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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 30 janvier 2014, n° 13/07420

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Berthelot (ès qual.), Jean Etienne Boudard Automobiles (SARL)

Défendeur :

Procureur général près la Cour d'appel de Lyon, Etienne-Martin (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tournier

Conseillers :

Mme Homs, M. Bardoux

Avocats :

SCP Aguiraud Nouvellet, Selarl Lacoste Bureau d'avocats, SCP Baufumé-Sourbe, SCP Bes Sauvaigo & Associés

T. com. Saint-Etienne, du 11 sept. 2013

11 septembre 2013

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS DES PARTIES:

La société JEAN ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES exploite une activité de négoce en gros et au détail de véhicules neufs ou d'occasion spécialisée dans les véhicules haut de gamme .

Elle a fait l'objet d'un contrôle fiscal qui a donné lieu à une proposition de rectification de 1 420 687 euros . Ces rectifications de TVA ont été confirmées par l'inspecteur des finances publiques et la société JEAN ETIENNE BOUDARD a fait l'objet de saisies conservatoires de créances et de stocks de la part du Service des Impôts des Entreprises (ci après dénommé SIE). Il s'en est suivi des difficultés de fonctionnement de la société dont le dirigeant a sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.

Par jugement du 11 septembre 2012, le tribunal de commerce de SAINT ETIENNE a, pour l'essentiel:

- arrêté le plan de sauvegarde de la société JEAN ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES,

- dit que les modalités du plan seront les suivantes:

>créances inférieures à 300 € : règlement comptant,

>dettes fiscales, sociales et fournisseurs: remboursement à hauteur de 100 % du montant nominal des créances admises sans intérêts an 8 annuités avec dividendes progressifs,

>les contrats de crédits baux et de location longue durée étant poursuivis aux conditions initiales et les prêts étant remboursés aux conditions initiales,

- Dit que la créance litigieuse du Service impôts Entreprises sera provisionnée conformément au plan de sauvegarde pour un montant total de 643.632 euros,

- Fixé la durée du plan jusqu'au 11 septembre 2021,

- Désigné Jean Etienne BOUDARD comme personne tenue d'exécuter le plan,

- Maintenu la SELARL AJ PARTENAIRES en qualité d'administrateur judiciaire pour régulariser les actes nécessaires à la réalisation du plan et l'a nommé comme commissaire à l'exécution du plan,

- Maintenu la SELARL MJ SYNERGIE en sa qualité de mandataire judiciaire,

- Prononcé l'inaliénabilité des biens de l'entreprise pendant toute la durée du plan.

Par déclaration enregistrée le 20 septembre 2013, la SELARL MJ SYNERGIE, ès qualité de mandataire judiciaire de la sauvegarde de la société JEAN ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES, a fait appel de cette décision.

Par ordonnance du 15 octobre 2013, au visa de l'article 905 du code de procédure civile, l'audience des plaidoiries a été fixée au 5 décembre 2013.

Dans ses dernières écritures, du 5 novembre 2013, la SELARL MJ Synergie Mandataires Judiciaires, représentée par maître Geoffroy BERTHELOT, ès qualité de mandataire judiciaire de la sauvegarde de la société JEAN ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES, demande de:

- Infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,

- Statuer ce que de droit sur le mérite de l'adoption d'un plan de sauvegarde, le cas échéant dans le respect des règles légales,

- Tirer les dépens en frais privilégiés de la procédure collective avec distraction.

Elle fait notamment valoir que:

- Le SIE a déclaré au passif de la société JEAN ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES une créance d'un montant de 1 246 266 euros à titre privilégié définitif.

- Le Tribunal devait prévoir le règlement de toutes les créances déclarées même en présence de contestation. Le débiteur a, ès qualité, proposé au SIE un règlement de sa créance a hauteur de 100 % sur 8 annuités, et le SIE a accepté cette proposition, sans consentir la moindre remise. Le Tribunal ne pouvait donc pas, dans le jugement arrêtant le plan de sauvegarde, retenir une créance autre que celle déclarée par le SIE.

- En présence d'un contentieux relatif à une créance et en l'absence de décision définitive, il est seulement possible de constater qu'une instance est en cours. Le pouvoir de faire cette constatation appartient au Juge commissaire, et à lui seulement.

- Le jugement attaqué ne pouvait imposer au SIE des remises qu'iI n'a pas acceptées,

- le Tribunal ne pouvait compenser la créance de TVA déclarée par le SIE avec un crédit d'impôt sur les sociétés qui pourrait éventuellement découler de futures réintégrations fiscales dans le bilan de la société. Le jugement attaqué ne respecte pas les règles sur la compensation :

- d'ordre civil en l'absence de créances liquides et exigibles,

- de procédures collectives, en ce qu'il n'est pas possible de compenser une créance antérieure au jugement d'ouverture (la créance déclarée par le SIE) avec une créance postérieure (l'hypothétique créance de l'entreprise en Impôt sur les Sociétés),

- d'ordre fiscal en ce qu'il ne peut être imposé au comptable public une compensation entre deux créances fiscales, dont lui seul a l'initiative.

- Le plan de sauvegarde arrêté par Ie jugement attaqué n'est pas sérieux, faute pour lui d'être représentatif du passif exact de la société JEAN ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES.

Pour leur part dans leurs dernières conclusions du 27 novembre 2013, la SELARL AJ PARTENAIRES, Administrateur judiciaire, représentée par Maître Eric ETIENNE-MARTIN, ès qualités d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la SARL JEAN-ETIENNE BOUDARD, et la SARL JEAN-ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES demandent de:

- Dire infondée en son appel la société MJ SYNERGIE, représentée par Maître BERTHELOT ès qualités,

- Confirmer purement et simplement le jugement entrepris,

- Statuer ce que de droit sur les dépens de l'appel distraits au profit des avocats de la cause.

Elle expose notamment que :

- Le mandataire judiciaire est le représentant de tous les créanciers et le plan de sauvegarde doit prévoir le remboursement de toutes les créances déclarées.

- La loi prohibe, quand la vérification des créances est en cours que des versements puissent être effectués aux créanciers tant que leur admission définitive au passif n'est pas intervenue.

- Le projet de plan, dans son ensemble, a été accepté par l'intégralité des créanciers et par le SIE lui-même.

- «Les droits du SIE sont particulièrement préservés par le plan de sauvegarde, alors que l'administration en cas de rejet du plan n'aurait aucun moyen, par des exécutions forcées, nonobstant le recours formé devant le Tribunal Administratif, de voir apurer tout ou partie de sa dette dans des proportions significatives et se verrait en toute hypothèse atermoyer davantage sa créance alléguée dans le cadre d'un redressement judiciaire qui imposerait l'organisation d'une nouvelle période d'observation et aurait pu se voir imposer un plan de sauvegarde sans aucune consignation conservatoire de tout ou partie de la créance litigieuse conformément à la loi et ce dans l'attente d'une admission définitive».

- Le tribunal de la procédure n'est pas le juge de la vérification des créances et celui de la créance litigieuse et de ses accessoires, pénalités et intérêts. Aucune compensation n'a jamais été imposée au SIE à qui il appartiendra de défendre et d'établir ses droits devant le juge administratif, seul compétent, et juridiction saisie du litige à la date d'arrêté du plan.

- Le tribunal n'a imposé aucune remise de quelque nature qu'elle soit et encore moins celle que le SIE n'aurait pas consentie.

- Le plan de sauvegarde est sérieux.

Le dossier a été transmis le 2 décembre 2013 à monsieur le procureur général qui n'a pas fait d'observations écrites.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures devant la cour ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé pour répondre aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION:

Attendu que les parties conviennent toutes deux, en appel, que le mandataire judiciaire est le représentant de tous les créanciers; Qu'il n'y avait à cet égard pas matière à débats, l'article L622-20 du code de commerce disposant que «Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers»;

Attendu qu'en l'espèce il ressort du dossier que:

- le SIE (Pôle de recouvrement) a déclaré, par courrier du 20 février 2013, une créance de 1402 585 €, ramenée, par courrier du 12 mars 2013, à la somme de 1 246 266 €, créance déclarée à titre privilégié définitif,

- la société JEAN ETIENNE BOUDARD, par l'intermédiaire de son mandataire judiciaire, a contesté le montant de cette créance par courrier du 22 mai 2013,

- le juge commissaire, par ordonnance du 15 octobre 2013, constaté que, pour cette créance une instance était en cours devant le tribunal administratif et a sursis à statuer sur l'admission de la créance;

Attendu que, comme l'écrit l'administrateur judiciaire en page 6 de son rapport, c'est cette créance fiscale « qui se trouve aujourd'hui être à l'origine des difficultés économiques rencontrées par la SARL JEAN ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES », la rectification fiscale ayant entraîné des saisies conservatoires de créances et de stocks de la part du SIE, ce qui serait à l'origine de l'ouverture de la procédure de sauvegarde;

Que la procédure de sauvegarde est, aux termes de l'article L620-1 du code de commerce, « destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif» ;

Attendu que c'est dans ce cadre, et alors que la procédure de sauvegarde était ouverte depuis le 12 septembre 2012, que la société JEAN ETIENNE BOUDARD, avec le concours de son administrateur, a proposé un projet de plan le 9 septembre 2013;

Que ce projet prévoit (page 9 du projet de plan) sans ambiguïté « un remboursement à 100% en 8 annuités, sans intérêts, selon les modalités suivantes:

- 5% 1 an après l'arrêté du plan,

- 5% 2 ans après l'arrêté du plan,

- 10% 3 ans après l'arrêté du plan,

- 16% 4 ans après l'arrêté du plan,

- 16% 5 ans après l'arrêté du plan,

- 16% 6 ans après l'arrêté du plan,

- 16% 7 ans après l'arrêté du plan,

- 16% 8 ans après l'arrêté du plan »;

Que le SIE, qui disposait d'une créance déclarée de 1 246 266 € à titre privilégié comme l'indique d'ailleurs le rapport en sa page 6, a accepté cette proposition sans consentir la moindre remise;

Que ce n'est qu'en page 11 du projet de plan, sous le titre « L'impact du redressement fiscal sur les trois derniers exercices » qu'il est fait état d'un «crédit d'IS de l'ordre de 321816€ en faveur de l'entreprise JEAN ETIENNE BOUDARD», soit «33,33% de 965 448 €», d'où la conclusion suivante, en page 13: «la créance retenue serait la créance principale (965 448€) déduction faite du crédit d'IS (321 816 €) soit un montant total à retenir de 643 632 €»;

Que le mandataire judiciaire, dans son rapport du 9 septembre 2013, a très pertinemment indiqué qu'il était réservé quant à l'homologation du plan, les contestations de créance en cours n'entraînant pas le rejet de la créance, précisant « Ces dernières sont incluses dans le plan faute d'être rejetées et devront être incluses dans l'appel de l'échéance dudit plan »;

Que le tribunal de commerce a préféré retenir comme créance la somme de 643 632€, seule somme que la société JEAN ETIENNE BOUDARD AUTOMOBILES, selon son expert comptable, « aurait à supporter », après avoir déduit de la créance principale de 965 448 € le crédit d'impôt éventuel qui pourrait découler de la rectification subséquente (321 816 €);

Attendu cependant qu'il résulte des dispositions de l'article L626-10 du code de commerce que le plan de sauvegarde doit prévoir « le règlement du passif soumis à déclaration », de sorte que le tribunal devait prévoir le règlement de toutes les créances déclarées, même en présence de contestation;

Attendu qu'au surplus, le tribunal de commerce a motivé sa décision en ces termes: «Attendu que la réintégration des charges fiscales au niveau du bilan va induire une baisse de l'impôt sur les sociétés; Attendu que la créance litigieuse, concernant les services fiscaux sera provisionnée conformément au plan de sauvegarde pour un montant total de 643632 €»; Qu'il s'est ainsi comporté comme s'il s'arrogeait le droit de procéder à une compensation entre deux créances fiscales croisées, ce qui n'est pas de sa compétence; Qu'à cet égard, au regard des dispositions de l'article L 257B du Livre des procédures fiscales, seul le comptable public peut opérer compensation entre deux créances fiscales, et encore à la condition qu'elles soient liquides et exigibles, ce qui n'est pas encore le cas en l'espèce, le rapport de l'administrateur indiquant que l'impact du redressement fiscal sur les trois derniers exercices permettrait au débiteur de bénéficier d'un crédit d'impôt, le montant exact de ce crédit étant hypothétique ;

Attendu que le SIE a accepté la proposition du projet de plan de sauvegarde de « remboursement à 100% du passif échu »; Que, pour rabattre à la somme de 643 632 € la créance déclarée de 1 246 266 €, le tribunal de commerce a motivé ainsi sa décision: « Attendu qu'une société en plan de sauvegarde se voit accorder la remise de ses pénalités de retard »; Que cependant l'article L626-6 du code de commerce précise que, si les administrations financières peuvent remettre l'ensemble des impôts directs, « s'agissant des impôts indirects (') seuls les intérêts de retard, majorations, pénalités ou amendes peuvent faire l'objet d'une remise »; Qu'il s'en déduit qu'aucune remise ne peut être accordée sur la TVA elle-même; Qu'en tout état de cause, le tribunal de commerce ne pouvait imposer au SIE des remises qu'il n'a pas expressément acceptées;

Attendu que le tribunal de commerce a de surcroit motivé sa décision par l'attendu suivant: « Attendu que les arguments du mandataire judiciaire ne sauraient prospérer dans la mesure où aucun jugement définitif concernant la créance fiscale n'a été prononcé par le Tribunal Administratif», laissant à penser qu'il ne pouvait prendre en compte que des créances admises; Que le fait que le Tribunal Administratif ait à statuer sur le montant exact de la créance du SIE au regard des contestations dont il est saisi est indéniable, raison pour laquelle le juge commissaire, seul habilité à admettre une créance au passif, avait sursis à statuer sur l'admission de la créance; Qu'il n'en demeure pas moins que la créance déclarée était de 1 246 266 € et que c'est cette créance déclarée , dans son intégralité, qui devait être prise en compte dans le cadre du plan ;

Attendu que le jugement entrepris ne pourra, au terme de ces motivations, qu'être infirmé;

Mais attendu que, par delà ces arguments juridiques, la question se pose de la fiabilité matérielle du plan de sauvegarde ;

Qu'il est d'abord évident que, si le tribunal administratif suivait la thèse du SIE, le plan de sauvegarde ne pourrait être respecté;

Qu'ensuite le tribunal de commerce s'est appuyé sur une situation comptable au 31 mai 2013 qui est à rapprocher des comptes définitifs de la société JEAN ETIENNE BOUDARD arrêtés à la même date et déposés au greffe de la juridiction consulaire; Qu'il en résulte que le résultat net, évalué à 41 137 €, est en réalité de 7 899 €, que la capacité d'autofinancement, évaluée à 80 000 €, est en réalité de 49 513 €, que le résultat d'exploitation, évalué à 51 835 €, est en réalité de 10 135 €; Que, dans ce contexte, la capacité d'autofinancement de la société ne lui permet pas de faire face aux échéances du plan au delà de la deuxième année;

Qu'il est donc manifeste que le plan de sauvegarde arrêté n'est représentatif ni du passif exact de l'entreprise JEAN ETIENNE BOUDARD, ni de la réelle capacité de cette société à rembourser son passif ;

Qu'en réalité, à la date de l'adoption du plan, le 11 septembre 2013, son actif disponible ne lui permettait pas de faire face à son passif exigible, ce qui caractérise l'état de cessation des paiements; Qu'il convient donc de prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par arrêt contradictoire,

INFIRME la décision entreprise,

ET, STATUANT A NOUVEAU,

CONSTATE l'état de cessation de paiements de la société JEAN ETIENNE BOUDARD,

PRONONCE l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son égard,

FIXE provisoirement au 11 septembre 2013 la date de cessation des paiements,

OUVRE une période d'observation, d'une durée de trois mois,

ORDONNE le renvoi du dossier devant le tribunal de commerce de SAINT ETIENNE aux fins de fixation des divers délais, de désignation du juge-commissaire, du mandataire judiciaire et de l'administrateur judiciaire, ainsi que du représentant des salariés, s'il y en a encore,

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire des parties,

ORDONNE l'emploi des dépens en frais privilégiés de redressement judiciaire.