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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 30 octobre 2012, n° 11/06221

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Corely (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Valay-Briere, Mme Barbot

Avocat :

SCP Deleforge-Franchi

T. com. Valenciennes, du 26 août 2011

26 août 2011

La SAS CORELY est inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Valenciennes depuis le 11 avril 2000 pour l'exploitation d'une activité d'acquisition et de gestion de biens immobiliers, licences, brevets des sociétés détenues par elle.

Après avoir invité en vain cette société à régulariser sa situation, le greffier du tribunal de commerce de Valenciennes a informé Madame la Procureure de la République près le Tribunal de Grande Instance de Valenciennes de ce que la SAS CORELY n'avait pas déposé au greffe du tribunal de commerce ses comptes clos au 31 décembre 2008.

En suite d'une mesure de composition pénale, Monsieur le procureur de la République a fait entendre le dirigeant de cette société par les services de police, lequel a reconnu ne pas avoir procédé aux dépôts des comptes clos pour les exercices 2008 et 2009.

Saisi le 10 juin 2011 à la requête de Madame la Procureure de la République près le Tribunal de Grande Instance de Valenciennes, sur le fondement de l'article L. 123-5-1 du code de commerce, aux fins de désignation d'un mandataire ayant pour mission de déposer les comptes annuels de la SAS CORELY au titre des exercices clos au 31 décembre 2008 et au 31 décembre 2009, le président du Tribunal de Commerce de Valenciennes, statuant en référé a, par ordonnance contradictoire en date du 26 août 2011, rejetée la demande préalablement déclarée recevable.

Par déclaration au greffe en date du 5 septembre 2011, Madame la Procureure de la République près le Tribunal de Grande Instance de Valenciennes a interjeté appel de cette décision.

Dans ses conclusions en date du 21 décembre 2011, elle demande à la Cour d'infirmer l'ordonnance et de procéder à la désignation requise.

Elle fait valoir qu'en dépit des mesures alternatives aux poursuites mises en place, la SAS CORELY refuse de respecter ses obligations en matière de publicité des comptes sociaux et ce en violation des dispositions légales tant nationales qu'européennes. Elle rappelle les dispositions de la Directive Européenne 78/660/CEE du 25 juillet 1978, les dépêches de la DACG du 26 janvier 2007 et de Monsieur B près la Cour d'Appel de Douai incitant les parquets à contrôler le respect du dépôt légal des comptes et à recourir à la procédure de référé injonction, la jurisprudence du Tribunal de Grande Instance d'Havesnes sur Helpe, statuant commercialement, amené à se prononcer sur des cas similaires, la position de la Conférence Générale des juges consulaires de France considérant que la seule sanction efficace est le recours à la procédure de l'article L. 123-5-1 du code de commerce, la réponse apportée le 14 septembre 2010 par le Ministère de la Justice à une question parlementaire ainsi que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de Cassation pour laquelle un danger simplement éventuel ou le secret des affaires ne peut exonérer l'entreprise de l'obligation de déposer ses comptes.

Dans ses dernières conclusions déposées le 14 septembre 2012, la SAS CORELY demande à la Cour de confirmer l'ordonnance et de débouter le Ministère Public de toutes ses demandes.

Elle souligne, au préalable, que la société commerciale LYRECO FRANCE SAS publie ses comptes sociaux tous les ans et que seules les sociétés holding du groupe ne produisent pas leurs comptes comme d'ailleurs ses concurrentes. Elle précise que le Ministère Public, qui n'a été alerté par quiconque, agit 'proprio motu' pour obtenir une satisfaction abstraite alors que la publication de ses comptes aboutirait à la fragiliser en renseignant ses concurrents. Elle rappelle que le juge, gardien des libertés, doit veiller au respect de l'égalité de tous devant la loi et à la neutralité de la puissance publique considérant que faire droit à la demande romprait cette égalité et cette neutralité dès lors que les exigences quant aux formalités de publicité ne sont pas les mêmes dans le ressort de toutes les juridictions. Elle sollicite, en conséquence, de la cour qu'elle fasse usage de la faculté dont elle dispose de ne pas procéder à la désignation requise à l'instar du premier juge qui a procédé à bon escient à une appréciation concrète de l'opportunité d'une telle désignation.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens et prétentions, selon ce qu'autorise l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE

Aux termes des articles L. 232-23 et R. 123-111 du code de commerce, les sociétés par actions sont tenues de déposer en double exemplaire, pour être annexés au registre du commerce et des sociétés, dans le délai d'un mois à compter de leur approbation par l'assemblée ordinaire, les comptes annuels, le rapport de gestion, le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes annuels ainsi que, le cas échéant, les comptes consolidés et les propositions d'affectation du résultat.

L'article R. 210-18 du même code précise que ces formalités de publicité sont effectuées à la diligence et sous la responsabilité des représentants légaux des sociétés.

La SAS CORELY, dont le dirigeant a indiqué aux services de police, le 27 août 2010 puis le 4 avril 2011, qu'il ne déposait pas les comptes sociaux pour des raisons de sécurité et de confidentialité, ne conteste pas relever de l'obligation imposée par ces dispositions.

L'article L. 123-5-1 du code de commerce dispose qu'à la demande de tout intéressé ou du ministère public, le président du tribunal, statuant en référé, peut enjoindre sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires. Le président peut, dans les mêmes conditions et à cette même fin, désigner un mandataire chargé d'effectuer ces formalités.

Il se déduit de ce texte que le Ministère Public est recevable à agir sans que l'absence de diligences de certains parquets sur ce fondement, au demeurant non démontrée, ne puisse s'interpréter comme un manquement au principe de neutralité de la puissance publique.

La publicité des comptes sociaux des sociétés de capitaux est considérée tant sur le plan européen que sur le plan national, comme un instrument nécessaire à l'information de tout intéressé et à l'instauration d'une transparence quant au patrimoine social de ces sociétés dans le but de protéger les intérêts des tiers et de favoriser le développement du marché unique. En effet, l'absence de dépôt des comptes empêche toute analyse sérieuse de la situation d'une entreprise.

La distorsion de concurrence invoquée par l'intimée en termes très généraux n'est pas démontrée au cas d'espèce, pas plus que la rupture d'égalité de tous devant la loi, compte tenu du caractère général de l'obligation de dépôt des comptes sociaux harmonisée sur le plan européen par les directives européennes 68/151/ CEE du 9 mars 1968 et 78/660/CEE du 25 juillet 1978 (articles 47 et suivants) et, sur le plan national par les textes susvisés applicables à tous et les instructions délivrées à l'ensemble des procureurs généraux près les Cours d'Appel par la dépêche de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces du 26 janvier 2007.

Le non-respect par ses concurrents des obligations qui pèsent sur eux n'est pas suffisant pour justifier d'une violation délibérée par la SAS CORELY de l'article L. 232-23 du code de commerce.

Enfin, les motifs retenus par le premier juge selon lesquels d'une part, la SAS CORELY interviendrait sur un marché mondial, avec des concurrents étrangers jouissant d'une législation leur permettant de ne pas déposer leurs comptes annuels et d'autre part, la santé financière du « Groupe LYRECO » serait excellente de telle sorte que tout risque de défaillance de l'une de ses filiales serait exclu ne sont établis par aucune pièce versée aux débats et ne sauraient, en tout état de cause, justifier une quelconque exception à l'obligation générale édictée par l'article L. 232-23 précité.

En conséquence, l'ordonnance sera infirmée et il sera procédé à la désignation sollicitée.

La société SAS CORELY qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant après débats publics, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Fait droit à la demande de Madame la Procureure de la République près le Tribunal de Grande Instance de Valenciennes ;

Désigne la SELARL AJJIS, Administrateur Judiciaire, 316 avenue de Dunkerque à LAMBERSART (59130) avec pour mission de procéder au dépôt des pièces et actes prévus à l'article L. 232-23 du code de commerce au titre des exercices clos au 31 décembre 2008 et 31 décembre 2009 de la SAS CORELY ;

Dit que les honoraires du mandataire à ce titre, qui ne pourront excéder la somme de 500€, ainsi que tous les débours et frais de publicité seront supportés par la SAS CORELY ;

Condamne la SAS CORELY aux dépens de première instance et d'appel.