Cass. com., 20 septembre 2016, n° 14-28.356
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 25 septembre 2014), que la Société d'exploitation française de recherche Bioderma (SEFRB), titulaire de marques « Bioderma », enregistrées afin de désigner respectivement des « savons, huiles essentielles, tous produits cosmétiques » et des « produits cosmétiques pour les soins de la peau, à potentiel hydrogène neutre », a consenti à la société Lipha, devenue la société Laboratoire Bioderma, une licence pour leur exploitation ; que ces deux parties ont assigné les sociétés Cabinet continental (la société CLM) et MF Productions en contrefaçon de ces marques et concurrence déloyale ; qu'en cours d'instance, la société SEFRB a fait l'objet d'une fusion-acquisition par la société Laboratoire Bioderma ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société CLM fait grief à l'arrêt de déclarer valables les marques verbales renouvelées « Bioderma », déposées, pour l'une, à l'Institut national de la propriété industrielle le 25 septembre 1986 sous le n° 1 371 960 et, pour l'autre, le 26 avril 1990 à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sous le n° R 267 207 A et concernant la partie française de la marque verbale « Bioderma » enregistrée au registre international des marques le 19 mars 1963 alors, selon le moyen :
1°) que le caractère distinctif d'une marque doit s'apprécier au regard de chacun des produits et services visés au dépôt ; que la cour d'appel qui s'est déterminée au regard de l'activité du titulaire de la marque et des produits considérés, sans rechercher si la marque présentait un caractère distinctif au regard de chacun des produits visés au dépôt, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 ;
2°) que, selon la présentation faite par la société Laboratoire Bioderma, notamment dans ses documents promotionnels, les produits de la marque « Bioderma » ont pour objet de « mettre la BIOlogie au service de la DERMATOLOGIE » ; qu'après avoir constaté qu'à l'époque des dépôts des marques litigieuses « dans le langage courant l'élément verbal « bio » évoquait seulement de manière imprécise, par l'étymologie du mot « biologie », l'idée de vie, celle de cellules, ou encore de produit provenant d'un laboratoire de biologie », la cour d'appel, qui a néanmoins jugé que « n'ayant ainsi, à l'époque, de chacun des dépôts de marque concernés, aucune signification directe particulière, l'élément Bio n'indiquait, lui-même, ni l'usage des produits désignés par la marque BIODERMA, ni les qualités essentielles ou les caractéristiques de ces produits », n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 ;
3°) qu'un signe verbal est descriptif si, en au moins une de ses significations potentielles, il désigne une caractéristique des produits ou services concernés ; qu'en se fondant sur la circonstance totalement inopérante que le terme « Bioderma » avait plusieurs significations possibles pour considérer qu'elle n'était pas descriptive, la cour d'appel a vidé les dispositions l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964, tel qu'elles doivent être interprétées à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ;
4°) que l'élément « BIO » est mentionné en tant que « préfixe » et « élément », de manière continue, dans le Dictionnaire de la Langue Française Hachette de 1873, dans le Grand Larousse Encyclopédique de 1960, et dans le Grand Larousse de la langue française de 1986 ; qu'en se fondant sur la circonstance totalement inopérante que « l'élément « bio » n'est pas mentionné en tant que mot dans les extraits de dictionnaires de cette période (éditions Larousse, Hachette et Flammarion principalement) produits aux débats » et qu'il « y est défini comme préfixe tiré du grec Bios » pour considérer que la marque « Bioderma » n'était pas descriptive, la cour d'appel a violé les dispositions l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 ;
Mais attendu, d'une part, que, constatant que tous les produits désignés aux enregistrements étaient « en relation avec la peau », la cour d'appel a pu, sans manquer à son obligation d'évaluer le caractère distinctif de la marque au regard de chacun des produits visés dans son enregistrement, se déterminer au vu de cette caractéristique commune et essentielle ;
Attendu, d'autre part, que les documents promotionnels de la société Laboratoire Bioderma se bornant à indiquer que les produits marqués avaient pour objet de mettre la biologie au service de la dermatologie, il ne s'en déduisait pas que le terme bioderma était ainsi tenu pour descriptif d'une caractéristique de ces produits ;
Attendu, par ailleurs, que la cour d'appel n'a pas relevé que, parmi les significations de ce terme, il en existerait une qui revêtirait un caractère descriptif pour les produits concernés ;
Et attendu, enfin, que la nature grammaticale du terme bio est sans incidence sur le caractère distinctif du signe bioderma pour de tels produits ;
D'où il suit qu'inopérant en ses deuxième et quatrième branches, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société CLM fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de déchéance des droits attachés à la marque « Bioderma » alors, selon le moyen, qu'une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée ; que seul un usage sérieux de la marque pour chacun des produits ou services désignés par l'enregistrement est de nature à faire obstacle à la déchéance ; qu'en énonçant, pour juger que l'usage du signe verbal « Bioderma » par la société Laboratoire Bioderma devait être considéré comme ayant été fait à titre de marque, que« pendant la période considérée, Bioderma a utilisé le signe verbal Bioderma, à titre de marque, dans le cadre de ses relations commerciales et de ses actions publicitaires pour identifier et promouvoir des produits de la classe 3 visés par les deux dépôts de marque concernés », sans constater que la société Laboratoire Bioderma justifiait d'un usage effectif de la marque « Bioderma » sur le marché pour désigner les produits visés par cette marque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'ayant relevé, notamment au vu des documents publicitaires produits aux débats, que durant la période de référence, la dénomination Bioderma était utilisée pour rassembler sous ce seul nom un panel de produits portant eux-mêmes des marques distinctes, qu'elle avait ainsi pour fonction d'identifier, à l'intention des consommateurs, divers produits mis sur le marché, regroupés dans la même gamme Bioderma, que l'objectif était notamment de faire bénéficier les produits de la notoriété et de l'image de cette dénomination, tout en les dotant d'une identité spécifique facilitant la communication, et qu'ainsi s'est établi, dans la vie des affaires, un lien entre le signe constituant la marque verbale « Bioderma » et les produits commercialisés, la cour d'appel en a exactement déduit que cette société avait mis sur le marché, sous cette forme de présentation, les produits couverts par la marque et qu'un tel usage avait été fait à titre de marque ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches :
Attendu que la société CLM fait grief à l'arrêt de dire que les dénominations bio-ph6-derma, bio-ph4-derma, et toute autre formule similaire utilisée pour la commercialisation de ses produits relevant de la classe 3 constituent la contrefaçon des marques verbales « Bioderma » alors, selon le moyen :
1°) qu'en l'absence de reproduction à l'identique de la marque revendiquée, la contrefaçon ne peut être appréhendée que sous l'angle de l'imitation et de la démonstration d'un risque de confusion, lequel doit faire l'objet d'une appréciation globale qui dépend, notamment, de la connaissance de la marque sur le marché, de l'association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés ; que la cour d'appel qui, après avoir procédé à un examen des similitudes entre les deux marques sur l'aspect visuel et phonétique et procédé à la comparaison intellectuelle entre les signes, s'est bornée à en déduire un risque de confusion dans l'esprit des consommateurs, sans procéder à une appréciation globale fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
2°) que, dans ses conclusions d'appel, elle se référait à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne selon laquelle les marques qui ont un caractère distinctif élevé, soit intrinsèquement, soit en raison de la connaissance de celles-ci sur le marché, jouissent d'une protection plus étendue que celles dont le caractère distinctif est moindre et rappelait que la marque « Bioderma » avait un faible pouvoir distinctif ; qu'en se bornant à énoncer qu'elle était contrefaite non par reproduction mais par imitation au sens de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, sans répondre au moyen soulevé par la société CLM, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, qui a retenu que les signes en présence ont une apparence et une sonorité similaires et que les ressemblances l'emportent sur les différences au point de susciter une confusion dans l'esprit du consommateur d'une attention moyenne n'ayant pas les deux signes sous les yeux, a ainsi procédé à une appréciation globale fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé, au plan visuel, que, dans le signe incriminé, l'élément dominant est le nom Bioderma, la présence d'éléments figuratifs et la formule ph6 ne suffisant pas à effacer cette prééminence, au plan phonétique, que la prééminence du nom Bioderma est si forte que, ni l'agrandissement de la lettre « o » par rapport aux autres lettres, ni l'insertion de l'élément « ph6 » ne conduisent à prononcer ce dernier élément, de sorte que le signe de la société CLM se lit et s'entend de la même façon que le signe Bioderma et, au plan intellectuel, que la formule « ph6 » n'apporte pas d'évocation spécifique distincte de celle de la dénomination Bioderma, la cour d'appel a fait ressortir que le degré de ressemblance était très élevé et ainsi répondu, en l'écartant, au moyen prétendument délaissé ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, sur le quatrième moyen, pris en ses trois premières branches, ni sur les cinquième, sixième et septième moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.