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Décisions

Cass. com., 21 octobre 2020, n° 17-31.663

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Sekco Tamaris Company (Sté)

Défendeur :

Procureur Général près la Cour de Nîmes, Tamaris Industries (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Bélaval

Nîmes, du 26 oct. 2017

26 octobre 2017

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Sekco Tamaris Company du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Tamaris industries.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 26 octobre 2017), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 31 mars 2015, pourvoi n 14-10.965), suivant un premier protocole du 27 février 2012, la société D. s'est engagée, sous certaines conditions, à céder à la société Sekco Operating Company, à laquelle s'est ultérieurement substituée la société Sekco Tamaris Company (la société Sekco Tamaris), la totalité des actions de la société Tamaris industries, moyennant le prix provisoire de un euro, sur la base d'un besoin en fonds de roulement et d'une trésorerie égale, à la date de la réalisation, à 4 000 000 euros, outre un complément de prix. Le 26 mars 2012, le président d'un tribunal de commerce a ouvert une procédure de conciliation à l'égard de la société Tamaris industries et nommé la société C.B.F., en la personne de M. B., en qualité de conciliateur pour une durée de quatre mois. Par un acte du 30 avril 2012, ayant fait suite au premier protocole, la société Tamaris industries, la société D. et la société Sekco Tamaris ont conclu un accord de conciliation emportant cession à cette dernière des actions de la première qui a été constaté et rendu exécutoire par une ordonnance du 3 mai 2012 du président du tribunal, en application des articles L. 611-8 I et R. 611-39 du code de commerce.

3. Reprochant à la société D. de lui avoir dissimulé une pratique généralisée, au sein de la société Tamaris industries, de faux certificats de conformité à destination de sa clientèle, la société Sekco Tamaris l'a assignée en annulation des protocoles pour dol.

4. Le 14 décembre 2012, le tribunal a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Tamaris industries. La société Secko Tamaris a assigné la société D., la société Tamaris industries, ainsi que M. F., administrateur, et M. T., mandataire judiciaire, en « résiliation » de plein droit de l'accord de conciliation du 30 avril 2012, par l'effet du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, en application de l'article L. 611-12 du code de commerce. La société Tamaris industries a été mise en liquidation judiciaire, M. T. étant désigné en qualité de liquidateur avant d'être remplacé dans cette mission par la société Etude B..

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, le deuxième moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches, et le troisième moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

6. La société Sekco Tamaris fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à annulation du protocole d'accord du 27 février 2012 et du protocole de conciliation du 30 avril 2012 et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :

« 1°) que le dol d'un contractant s'apprécie en la personne de son mandataire ; qu'en l'espèce, les juges ont constaté que le président de la société Tamaris industries, société cédée, était également le président de la société D., société-mère cédante de la première, et l'interlocuteur direct du dirigeant de la société Sekco Tamaris dans les négociations et la conclusion du contrat de cession ; qu'ils ont en outre constaté que l'ensemble des décisions constitutives de la pratique de la société cédée consistant à transmettre aux clients de faux certificats de conformité relevaient de la compétence de sa direction, et que cette pratique était connue et tolérée, sinon même organisée, par la direction de la société Tamaris industries ; qu'il s'en déduisait nécessairement que la direction de la société D., commune à celle de la société Tamaris industries, avait également connaissance de cette pratique ; qu'en retenant finalement qu'il n'était pas établi que la société D. ait eu connaissance de la pratique de sa filiale consistant à émettre de faux certificats, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1116 ancien du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;

2°) que le dol doit s'apprécier au moment de la formation du contrat ; que s'il est loisible aux juges de se fonder sur des éléments postérieurs, c'est à la condition que ces éléments soient de nature à établir l'existence du dol lors de la conclusion du contrat ; qu'en l'espèce, la société Sekco Tamaris agissait en annulation de l'accord de cession du 27 février 2012 à raison de la dissimulation par la société D. de pratiques de la société cédée de nature à mettre en péril ses relations avec ses clients ; qu'en s'appuyant sur le fait que la société cessionnaire avait eu connaissance d'un cas de falsification de certificat, le 10 avril 2012, soit antérieurement à la conclusion de l'accord de conciliation venant en exécution de l'accord de cession, pour en déduire que la pratique systémique de falsification des résultats des tests des laboratoires n'était pas déterminante du consentement donné lors de l'accord de cession du 27 février 2012, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 ancien du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;

3°) que le dol du cocontractant est une cause de nullité du contrat dès lors qu'il a porté sur un élément déterminant du consentement du cocontractant ; qu'en déduisant, en l'espèce, du courriel de la société Sekco Tamaris du 10 avril 2012 prenant acte de l'engagement de la société D. de licencier le salarié auteur de la falsification d'un certificat, que cette pratique ne constituait pas un élément déterminant du consentement de la société cessionnaire, dès lors que celle-ci avait finalement réitéré son engagement en concluant l'accord de conciliation du 30 avril 2012, cependant que ce courriel avait précisément pour objet, selon ses propres constatations, d'obtenir la cessation de cette pratique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 ancien du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt retient d'abord qu'après la signature du protocole d'accord du 27 février 2012, M. A., dirigeant de la société Sekco Tamaris, par sa présence sur les lieux et son intérêt à l'activité de fonderie, a su prendre l'exacte mesure de ce qui se passait au sein de la société Tamaris industries puisqu'il a écrit le 10 avril 2012 au président de la société cédante aux fins que soient prises « les mesures nécessaires et appropriées pour traiter la question des faux certificats et de la falsification du processus industriel chez Tamaris ». Il relève encore qu'à la date du 10 avril 2012, les parties n'avaient pas encore signé l'accord de conciliation et que le protocole du 27 février 2012 prévoyait, comme condition suspensive, la réitération des engagements des parties par voie de conclusion d'un accord de conciliation en présence d'un conciliateur qui devait être désigné, à l'initiative du cédant, par voie de requête de la société auprès d'un président de tribunal de commerce et l'homologation de cet accord par ce tribunal. Il retient ensuite que c'est le protocole de conciliation du 30 avril 2012 qui stipulait l'engagement irrévocable de l'acquéreur d'acheter l'intégralité des actions que le cédant détenait ou qu'il avait vocation à détenir par augmentation du capital à la date de réalisation de la cession, le cédant s'engageant réciproquement à vendre à la date de réalisation 100 % des actions composant le capital de la société Tamaris industries à la société Sekco Tamaris. Il constate enfin que cette dernière a signé, le 3 mai 2012, la requête en homologation de l'accord de conciliation.

8. En l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a souverainement déduit que la signature de l'accord de conciliation était une condition essentielle à la formation de l'accord de volontés sur la cession, et que c'est à la date de cette signature que devait être appréciée la question de savoir si la pratique des faux certificats était connue de la cessionnaire et était déterminante de son consentement à l'acquisition des actions de la société Tamaris industries, la cour d'appel, qui a estimé que la société Sekco Tamaris avait entendu acquérir les actions de la société Tamaris industries en connaissance de la pratique litigieuse, a, par ces seuls motifs, et abstraction faite de ceux surabondants critiqués par la première branche, légalement justifié sa décision.

9. En conséquence, le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus.

Et sur le deuxième moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

10. La société Sekco Tamaris fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°) que l'erreur doit s'apprécier au moment de la formation du contrat ; que s'il est loisible aux juges de se fonder sur des éléments postérieurs, c'est à la condition que ces éléments soient de nature à établir l'existence de l'erreur lors de la conclusion du contrat ; qu'en l'espèce, en se fondant sur la circonstance que la société Sekco Tamaris avait eu connaissance dès le 10 avril 2012, soit postérieurement à la conclusion de l’accord de cession du 27 février 2012, de la pratique de la société cédée consistant à délivrer de faux certificats de qualité avec la livraison des pièces de sa fonderie, pour en déduire qu'il n'y avait pas lieu d'annuler ce protocole de cession à raison d'une erreur ayant vicié son consentement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 ancien du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;

2°) que l'erreur commise par le cessionnaire de titres sociaux sur la possibilité de la société cédée de poursuivre régulièrement son activité constitue une erreur sur les qualités substantielles donnant lieu à annulation de la cession ; qu'en déduisant, en l'espèce, du courriel de la société Sekco Tamaris du 10 avril 2012 prenant acte de l'engagement de la société D. de licencier le salarié auteur de la falsification d'un certificat, que cette pratique ne constituait pas un élément déterminant d'un consentement finalement réitéré lors de la conclusion de l'accord de conciliation du 30 avril 2012, cependant que ce courriel avait précisément pour objet, selon ses propres constatations, d'obtenir la cessation de cette pratique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 ancien du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;

3°) que l'erreur commise par le cessionnaire de titres sociaux sur la possibilité de la société cédée de poursuivre régulièrement son activité constitue une erreur sur les qualités substantielles donnant lieu à annulation de la cession ; qu'il en va de même lorsque l'inexactitude des informations obtenues par le cessionnaire a eu pour conséquence une appréciation inexacte de sa part sur la situation financière comptable et financière de la société cédée ; qu'à cet égard, la société Sekco Tamaris se fondait sur la circonstance que les erreurs et irrégularités des documents comptables qui lui avaient été présentés lors de la cession dissimulaient la situation financière gravement obérée de la société cédée ; qu'en opposant qu'il n'était pas démontré que le prévisionnel établi par la société Tamaris industries et les représentants de la société D. était adapté à la capacité réelle de production de la société cédée, cependant que cette inadéquation du plan prévisionnel était précisément une conséquence de l'erreur dénoncée par la société Sekco Tamaris, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 ancien du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

11. Ayant retenu, en premier lieu, par les motifs vainement critiqués par le premier moyen, que la société Sekco Tamaris avait consenti à l'acquisition des actions de la société Tamaris industries après avoir eu connaissance de la pratique litigieuse, ce dont il se déduisait qu'elle ne pouvait pas se prévaloir d'une erreur fondée sur celle-ci ayant vicié ce consentement, peu important qu'elle ait tenté de faire cesser cette pratique avant son engagement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

12. En second lieu, l'arrêt relève, s'agissant de l'invocation par la cessionnaire d'irrégularités comptables découvertes après la cession et affectant les chiffres et données qui lui avaient été présentés, notamment quant au besoin en fonds de roulement et à la trésorerie, que les ajustements proposés par l'expert sur les éléments contestés n'empêchaient pas la réalisation de l'objet social de la société Tamaris industries et qu'ils n'obéraient pas non plus la capacité de cette société à poursuivre son activité. En l'état de ces appréciations, faisant ressortir que les inexactitudes comptables alléguées n'étaient pas constitutives d'une erreur affectant les qualités substantielles des actions acquises par la société Sekco Tamaris, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux surabondants critiqués par la troisième branche, légalement justifié sa décision.

13. En conséquence, le moyen, inopérant en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

14. La société Secko Tamaris fait grief à l'arrêt rejeter l'ensemble de ses demandes, alors « que l'accord de conciliation conclu en application des articles L. 611-4 et suivants du code de commerce a pour objet d'assurer la pérennité de l'activité de l'entreprise en difficulté ; que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, qui a pour objet de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif, met fin de plein droit à l'accord de conciliation constaté ou homologué en application de l'article L. 611-8 du code de commerce ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que l'accord de conciliation du 30 avril 2012 avait pour objet de permettre l'assainissement de la situation financière de la société Tamaris industries par la cession de son capital à la société Sekco Tamaris, une augmentation de capital et l'injection de fonds par la société cédante à l'effet de maintenir le niveau de trésorerie de la société cédée, et que cet apport de trésorerie n'avait pas été entièrement exécuté au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde ; qu'en décidant néanmoins que l'ouverture de la procédure de sauvegarde par jugement du 14 décembre 2012, bien que mettant fin à l'accord de conciliation du 30 avril 2012, ne remettait pas en cause, ni pour le passé, ni pour l'avenir, la cession des parts sociales prévue par cet accord, la cour d'appel a violé l'article L. 611-12 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 611-12 du code de commerce :

15. Aux termes de ce texte, l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire met fin de plein droit à l'accord constaté ou homologué en application de l'article L. 611-8 du code de commerce. En ce cas, les créanciers recouvrent l'intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues.

16. Pour rejeter les demandes de la société Secko Tamaris, l'arrêt relève d'abord que l'accord de conciliation était en cours d'exécution au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde puisque la société D. avait procédé à l'augmentation de capital prévue, apporté une somme de 3 000 000 euros, cédé les actions de la société Tamaris industries pour un euro, versé un complément d'apport de 1 200 000 euros en septembre 2012 mais qu'une expertise judiciaire était en train de déterminer le besoin en fonds de roulement. Il retient ensuite que le texte susvisé édictant une caducité, il n'y a pas lieu de revenir sur les effets produits par l'accord avant l'ouverture de la procédure de sauvegarde. Il en déduit qu'en mettant fin de plein droit à l'accord, ce texte ne remet pas en cause la cession des actions qui sont devenues la propriété de la société Sekco Tamaris dès le versement du prix provisoire d'un euro et qu'il ne peut y avoir rétrospectivement retour des actions dans le patrimoine de la société D.

17. En statuant ainsi, alors que l'objet de l'accord de conciliation du 30 avril 2012 consistait à formaliser les engagements respectifs et réciproques des parties afin de permettre d'assainir la situation financière de la société Tamaris industries et la cession de celle-ci à la société Secko Tamaris, et que cet accord n'avait pas été entièrement exécuté au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société Tamaris industries, de sorte que l'échec de cet accord avait entraîné la caducité de celui-ci dans son intégralité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit n'y avoir lieu à annulation du protocole d'accord du 27 février 2012 et du protocole de conciliation du 30 avril 2012, l'arrêt rendu le 26 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.