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Décisions

Cass. com., 1 juin 1999, n° 97-13.392

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Lallemand (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Poullain

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Delaporte et Briard, SCP Rouvière et Boutet

Versailles, 12e ch. sect. 2, du 19 déc. …

19 décembre 1996

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Versailles, 19 décembre 1996), que, le 9 janvier 1989, la société Sétric biologie, aux droits de qui est la société Lallemand, a procédé au dépôt de deux marques pour désigner une levure sous chacune des appellations "Lalvin 522 Davis" et "Lalvin 2056" ; qu'ayant fait procéder à une saisie contrefaçon au siège de la société X France qui commercialisait les deux levures visées aux dépôts sous les appellations, respectivement, de "522 Davis" et "2056", elle a assigné cette société en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale ;

Sur les premier, deuxième, troisième et cinquième moyens, pris en toutes leurs branches et réunis :

Attendu que la société Lallemand reproche à l'arrêt d'avoir rejeté l'action en contrefaçon et déclaré nulles les marques Lalvin 522 Davis et Lalvin 2056, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif ; que lorsqu'elle est appelée à régir les effets à venir des situations juridiques préexistantes, la loi ne peut méconnaître des droits antérieurement acquis ; que si la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 a cessé de produire ses effets à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 91-7 du 4 janvier 1991, le premier de ces textes continue de régir les marques enregistrées avant le 28 décembre 1991 ; qu'en décidant le contraire à l'égard de marques enregistrées le 9 janvier 1989, la cour d'appel a violé l'article 2 du Code civil, ensemble les articles 41 et 44 de la loi n° 91-7 du 4 janvier 1991 ;

alors, d'autre part, que la désignation générique d'un produit n'est de nature à priver une dénomination de caractère distinctif que si elle correspond à une appellation usuelle dans le langage professionnel et si elle rend possible la compréhension de la nature dudit produit, de ses caractéristiques et de ses applications ; qu'il ne saurait en être ainsi d'une référence aléatoire de nomenclature dépourvue de signification scientifique ; qu'en qualifiant de générique une souche arbitrairement référencée par l'université Davis de Californie sous le numéro 522, sans indication sur la définition et les applications du produit, au demeurant connu sous le nom taxonomique de "saccharomyces cerevisias", la cour d'appel a violé l'article L. 711-2-a) du Code de la propriété intellectuelle ;

alors, de troisième part, que le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie, non seulement à l'égard de l'origine du produit ou du service désigné, mais également en considération de sa destination et de sa mise en oeuvre ; qu'en se bornant à constater l'enregistrement de la dénomination 522 par l'université de Davis en Californie et à relever l'absence de protection résultant de cette inscription, sans rechercher, comme elle l'y invitait, si le caractère distinctif de ladite dénomination avait pu résulter des travaux d'isolement, de caractérisation, de développement et de mise au point industrielle de la souche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 précité ; alors, de quatrième part, qu'elle faisait valoir dans ses conclusions laissées sans réponse qu'elle était susceptible de bénéficier des dispositions de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, desquelles il résulte que le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c), être acquis par l'usage - qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de cinquième part, qu'une désignation de provenance géographique n'est de nature à priver une dénomination de son caractère distinctif que si elle se rapporte exclusivement au produit considéré, à l'exclusion du lieu de son enregistrement, de sa mise en oeuvre ou de son développement ; qu'en opérant une confusion entre l'origine géographique d'isolement de la souche 522 Davis et la provenance géographique de ladite souche (Montrachet en Bourgogne), la cour d'appel a derechef violé l'article L. 711-2 dit Code de la propriété intellectuelle ; alors, de sixième part, que la combinaison de termes distinctifs et génériques n'est pas susceptible de faire échec à la constitution d'une marque dès lors que l'un des éléments de la dénomination présente un caractère de distinctivité, qu'il en est ainsi à l'égard des termes Lalvin 522 Davis, le mot Lalvin présentant un caractère arbitraire par rapport à la souche qu'il désigne ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle ; alors, de septième part, que la désignation générique d'un produit n'est de nature à priver une dénomination de caractère distinctif que si elle correspond à une appellation usuelle dans le langage usuelle dans le langage professionnel et si elle rend possible la compréhension de la nature dudit produit, de ses caractéristiques et de ses applications ; qu'il ne saurait en être ainsi d'une référence aléatoire de nomenclature dépourvue de signification scientifique ; qu'en qualifiant de générique une souche arbitrairement référencée sous le n° 2056 par un laboratoire de l'Institut Technique du Vin, sans indication sur la définition et les applications du produit, au demeurant répertorié sous un nom taxonomique, la cour d'appel a violé l'article L. 711-2-2a du Code de la propriété intellectuelle ; alors, de huitième part, que le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie, non seulement à l'égard de l'origine du produit ou du service désigné, mais également en considération de sa destination et de sa mise en oeuvre ; qu'en se bornant à constater l'origine de la souche 2056 et son absence de protection, sans rechercher, comme elle l'y invitait, si le caractère distinctif de ladite dénomination avait pu résulter des travaux d'isolement, de caractérisation, de développement et de mise au point industrielle conduits par la société Setric biologie, dans le cadre d'une étroite collaboration technique et financière avec le comité interprofessionnel des vins de Côtes du Rhône et de la vallée du Rhône et l'Institut technique du vin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 précité ; alors, de neuvième part, que la combinaison de termes distinctifs et génériques n'est pas susceptible de faire échec à la constitution d'une marque dès lors que l'un des éléments de la dénomination présente un caractère de distinctivité ; qu'il en est ainsi à l'égard des termes Lalvin 2056, le mot Lalvin présentant un caractère arbitraire par rapport à la souche qu'il désigne - qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle ; alors, de dixième part, que l'action en revendication fondée sur l'enregistrement frauduleux d'une marque est régie par les seules dispositions de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, à l'exclusion de toute autre voie de droit ; que la société X France s'étant abstenue d'introduire une telle action, la cour d'appel ne pouvait prononcer la radiation sollicitée sans méconnaître les dispositions de l'article précité ; et alors, enfin, et en toute hypothèse, que le caractère frauduleux de l'enregistrement d'une marque ne peut justifier l'annulation de celle-ci qu'à la double condition qu'il ait été porté atteinte à des droits antérieurs et qu'une faute ait été commise dans une intention maligne ; qu'en s'abstenant de rechercher si la société X France possédait des droits antérieurs sur les dénominations 522 Davis et L. 2056 et si la société Setric biologie avait agi de mauvaise foi dans un souci de nuire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, qu'après avoir relevé que les termes "522 Davis" et "2056" étaient, à la date du dépôt des marques, la dénomination usuelle entre professionnels des deux levures visées par les marques, l'arrêt retient qu'en déposant ces marques fondées sur des références couramment utilisées dans les milieux scientifiques et professionnels, la société Sétric a tenté d'assurer à sa maison mère, la société Lallemand qui contrôle toutes les autres sociétés opérant sur le marché français, un monopole empêchant tout concurrent potentiel de produire et de diffuser ce type de produit et en déduit que, ces dépôts étant frauduleux, ils doivent être annulés ; qu'en statuant ainsi, après avoir souverainement apprécié quel était l'usage fait des termes dont la protection était demandée et constaté que l'objectif de l'auteur des dépôts était, détournant ainsi le droit des marques de sa finalité, de gêner tout éventuel concurrent par un obstacle juridique illégitime, la cour d'appel a reçu non pas une demande en revendication de marque prévue par l'article L. 712-6 du Code de la propriété industrielle, mais une demande de nullité fondée sur la théorie générale de la fraude ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait sur cette demande, elle a, abstraction faite de tous autres motifs, notamment de ceux erronés se référant au Code de la propriété intellectuelle et non à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 pour apprécier au regard de l'exigence de caractères distincts des signes constituant les marques la validité de dépôts effectués sous l'empire de cette loi, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit qu'aucun des quatre moyens ne peut être reçu ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Lallemand, aux droits de la société Sétric, reproche à l'arrêt d'avoir rejeté son action en concurrence déloyale et parasitaire, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle faisait valoir, dans ses conclusions sur ce point demeurées sans réponse, qu'elle avait engagé des investissements importants de recherche et de développement dans le cadre de travaux de définition, de test des souches, d'analyse et de sélection, d'adaptation aux vignobles et de développement ; qu'elle ajoutait que les résultats de ces réalisations coûteuses avaient été utilisés par X France en vue de son activité commerciale ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'elle soutenait encore que la société X France avait adopté un comportement parasitaire par imitation des arguments publicitaires ; qu'en ne répondant pas à ce chef pertinent de conclusions, la cour d'appel a derechef méconnu les dispositions de l'article 455 dit nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que constitue un acte de concurrence déloyale le procédé de copie servile susceptible d'obtenir des prix de revient inférieurs à ceux des produits copiés grâce au bénéfice des efforts accomplis par un autre opérateur économique ; qu'en s'abstenant de rechercher si les agissements d'X France et les prix pratiqués par cette société n'étaient pas rendus possible par la seule économie des dépenses de développement et de recherche engagées par elle pour la mise au point des produits copiés et reproduits à un faible coût de production, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que la société Sétric ne démontre pas, à l'inverse de ce que fait la société X, qu'elle aurait personnellement financé des travaux de recherches concernant les souches litigieuses ; que, de plus, en réponse aux reproches faits par la société Sétric à son concurrent d'avoir fait référence dans ses documents publicitaires "aux propriétés et applications particulières des souches alors qu'une telle connaissance ne pouvait résulter que de ses travaux" ainsi que d'avoir utilisé "la reprise servile de ses résultats", faisant ainsi l'économie d'investissements, l'arrêt relève encore que la société Sétric a bénéficié, comme la société X France, de diverses publications pour la mise au point de ses produits, et retient que la preuve des comportements parasitaires reprochés à cette société n'est pas rapportée ; qu'ainsi la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées et a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui n'est fondé en aucune de ses trois branches, ne peut être accueilli ;

Et sur le sixième moyen :

Attendu que la société Lallemand reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser à la société X France une somme de 60 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, que l'abus du droit d'ester en justice n'est constitué qu'en présence de constatations suffisantes de nature à caractériser l'existence d'une faute dans l'exercice de ladite action ; qu'en s'abstenant de s'expliquer, aussi bien sur la nature du monopole auquel tendrait la société Setric biologie que sur les tracasseries causées à la société X France, et en ne caractérisant ni malveillance, ni intention de nuire susceptibles de constituer une faute du demandeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant estimé, au vu des faits qu'elle expose, que l'action en concurrence déloyale qui ne reposait sur aucun fondement sérieux apparaissait comme une manoeuvre tendant à déstabiliser un concurrent sur qui diverses pressions avaient été exercées, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.