient pas valablement que les conclusions et pièces litigieuses datent de la veille de la clôture.

Les dernières conclusions prises dans leur ensemble ne sont donc pas irrecevables pour manquement au principe de la contradiction.

- Sur la recevabilité au regard de l'article 910-4 du code de procédure civile des prétentions de l'appelant non comprises dans les conclusions mentionnées à l'article 908 du code de procédure civile

La société Brasserie Bouquet fait valoir que figurent dans le dernier dispositif des écritures prises par l'appelant principal des prétentions et demandes nouvelles, matérialisées par 19 nouvelles lignes qui n'existaient pas dans les précédentes écritures et, qu'en outre, le corps du dispositif comprend trois nouvelles demandes de type « constater » ainsi que deux nouvelles demandes de type « dire et juger ». Elle considère qu'il s'agit là de prétentions non comprises dans les premières écritures signifiées par l'appelante après expiration du délai de l'article 908 du code de procédure civile et qui sont, par conséquent, irrecevables en application des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile.

Toutefois, l'article 910-4 du code de procédure civile sanctionnant par une irrecevabilité les seules prétentions de l'appelant formées après expiration du délai de l'article 908 du même code, il demeure recevable en ses moyens nouveaux formés après cette date.

Or, en l'espèce, la comparaison des dispositifs, d'une part, des conclusions de la société 3 Brasseurs international du 21 décembre 2018, qui sont les seules à être intervenues dans le délai de l'article 908, d'autre part des dernières conclusions de cet appelant, mettent seulement en évidence des moyens nouveaux invoqués en réplique aux prétentions de l'intimée, en particulier à celle fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies, ou encore en soutien de l'allégation de parasitisme.

Le moyen d'irrecevabilité pris de l'article 910-4 du code de procédure civile doit donc être rejeté.

- Sur l'application de l'article 954 du code de procédure civile

La société Brasserie Bouquet demande que la Cour sanctionne les écritures de l'appelante en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, faisant valoir qu'alors que la Cour, en vertu de ce texte, ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des écritures et n'examiner les moyens au soutien des prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion, en l'espèce, le dispositif qui, selon l'intimé est constitué pour l'essentiel de « constater » et de « dire et juger » ne répond pas aux exigences de l'article 954, s'agissant de moyens développés qui n'ont pas leur place dans un dispositif et aucunement de prétentions. L'appelant en conclut que la Cour n'a pas à les examiner et doit se considérer non saisie de ce type de « prétentions ».

Toutefois, si les prescriptions réglementaires rappelées par la société Brasserie Bouquet sont bien exactes et si les conclusions de la société 3 Brasseurs international comportent bien des moyens dans leur dispositif, l'article 954 du code de procédure civile ne permet pas pour autant à la Cour de ne pas examiner ces moyens au seul motif qu'ils figurent dans le dispositif des conclusions. En effet, en application de l'article 954 du code de procédure, la Cour veille à n'examiner que les moyens qui figurent dans la discussion, peu important que ceux-ci soient repris au dispositif.

En l'espèce et à cet égard, la Cour accomplira son office au fil de la motivation du présent arrêt.

- Sur la demande en résiliation du contrat aux torts du franchisé et sur l'exception d'inexécution invoquée par le franchisé

Alors que le 15 mai 2015, la société 3 Brasseurs avait dénoncé le contrat d'affiliation, laissant une durée de préavis jusqu'au terme prévu du contrat, soit le 10 décembre 2016, le franchisé, qui avait la possibilité de demander une indemnisation au franchiseur s'il estimait que la durée du préavis était insuffisante, était néanmoins tenu de respecter les termes du contrat jusqu'à son terme, sauf à pouvoir établir des manquements contractuels de ce franchiseur de nature à lui permettre de s'en exonérer.

Or, la société Brasserie Bouquet, qui ne peut imputer à la société 3 Brasseurs international un manquement contractuel pris du non-renouvellement du contrat à son terme, se borne à solliciter une indemnisation pour insuffisance du préavis sur un fondement délictuel, sans demander pour autant la résiliation du contrat de franchise aux torts du franchiseur. Cependant, la société Brasserie Bouquet se prévaut de l'exception d'inexécution pour défendre à la demande de résiliation formée par le franchiseur ; le franchisé fonde cette exception sur le fait que le franchiseur aurait refusé de lui livrer du houblon dans le but qu'il ne dispose plus d'aucun stock à la fin du contrat, ce afin de l'empêcher ainsi de continuer son activité de micro-brasserie après la cessation du contrat de franchise. La lecture attentive des conclusions de la société Brasserie Bouquet révèle que celle-ci présente la durée de ce refus de fournir le houblon de manières différentes et inconciliables au fil de l'exposé de ses moyens. Si, dans la partie consacrée à la réponse au moyen qui lui est opposé pris du défaut de paiement de la redevance, elle indique que ce refus de la livrer durait « depuis très longtemps » , elle indique ailleurs que ce fut à compter de la notification du non-renouvellement du contrat (voir conclusions Brasserie Bouquet p. 29) - c'est-à-dire mai 2015 - et, encore ailleurs avec plus de précision "De NOVEMBRE 2015 à DECEMBRE 2016" , pour un refus de procéder à toute livraison de houblon (conclusions Brasserie Bouquet, p. 24).

En réalité, les factures non contestées produites par la société 3 Brasseurs international démontrent que des livraisons de houblon ont eu lieu au moins jusqu'en décembre 2015. Par courriel du 15 décembre 2015, le franchiseur a interrogé le franchisé sur les raisons pour lesquelles, selon les commandes passées pour fin 2015 en houblon dit saaz pellets, les besoins du franchisé étaient en hausse importante. La Cour vérifie en effet que les factures de 2015 établissent des commandes anormalement importantes en fin d'année 2015, en particulier depuis octobre 2015, comparativement aux années précédentes 2014 et 2013. Significativement, la dernière facture produite fait état, à la date du courriel ci-dessus, d'une commande exorbitante de 140 kg de houblon saaz pellets.

En présence, dans le contrat d'affiliation, d'une clause de fourniture exclusive auprès du franchiseur concernant les houblons, le franchisé ne justifie ni d'avoir répondu à la demande légitime du franchiseur sur les causes de l'augmentation de ses commandes, ni de l'avoir mis en demeure de livrer davantage. Le franchisé, qui affirme que le but du franchiseur était de l'empêcher d'avoir un stock de houblon à la fin du contrat, ne justifie davantage ni d'avoir manqué de ce produit pour aller jusqu'au terme, ni d'avoir vainement mis en demeure le franchiseur de le livrer.

Par conséquent, l'exception d'inexécution soulevée doit être rejetée.

Or, il est constant que la société Brasserie Bouquet ne s'est plus acquittée des redevances contractuelles à compter de janvier 2016. Par ailleurs, rien n'indique qu'elle était économiquement gênée pour s'acquitter du paiement de ces sommes.

La violation délibérée de l'obligation de payer les redevances constitue en l'espèce un grave manquement contractuel qui suffit, en l'absence de manquement du franchiseur, à justifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchisé.

Cette résiliation sera prononcée, par réformation du jugement entrepris, dans les termes de la demande du franchiseur.

Il résulte encore de ce qui précède que la demande en dommages-intérêts formée par la société Brasserie Bouquet à hauteur de 70 000 euros pour un manquement contractuel non établi du franchiseur sera rejetée.

Cependant, si la résiliation judiciaire du contrat de franchise est en l'espèce justifiée par le non-paiement des redevances, la responsabilité du franchisé est recherchée pour d'autres manquements, sur le fondement de l'obligation de fidélité et du devoir de de loyauté, au regard en particulier de l'article 53 du contrat de franchise, qui est ainsi rédigé :

ARTICLE 53 - Obligation de fidélité et de non-concurrence

Pendant tout le temps du présent contrat, l'Affilié et le Partenaire s'engagent expressément à ne pas exploiter dans un domaine concurrent à celui faisant l'objet des présentes et à ne pas participer directement ou indirectement, et notamment, par la prise de participation, à l'exploitation dans le même domaine d'autres fonds que celui faisant l'objet des présentes. Ils s'interdisent, de la même façon de vendre dans le Territoire des produits ou des services pouvant concurrencer de quelque façon que ce soit ceux [...du franchiseur...]. Il en sera de même à l'expiration du présent contrat pendant une période d'un an et ce dans le Territoire.

Le territoire, selon l'annexe 1 du contrat de franchise, est constitué des départements de l'Allier, du Cantal, de la Haute Loire et du Puy de Dôme.

Or, il est établi par un premier constat d'huissier du 27 mai 2016, réalisé dans les locaux de la société PBC exploitant un restaurant avec micro-brasserie à l'enseigne « Chez le Brasseur » dans le Var et par un constat d'huissier du 5 août 2016 réalisé dans les locaux du franchisé, que celui-ci qui, fin 2015, avait commandé du houblon, ainsi que cela a déjà été dit, au-delà de ses besoins, avait en outre rétrocédé non seulement des houblons mais encore au moins un fourquet et des palettes de dégustation, au restaurant exploité par la société PBC à La Valette, sous l'enseigne « Chez Le Brasseur », concurrente de l'enseigne « 3 Brasseurs ». Il s'agit en effet également d'un fonds de commerce de restauration de type Brasserie comportant une micro-brasserie et l'attestation Cornuau versée aux débats démontre la très grande ressemblance entre les deux concepts (en particulier : exposition des fûts de bière et fabrication sur place, décoration, forme de la carte des menus).

La Cour retiendra en effet que ces actes participent de l'exploitation indirecte d'un fonds dans le même domaine que celui objet du contrat de franchise, pendant le temps du contrat, constituant un acte de concurrence effectué en fraude des droits du franchiseur, ce qui est contraire à l'obligation de fidélité expressément définie par le contrat ainsi qu'au devoir général de loyauté du franchisé.

Peu importe à cet égard que la clause déjà citée ne prohibe en elle-même les ventes de produits ou de services concurrents que dans le territoire dévolu au franchisé, cette restriction ne s'appliquant pas à l'obligation de fidélité qui, ainsi que le prévoit le contrat, s'applique même en dehors du territoire dévolu au franchisé, en tout lieu où le franchisé peut concurrencer le franchiseur ou un autre franchisé.

La responsabilité contractuelle de la société Brasserie Bouquet est donc engagée de ce chef et elle doit compensation au franchiseur des dommages qui lui ont été causés par ces manquements.

Il est encore établi que non seulement M. X, gérant de la société Brasserie Bouquet, est l'auteur du dépôt au nom de cette société de la marque concurrente "Chez le Brasseur", mais qu'il a encore reconnu par un SMS adressé au franchiseur le 15 décembre 2016 qu'il était partie prenante de la gestion du restaurant du Var, lequel est exploité par la société PBC animée par son cousin, M. W, alors que sa propre société, est-il également prouvé par les constats d'huissier déjà mentionnés, a financé à moitié un équipement destiné au restaurant du Var, à savoir une facture de conception de 3 habillages de « Bidons de litres » commandée à une société « Appelez-moi Arthur ».

Il est enfin établi par le jugement du 27 juin 2019 du tribunal de grande instance de Marseille que la société PBC a été condamnée pour des faits délictuels de parasitisme par captation des signes distinctifs de la marque « 3 Brasseurs » s'agissant des aménagements du restaurant du Var.

Il résulte de ce qui précède que la société Brasserie Bouquet doit être tenue pour complice des agissements parasitaires de la société PBC au préjudice de la société 3 Brasseurs international, ce qui ressortit à sa responsabilité contractuelle.

Ces manquements contractuels d'une particulière gravité sont également et en eux-mêmes de nature à justifier la résiliation du contrat, le jugement entrepris devant également être réformé sur ce point.

La Cour peut fixer la résiliation à la date du 3 août 2016, ainsi que le demande la société 3 Brasseurs et ainsi que l'a retenu le tribunal de commerce.

- Sur la demande en dommages-intérêts de la société Brasserie Bouquet fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Alors que la société 3 Brasseurs international avait le droit de ne pas renouveler le contrat à son échéance et que l'abus de cette faculté n'est nullement démontré en l'espèce, l'arrêt par le franchisé, en cours du préavis donné par écrit, du paiement des redevances entre janvier 2016 et novembre 2016, d'une part, et la violation par celui-ci en cours de préavis de l'obligation de loyauté, d'autre part, ont constitué - séparément et ensemble - des manquements d'une particulière gravité, exclusifs de toute brutalité de la rupture de la relation commerciale établie.

S'agissant des demandes en dommages-intérêts de la société Brasserie Bouquet, il y a lieu de retenir en particulier que :

- la demande fondée sur la réparation du préjudice résultant du non-respect du préavis, soit la somme de 245 100,00 euros, se trouve être sans objet, puisque le non-respect du préavis est imputable au seul franchisé ;

- la demande en réparation du préjudice résultant de l'existence d'une situation de dépendance économique, formée à hauteur de la somme de 280 000,00 euros, est en réalité une demande fondée sur la déception née de la fausse croyance selon laquelle l'intimé se serait vu proposer un contrat de licence de marque à la suite du contrat de franchise litigieux ; or, cette demande ne peut être bien fondée au titre de l'article L. 442-6 du code de commerce, qui ne répare que les conséquence de la brutalité de la rupture d'une relation commerciale établie et non la rupture elle-même ou l'abus de rupture de pourparlers contractuels en vue de la conclusion d'une nouvelle relation contractuelle ; au demeurant, un tel abus de rupture de pourparlers contractuels n'est pas justifié en l'espèce, pas plus que l'abus de ne pas renouveler le contrat de franchise litigieux à son échéance ;

- la demande en réparation du préjudice résultant de la perte des investissements, formée à hauteur de 400 000,00 euros correspond :

* aux nouveaux aménagements du restaurant rendus nécessaires par la fin du droit d'utiliser la marque ; toutefois, le franchisé, qui se borne à produire en pièce n° 7 des factures du nouvel aménagement ne précise pas en quoi il aurait été contraint de réaliser des investissements coûteux à la demande du franchiseur qu'il n'aurait pas entrepris s'il avait su que le contrat ne serait pas renouvelé à son échéance ou qu'il ne pourrait pas continuer à exploiter l'enseigne 3 Brasseurs après l'échéance de ce contrat ;

* à des frais de publicité déjà engagés en cours de contrat de franchise, sur une période de 10 années en arrière, alors que rien ne justifie de les faire rembourser par le franchiseur à titre de dommages-intérêts, en l'absence d'abus du droit de ne pas renouveler le contrat.

Les demandes en dommages-intérêts de la société Brasserie Bouquet fondées sur la rupture brutale des relations commerciales établies sont par conséquent mal fondées et celle-ci doit en être déboutée.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

- Sur les demandes de la société 3 Brasseurs international

Pour la réparation des conséquences dommageables de la violation de l'obligation de fidélité et de loyauté, la société 3 Brasseurs demande 100 000 euros de dommages-intérêts au moyen que le chiffre d'affaires de l'ensemble des restaurants de cette enseigne, hors Brasserie Bouquet, est de l'ordre de 116,4 millions d'euros alors que la marque jouit d'une bonne notoriété.

Ces éléments sont insuffisants pour caractériser un préjudice économique tel un manque à gagner, né du fait d'avoir favorisé un restaurant concurrent dans le Var.

Cependant, le préjudice commercial et moral est certain et doit être réparé.

La Cour estime que ce préjudice ne peut être inférieur à la somme de 20 000 euros qui sera allouée au franchiseur.

Pour la réparation de la transmission illicite d'éléments et d'informations confidentiels au tiers complice qu'est la société PBC, la société 3 Brasseurs demande également 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, au moyen notamment que M. X s'était vanté que le restaurant varois allait réaliser 5 millions d'euros de chiffre d'affaires soit un résultat de l'ordre de 660 000 euros, tandis que le réseau concurrent « Chez le Brasseur » né d'un acte de concurrence et parasitaire se développe par l'ouverture d'une nouveau restaurant à Sainte-Eulalie.

La Cour estime à nouveau que ces éléments sont insuffisants pour caractériser un préjudice économique né chez la société 3 Brasseurs International du détournement du houblon, du fourquet et des palettes de présentation. En outre, il n'est pas établi que les aménagements du restaurant près de Toulon dont l'attestation d'une cliente est produite aient été transmis par la société Brasserie Bouquet. Il apparaît au contraire, à la lecture du jugement du tribunal de grande instance de Marseille déjà mentionné que la société PBC n'a pas eu besoin de la société Brasserie Bouquet pour se procurer les plans des aménagements. En revanche, le préjudice commercial et moral est certain, mais il a déjà été réparé, au titre de la violation de l'obligation de fidélité et de loyauté, et ne peut l'être une seconde fois. La demande d'indemnisation sur ce point doit être rejetée.

La société 3 brasseurs réclame également 1 million d'euros de dommages-intérêts pour l'atteinte à l'image de sa marque résultant du brouillage dans l'esprit du consommateur né de l'existence même de la marque concurrente. Elle fonde sa demande sur l'importance des frais de publicité qu'elle a exposés pour construire son image de marque et sa notoriété et sur l'importance du chiffre d'affaires réalisé par la société Brasserie Bouquet qui arrive à presque 4 millions d'euros par an.

Toutefois, la société 3 Brasseurs, qui ne justifie d'aucune contrefaçon de marque ou de droits de propriété intellectuelles, ne démontre pas les conséquences économiques dommageables, en termes de perte de gains manqués ou de dépenses nécessaires pour compenser les actes parasitaires imputés à la société Brasserie Bouquet ; seul le préjudice commercial moral est démontré, alors que celui-ci a déjà été réparé. La demande d'indemnisation sur ce point sera donc également rejetée.

La société 3 Brasseurs demande au titre des franchises impayées la confirmation du jugement à hauteur de la somme de 44 000 euros qu'il a allouée pour les redevances impayées de janvier à juillet 2016 et d'y ajouter le gain manqué dû à la rupture prématurée du contrat pour la période allant du 3 août 2016 au 10 décembre 2016, soit la somme de 27 238,12 euros.

La déclaration d'appel ayant demandé l'infirmation de la condamnation à hauteur de 44 000 euros, la demande du franchiseur n'est pas irrecevable de ce chef, contrairement à ce que soutient la société Brasserie Bouquet.

Sur la base des factures et s'agissant, après la résiliation, d'une indemnité à titre de dommages-intérêts pour le manque à gagner résultant de la perte des redevances, la société Brasserie Bouquet doit 11 termes à 5 238,10 euros hors taxe, correspondant aux mensualités perdue des janvier 2016 à novembre 2016, outre un pro rata de 10/30ème, soit la somme de 59 365,13 euros qui sera allouée à la société 3 Brasseurs international.

Ainsi, la société Brasserie Bouquet reste redevable de 15 365,13 euros (44 000 - 59 365,13 = 15 365,13).

La société 3 Brasseurs demande une indemnisation, à hauteur de 50 000 euros, du préjudice moral ayant résulté des insultes et provocations que lui a adressées le gérant de la société Brasserie Bouquet.

A cet égard, il est établi que le 26 novembre 2015, dans une lettre de la société Brasserie Bouquet à l'en-tête 3 brasseurs et adressée à la société 3 Brasseurs international prise en la personne de son directeur général, M. X, sous couvert d'une ironie acerbe, dénigre le franchiseur en la personne d'un de ses directeurs, dans ses qualités professionnelles, dans le choix de son nouveau décorateur et se permet d'appeler son interlocuteur « mon petit Lapinou ».

Il est également démontré que, par lettre du 23 novembre, M. X a également dénigré les qualités professionnelles de cadres dénommés du franchiseur, dont le même directeur, auprès d'un tiers animant le groupe dont dépend le franchiseur et en traitant ces cadres de « zigotos ».

Selon des constats d'huissier, dans deux SMS du 8 novembre 2016, M. X, a appelé le même directeur général « mon pauvre canard » et « mon lapin » et, critiquant sa gestion, et lui a écrit « tu ten fous, c'est l'argent aux Mulliez ».

Par SMS du 15 décembre 2016, M. X s'est effectivement vanté auprès du même directeur général du chiffre d'affaires qu'allait faire le restaurant de Toulon, que la société Brasserie Bouquet avait favorisé au mépris de son obligation de fidélité au réseau.

Il s'agit d'un ensemble de propos dénigrants les qualités professionnelles du franchiseur, de provocations et de marques de mépris à l'endroit de son directeur général, en réaction à la décision de non-renouvellement du contrat, ce dont il est résulté un préjudice moral particulier pour ce franchiseur, distinct du préjudice commercial mais aggravant de manière spécifique le préjudice né de la violation de l'obligation contractuelle de fidélité et de loyauté figurant au contrat de franchise, lequel devait être exécuté loyalement et de bonne foi jusque dans les modalités de son non-renouvellement.

En compensation de ce préjudice moral, la société Brasserie Bouquet sera condamnée à payer à la société 3 Brasseurs international une somme de 10 000 euros sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

- Sur les frais

Le sens de l'arrêt impose de condamner la société Brasserie Bouquet aux entiers dépens de première instance et d'appel.

En équité, la société 3 Brasseur recevra une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à la charge de la société Brasserie Bouquet et dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Reforme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit rompu le contrat de franchise au 3 août 2016 et en ce qu'il a condamné la société Brasserie Bouquet à payer à la société 3 Brasseurs une somme de 44 000 euros au titre des redevances impayées pour les mois de janvier 2016 à juillet 2016,

Statuant de nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant :

Prononce la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Brasserie Bouquet, à la date du 3 août 2016,

Déboute la société Brasserie Bouquet de toutes ses demandes,

Condamne la société Brasserie Bouquet à payer à la société 3 Brasseur international une somme de 15 365,13 euros à titre de dommages-intérêts pour compensation de la perte des redevances impayées jusqu'au terme du contrat,

Condamne la société Brasserie Bouquet à payer à la société 3 Brasseurs international les sommes suivantes :

- 20 000 euros à titre de préjudice commercial moral,

- 10 000 euros à titre de préjudice moral non commercial

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel,

Déboute les parties des demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Brasserie Bouquet aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.