CA Paris, 4e ch. B, 3 octobre 2003, n° M20030503
PARIS
Arrêt
La société ELI LCLLY AND COMPANY a déposé, le 7 janvier 2000, la demande d'enregistrement n° 00 3 000 426 pour désigner des « Produits pharmaceutiques, vétérinaires et hygiéniques ; substances diététiques à usage médical ».
Les formulaires de dépôt portaient le modèle de marque :« La marque est constituée par le goût suivant : arôme artificiel de fraise », ainsi que l'indication, en rubrique 4 (description) : « marque gustative ».
Lors de la procédure d'examen par l'INPI, la demande d'enregistrement est apparue non conforme aux dispositions des articles L.7 1 1-1, R. 7 12-3 b) et R. 712-7 du code de la propriété intellectuelle, aux termes desquels la demande comprend, à peine d'irrecevabilité, la représentation graphique du modèle de la marque.
Une objection provisoire à enregistrement a été notifiée à ELI LILLY, le 3 avril 2000.
Cette dernière a présenté, le 19 juillet 2000, des observations en réponse à l'objection et un projet de décision lui a été notifié par l'INPI, le 11 décembre 2001.
Ce projet se proposait de déclarer la demande d'enregistrement irrecevable pour absence de représentation graphique.
Aucune observation en réponse au projet de décision n'ayant été présentée par la société déposante, l'INPI a confirmé les termes du projet, par décision notifiée le 8 novembre 2002.
ELI LILLY AND COMPANY a formé un recours à l'encontre de cette décision le 3 février 2003 et a développé ses moyens dans un mémoire déposé le 3 mars 2003(et un rectificatif du 17 avril 2003).
Elle demande à la cour de :
- "dire et juger que son recours est recevable et fondé,
- notamment, dire et juger que la demande d'enregistrement n° 00 3 000 426 portant sur le signe constitué par la dénomination "la marque est constituée par le goût suivant : arôme artificiel de fraise" déposée par ELI LILLY répond au critère de la représentation graphique dans les termes de l'article L. 711-1 du CPI et est apte à exercer la fonction distinctive de la marque,
en conséquence ,
- infirmer la décision de M. le directeur général de l'INPI rendue le 6 novembre 2002 en ce qu'il a rejeté la demande d'enregistrement de la marque gustative n° 003 000 426 formée par ELI LILLY et autoriser l'enregistrement de ladite marque,
- ordonner la notification de l'arrêt à intervenir aux soins de M. Le greffier à l'INPI afin d'enregistrement et de publication au BOPI"
Dans ses observations écrites, l'INPI a conclu au rejet du recours.
Le ministère public a été entendu en ses observations.
Considérant qu'ELI LILLY, au soutien de son recours :
- d'une part. fait observer que l'INPI, juge et partie, ne peut présenter des observations, par application des dispositions de l'article 6-1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- d'autre part, fait valoir que, contrairement à ce qu'a retenu le directeur général de l'INPI, la demande d'enregistrement porte sur un signe gustatif dont la représentation graphique a bien été effectuée de manière suffisante, conformément aux prescriptions de l'article L. 711-1 du CPI, cette représentation graphique permettant aux tiers de comprendre ce que la marque est destinée à protéger :
Qu'elle souligne que des portées musicales ou des specrrogrammes ont été acceptés comme marques alors que ces représentations sont peu susceptibles de communiquer immédiatement à l'homme de la rue, sans connaissances musicales ou techniques particulières. la phrase musicale exacte ou le son exact que la marque vise à protéger et qu'en l'occurrence, la demande d'enregistrement qui porte la représentation graphique désignant "un arôme artificiel de fraise" indique sans équivoque, à la majorité du public, la nature du goût protégé et est donc recevable ;
Qu'elle ajoute que tant aux Etats Unis que dans la communauté européenne, le droit va dans le sens de la protection des marques gustatives et olfactives ;
Considérant cela exposé qu'en premier lieu, il sera relevé que l'INPI n'est nullement juge et partie, dès lors qu'il ne participe pas à la décision de la cour ; qu'en effet, conformément à l'article L. 411-4 du CPI, le directeur général de l'INPI est entendu à l'occasion des recours, tout comme le ministère public ; que les observations écrites qui sont prises par ces personnes sont communiquées contradictoirement aux parties ; que dans ces conditions, ELI LILLY n'est pas fondée à alléguer une atteinte aux principes d'un procès équitable, alors que la cour, seule, tranche le contentieux qui lui est soumis ;
Considérant en second lieu que le directeur général de l'INPI a exactement dit qu'un signe gustatif pouvait être déposé à titre de marque à condition de remplir les exigences de l'article L 711-1 du CPI et, de manière plus particulière, de répondre à la condition de représentation graphique ;
Considérant que si l'article susvisé n'a pas donné de précision sur ce que devait être une représentation graphique, la Cour de justice des communautés européennes, interprétant l'article 2 de la Directive 89/104 CEE, a dit pour droit, par un arrêt du 12 décembre 2002, que la représentation graphique de la marque devait être "claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective" et en a déduit qu'en matière de signe olfactif, (pour lequel son interprétation avait été sollicitée), la représentation par une « formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d'un échantillon d'une odeur ou par la combinaison de ces éléments » ne satisfaisait pas à ces exigences, relevant que la description d'une odeur, en ce qu'elle est empreinte de subjectivité, ne constituait pas une représentation graphique suffisamment claire, précise et objective ;
Considérant qu'en l'espèce, s'agissant d'une marque gustative, elle doit de même manière avoir une représentation graphique qui évite toute subjectivité et ne soit pas susceptible de varier dans le temps, cela afin d'assurer au signe sa fonction qui est de déterminer avec exactitude (c'est à dire d'une manière immédiate, certaine, constante quel est le signe protégé) et faire connaître aux tiers l'objet et l'étendue du droit de marque ;
Considérant que, comme l'a relevé exactement l'INPI, l'indication « la marque est constituée par le goût suivant : arôme artificiel de fraise », si elle constitue bien une représentation graphique accessible et intelligible au public, ne remplit en aucun cas les critères de précision et d'objectivité requis ;
Qu'en effet, « l'arôme de la fraise » n'est pas constant mais se modifie nécessairement en fonction de la variété considérée, de la maturité du fruit,
..que la précision d'arôme artificiel ne suffit pas à donner à cette mention une constante, plusieurs arômes de fraise pouvant être également synthétisés ; qu'ainsi, si on s'en tient à une analyse objective, la description est susceptible de recouvrir plusieurs goûts différents et, subjectivement, les tiers ont une appréciation diversifiée du goût de fraise ;
Considérant, en conséquence, que la description figurant dans la demande d'enregistrement manque de précision puisqu'elle peut recouvrir plusieurs goûts différents, est dépourvue d'objectivité dès lors qu'elle peut être interprétée différemment selon les personnes ; qu'elle n'est pas complète en elle-même, n'étant pas précisé en quoi consiste le goût de l'arôme artificiel de fraise, et n'est pas constante ;
Considérant que l'INPI a donc, par une exacte application de l'article L. 711-1 du CPI combiné à l'article R 712-7 du CPI, déclaré irrecevable la demande d'enregistrement incriminée ; que le recours sera rejeté ;
PAR CES MOTIFS :
Rejette le recours.