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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 21 février 2017, n° 15/06429

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Coodica (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme André, Mme Jeannesson

CA Rennes n° 15/06429

21 février 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

A la suite de vaines relances adressées par le greffe et le parquet, le président du tribunal de commerce de Lorient a, par ordonnance du 22 juin 2015, en application des articles L.611-2 II et R. 611-12 à R. 611-16 du code de commerce :

- ordonné à M. André T., représentant légal de la SARL Coodica immatriculée sous le n° 309 967 768 au registre du commerce et des sociétés de Lorient, de déposer les comptes annuels de l'exercice clôturé le 31 décembre 2013 dans le délai d'un mois de la notification de la décision,

- dit qu'à défaut de le faire, il devra verser au Trésor public une astreinte de 1.500 euros par jour de retard,

- renvoyé le dossier à l'audience du 30 juillet 2015 pour vérification de l'exécution de la diligence et à défaut débats sur la liquidation de l'astreinte.

L'ordonnance a été notifiée par lettre recommandée avec avis de réception du 23 juin 2015, reçue le 24 juin 2015.

Par ordonnance de référé du 5 août 2015, le président du tribunal a liquidé l'astreinte à la somme de 20 000 euros et condamné M. T. au paiement de cette somme au Trésor public.

Le 7 août 2015, la SARL Coodica a relevé appel de cette ordonnance, demandant à la cour :

- d'annuler l'ordonnance faute de respect du contradictoire,

- à titre subsidiaire, de dire n'y avoir lieu à liquidation de l'astreinte,

- à titre infiniment subsidiaire, de la liquider à un euro, les dépens étant à la charge du Trésor public.

Le ministère public conclut à la confirmation de l'ordonnance critiquée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux conclusions déposées par la SA Coodica le 10 janvier 2017 et par le ministère public le 19 novembre 2015.

L'ordonnance de clôture a été reportée au jour de l'audience avant l'ouverture des débats conformément à la demande de l'appelant.

EXPOSÉ DES MOTIFS

La SARL Coodica soulève à titre principal la nullité de l'ordonnance faute de respect du contradictoire en ce qu'elle est motivée par référence à une dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces du 26 janvier 2007 non produite à la procédure.

Mais en premier lieu, la procédure étant orale, le contradictoire est présumé avoir été respecté à l'audience sauf preuve contraire qui n'est pas rapportée. En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu, le premier juge n'a pas soulevé d'office un moyen de droit non soumis à la discussion des parties mais s'est borné, après avoir repris la motivation de l'ordonnance du 22 juin 2015, à répondre à l'argumentation qui lui était présentée quant au prétendu détournement de procédure en rappelant les fondements des dispositions dont l'application était en cause, lesquelles avaient déjà été portées à la connaissance des parties dans la première ordonnance, et la volonté du législateur de les faire respecter.

En tout état de cause, l'annulation réclamée n'aurait pas les conséquences attendues par la société appelante. En effet, l'article 562 du code de procédure civile énonce en cas d'appel tendant à l'annulation d'une décision, la dévolution à la cour s'opère pour le tout de sorte que celle-ci serait néanmoins tenue de se prononcer sur le fond du litige.

A titre subsidiaire, la société appelante soutient que la disposition législative appliquée doit être écartée comme provoquant une distorsion de concurrence dans le secteur de la grande distribution alors que :

- le président du tribunal de commerce n'avait pas préalablement convoqué les dirigeants de la société, ni sollicité la production de documents auprès du commissaire aux comptes comme l'y autorisaient les dispositions de l'article L.611.2 du code de commerce bien que M. T. ait proposé de le rencontrer afin de lui montrer les comptes sociaux de sa société qui n'était pas en difficulté,

- la production des comptes apporterait des informations stratégiques aux concurrents de la société notamment parce que les franchisés Intermarché exploitent leurs points de vente de manière indépendante en produisant un bilan pour chacun d'entre eux, dévoilant ainsi des informations sur les prix et les marges pratiqués tandis que d'autres enseignes n'éditent qu'un bilan pour l'ensemble de leurs points de vente rendant inexploitables les informations transmises,

- que les sociétés en nom collectif sont exemptées de l'obligation d'avoir à déposer leurs comptes, ce qui est d'ailleurs inexact, seules celles dont l'un au moins des associés n'est pas une société à responsabilité limitée ou une société par actions en étant dispensées.

Mais en premier lieu, le ministère public rappelle à juste titre que les différentes possibilités offertes au président du tribunal de commerce ou au parquet afin de contraindre les sociétés au respect de leur obligation de dépôt de leurs comptes annuels ne sont pas exclusives les unes par rapport aux autres et relèvent de leur libre appréciation.

En second lieu, l'obligation, dans un souci de protection des tiers, faite aux sociétés commerciales qui n'offrent comme garantie que leur patrimoine social, de publier leurs comptes, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de la concurrence puisque rien ne les empêche d'adopter une forme juridique différente présentant de meilleures garanties pour les tiers. L'objectif de transparence économique et de protection des cocontractants sous-tendant les dispositions critiquées profite d'ailleurs à la société appelante dans ses relations avec ses fournisseurs et clients de sorte que c'est à juste titre que le ministère public fait valoir que la distorsion de concurrence dénoncée provient non pas de leur application mais de leur non-respect par certains acteurs économiques.

Enfin, c'est à tort que la société appelante reproche le taux journalier de l'astreinte fixée par le premier juge, lequel avait un pouvoir discrétionnaire pour apprécier le montant de la mesure susceptible d'assurer le respect de l'obligation bafouée.

S'agissant de la liquidation de l'astreinte ainsi prononcée, l'article L.131-4 du code des procédures civiles d'exécution prescrit, comme seul critère d'appréciation, l'examen du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.

Or il n'est pas discuté que la société Coodica n'avait, au jour de l'ordonnance critiquée, pas exécuté l'injonction qui lui était adressée sans invoquer une quelconque difficulté.

Intervenant après le constat d'un retard de 13 jours depuis l'expiration du délai de régularisation, la liquidation de l'astreinte devait être effectuée pour la somme de 19 500 euros. Mais l'appel ayant un effet dévolutif, la cour ne peut que constater qu'à la date des débats, les comptes clôturés le 31 décembre 2013 n'étaient toujours pas déposés de sorte qu'il y a lieu de fixer, conformément à la demande du ministère public, l'astreinte à 20 000 euros.

Enfin si le premier juge a condamné nommément, en application de l'article R. 611-16 dans sa version antérieure au décret 2014-736 du 30 juin 2014, le représentant légal de la société au paiement de l'astreinte, cette condamnation était prononcée ès qualités et non à titre personnel, ce qu'il convient de préciser pour éviter toute ambiguïté liée au décès de M. T. le 18 août 2016.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme l'ordonnance rendue le 5 août 2015 par le président du tribunal de commerce de Lorient sauf en ce qu'elle a liquidé l'astreinte à un montant excessif par rapport au retard constaté par elle ;

Statuant à nouveau, vu l'effet dévolutif de l'appel,

Liquide à 20 000 euros le montant de l'astreinte fixée par l'ordonnance du 22 juin 2015 et condamne la SARL Coodica au paiement de cette somme au Trésor public ;

Condamne la société Coodica aux dépens.