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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 27 octobre 2020, n° 19/07882

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Direction Régionale des Finances Publiques Pays de la Loire et Département Loire Atlantique

Défendeur :

In Situ Architecture Culture(s) et Ville (SARL), Isae (SARL), Layon Conseil Assistance (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Jeorge-Le-Gac, M. Garet

CA Rennes n° 19/07882

27 octobre 2020

FAITS ET PROCEDURE

En 1996 était fondée la SARL In Situ Architecture Culture et Ville, exerçant une activité d'architecture et urbanisme, MM. B. et L. en étant alors les associés par l'intermédiaire de sa holding, la SARL ISAE.

Début 2018, M. L. se désengageait de l'entreprise, M. B. devenant dès lors seul titulaire du capital des deux sociétés.

Depuis cette époque, les deux sociétés allaient rencontrer des difficultés financières, peinant à rembourser leurs emprunts bancaires de même qu'à régler leurs impôts, en l'occurrence de la TVA et de l'impôt sur les sociétés.

C'est dans ce contexte qu'elles obtenaient du président du tribunal de commerce de Nantes, par ordonnance du 14 juin 2019 et sur le fondement des articles L. 611-4 et suivants du code de commerce, l'ouverture d'une procédure de conciliation et la désignation de la société Layon Conseil Assistance en qualité de conciliateur.

Cette conciliation devait permettre aux deux sociétés d'obtenir de leurs principaux créanciers des reports de règlement de leurs engagements, sous réserve cependant d'obtenir parallèlement des délais de paiement auprès du Trésor Public, ce qui impliquait la saisine de la Commission des chefs de services financiers (CCSF).

Suivant premières décisions en date du 25 septembre 2019, la CCSF accordait des délais aux deux sociétés, mais seulement sur douze mois alors qu'elles en réclamaient vingt-quatre.

Les sociétés ayant de nouveau saisi la commission, celle-ci, statuant par deux nouvelles décisions du 25 octobre 2019, maintenait le plan de règlement échelonné des dettes fiscales sur une durée de douze mois, précisant en outre que ce plan ne pourrait être représenté à la commission « qu'à la condition que soient apportées des garanties suffisantes ».

Par actes du 30 octobre 2019, les sociétés saisissaient le président du tribunal de commerce, statuant comme en matière de référé sur le fondement des articles L. 611-7 avant-dernier alinéa, R. 611-35 du code de commerce et 1343-5 du code civil, aux fins d'obtenir des délais de paiement sur 24 mois ainsi que la suspension du cours des majorations normalement applicables en cas de retard de paiement, les demanderesses considérant en effet que la position de l'administration fiscale risquait de mettre en danger leur survie.

Par ordonnance du 13 novembre 2019, le magistrat faisait droit à cette demande, accordant ainsi à la société In Situ Architecture Culture et Ville comme à la société ISAE un échelonnement de leurs dettes fiscales respectives, tant en principal qu'en intérêts, ce sur une période de vingt-quatre mois à compter de la signification de la décision, précisant encore que les sommes dues produiraient des intérêts au seul taux légal à l'exclusion de toutes majorations et pénalités, sans même que les sociétés aient à constituer de garanties en faveur de l'administration, le président du tribunal de commerce déboutant enfin l'ensemble des parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnant la Direction Régionale des Finances Publiques (DRFIP) des Pays de la Loire aux dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 6 décembre 2019, la DRFIP des Pays de la Loire interjetait appel de cette ordonnance.

L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 10 juillet 2020, les intimées les leurs le 8 avril 2020.

Également intimée, la société Layon Conseil Assistance ne constituait pas devant la cour.

Finalement, la mise en état était clôturée par ordonnance du 23 juillet 2020.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La DRFIP des Pays de la Loire demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance dont appel ;

- vu l'ordonnance rendue le 19 mai 2020 par le conseiller de la mise en état qui a déclaré l'appel recevable, débouter la partie adverse de sa demande d'irrecevabilité ;

- constater que la société In Situ Architecture Culture et Ville est débitrice à l'égard du SIE de Nantes Centre, à la date du 3 juillet 2020, d'une somme de 75.565 € en principal et intérêts ;

- constater que la société ISAE demeure débitrice à l'égard du SIE de Nantes Centre, à la date du 3 juillet 2020, d'une somme de 15.623 € en principal et intérêts ;

- constater que la restructuration du groupe a fragilisé les deux sociétés, qu'elle n'est pas finalisée et qu'elle crée une incertitude quant à la pérennité des sociétés ;

- constater que la concluante ne s'oppose pas à un plan sur vingt-quatre mois ;

- dire cependant que les sociétés devront constituer une garantie suffisante pour le règlement de leurs dettes ;

- condamner les intimées aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2.000 € à la comptable du SIE de Nantes Centre en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au contraire, les sociétés In Situ Architecture Culture et Ville et ISAE demandent à la cour de :

Vu l'article 914 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 611-7 et R. 611-35 du code de commerce,

- déclarer la DRFIP des Pays de la Loire irrecevable et en tout cas non fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter ;

- confirmer l'ordonnance entreprise en accordant aux deux sociétés un échelonnement de paiement sur 24 mois, et ce sans garantie ;

- condamner la DRFIP des Pays de la Loire à payer aux sociétés In Situ Architecture Culture et Ville et ISAE une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la DRFIP des Pays de la Loire aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction pour ces derniers au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit ;

- dire qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, et qu'en cas d'exécution par voie extra-judiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, seront supportées par la partie tenue aux dépens.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel :

Bien que maintenu par les deux intimées dans leurs dernières conclusions au fond, ce moyen sera écarté, étant rappelé qu'il a déjà été rejeté par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 19 mai 2020, juridiction d'ailleurs seule compétente pour en connaître.

Sur le fond :

L'article L. 611-7 du code de commerce dispose :

«Le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise. Il peut également présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique et au maintien de l'emploi. Il peut être chargé, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants, d'une mission ayant pour objet l'organisation d'une cession partielle ou totale de l'entreprise qui pourrait être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d'une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

Le conciliateur peut, pour exercer sa mission, obtenir du débiteur tout renseignement utile. Le président du tribunal communique au conciliateur les renseignements dont il dispose et, le cas échéant, les résultats de l'expertise mentionnée au cinquième alinéa de l'article L. 611-6.

Les administrations financières, les organismes de sécurité sociale, les institutions gérant le régime d'assurance chômage prévu par les articles L. 5422-1 et suivants du code du travail et les institutions régies par le livre IX du code de la sécurité sociale peuvent consentir des remises de dettes dans les conditions fixées à l'article L. 626-6 du présent code. Des cessions de rang de privilège ou d'hypothèque ou l'abandon de ces sûretés peuvent être consenties dans les mêmes conditions.

Le conciliateur rend compte au président du tribunal de l'état d'avancement de sa mission et formule toutes observations utiles sur les diligences du débiteur.

Au cours de la procédure, le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l'article 1343-5 du code civil. Le juge statue après avoir recueilli les observations du conciliateur. Il peut subordonner la durée des mesures ainsi prises à la conclusion de l'accord prévu au présent article. Dans ce cas, le créancier intéressé est informé de la décision selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat.

En cas d'impossibilité de parvenir à un accord, le conciliateur présente sans délai un rapport au président du tribunal. Celui-ci met fin à sa mission et à la procédure de conciliation. Sa décision est notifiée au débiteur et communiquée au ministère public. »

Quant à l'article 1343-5 du code civil, il précise :

« Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondantes aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment. »

Il résulte des dispositions qui précèdent que le président de la juridiction commerciale peut, dans le cadre de la procédure de conciliation prévue aux articles L. 611-4 et suivants du code de commerce et sur saisine du débiteur, imposer à tout créancier, y compris à l'administration fiscale, les mesures prévues à l'article 1343-5 du code civil qui sont propres à faciliter le règlement échelonné des créances, notamment des délais de paiement sur une durée maximale de deux ans, avec ou sans constitution de garantie, ainsi que des réductions d'intérêts jusqu'au taux légal.

Si le bénéfice de telles mesures demeure subordonné à l'exigence de bonne foi du débiteur, en revanche et contrairement aux affirmations de l'appelante, il n'est pas nécessaire que celui-ci soit en situation « d'urgence » pour y prétendre.

Il importe donc peu, pour que les sociétés In Situ Architecture Culture et Ville et ISAE puissent bénéficier de telles mesures, que leurs difficultés financières soient déjà anciennes, remontant en l'occurrence à l'année 2017, le seul fait que les sociétés continuent à y être confrontées pouvant justifier de les leur appliquer.

Par ailleurs et s'agissant de la bonne foi des débitrices, elle ne saurait être remise en cause par le fait qu'elles auraient déposé des déclarations de TVA initialement erronées et que ce ne serait qu'à l'occasion de l'ouverture de la procédure de conciliation qu'elles auraient révélé le montant réel de leurs dettes fiscales, alors au contraire que la mise en œuvre de cette procédure, à l'initiative de débitrices qui, comme tant d'autres, auraient pu attendre d'être assignées en liquidation judiciaire par leurs créanciers, traduit plutôt leur volonté de payer leurs dettes en recherchant un accord de règlement échelonné avec tous leurs créanciers et ce, sous le contrôle d'un conciliateur chargé d'en rendre compte au tribunal.

D'ailleurs, l'administration fiscale a déjà reconnu, implicitement mais nécessairement, la bonne foi des deux débitrices puisqu'elle leur a accordé, au moins partiellement, les délais de paiement que celles-ci lui réclamaient.

Aussi et au vu des éléments du dossier, notamment eu égard au fait que les deux sociétés respectent actuellement les délais de paiement qui leur ont été accordés à titre provisoire par le premier juge (la société In Situ Architecture Culture et Ville ne restant plus devoir, selon décompte arrêté à la date du 3 juillet 2020, que 75.565 € sur les 112.219 € initialement dus, et la société ISAE seulement 15.623 € sur une dette initiale de 23.439 €), la cour confirmera en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée en ce qu'elle leur a accordé 24 mois de délais de paiement, la réduction des intérêts au seul taux légal, enfin en ce qu'elle n'a pas exigé des débitrices qu'elles constituent de garantie particulière en faveur de l'administration fiscale.

Les parties seront déboutées des demandes qu'elles forment au titre des frais irrépétibles.

Enfin, partie perdante, la DRFIP supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- écarte le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel ;

- statuant sur le fond, confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions ;

- y ajoutant,

déboute l'ensemble des parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamne la DRFIP des Pays de la Loire aux dépens de la procédure d'appel.