Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 28 mai 2020, n° 19/02671

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Postre & Co (SAS)

Défendeur :

Procureur Général près la cour d'appel de Douai

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Molina, Mme Créon

T. com. Douai, du 24 avr. 2019

24 avril 2019

FAITS ET PROCÉDURE

Par requête du 25 mars 2019, le ministère public a sollicité l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Postre & Co.

Par jugement du 24 avril 2019, le tribunal de commerce de Douai a notamment :

- nommé M. Vincent T., juge commis avec mission de recueillir tous renseignements sur la situation financière économique et sociale de la société Postre & Co.

Par déclaration du 9 mai 2019, la société Postre & Co a interjeté appel de la décision.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 août 2019, la société Postre & Co, sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'article 62 alinéa 3 de la Constitution, de la décision du Conseil constitutionnel n°2012-286 QPC du 7 décembre 2012, de l'article L. 631-3-1 du code de commerce, demande à la cour d'appel, de :

- déclarer recevable son appel-nullité,

- déclarer bien-fondé son appel-nullité,

- annuler le jugement du tribunal de commerce de Douai du 24 avril 2019 en toutes ses dispositions,

- condamner l'Etat à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses réquisitions notifiées par voie électronique le 5 juillet 2019, le ministère public demande à la cour d'appel, de :

- déclarer l'appel-nullité irrecevable,

- laisser les dépens à la charge de la société Postre & Co qui succombe en ses prétentions.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 6 novembre 2019.

Aux termes de conclusions d'intervention volontaire notifiées par voie électronique le 14 novembre 2019, la SELARL Perin B., représentée par

Maître B., ès qualités de mandataire judiciaire de la société Postre & Co, sur le fondement des articles 905, 760, 781 et suivants du code de procédure civile, des articles 544 et 545 du code de procédure civile et des articles L. 621-1, L. 631-7 et R. 621-3 du code de commerce, demande à la cour d'appel, de :

A titre liminaire,

- révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 6 novembre 2019.

A titre principal,

- juger irrecevable l'appel interjeté par la société Postre & Co à l'encontre du jugement avant dire droit du tribunal de commerce de Douai du 24 avril2019,

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement avant dire droit du tribunal de commerce de Douai du 24 avril 2019,

En conséquence,

- débouter purement et simplement la société Postre & Co de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

A l'audience du 4 décembre 2019, l'ordonnance de clôture du 6 novembre 2019 a été révoquée, les conclusions d'intervenant volontaire de la SELARL P.-B. ont été admises et une nouvelle ordonnance de clôture a été prononcée.

La cour a autorisé les parties à communiquer des notes en délibéré pour répondre aux conclusions de Maître B

Le ministère public, Maître B. et la société Postre & Co ont transmis par le RPVA des notes en délibéré respectivement les 13 décembre 2019, 9 décembre 2019 et 17 décembre 2019.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'appel-nullité :

La société Postre & Co soutient que :

- en communiquant originellement et spontanément au parquet des pièces afin que celui-ci saisisse le tribunal de commerce, le greffe a méconnu les garanties apportées par le code de commerce qui encadrent la saisine des juridictions consulaires afin d'écarter tout risque d'apparence de pré-jugement induits par une auto-saisine,

- dans la lettre du 12 mars 2018, le greffe a répondu à une demande de communication écrite d'informations transmises originellement au parquet par voie orale, en revanche la saisine verbale initiale du parquet par le tribunal était spontanée, et par là, réalisée en violation de l'article L. 631-3-1 du code de commerce,

- le parquet ne peut valablement arguer d'une sollicitation verbale du greffe, dont il n'apporte pas un commencement de preuve, et dont la formulation de ses courriers et de ceux du greffe corrobore l'improbabilité,

- aucune disposition du code de commerce ne donne compétence au greffe du tribunal de commerce pour solliciter du ministère public qu'il requiert l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ; une telle prérogative au bénéfice du greffe reviendrait à redonner au tribunal le pouvoir de solliciter sa propre saisine sans qu'aucune garantie légale ne prévienne le risque d'un pré-jugement du dossier, le greffe ne dispose d'aucun pouvoir juridictionnel et n'est pas une autorité judiciaire,

- le tribunal de commerce de Douai ne pouvait pas, dès l'instant où son greffe, dont il est indivisible, avait pris seul l'initiative d'une saisine du parquet, hors du cadre procédural visé à l'article L. 631-3-1 du code de commerce, connaître de l'ouverture d'un redressement judiciaire,

- en s'auto-saisissant dans une occurrence et dans les modalités non prévues par la loi, le tribunal de commerce de Douai a commis un excès de pouvoir,

- en vertu des principes procéduraux les mieux établis, tel que le principe du contradictoire défini à l'article 16 du code de procédure civile, le tribunal ne pouvait pas retenir dans sa décision un document dont les parties n'avaient pas débattu,

- en vertu d'une jurisprudence constante et bien établie, une violation des règles fondamentales de la procédure ne justifie pas systématiquement la recevabilité d'un appel-nullité car elle n'est pas toujours assimilable à un excès de pouvoir, toutefois, elle peut justifier la recevabilité et le bien-fondé d'un appel-nullité, lorsque les circonstances de fait et de droit de l'espèce révèle une méconnaissance de son pouvoir de juger par la juridiction concernée,

- la note du 12 mars 2019 émanant du greffe est le seul document susceptible de montrer objectivement que la saisine du Tribunal n'a pas été faite en contrariété avec les règles de séparation des pouvoirs prohibant l'auto-saisine et garantissant l'impartialité des juges, sa rétention, en l'espèce par le tribunal, est constitutive d'un excès de pouvoir négatif pour refus d'application de la loi, susceptible de fonder un appel-nullité.

Maître B. soutient que :

- le ministère public a saisi de façon indépendante le tribunal de commerce, les échanges ayant pu intervenir en amont à la requête du ministère public relèvent des facultés d'investigations propres au ministère public,

- la saisine du ministère public était parfaitement régulière,

- le jugement n'est qu'un jugement avant dire droit ordonnant une mesure d'enquête pré-faillite,

- la société était comparante en première instance et a pu faire valoir ses observations,

- le fait que le courrier du 12 mars 2018 n'a pas été versé aux débats en première instance est sans conséquence, puisqu'il ne remet pas en cause l'état de cessation des paiements

- à aucun moment le greffe du tribunal de commerce n'a donné pour instruction au ministère public de procéder à une requête en ouverture de redressement judiciaire à l'encontre de la société Postre.

Le ministère public fait valoir que :

- il tient de la loi mission de veiller au respect de l'ordre public et notamment de l'ordre public économique, dans l'exécution de sa mission, le procureur de la République de Douai a sollicité du greffe du tribunal de commerce la communication d'informations sur la situation de la société Postre & Co,

- le greffe n'a pas agi à la demande du tribunal, ni demandé au procureur de la République de solliciter l'ouverture d'une procédure mais a transmis au procureur de la République les informations demandées par celui-ci, qui ont ensuite fondé la requête en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire,

- il n'existe pas d'excès de pouvoir permettant de restaurer une voie de recours.

Selon l'article L. 661-1 du code de commerce, « I.-Sont susceptibles d'appel ou de pourvoi en cassation :

1°) Les décisions statuant sur l'ouverture des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire de la part du débiteur, du créancier poursuivant et du ministère public ;

2°) Les décisions statuant sur l'ouverture de la liquidation judiciaire de la part du débiteur, du créancier poursuivant, du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public ;

3°) Les décisions statuant sur l'extension d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou sur la réunion de patrimoines de la part du débiteur soumis à la procédure, du débiteur visé par l'extension, du mandataire judiciaire ou du liquidateur, de l'administrateur et du ministère public ;

4°) Les décisions statuant sur la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire de la part du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire et du ministère public ;

5°) Les décisions statuant sur le prononcé de la liquidation judiciaire au cours d'une période d'observation de la part du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public ;

6°) Les décisions statuant sur l'arrêté du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public, ainsi que de la part du créancier ayant formé une contestation en application de l'article L. 626-34-1 ;

7°) bis Les décisions statuant sur la désignation d'un mandataire prévue au 1° de l'article L. 631-19-2 et sur la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital prévue au 2° du même article, de la part du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, à défaut, du représentant des salariés mentionné à l'article L. 621-4, des associés ou actionnaires parties à la cession ou qui ont refusé la modification du capital prévue par le projet de plan et des cessionnaires ainsi que du ministère public ;

8°) Les décisions statuant sur la modification du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, du commissaire à l'exécution du plan, du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public, ainsi que de la part du créancier ayant formé une contestation en application de l'article L. 626-34-1 ;

9°) Les décisions statuant sur la résolution du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, du commissaire à l'exécution du plan, du comité d'entreprise ou, à défaut des délégués du personnel, du créancier poursuivant et du ministère public.

II. - L'appel du ministère public est suspensif, à l'exception de celui portant sur les décisions statuant sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

III. - En l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, le représentant des salariés exerce les voies de recours ouvertes à ces institutions par le présent article ».

Ainsi, les jugements avant dire droit par lesquels le tribunal de commerce commet un juge avec pour mission de recueillir tous renseignements sur la situation financière, économique et sociale d'une société ne sont susceptibles d'aucune voie de recours immédiate. Il est acquis qu'il n'est dérogé à cette règle, qu'en cas d'excès de pouvoir.

Selon l'article L. 631-5 alinéa 1 du code de commerce, « Lorsqu'il n'y a pas de procédure de conciliation en cours, le tribunal peut également être saisi sur requête du ministère public aux fins d'ouverture de la procédure en redressement judiciaire ».

Le ministère public qui veille notamment à la protection de l'ordre public économique et à ce que les relations économiques se déroulent dans le respect du cadre juridique imparti à la matière, peut recueillir des informations sur la situation d'une société auprès de différentes sources et notamment auprès du greffe du tribunal de commerce.

Selon l'article L. 721-1 du code de commerce, « Les tribunaux de commerce sont des juridictions du premier degré, composées de juges élus et d'un greffier ».

Contrairement à ce que soutient la société Postre & Co, il ne peut se déduire de cet article une indivisibilité entre le tribunal de commerce et le greffier. Le greffier est un officier public ministériel, composant certes le tribunal de commerce, mais il est une entité distincte du tribunal, juridiction de jugement qu'il assiste à l'audience.

En l'espèce, il est mentionné dans la 'requête en vue d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire' rédigée le 25 mars 2019 par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Douai, 'il ressort des éléments transmis le 12 mars 2019 par le greffe du tribunal de commerce de DOUAI-CAMBRAI'. Il résulte de cette requête que les pièces obtenues par le procureur de la République lui ont été transmises par le greffe du tribunal et non par le tribunal, juridiction de jugement ou l'un de ses membres. Par ailleurs, il résulte du courrier daté du 12 mars 2018 adressé par le greffe du tribunal de commerce de Douai « A votre demande, je vous prie de trouver ci-joint les pièces de procédure des dossiers en cours ou récents qu'a eu à connaître le Tribunal concernant la SAS POSTRE & Co [...] » (pièce 6 de l'appelante). Il résulte de ce document qu'il a été transmis par le greffe du tribunal de commerce et non par le tribunal juridiction de jugement ou l'un de ses membres. Au surplus, la mention « A votre demande », établit qu'en aucun cas la transmission d'information a été à l'initiative du greffe mais que celui-ci répondait à une demande du ministère public, peu importe que celle-ci ait été formulée à l'écrit ou à l'oral.

Ainsi, la société Postre & Co ne peut valablement soutenir que le greffe du tribunal de commerce a sollicité du ministère public qu'il requiert l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, ni que la communication litigieuse du greffe constitue une auto-saisine par le tribunal de commerce de Douai afin de contourner les dispositions de l'article L. 631-3-1 du code de commerce.

Par ailleurs, à supposer que le non-respect du principe de la contradiction puisse constituer un excès de pouvoir, en l'espèce, il ressort des pièces produites par l'appelant que le courrier litigieux du greffe du tribunal de commerce de Douai du 12 mars 2018 est un simple courrier de transmission de pièces sollicitées par le ministère public, sur lesquelles il a appuyé sa requête et non une pièce sur laquelle la requête a été établie. De plus, l'appelante ne conteste pas avoir été destinataire de la requête du ministère public, conformément aux dispositions de l'article R. 131-4 du code de commerce. Or cette requête mentionnait précisément "des éléments transmis le 12 mars 2019 par le greffe du tribunal", ce qui a d'ailleurs permis à la société Postre & Co de remettre en cause la saisine du tribunal de commerce au cours des débats devant ce dernier, tel que cela ressort tant de la note d'audience figurant au dossier transmis à la cour que du jugement déféré qui a statué sur la recevabilité de la requête.

Par conséquent, en l'absence d'excès de pouvoir établi, il convient de déclarer l'appel de la société Postre & Co irrecevable.

Les dépens seront laissés à la charge de la société Postre & Co.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevable l'appel-nullité pour excès de pouvoir de la société Postre & Co ;

Laisse les dépens à la charge de la société Postre & Co.