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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 22 mai 2014, n° 13/20838

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SIM Investments (Sté)

Défendeur :

CLV (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

M. Fohlen, M. Prieur

T. com. Cannes, du 17 oct. 2013

17 octobre 2013

EXPOSE DU LITIGE

La SAS CLV est une société holding qui détient en tout ou en partie 14 filiales propriétaires de fonds de commerce et/ou d'actifs immobiliers, dont les associés sont madame X, la SA SIM INVESTMENTS représentée par monsieur Y et monsieur Y.

Une convention de trésorerie a été signée le 5 janvier 2009 entre la société holding et ses filiales pour assurer la gestion financière du groupe.

Monsieur Georges Y et madame Karine X qui ont contracté mariage en 1999 se sont séparés en 2009 et sont en instance de divorce.

Les statuts mis à jour le 15 février 2012 à la suite d'une assemblée générale mixte du même jour, ont créé une nouvelle fonction de directeur général confiée à monsieur Georges Y avec des pouvoirs et une capacité à engager les sociétés identiques à ceux de la présidente de la société, madame Karine X.

Le mandat de madame Karine X, présidente de la société, a été renouvelé pour une période de deux ans et monsieur Y a été désigné en qualité de directeur général pour une durée de deux ans.

L'article 19 ter de ces statuts prévoient un accord unanime de la présidente et du directeur général pour la prise d'un certain nombre de décisions relatives notamment à l'administration de la société.

Par ailleurs, madame X a consenti à monsieur Y un prêt d'actions régi par les articles 1892 et 1904 du code civil portant sur 80 647 actions de catégorie A de la SAS CLV, ce par acte sous seing privé intitulé « prêt d'action » du 15 février 2012.

Par acte du 16 janvier 2013, la SAS CLV et madame Karine X ont fait assigner la SA SIM INVESTMENTS et monsieur Georges Y devant le juge des référés du Tribunal de Commerce de Nice aux fins de voir désigner un administrateur provisoire de la société CLV.

Par ordonnance du 16 avril 2013, le juge des référés du Tribunal de Commerce de Nice s'est déclaré incompétent au profit du juge des référés du Tribunal de Commerce de Cannes.

Par acte du 29 mai 2013, La SAS CLV et madame X ont fait assigner la SA SIM INVESTMENTS et monsieur Georges Y devant le Tribunal de Commerce de Cannes aux mêmes fins de désignation d'un administrateur provisoire, avec mission de :

- gérer et administrer la société CLV

- prendre toutes mesures nécessaires à la préservation de l'intérêt social et des actifs sociaux

- prendre toutes initiatives procédurales et mesures conservatoires pour récupérer les actifs de la société CLV distraits au détriment de la personne morale

- procéder à la réalisation nécessaire de certains actifs de la société CLV dont la villa de Castellaras, les oeuvres d'art etc.., le fruit de la réalisation des actifs ayant vocation à assainir la situation financière du groupe CLV

- prendre toutes décisions dans l'intérêt du groupe dont CLV est la holding

- dresser un rapport dans le mois de son entrée en fonction

- référer à monsieur le président du Tribunal de Commerce de toutes les difficultés rencontrées dans le cadre de l'exécution de la mission

Par ordonnance contradictoire du 17 octobre 2013, le juge des référés a :

- désigné Maître W en qualité d'administrateur provisoire de la société CLV avec la mission demandée,

- dit y avoir lieu pour l'administrateur provisoire de procéder aux formalités nécessaires auprès du greffe du Tribunal de Commerce,

- condamné monsieur Georges Y à payer à la société CLV la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société CLV et madame X de leur demande de condamnation à l'encontre de la société SIM INVESTMENTS,

- débouté monsieur Georges Y et la société SIM INVESTMENTS de leurs demandes à l'encontre de la société CLV et de madame X,

- condamné solidairement monsieur Georges Y et la société SIM INVESTMENT aux dépens.

Par déclaration au greffe de la Cour du 24 octobre 2013, la société SIM INVESTMENTS et monsieur Georges Y ont régulièrement relevé appel de cette décision à l'encontre de madame Karine X, de la SAS CLV et de Maître W es qualités d'administrateur provisoire de la société CLV.

Dans leurs dernières conclusions du 25 mars 2014, la société SIM INVESTMENTS et monsieur Georges Y demandent à la Cour de :

Au visa des articles 455 et 458 du code de procédure civile

- constater que l'ordonnance du 17 octobre 2013 ne répond que partiellement aux conclusions des concluants,

- prononcer la nullité de l'ordonnance déférée,

Au visa de l'article 122 du code de procédure civile

- déclarer madame X irrecevable en sa demande de désignation d'un administrateur judiciaire en l'état des dispositions statutaires,

Au visa de l'article 873 du code de procédure civile

- constater que les conditions de l'article 873 ne sont pas réunies, excluant la compétence du magistrat des référés,

- constater que le juge des référés ne caractérise pas l'existence d'un péril imminent menaçant l'intérêt social de la société CLV,

- constater qu'il n'existe aucune circonstance exceptionnelle rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent,

- constater que madame X et la société CLV ne démontrent ni n'offrent de démontrer l'existence d'un blocage ou d'un dommage imminent et durable,

- en conséquence, réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,

Subsidiairement, au visa de l'article 131-1 du code de procédure civile

- désigner un médiateur judiciaire avec mission d'aider les parties à trouver une solution amiable de nature à faciliter les relations des associés de la société CLV, ce pour une durée de trois mois, aux frais avancés de la société CLV,

Plus subsidiairement

- constater que la société CLV n'a pas été constituée en vue de la vente de ses actifs immobiliers et mobiliers,

- constater que la réalisation des actifs de la société CLV est un acte de disposition grave ne relevant pas de la compétence de l'administrateur judiciaire,

- réformer l'ordonnance déférée concernant le chef de mission relatif à la réalisation des actifs,

- constater que postérieurement à l'ordonnance déféré, les mandats sociaux de représentation de la société CLV du président et du directeur général, sont venus à expiration sans qu'il soit procédé à leur renouvellement par l'assemblée générale,

- désigner un mandataire ad hoc avec mission de convoquer une assemblée générale de la société CLV avec à l'ordre du jour la nomination du président et du directeur général,

En tout état de cause

- condamner madame X et la société CLV au paiement de la somme de 7 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner madame X et la société CLV aux entiers dépens de l'instance, ceux d'appel avec distraction par application de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 27 mars 2004, madame Karine X demande à la Cour de :

au visa des articles 455 et 458 du code de procédure civile

- constater que l'ordonnance déférée satisfait aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile,

- débouter monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS de leur demande de nullité de l'ordonnance,

Au visa de l'article 873 du code de procédure civile

- dire que le mécanisme statutaire a vocation à régler les conflits entre associés,

- dire que la désignation d'un administrateur provisoire a pour vocation de préserver l'intérêt social de la personne morale qui est distincte de celle des associés,

- dire que les stipulations des statuts relatifs aux conflits entre associés ne sauraient empêcher la désignation d'un administrateur provisoire dès lors que les conditions prévues par l'article 873 du code de procédure civile sont réunies dans la mesure où les conflits entre les organes de direction génèrent des blocages et que l'intérêt de la personne morale justifie la désignation d'un administrateur provisoire,

- dire que les stipulations statutaires relatives aux conflits entre associés sont sans objet en l'espèce, d'autant qu'elles prévoient une répartition égalitaire entre les groupes d'actionnaires dans la détention du capital social, égalité qui existe en l'état du prêt d'action du 15 février 2012,

- dire que les conditions de l'article 873 du code de procédure civile sont réunies,

- dire que les stipulations de l'article 19 ter des statuts qui conditionnent l'accord unanime du président et du directeur général pour la prise de certaines décisions ne peuvent avoir pour effet de limiter les pouvoirs de l'administrateur provisoire dont la désignation neutralise les pouvoirs du président et du directeur général,

- confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Ajoutant

- débouter la société SIM INVESTMENTS et monsieur Y de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

- condamner solidairement la société SIM INVESTMENTS et monsieur Y au paiement de la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions du 21 mars 2014, Maître W es qualités d'administrateur provisoire de la société CLV demande à la Cour de :

- constater la paralysie de fonctionnement tant structurelle que conjoncturelle de la société CLV,

- constater qu'il existe un péril imminent en raison du rôle actif de la société CLV dans la gestion du groupe CLV et de l'absence d'organe de direction mettant en péril tant la société CLV que ses filiales, la défaillance de l'une pouvant entraîner la défaillance de l'ensemble du groupe,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de nullité de l'ordonnance déférée formée par monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS

Monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS demandent l'annulation de l'ordonnance entreprise pour défaut de motivation au visa des articles 455 et 458 du code de procédure civile, en soutenant notamment que l'ordonnance déférée ne répond pas au moyen soulevé selon lequel la demande tendant à voir désigner un administrateur provisoire doit être déclarée mal fondée lorsque la mise en oeuvre des statuts permet de surmonter le désaccord existant entre les associés, et qu'il y a lieu de faire application en l'espèce à l'article 16-1 des statuts seule procédure applicable.

Madame Karine X conclut au rejet de cette demande en faisant observer que l'ordonnance déférée rappelle les moyens et prétentions des parties, que monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS n'ont pas conclu sur le mécanisme statutaire en première instance, et pour le surplus que les critiques de ces derniers constituent des moyens de réformation et non des moyens de nullité.

Aux termes de l'article 455 du code de procédure civile :

« Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé. »

La lecture des conclusions écrites déposées en première instance par monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS et produites au débat par madame Karine X permet de s'assurer que le moyen relatif au mécanisme statutaire n'y figure pas, et aucune pièce n'établit que ce moyen aurait été développé oralement.

La lecture de l'ordonnance déférée révèle par ailleurs que l'exposé des faits et prétentions des parties y figure, et qu'il est motivé conformément aux prescriptions légales.

Les critiques formées par monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS constituent des moyens de réformation de l'ordonnance entreprise et non des moyens de nullité.

Le moyen de nullité sera en conséquence rejeté comme étant inopérant.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut du droit d'agir de madame Karine X, soulevée par monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS

Monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS soutiennent que madame Karine X est dépourvue du droit d'agir pour demander la désignation d'un administrateur provisoire en se prévalant des dispositions de l'article 16-1 des statuts de la société CLV.

Madame Karine X conclut au rejet de la demande en faisant observer que la désignation d'un administrateur provisoire a vocation à préserver l'intérêt de la personne morale qui est distinct de celui des associés, et qu'en tout état de cause l'article 16-1 des statuts n'a pas vocation à s'appliquer.

Maître W es qualités d'administrateur provisoire conclut au rejet de l'exception de fin de non-recevoir en faisant valoir que la société est paralysée par l'absence d'organes dirigeants depuis le 15 février 2014, et qu'aucune disposition statutaire ne permet de remédier à cette situation.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs argumentations respectives.

Aux termes de l'article 16-1 des statuts de la société CLV mis à jour le 30 juin 2010, intitulé « conflits entre associés »:

« Il est rappelé au préalable que l'adoption des présents statuts est effectuée dans le cadre d'une volonté commune des actionnaires de catégorie A représentés par madame X et des actionnaires de catégorie B représentés par la société SIM INVESTMENTS et monsieur Georges Y de participer à l'essor de la société et de donner à madame X une marge de manoeuvre opérationnelle lui permettant de participer activement à cet essor.

Toutefois, l'entente des deux groupes d'actionnaires au travers de leur représentant respectif doit être continue et parfaite sur les décisions énumérées à l'article 19 des statuts.

L'affectio societatis reposant spécialement sur un accord permanent quant à ces points, les actionnaires du groupe B et A ne sauraient envisager de continuer à administrer conjointement au travers de leur représentant la société dans l'hypothèse où un désaccord persistant viendrait à exister.

Par ailleurs, les actionnaires désirant lier leur sort afin d'éviter toute situation pouvant conduire à l'évincement de l'un des groupes d'actionnaires représentés par les trois associés susvisés, conviennent des modalités de sortie suivantes, lesquelles ne visent que l'hypothèse d'un conflit quant à l'administration de la société et sont étrangères aux cas de sortie visés à l'article 13-1 intitulé « droits de sortie conjointe » et au cas d'exclusion visé à l'article 16.

Définition de la situation de conflit

La situation de conflit prévue par le présent article vise tout désaccord persistant sur les points prévus par l'article 19 des statuts exigeant l'accord unanime des associés.

Procédure de sortie

L'associé estimant que la perte de l'affectio sociatatis est existante devra en informer les autres associés par courrier recommandé avec accusé de réception ou remise contre décharge en énumérant les points de désaccord justifiant la mise en oeuvre de la présente procédure.

Ce courrier devra prévoir un préavis d'au moins 15 jours à l'intérieur duquel un rapprochement pourra être tenté, soit directement soit par le truchement de leurs conseils respectifs.

Les conseils choisis lors de la mise en oeuvre de la présente procédure seront destinataires d'une copie du courrier précité.

Dans l'hypothèse où un rapprochement amiable n'intervient pas à l'issue du délai de 15 jours susvisé, madame X en sa qualité d'actionnaire majoritaire, s'engage à céder pour cent mille euros une certaine quotité du capital et des droits de vote à chacun des autres actionnaires au prorata de leur participation respective qui acceptent et s'engagent à acheter de sorte que l'égalité parfaite soit instaurée entre les actionnaires du groupe A et ceux du groupe B au niveau du droit de vote et des droits aux bénéfices à hauteur de 50 % des dits droits pour chacun des deux groupes. Le prix des actions de catégorie A ainsi cédées sera payable comptant du jour de la signature et de la remise des ordres de mouvement y relatifs.

Les conseils choisiront dès lors d'un commun accord un administrateur unique provisoire dont les fonctions seront limitées aux affaires courantes et dureront le temps nécessaire pour trouver un repreneur.

Cet administrateur sera nommé président de la société par l'assemblée des actionnaires qui désignera également les membres du comité de direction.

La rémunération de l'administrateur provisoire sera fixée d'un commun accord entre madame X et monsieur Y.

Un contrat à durée déterminé sera conclu.

Ses fonctions cesseront de plein droit dès que la cession interviendra.

La recherche du repreneur se fera à la diligence de tous les actionnaires pour un prix minimum pour 100% des actions qui sera convenu entre madame X d'une part et monsieur Georges Y et la société SIM INVESTMENTS d'autre part. A défaut d'accord pour une valorisation à l'amiable des actions de différentes catégories il est convenu que chaque action de catégorie B sera valorisée sur la base de quatre actions de catégorie A.

A défaut d'accord sur le prix minimum souhaité pour 100 % des actions, un arbitrage interviendra lequel sera rendu par un expert évaluateur désigné conjointement par les conseils des parties.

L'ensemble des actionnaires s'engageant à céder leurs titres dès qu'un repreneur fera une offre d'achat correspondant soit au prix convenu entre madame X et monsieur Georges Y et la société SIM INVESTMENTS soit au prix fixé par l'expert évaluateur.

L'article 19 des statuts devenu l'article 19 ter après modification par l'assemblée générale du 15 février 2012 sans modifications notables, auquel renvoie la clause précitée, concerne les actes d'administration de la société.

La clause 16-1 des statuts reproduite intégralement ci-dessus, prévoit statutairement la vente de leurs actions par les associés en cas de désaccord entre eux sur l'administration de la société et de perte de l'affectio societatis, et la désignation d'un administrateur provisoire dans les formes indiquées durant le temps nécessaire pour trouver un repreneur.

L'instance introduite par madame Karine X n'a pas pour objet de mettre en oeuvre cette clause statutaire, mais d'obtenir la désignation d'un administrateur provisoire pour sauvegarder les intérêts de la personne morale compromis par la mésentente entre des organes de direction égalitaires paralysant le fonctionnement de la société.

Toute personne ayant intérêt à agir dans ce cas de figure peut demander la désignation d'un administrateur ad hoc dès lors qu'elle a un lien de droit avec la société concernée.

Madame Karine X en sa qualité de présidente de la société CLV a qualité et intérêt pour agir à la date de l'introduction de l'instance pour sauvegarder les intérêts de la société.

La fin de non-recevoir soulevée par monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS sera en conséquence rejeté comme non fondée.

Sur la désignation d'un administrateur ad hoc

Monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS soutiennent :

- que la désignation d'un administrateur provisoire est une mesure judiciaire grave qui porte atteinte à la souveraineté des associés seuls compétents pour désigner les organes d'administration et de gestion de la société, qui ne peut intervenir que dans des circonstances exceptionnelles,

- qu'elle est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives : le fonctionnement irrégulier de la société et l'intérêt social distinct de l'intérêt des associés, menacé d'un péril imminent,

- qu'en l'espèce, l'ordonnance déférée ne caractérise pas l'existence d'un péril imminent menaçant l'intérêt social, et se contente de relever que les agissements de monsieur Y sont contraires à l'intérêt social,

- que la mésentente entre les associés à l'origine du blocage du fonctionnement normal de la société relevée par l'ordonnance déférée, n'est que l'une des conditions posée par la jurisprudence de la Cour de Cassation,

- que si la mésentente entre les associés est établie, les faits allégués ne caractérisent pas une situation de mise en péril durable et permanente du fonctionnement de la société CLV,

- qu'il ne saurait être fait grief à monsieur Y d'user des droits attachés à sa qualité de directeur général, que les organes représentatifs de la société sont bien présents et qu'il n'existe ni blocage durable ni dommage imminent,

Madame Karine X fait valoir :

- que la préservation de l'intérêt social justifie la désignation et le maintien d'un administrateur provisoire en raison de la paralysie de la société dont les organes de direction détiennent des pouvoirs de direction identiques et dont le directeur général en la personne de monsieur Y empêche la régularisation des actes juridiques et la mise en oeuvre des mesures ou décisions conformes à l'intérêt social,

- que monsieur Y en sa qualité de directeur général a empêché ou ralenti le suivi juridique et comptable de la société, a mis en place une stratégie de blocage financier, a créé et maintenu un compte courant débiteur très important, a utilisé la trésorerie de la holding et de ses filiales à des fins personnelles, a refusé de procéder aux règlements aux dates contractuelles des échéances de prêts et empêché les sociétés du groupe de faire face à leurs différentes obligations financières aux dates contractuelles et légales, a refusé de voter dans l'intérêt du groupe et s'est opposé aux mesures de restructuration nécessaires, entretient un conflit permanent source de paralysie,

- que ces agissements font peser un péril grave et imminent sur la société CLV et ses filiales,

- que depuis le 15 février 2014, les organes de direction ne sont plus en fonction, et que la société CLV se trouverait sans représentant légal s'il était mis fin à la mission de l'administrateur judiciaire.

Maître W fait observer :

- que la société CLV est paralysée dans son fonctionnement en raison des changements statutaires, par suite de la confusion et de l'égalité dans les pouvoirs de direction, des décisions devant être prises à l'unanimité par les organes de direction et du conflit qui oppose ces derniers,

- que la paralysie de la société CLV a entraîné celle de ses filiales,

- que les fonctions des organes de direction ont pris fin le 15 février 2014,

- que la société est paralysée faute d'organes de direction et qu'aucune procédure statutaire n'est applicable dans ce cas de figure,

- que la société CLV est une société holding qui détient 14 filiales et que son intérêt est lié à celle de ses filiales,

- que la société CLV gère la trésorerie du groupe en vertu d'une convention de trésorerie du 5 janvier 2009, que l'absence de redistribution de la trésorerie prive les filiales des fonds permettant d'assurer leur fonctionnement, que l'administrateur provisoire a effectué des paiements au profit de diverses filiales ce qui a permis d'éviter des pertes d'actif notamment pour loyers impayés,

- que les ressources de la société CLV dépendent par ailleurs des filiales puisqu'elle leur facture des honoraires de management,

- que la société CLV assure en outre la gestion locative des immeubles dont elle est propriétaire et a été privée d'une partie de ces ressources en raison du conflit de ses dirigeants,

- que l'absence de circulation de trésorerie au sein du groupe compromet son existence, et que le péril imminent concerne l'ensemble des sociétés du groupe.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs argumentations respectives.

Selon l'article 873 du code de procédure civile, le Président du Tribunal de Commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

La désignation d'un administrateur ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.

Le 20 mars 2014, l'administrateur provisoire a déposé un rapport complet et argumenté concernant la situation de la société CLV et de ses filiales.

Il en résulte notamment que la société CLV détient tout ou partie des parts de quatorze filiales, qu'elle a un rôle opérationnel important tant dans la prise de décision commerciale que financière et qu'elle a signé le 5 janvier 2009 avec les sociétés filiales une convention de trésorerie qui organise des flux financiers entre la société holding et les filiales.

La direction de la société CLV est bicéphale à la suite de la modification des statuts par l'assemblée générale du 15 février 2012, madame Karine X ayant été désignée en qualité de présidente pour une durée de deux ans et monsieur Y directeur général pour la même durée, et ce avec des pouvoirs et une capacité identiques pour engager la société.

Selon l'article 19 ter intitulé ' décisions soumises à l'accord préalable et unanime du Président et du Directeur Général', doivent être prises à l'unanimité par les organes dirigeants les décisions suivantes :

- le transfert du siège social de la société en tous lieux

- l'arrêté des comptes sociaux intermédiaires et annuels et les conventions réglementées visées à l'article L 227-10 du code de commerce,

- l'arrêté du budget annuel incluant le plan des investissements prévus, l'effectif cadre ainsi que les magasins d'exploitation,

- l'engagement de toute dépense hors budget supérieure à 30 000 euros,

- toute décision portant sur des fournisseurs et prestataires stratégiques pour le groupe formé par la société CLV, et notamment les franchiseurs,

- toute décision de diversification et de partenariats commerciaux et stratégiques,

- toute acquisition ou cession d'éléments d'actifs stratégiques tels que des participations dans les filiales, toute opération d'apport partiel d'actif, de fusion, scission, d'augmentation ou de réduction de capital, de vente ou d'apport des fonds de commerce des filiales, toute création ou suppression d'établissement secondaire,

- toute décision de vote des résolutions des assemblées des sociétés contrôlées par la société CLV pouvant affecter le contrôle et/ou le périmètre économique du groupe existant, et notamment : acquisition ou cession d'éléments d'actifs stratégiques tels que les participations dans les filiales, apport partiel d'actifs, fusion, scission, augmentation ou réduction de capital, vente ou apport des fonds de commerce des filiales, création ou suppression d'établissements secondaires.

La grave mésentente existant entre les organes de direction a entraîné la paralysie de la société en l'absence d'unanimité pour prendre les décisions nécessitées par l'intérêt de la société et de ses filiales.

La preuve est en conséquence rapportée de circonstances tenant à la fois aux dispositions statutaires relatives au fonctionnement des organes de direction et à la mésentente des parties, rendant impossible le fonctionnement normal de la société.

La paralysie de la société CLV a impacté les filiales en raison notamment de l'interruption des flux financiers qui ont été rétablis par l'administrateur provisoire pour un total de 547 986,22 euros depuis sa prise de fonction, ce qui a permis d'éviter d'importantes difficultés financières et la perte de certains actifs.

Les dysfonctionnements de la convention de trésorerie consécutifs à la mésentente des associés sont de nature à mettre gravement en péril l'équilibre financier de la société CLV et des sociétés filiales.

En outre, la société CLV est sans organes de direction depuis le 15 février 2014 dès lors que les fonctions de la présidente et du directeur général ont pris fin à cette date.

Il existe en conséquence un péril imminent non seulement pour la société CLV qui, après avoir été paralysée par la mésentente des organes dirigeants est actuellement dépourvue d'organes dirigeants mais également pour les sociétés filiales dont le sort est lié à celui de la société holding, seul l'administrateur provisoire étant en mesure actuellement de procéder aux actes d'administration dans le seul intérêt de la société et de gérer les flux financiers dans le cadre de la convention de trésorerie.

La désignation d'un médiateur judiciaire nécessite le consentement des deux parties, qui fait défaut en l'espèce.

La décision déférée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande de désignation de désignation d'un administrateur provisoire pour sauvegarder les intérêts de la société.

Sur la mission d'expertise

Monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS demandent à titre subsidiaire l'infirmation partielle de la mission donnée à l'administrateur provisoire en la limitant à l'administration générale de la société CLV à l'exclusion de la mission de procéder à la réalisation de certains actifs de la société CLV en vue d'assainir sa situation financière.

Madame Karine X fait observer que la réalisation des actifs mobiliers et immobiliers participe de la réalisation de l'objet social de la société holding et de la préservation de ses intérêts, et que la situation de blocage se reproduirait si l'aval du directeur général était nécessaire.

Elle demande la confirmation de la mission donnée à l'administrateur provisoire dans l'intérêt de la société.

Maître W es qualités d'administrateur provisoire souligne que dans l'exercice de sa mission de réalisation de certains actifs, elle sollicitera l'autorisation du tribunal pour procéder aux aliénations nécessaires.

La mission donnée à l'administrateur provisoire qui est conforme à l'intérêt de la société, sera confirmée.

Sur la demande de désignation d'un mandataire ad hoc formée par monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS

Aux termes de l'article L. 611-3 du code de commerce, seul le président du Tribunal de Commerce est compétent pour désigner à la demande du représentant de l'entreprise, un mandataire ad hoc dont il détermine la mission.

La demande formée devant la Cour ne peut être que rejetée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS qui succombent ne sont pas fondés en leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et supporteront les entiers dépens de première instance et d'appel.

Il convient en équité de condamner solidairement monsieur Y et la société SIM INVESTMENTS à payer à madame Karine X la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Dit n'y avoir lieu de prononcer la nullité de l'ordonnance entreprise,

Déclare madame Karine X recevable à agir,

Déboute monsieur Georges Y et la société SIM INVESTMENTS de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions en ce compris les dépens,

Dit que la désignation d'un mandataire ad hoc relève du Président du Tribunal de Commerce,

Condamne monsieur Georges Y et la société SIM INVESTMENTS aux dépens d'appel.