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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 19 mai 1993, n° 92/006443

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Modernes Associés (SARL)

Défendeur :

Garance Productions (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mme Mandel, M. Bonnefont

Avoués :

SCP Narrat Peytavi, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Me Zylberstein, Me Stefanaggi

T. com. Paris, du 21 oct. 1991

21 octobre 1991

FAITS ET PROCEDURE DE PREMIER INSTANCE

Par exploit du 24 juillet 1990, la Société MODERNES ASSOCIES assignait la Société GARANCE PRODUCTIONS pour faire juger qu’en profitant indûment des titres et logo du journal Globe édité par MODERNES ASSOCIES, la défenderesse s’était rendue coupable d’agissements parasitaires et qu’en reproduisant la marque Globe dans le cadre d’un concert de Public Enemy, elle aurait porté atteinte à l’image de Modernes Associés dans l’esprit public.

Elle réclamait en réparation des faits ci-dessus respectivement 300 000 et 500 000 Francs de dommages-intérêts.

De plus elle sollicitait la publication du jugement et 15 000 Francs pour les frais non taxables.

La défenderesse concluait au débouté ;

LE JUGEMENT CRITIQUE

Par son jugement du 21 octobre 1991, le Tribunal de Commerce de Paris a entre autres dispositions :

- Dit que la Société GARANCE PRODUCTIONS « a pu » porter atteinte à l’image de MODERNES ASSOCIES et de son journal Globe ;

- condamné GARANCE PRODUCTIONS à payer à MODERNES ASSOCIES 1 Francs de dommages-intérêts et 5000 Francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- ordonné la parution du jugement dans Trois revues au choix de MODERNES ASSOCIES sans que le coût d’une parution puisse excéder 1 000 Francs ;

L’APPEL

Appelante du jugement par déclaration du 28 Janvier 1992, MODERNES ASSOCIES conclut qu’il plaise à la Cour l’infirmier en ce qu’il a rejeté la demande au titre des agissements parasitaires et en ce qu’il n’a accordé qu’une réparation symbolique pour l’atteinte à l’image de marque.

Elle reprend donc ses demandes de 300 000 Francs de dommages-intérêts en raison des agissements parasitaires et de 500 000 Francs du chef de la reproduction de la marque Globe, de publications aux frais de garance sans que le cout de chaque insertion puisse excéder 30 000 Francs.

Elle sollicite 25 000 Francs en vertu de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Intimée, GARANCE PRODUCTIONS conclut au rejet de l’appel et incidemment appelante prie la Cour de débouter MODERNES ASSOCIES au titre de l’atteinte à son image de marque, de la condamner au paiement de 50 000 Francs de dommages-interets pour procédure abusive et de 20 000 Francs pour les frais non taxables, enfin d’ordonner la publication de l’arrêt dans 3 journaux pour un coût maximal de 30 000 Francs par insertion ;

SUR CE LA COUR

Qui se réfère au jugement et aux écritures d’appel

Considérant qu’il résulte des pièces mises aux débats

- Que MODERNES ASSOCIES diffuse une publication sous un titre s’identifiant à la marque Globe constituée par la forme caractéristique du O de Globe et par un trait soulignant le mot Globe passant au travers du O ;

- que ladite marque, déposée en 1988, et courant notamment la communication et le divertissement, a été reproduite sur les billets délivrés par GARANCE pour le spectacle donné le 11 mars 1990 au ZENITH par le Groupe « RAP » Public Enemy ;

- que si l’intimée prétend avoir procédé à cette reproduction avec l’approbation de MODERNES ASSOCIES qui à l’en croire serait l’un de ses sponsors habituels, elle n’est en mesure ni de produire une autorisation écrite ni de donner une consistance précise aux relations de parrainage qu’elle allègue.

Considérant que les faits étant ainsi rappelés, il convient de noter que les agissements qualifiés de parasitaires dans l’assignation s’analysent dans leur matérialité comme une contrefaçon de marque qui aurait dû conduire la juridiction consulaire à déclarer son incompétence si elle avait été soulevée ;

Considérant que selon la décision déférée, l’apposition du signe de Globe sur les billets délivrés par Garance n’était pas de nature à bénéficier à cette dernière et peut d’autant moins être regardée comme un agissement parasitaire qu’elle a profité à Globe, qui  ainsi recu l’avantage d’une publicité non payante en contrepartie de la critique qui dans la numéro d’Avril 1990 avait conseillé d’aller au concert PUBLIC ENEMY ;

Qu’une telle motivation est à juste titre critiquée par l’appelante ;

Qu’à cet égard, il s’impose de remarquer ;

- Que l’article évoqué dans le jugement avait signalé aux lecteurs de Globe le concert de PUBLIC ENEMY, la formule « allez-y mais laissez les armes aux vestiaires », déjà significative en elle-même s’insérait de surcroit dans un ensemble rédactionnel les très grave réserves qu’inspirait la violence d’un groupe dont le combat affiché pour la libération des Noirs Américains prend un tour haineux particulièrement dirigé contre les Juifs ;

- qu’à l’évidence une telle prise de position n’allait pas dans le sens d’un parrainage qui n’étant pas démontré est un surplus invraisemblable ;

- que le jugement accueille la défense classique des contrefacteurs qui non contents de nier l’intêret personnel qui les anime, vont jusqu’à pervertir les effets de leurs actes illicites en les présentant comme profitables à ceux qui en sont les victimes ;

- que tout usage d’une marque non autorisée par son titulaire est une atteinte au droit de propriété qui se saurait être contestée quels que soient les mobiles douteux ou non que s’attribue son auteur ;

Considérant d’autre part qu’en reproduisant la marque de l’intimée sur les billets du concert d’un groupe antisémite, GARANCE, outre que dans un esprit parasitaire elle a cherché à tirer à elle la notoriété de Globe, a brouillé l’opinion que le lectorat de cette revue peut avoir d’elle ; qu’à admettre  même l’absence de toute intention malicieuse, une faute n’en a pas moins été commise, entrainant une atteinte à l’image qui ne saurait trouver une réparation suffisante dans le franc symbolique accordé par le jugement qui ne prévoit au surplus pour les publications qu’un coût dérisoire appelant une augmentation ;

Considérant en conséquence qu’il y a lieu par réformation de la décision déférée de condamner GARANCE à verser à l’appelante l’indemnité fixée toutes causes confondues au dispositif qui de plus élèvera le montant des frais de publication mis à la charge de l’intimée ;

Considérant que compte tenu des frais non taxables exposés en appel, l’équité commande d’allouer à MODERNES ASSOCIES pour l’ensemble de la procédure ;

PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des Premiers Juges

Sur l’appel bien fondé de la Société MODERNES ASSOCIES ;

Réformant ;

Dit que la société GARANCE PRODUCTION a bien commis les actes qualifiés d’agissement parasitaires et qui sont constitutifs d’une contrefaçon de la marque Globe utilisée par l’appelante comme titre d’une publication ;

Et toutes causes de préjudice confondues, condamne GARANCE PRODUCTIONS à payer à MODERNES ASSOCIES une indemnité de 50 000 Francs ;

Autorise MODERNES ASSOCIES à publier par extraits l’arrêt dans Trois journaux ou revues de son choix aux frais de GARANCE PRODUCTIONS dans la limite globale de QUARANTE CINQ MILLE Francs H.T. ;

Condamne GARANCE PRODUCTIONS à payer à MODERNES ASSOCIES en vertu de l’article 700 du Nouveau Code De Procédure Civile la somme de QUINZE MILLE Francs ;

Dit que GARANCE PRODUCTIONS supportera les dépens de première instance et d’appel ;

Admet la SCP NARRAT-PEYTAVI, au bénéfice des dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.